(Dix
heures
une minute)
M. Cloutier
: Alors, il
n'est pas question pour le gouvernement du Québec de céder à toute forme de
chantage de la part du gouvernement fédéral. Pas question non plus de céder à
cette nouvelle forme de fédéralisme : le
fédéralisme prédateur. Il faut prendre conscience aussi de l'incohérence de la
part du gouvernement fédéral. Est-ce que vous vous souvenez que c'est le
gouvernement conservateur de Stephen Harper qui a mis en place l'entente de
2008? C'est son gouvernement à lui qui a négocié une bonne entente avec le gouvernement du Québec en 2008 pour mettre en place
des mesures pour la formation de la main-d'oeuvre. Quelle
incohérence d'entendre M. Denis Lebel, partout sur les médias hier,
vanter l'excellence de l'entente actuelle puis conclure en disant qu'il fallait
la revoir. Au Québec, il y a un consensus, consensus de tous les partis
politiques, consensus aussi pour les partenaires du marché du travail, et il n'est
pas question pour le gouvernement du Québec de céder à toute forme de chantage.
Pensez-vous vraiment qu'à partir du 1er avril Service Canada est capable de remplacer
les services offerts par Emploi-Québec? C'est quoi? Le gouvernement fédéral va
engager des nouveaux fonctionnaires pour faire exactement le travail qui est
fait par Emploi-Québec? Y a-tu quelqu'un,
vraiment, qui croit ça?
Alors, le
gouvernement fédéral manque de cohérence dans son approche. De toute évidence,
il fait preuve d'improvisation et, au lieu de menacer le Québec, il devrait
plutôt donner suite à l'entente. Nous avons envoyé une entente en octobre 2013.
Nous n'avons reçu aucun commentaire sur l'entente que nous avons envoyée à
Ottawa pour reconduire cette fameuse entente sur la main-d'oeuvre. Alors, au
lieu d'improviser et au lieu de vouloir créer une double structure pour venir
faire exactement ce que fait Emploi-Québec, là, il devrait plutôt donner suite
à l'entente sur la main-d'oeuvre qui a été envoyée. Et, pire encore, il faut
quand même se souvenir que l'entente de 2008 vise particulièrement les
personnes les plus vulnérables, donc les
personnes les plus éloignées du marché du travail.
Je veux vous dire aussi qu'on retrouve la
même incohérence du gouvernement conservateur dans le dossier des
infrastructures. Pourquoi je vous dis ça? Parce que ça fait des mois qu'on nous
dit : Attendez le budget fédéral, vous allez enfin connaître quels sont
les paramètres pour les programmes d'infrastructure
au Québec, alors qu'hier absolument aucun détail n'est donné. Pourtant,
les nouvelles enveloppes vont être en vigueur à
compter du 1er avril 2014, là, puis ça, ce que ça veut dire
concrètement, comme on n'a aucun détail de ces
programmes-là… que les projets d'arénas,
partout à travers le Québec, les projets de routes, bref, les projets d'infrastructure, bien, ce sont des
projets qui seront retardés par l'hésitation et l'improvisation du gouvernement
d'Ottawa. Et, encore sur ce dossier-là, comme on le savait, nous, le
gouvernement du Québec, qu'on en arriverait…
c'est-à-dire que les programmes seraient en vigueur à
compter du 1er avril, bien, on n'a pas attendu à la dernière
minute, on a envoyé le projet d'entente dès l'automne dernier, dès le mois
d'octobre dernier. Savez-vous ce qu'on a reçu comme réponse de la part du
gouvernement fédéral? Aucun commentaire. Alors, on est encore dans ce même
scénario où le Québec fait face à un programme qui est annoncé sans pourtant
faire connaître le détail sur la manière dont il sera déployé.
Avez-vous entendu de quoi, hier, sur le
SLR? On nous annonce qu'on va faire un péage sur le pont Champlain, qu'on va
mettre en place une structure de train pour
accueillir le SLR, mais on ne dit pas comment on va le financer. Comment
voulez-vous qu'on se lance pour la construction d'un nouveau pont avec un train,
si on ne s'assure pas que le financement du train en fait partie? Alors, c'est
pour ça que le gouvernement du Québec a demandé au gouvernement d'Ottawa, dans
son enveloppe sur l'infrastructure, de prévoir le milliard à même les fonds qui
doivent revenir au gouvernement du Québec. Le maire de Montréal a lui-même fait cette même demande, et hier,
malheureusement, on n'a absolument rien retrouvé dans le budget du gouvernement
fédéral.
Même incohérence aussi sur le respect des
compétences du Québec. Vous savez que les conservateurs aiment dire, d'un côté de la bouche,
qu'ils respectent les compétences du Québec. Vous vous souvenez du fameux
discours de la Chambre de commerce de Québec à l'effet qu'ils allaient
respecter le partage des compétences. Pourtant, hier, à nouveau, on nous arrive
avec une bonification des programmes de bourses pour les étudiants aux études
supérieures. S'il y a un domaine qui fait consensus puis que c'est clair pour
tout le monde que c'est de la responsabilité du Québec, c'est certainement les
prêts et bourses, auxquels, comme vous le
savez, on s'est battus, à l'époque, pour les fameuses bourses du millénaire.
Alors là, on nous arrive avec bourses du millénaire version conservateurs, et
vous aurez compris que le Québec a l'intention de réclamer sa juste part. S'ils
étaient sérieux, les conservateurs, dans leur volonté de vouloir aider le
Québec, justement,
à soutenir ses programmes d'éducation, bien, ils reviendraient aux fameuses
coupures qu'il y a eu en 1994‑1995 pour les transferts pour les programmes
sociaux qui représentent 800 millions.
Je veux juste vous faire un peu d'historique,
là. Souvenez-vous quand c'était Fournier qui était ministre de l'Éducation du Québec,
la priorité de l'ancien gouvernement, c'était justement de régler la question
du sous-financement des universités et de mettre
la main sur ce fameux 800 millions. Force est de constater qu'ils n'y sont
pas arrivés et qu'aujourd'hui, au lieu de transférer l'argent au Québec, bien, on préfère plutôt bonifier et dédoubler des
activités que le Québec fait déjà. Même chose pour les valeurs mobilières. On
dit qu'on veut respecter les compétences du Québec. Vous avez vu, au fil des
derniers jours particulièrement, plusieurs
acteurs économiques importants du Québec se manifester, expliquer en quoi le
transfert du secteur financier de Montréal à Toronto aura d'importantes
conséquences pour le Québec et aussi de l'inéquité.
Il faut parler d'inéquité
envers les Québécois parce que c'est assez incroyable de voir le
gouvernement conservateur mettre sur pied un nouveau fonds de 500 millions
pour l'industrie automobile, qui se concentre bien évidemment en Ontario, par
rapport à l'industrie forestière. C'est 11 fois plus d'argent qu'on met
dans l'industrie de l'automobile par rapport à l'industrie forestière.
Pourtant, l'industrie forestière, au Québec, vous le savez, représente plus de
60 000 emplois. S'il y a quelqu'un au Québec qui devrait savoir que
l'industrie forestière a besoin d'aide, c'est bien Denis Lebel. C'est dans le comté
de Denis Lebel, dans Roberval, qu'on a tenu notre sommet sur la forêt, où le
gouvernement du Québec a tenu plusieurs engagements pour l'industrie
forestière. Pourtant, Denis Lebel semble rejeter ça du revers de la main et
accepter que l'industrie forestière reçoive 11 fois moins d'argent que le
secteur de l'automobile. Et je lance un défi à
M. Lebel parce que le gouvernement du Québec vient de lancer sa
nouvelle politique pour l'électrification des
transports : est-ce qu'il est prêt à garantir que le Québec aura sa
part de ce fonds de 500 millions pour nous permettre de nous aider à
développer notre secteur d'électrification des transports du Québec? Je
m'attends à de l'équité aussi pour ce fonds de
500 millions.
Je termine en vous présentant non pas
notre tableau, mais bien le tableau du directeur du budget parlementaire, qui
illustre bien le déséquilibre fiscal qui va s'amplifier au fil des prochaines
années. Alors, essentiellement, ce que vous retrouvez dans le tableau du haut,
ce sont les dépenses fédérales, qui sont en décroissance. Comme vous pouvez
voir, là, c'est plus spectaculaire à compter de 2021. C'est relativement stable, puis ensuite on est vraiment en
décroissance. Parallèlement, bien, vous voyez la croissance de l'ensemble des
provinces. Alors, la problématique, elle est vraie pour le Québec, mais elle
est aussi vraie pour les autres provinces canadiennes.
Vous l'avez d'ailleurs vu dans la sortie de Mme Wynne,
c'est essentiellement ce à quoi elle faisait référence : plus de
croissance des dépenses en matière de services sociaux, plus de croissance des
dépenses en santé.
Vous savez, c'est pas mal plus facile pour
un gouvernement de couper dans le militaire que de couper dans les soins de
santé. Il est hors de question pour nous de couper les services sociaux, de
couper les soins de santé, puis c'est pour ça qu'on va exiger de la part du gouvernement
d'Ottawa notre juste part et que nous lui demandons de cesser le plafonnement
qu'il fait aux transferts canadiens en santé. Parce que ce qui explique, essentiellement,
le tableau dont je viens de vous présenter... il s'explique essentiellement par
le plafonnement qu'on vient d'annoncer pour le transfert canadien en santé :
alors qu'on était aux alentours… pas aux alentours,
on avait un transfert qui croissait de 6 %, il sera dorénavant
entre 3 % et 4 %. Cet écart crée un manque
à gagner de plus de 9 milliards de
dollars pour le Québec : 9 milliards de dollars de moins pour les services sociaux, 9 milliards de
moins pour payer nos médecins, pour offrir des services de soins à la
population, et c'est ce qui explique en gros le déséquilibre fiscal qui va se
projeter et s'amplifier au fil des prochaines années.
Le statut de province du Québec nous
oblige à être en réaction au budget du gouvernement fédéral. Tant et aussi
longtemps que nous serons dans cette fédération, on sera en réaction des
mauvaises décisions d'Ottawa. La solution, pour notre gouvernement,
est bien évidente et c'est celle de la souveraineté du Québec pour
qu'enfin on décide pour la nation québécoise, pour le peuple québécois et qu'on
arrête de s'enfarger dans les décisions qui sont prises ailleurs au Canada et
qui ne sont pas prises dans l'intérêt du Québec.
M. Laforest (Alain)
: À
Ottawa, hier, vous avez laissé entendre que
vous étiez des dépendantistes.
M. Cloutier
: Tant et
aussi longtemps qu'on sera dans la fédération, on sera dépendants des mauvaises
décisions d'Ottawa, et la façon d'y mettre fin, c'est l'indépendance du Québec.
M. Gentile (Davide) : Mais,
dites-moi, s'il y a un problème... Parce que, si on
demeure une province — ce qui fait aussi partie du rayon des possibilités — avez-vous songé à créer une alliance, à moyen terme,
avec les autres provinces pour, justement, essayer de contrer cet effet-là, là, quant à la
baisse des transferts en santé?
M. Cloutier
: Nous
travaillons déjà avec l'Ontario, et nous allons continuer de le faire. Nous
vivons des problèmes qui, effectivement, sont similaires en ce qui a trait à la
croissance des dépenses, particulièrement en matière de santé et de services
sociaux. Nous allons continuer à collaborer. Mais vous savez ce qui s'est passé
dans le dossier du plafonnement des transferts canadiens.
Savez-vous de quelle manière ça a été annoncé, qu'on allait plafonner les
transferts canadiens en matière de santé? Quelque part
le 20 décembre 2011, comme par hasard,
la veille de Noël de 2011, où qu'à peu près personne
n'a réagi parce que la nouvelle est passée à peu près inaperçue, et
c'est après, parallèlement à ça, que tout le monde s'est dit : Bon, bien,
qu'est-ce qu'on peut faire à partir de maintenant? Mais il faut comprendre que
le Québec partage et travaille déjà avec, particulièrement, l'Ontario pour exprimer cette problématique qui va croître dans
les prochaines années.
M. Dutrisac (Robert)
: Vous avez plusieurs fronts, puis il y aplusieurs éléments que vous avez mentionnés. La
liste est longue. C'est quoi, votre priorité?
M. Cloutier
: Bien, ils
sont tous prioritaires. Comment voulez-vous que je dise que les valeurs
mobilières, c'est moins important que la
main-d'oeuvre ou que l'industrie forestière est moins importante pour
les travailleurs? C'est extrêmement difficile pour nous. C'est pour ça qu'on
arrive avec une liste relativement exhaustive. Mais regardez les sommes en jeu,
là. Le programme d'infrastructure… Juste la taxe sur l'accise, c'est
450 millions annuellement, le programme d'infrastructure, c'est un
200 millions, le fameux fonds au mérite, c'est 1 milliard de dollars.
Les sommes en jeu pour la main-d'oeuvre sont extrêmement importantes. Ce que je
veux dire, c'est que l'ensemble de l'oeuvre m'apparaît très important.
M. Corbeil (Michel)
:
J'imagine que ça va vous aider pendant… J'imagine que ce budget-là va
pratiquement vous aider pour la prochaine campagne
électorale. Vous allez vous en servir.
M. Cloutier
: Bien, ce
budget-là est un autre budget qui ne respecte pas les compétences du Québec, où
on pratique le fédéralisme, là, dominateur, un fédéralisme prédateur. Et, pour
nous, c'est un autre mauvais budget, qui s'inscrit dans une continuité. Le
dernier budget, c'est là qu'on avait appris qu'on allait mettre fin à l'entente
sur la main-d'oeuvre, qu'on allait couper les fonds des travailleurs, qu'on
allait de l'avant avec la Commission des valeurs mobilières. Ils nous ont
habitués à des mauvaises décisions par le passé.
M. Caron (Régys)
: M. Cloutier, la dernière fois que le
déséquilibre fiscal a été réglé — il y a eu un règlement il y a
quelques années, en 2008 — le gouvernement Charest avait décidé de
réduire les impôts à hauteur du règlement, c'est-à-dire autour de
800 millions. Quelle crédibilité ça laisse au Québec aujourd'hui pour
prétendre qu'il y a déséquilibre fiscal?
M. Cloutier
: En fait,
ce n'est pas le Québec, hein, qui le prépare. Le tableau dont je vous ai fait
part, là, tout à l'heure, c'est vraiment un tableau qui montre la croissance
des dépenses pour l'ensemble des provinces. Alors, la réalité québécoise, elle
est vraie aussi pour, particulièrement, l'Ontario. Maintenant, la crédibilité
qu'on a, c'est… Regardez les chiffres, là, en santé, puis le vieillissement de
la population.
M. Caron (Régys)
: …ça, est-ce que vous vous engagez, une fois,
hypothétiquement, que le conflit serait réglé, à ne pas réduire les impôts, à
affecter l'argent aux services?
M. Cloutier
: À
l'époque, on l'avait dénoncé. Ce qu'on avait dit, c'est qu'on avait de la
misère à payer les services. On avait été surpris par la décision du
gouvernement Charest de l'époque. Mais vous aurez compris qu'on est dans
l'hypothétique, là. À ce stade-ci, là, je n'ai pas encore entendu Ottawa dire
et reconnaître qu'il y avait le déséquilibre fiscal. Notre premier défi, c'est celui-là, puis ensuite c'est le
règlement.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Mais, si, l'année prochaine, le ministre des
Finances annonce un surplus budgétaire et une baisse des impôts ou de la taxe
de vente fédérale, vous allez combler cet espace fiscal là?
M. Cloutier
: Bien, de
un, vous présumez qu'il y aura une baisse des impôts. Vous…
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Vous présumez qu'il n'y aura pas de surplus budgétaire l'année prochaine?
M. Cloutier
: Ah non! Pour ce qui est du surplus budgétaire, je
n'ai aucun doute. En fait, je serais même surpris qu'on ne termine pas l'année
courante avec un surplus budgétaire. Maintenant, qu'est-ce que le gouvernement
conservateur fera à partir de là? À ce stade-ci, il
est trop tôt pour spéculer.
M. Bélair-Cirino (Marco) : …c'est une option de combler un espace fiscal plutôt
que d'attendre les transferts fédéraux qui ne
pourront jamais venir?
M. Cloutier
: Oui, mais
l'espace fiscal puis l'imposition, ce n'est pas nécessairement la même chose
que le transfert de points d'impôt, comme ça avait
été le cas sur la TPS, par exemple. À ce
stade-ci, les mesures fiscales… de spéculer sur quelles mesures fiscales
le Québec pourrait mettre en place, il est beaucoup trop tôt pour spéculer là-dessus,
ce n'est pas… on ne travaille pas là-dessus.
M. Harrold (Max) : M. Cloutier, how
does this budget, the federal budget help you sell you case about all the bad
things about Ottawa and the federal system?
M. Cloutier
:
Well, I'm just saying to the federal Government : Stop trying to blackmail the Québec Government. I mean, we will not
respond to that and we will continue to negotiate. I don't believe at all in
their capacity to put in place a new employment
program in Québec. I don't think they have the resources, except if they
tell the truth to Quebeckers that they will hire new public servants to do the
job, which I don't think will be a good idea because Québec is already doing this work.
M. Harrold (Max) : And you said it's $9 billion
that we're going to miss over the next several years?
M. Cloutier
:
Absolutely, in terms of transfers to health system,
over the next 10 years, that will be a lack to gain, for Quebeckers, up to $9 billion.
M. Harrold (Max) : For health care?
M. Cloutier
:
Yes, $9 billion for health care, for public
services… essentially health care. Thank you.
Merci.
(Fin à 10 h 17)