(Quinze heures trente-deux minutes)
M. Couillard : …un peu de
cette question de Pétrolia, que j'ai soulevée ici à la période de questions, pour
dire que ce qui me déçoit beaucoup dans la façon dont le gouvernement a
procédé, c'est que, moi, j'y crois à l'exploitation des ressources naturelles
puis les hydrocarbures au Québec, il faut qu'on les exploite, on doit les
exploiter, mais le gouvernement a très mal choisi la façon dont il fait ses
débuts dans ce secteur-là. Tout est dans le montant et la façon dont on met
l'argent du contribuable à risque parce que c'est ce qui vient d'arriver ici.
Le gouvernement du Québec, ce n'est pas une société de capital de risque. Il y
a des sociétés qui remplissent ce montant-là… ce mandat-là, pardon, du côté du
capital privé et ce n'est pas aux contribuables de le faire.
J'ai parlé du rapport Sproule, je voudrais
vous le signaler parce que vous pouvez le trouver sur le site Web de la
compagnie Pétrolia. C'est un rapport destiné aux actionnaires, fait par une
firme de consultants de Calgary, qui indique à quel point le niveau de
probabilité qu'il y ait du pétrole exploitable à Anticosti est faible et que
rien n'a encore été démontré. Donc, on met l'argent du contribuable en jeu à un
niveau beaucoup plus précoce de l'exploration, avant que la ressource soit
véritablement confirmée.
L'analogie que je pourrais faire, puis c'est
pour ça que je regrette beaucoup qu'on procède de cette façon-là : si on
fait ça, à ce stade-là, pour le pétrole, qu'est-ce qui empêche un entrepreneur
d'exploration minière québécois qui pense avoir trouvé une mine de cuivre dans
le Nord, de venir voir le gouvernement, il dit : Écoute, la roche a l'air
d'avoir du cuivre. Je ne sais pas s'il y en a, mais je voudrais avoir ma
subvention pour voir s'il y a du cuivre, puis, ensuite, tant mieux si ça marche,
mais tant pis si ça ne marche pas. Alors, ce n'est pas au contribuable de
prendre ce risque-là. Le risque du contribuable, on peut le prendre, il y a un
risque mesuré qui est acceptable, mais c'est beaucoup, beaucoup trop précoce
actuellement.
Ce qu'il aurait fallu
faire — parce que la question qui pourrait venir : qu'est-ce que,
vous, vous auriez fait? Je la devine déjà sur vos
lèvres — d'abord, je pense que toute la question de la filière des
hydrocarbures a besoin d'être étudiée par le moyen d'une évaluation
environnementale stratégique qui regarde l'ensemble de la question, autant le
gaz naturel que le pétrole. Dans le pétrole au Québec, finalement, on a trois
sites intéressants ou potentiellement intéressants : il y a Anticosti, que
je vous ai parlé du rapport Sproule; il y a la péninsule gaspésienne, à
Haldimand; et puis il y a et puis il y a le site Old Harry dans le golfe.
Essentiellement, c'est là que se trouvent probablement nos gisements de
pétrole. Il faut le regarder de façon méthodique.
Sur le projet, ici, qui est devant nous,
avant… moi, avant de mettre de l'argent public, j'aurais dit à l'entreprise :
Vous allez continuer à lever des capitaux privés et vous allez vous rendre
jusqu'à l'exploration plus avancée, où on va faire un puits vertical, un puits
horizontal puis on va être capables de mesurer la quantité de ressource qu'il y
a puis son degré d'exploitabilité. Parce que vous avez bien noté, dans les
différents articles, tout le jeu ici dépend d'abord de la quantité de milliards
de barils de pétrole qu'il y a ou qu'il n'y a pas — on ne le sait
pas — puis le pourcentage, donc, qu'on est capables d'aller chercher.
Toute la rentabilité puis le calcul financier dépendent de ça, et,
actuellement, on ne dispose pas des informations nécessaires pour poser ce
jugement-là. Il aurait fallu avoir cette information pour prendre cette
décision.
Puis je terminerais en disant que la
meilleure façon de mettre l'argent du contribuable ou de faire récolter des
bénéfices aux contribuables en minimisant le risque, qui n'est d'ailleurs pas
fait actuellement par le gouvernement, c'est d'avoir un cadre réglementaire, un
cadre de redevances puis d'avoir un système de redevances qui monte et descend
selon le niveau de production et de rentabilité des puits. C'est la façon dont
beaucoup de pays procèdent. Moi, je n'exclus pas la prise de participation de
l'État à des entreprises d'exploitation pétrolière, mais, encore une fois, j'en
suis contre le moment où c'est choisi, dans un gisement qui m'apparaît encore
loin d'être confirmé. Et ce qui met la puce à l'oreille, comme on l'a constaté,
c'est le manque d'intérêt assez total des joueurs majeurs de l'industrie
pétrolière pour ce gisement-là. Alors, voilà.
M. Journet (Paul)
:
Qu'est-ce que vous pensez de l'autre modèle, qui était celui du gouvernement
Charest, avec l'entente secrète qui a été révélée il y a quelques mois? C'était
une bonne entente puis c'était un bon modèle?
M. Couillard : D'ailleurs,
cette entente-là a été, en général, saluée positivement par les observateurs
parce que le montant était minime. Il y avait un montant en plus des
redevances, le gros du rendement était obtenu par les redevances, puis il y
avait un petit pourcentage également de participation éventuelle. Mais ça n'a
rien à voir avec ce qu'on nous a mis là.
M. Journet (Paul)
: Mais
lequel modèle préférez-vous : la prise de participation à un stade un peu
plus tard ou le modèle du gouvernement Charest?
M. Couillard : Regardez la
Norvège. Regardez la Norvège, ils prennent des parts de participation dans
l'exploitation pétrolière, mais ils embarquent à un stade plus tardif. Moi,
j'aurais préféré qu'on attende le stade… parce qu'il faut lire le rapport,
parce que c'est bien expliqué là-dedans quelles sont les étapes. La prochaine
étape d'exploration, c'est de faire un puits vertical, ensuite un puits horizontal
pour voir véritablement est-ce qu'il y a du pétrole, oui ou non, quel est
le pourcentage d'extraction qu'on peut envisager? Là, on fait un modèle
financier puis on voit si c'est rentable ou pas.
M. Dutrisac (Robert)
:
Le précédent ministre des Finances avait créé deux sociétés : Ressources
Québec, qui est le véhicule qui est utilisé; il y avait aussi une espèce de
société de capital de risque. Donc, il y avait une volonté, l'ancien
gouvernement libéral, d'investir...
M. Couillard : Oui, je suis
d'accord avec ça. C'est une question, M. Dutrisac… je répète, ce n'est pas le
principe de l'investissement puis de la participation, c'est le moment dans
l'histoire d'un projet où on choisit de mettre l'argent à risque. Il faut gérer
ce risque-là puis il faut le déterminer exactement, et ce n'est pas de l'argent
à nous, c'est l'argent des autres, c'est l'argent des contribuables, donc il
faut être encore plus prudent au moment de choisir le moment où on met l'argent
en jeu.
M. Dutrisac (Robert)
:
Mais l'idée d'avoir l'État dans un projet aussi tôt, c'est aussi une question
d'acceptation sociale. C'est l'argument que le gouvernement sort puis c'est un
argument qui a, à mon avis, un certain sens, c'est-à-dire que les Québécois
n'accepteraient pas que l'île d'Anticosti soit, disons, exploitée par seulement
l'entreprise privée. Il y a une grande réticence à cet égard.
M. Couillard : Mais encore
une fois, M. Dutrisac, moi, je suis d'accord avec la participation de l'État
dans les entreprises d'exploitation pétrolière ou gazière. Je souhaite que ça
se fasse. Toute la question, tout le jeu est de déterminer le moment où vous
choisissez de prendre le risque, et vous ne le prenez pas pour vous, vous le
prenez au nom des contribuables du Québec. Et c'est ce que je critique dans ce
projet-là, ce n'est pas le fait qu'on exploite éventuellement le pétrole, c'est
le fait qu'on le fasse… qu'on mette en jeu l'argent des contribuables à un
niveau beaucoup… à un moment beaucoup trop précoce.
Alors, je vous recommande, en passant, de
lire ce rapport. Je sais que c'est un peu aride, il y a des tableaux, et on
voit les différentes possibilités d'estimés : bas, moyen, élevé. En
passant, ce qu'a choisi de publier le gouvernement, c'est l'estimé élevé, qui a
à peu près 10 % de chance de se réaliser, s'il y a du pétrole. Je vous
donne ça en passant, là, vous pourrez le voir dans le rapport. Maintenant, on
choisit ses chiffres, naturellement, quand on fait ce genre de communication
là. Alors, ce n'est pas, encore une fois, le principe de participation de
l'État à l'exploitation pétrolière, c'est le moment où on choisit de mettre des
fonds publics. Ce n'est pas des investisseurs privés, c'est l'argent public qui
est mis en jeu.
M. Dutrisac (Robert)
:
Mais l'argument, c'est de dire : Ces compagnies-là ne pouvaient pas aller
chercher des capitaux.
M. Couillard : Bien,
pourquoi?
M. Dutrisac (Robert)
:
Parce que, justement, compte tenu des risques…
M. Couillard : La question se
pose. Bien oui.
M. Dutrisac (Robert)
: …aussi
du risque réglementaire. Avec toute l'histoire du gaz de schiste, où il y a eu
une grosse opposition, si l'État n'embarquait pas, je veux dire, le projet est
mort-né.
M. Couillard : Bien, je vous
ferai remarquer que l'État a adopté un règlement pour permettre la fracturation
hydraulique à Anticosti spécifiquement pour ce projet-là. Donc, il n'y avait
plus d'incertitude réglementaire, le règlement a été adopté.
Mais ce que vous soulevez,
M. Dutrisac, c'est assez central. Ce qu'on est en train de dire… je ne dis
pas que c'est ce que vous dites, là, mais ça va jusque-là. On dit :
Bien, parce qu'il n'y a pas d'entreprise... d'investisseur privé intéressé, il
faut que l'État prenne la place. Peut-être que la raison pour laquelle il n'y a
pas d'investisseur privé intéressé, c'est les mêmes que je vous... celles que
je vous exprime. Il faut réfléchir à ça, il faut bien l'évaluer.
M. Lavallée (Jean-Luc)
:
M. Couillard, le chiffre de 45 milliards, donc, pour vous... vous
parlez de l'estimé élevé. Donc, pour vous, c'est de la poudre aux yeux, ça?
M. Couillard : Bien, je ne le
sais pas. Moi, je vous renvoie au texte. Vous allez voir, il y a un tableau,
dès le début du rapport, qui donne trois niveaux de possibilités en termes de
quantité totale de barils de pétrole, et on est dans les milliards de
barils, et là vous appliquez le pourcentage d'extraction, qui est, en
passant, critique, entre 1 % et 5 %, les gens ne s'entendent pas
là-dessus. Alors, il y a trois niveaux. En gros, c'est 19, 30 puis 45. Alors,
le gouvernement a choisi de prendre 45, puis, si vous regardez le tableau, c'est
le chiffre qui a la plus faible probabilité de se réaliser.
M. Lavallée (Jean-Luc)
:
En même temps, le précédent gouvernement avait promis aussi des dizaines de
milliards en retombées pour le Plan Nord, ce qui était hautement hypothétique,
là.
M. Couillard : Bien, il n'y a
plus de Plan Nord, tu sais, ce n'est pas difficile.
M. Lavallée (Jean-Luc)
:
Oui, mais la méthode... c'est la méthode...
M. Couillard : Et d'ailleurs,
en passant, on va le remettre en place, le Plan Nord. Mais, encore une fois,
là, il ne s'agit pas de dire... Dieu seul sait à quel point, nous, les
libéraux, on est pour l'exploitation des ressources naturelles, les mines, les
hydrocarbures. On ne peut pas se permettre, au Québec, de ne pas les exploiter.
La question que je soulève n'est pas le
principe de la participation de l'État ou non dans les entreprises pétrolières.
C'est le moment choisi et le profil de risque du projet qui m'apparaissent
discutables. Je soulève la question... vous avez vu, je n'ai pas eu de réponse
directe à ça, je n'ai pas eu aucune réponse qui revenait sur la question de
risque et sur la question du moment de l'investissement. Alors, je vous suggère
de lire le rapport.
M. Pépin (Michel)
:
Mais vous êtes conscient... M. Couillard, vous êtes conscient
qu'évidemment, si on attend... je comprends très bien ce que vous voulez dire,
mais aussi, en contrepartie, si on attend davantage d'assurances en ce qui a
trait au pétrole, ça risque de coûter plus cher à l'État d'investir.
M. Couillard : Oui, mais là,
c'est... absolument, mais là vous appliquez le raisonnement d'une société de
capital de risque, ce que le gouvernement n'est pas. Alors, il faut qu'il
choisisse d'abord le mode d'intervention. Ça peut être une prise de
participation dans la société ou ça peut être un simple système de redevances
dans lequel le risque pour le contribuable est minime.
M. Pépin (Michel)
: Ou
une prise de participation dans un projet comme il le fait actuellement.
M. Couillard : Dans un projet
plus avancé. Moi, je n'aurais pas pris de participation à ce stade-là.
Évidemment, la logique qu'on entend, c'est que, si on le fait plus tôt, ça va
coûter moins cher que si on le fait plus tard. Mais, si on perd, on perd
également beaucoup.
Lorsque j'entends Mme Marois dire :
Bien, c'est formidable, on est majoritaires... bien, on va être majoritaire des
pertes, s'il y en a, aussi. Et c'est ça qu'il faut réaliser.
M. Lacroix (Louis)
:
M. Couillard, pourquoi vous avez refusé d'accorder davantage de temps pour
le débat sur les trois projets de loi, là, qui sont vraiment au coeur de
l'agenda législatif? M. Bédard avait demandé de reporter un débat de deux
heures sur Télé-Québec, et votre leader, M. Moreau, a refusé. Pourquoi?
M. Couillard : Bien, je
regrette, ce n'est pas ce qui s'est produit. Ce qui est en train d'arriver,
c'est que le gouvernement, malheureusement, est en train d'essayer de passer à
la vapeur le projet de loi n° 52 sur les soins de fin de vie. Et je vais
le répéter, je vous l'ai dit, je ne sais pas si vous étiez au point de presse
tantôt en bas, j'ai dit : Moi, j'ai permis, puis je suis convent de
l'avoir fait sur un sujet aussi sensible et personnel, un vote libre des
députés libéraux. Ce n'est pas vrai que je vais empêcher un député libéral ou
une députée libérale qui veut exprimer les raisons de son vote… D'ailleurs, je
vais probablement le faire moi-même. Qu'on vote pour ou contre, il y a le
moment, qui est rare au Québec, où un député ou une députée rend compte
individuellement de son vote, et ça, c'est un moment, pour moi, qui est très
important. Alors, ce qu'on essayait de nous faire faire, c'est de limiter ou
même de diminuer au maximum le nombre d'intervenants, et je ne peux pas faire
ça.
M. Lacroix (Louis)
: …sur
Télé-Québec, là, si on le reporte, on récupère deux heures, là, pour étudier
d'autres projets de loi, là. Pourquoi vous refusez ça?
M. Couillard : C'est le
leader qui est en conversation avec l'autre leader, puis tout ça est lié, là. Il
n'y a pas un élément qui est dissocié ou qui flotte en l'air tout seul. C'est
que c'est dans un ensemble de demandes qu'on nous fait, qui visent toutes à
accélérer et à réduire le temps d'intervention des députés sur le projet de loi
n° 52.
Puis je veux répéter que ce n'est pas pour
bloquer la procédure parlementaire. C'est un projet tellement important,
tellement personnel que les députés, d'ailleurs qu'elles votent ou qu'ils
votent contre ou pour, veulent avoir… puis ils auront 10 minutes. Ce n'est pas
beaucoup, 10 minutes, pour expliquer comment on en vient à la décision de voter
pour ou contre un projet semblable. Moi, je veux que chaque député qui veut
s'exprimer le fasse.
M. Lacroix (Louis)
:
Mais M. Bédard va demander, en fait, d'aller récupérer ou peut-être d'étirer
les débats…
M. Couillard : Bien, il
négociera avec M. Moreau. M. Moreau est un homme…
M. Lacroix (Louis)
:
…mais est-ce que vous êtes ouvert à débattre plus longtemps d'ici la fin de la
semaine?
M. Couillard : M. Moreau est
un homme très ouvert. Nous, on est là pour travailler. Merci. Au revoir.
(Fin à 15 h 44)