(Treize heures seize minutes)
Mme Massé :
Alors, hier, nous avons posé une question au ministre de l'Environnement sur
les dangers que comporte toute la question du pétrole, le transport, soit le
transport des mégapétroliers, que ce soit Enbridge avec le pipeline inversé,
que ce soit TransCanada à Cacouna, même les projets à Anticosti, Old Harry.
Québec solidaire, on est extrêmement
préoccupés pour le fleuve. On le sait, un simple petit déversement et — c'est
le ministère du Transport qui nous le dit, canadien — on ne pourrait
récupérer que de 5 % à 15 %. Ça, c'est si ça n'arrive pas durant
l'hiver. Alors donc, on est préoccupés de ça, on a... et on ne semble pas les
seuls, hein, on le sait, le jugement de la cour... On regarde les journalistes
qui aussi se demandent où était le ministre lorsque la décision d'émettre le
certificat a eu lieu.
Alors donc, hier, on a posé une question,
pas de réponse. On cherche des éclaircissements. Aujourd'hui, on a tenté,
encore une fois, de poser une réponse, mais surtout peut-être d'essayer de
réfléchir. Mais, si on n'a pas de réponse, qu'est-ce que ça pourrait être, les
réponses à ces questions-là? Et je vous laisse Amir vous partager nos
préoccupations.
M. Khadir
:
Alors, on connaît pas mal, au Québec, maintenant, avec ce qu'on a connu au cours des quatre dernières années
comme révélations sur l'influence du financement de certains milieux d'affaires
dans le Parti libéral, les mécaniques des prises de décision au Parti libéral.
Dans le cas de la construction, c'est entaché d'importantes irrégularités, mais
il y a beaucoup de décisions qui sont dues à l'influence des lobbys. Déjà, il y
a quelques mois, on a publié un rapport sur les portes tournantes : comment des chefs de cabinet passent de
cabinet ministériel à lobbyiste de groupes industriels divers. Puis il y en a
beaucoup pour ce qui est du secteur pétrolier. Il y en a un très
particulièrement qui est l'objet de notre préoccupation en ce qui concerne les
projets de TransCanada Énergie de Cacouna, et c'est
Philippe Cannon.
Philippe Cannon a oeuvré pour deux ministres
libéraux : pour la ministre Beauchamp et
la ministre St-Pierre, entre 2008 et 2012. Philippe Cannon, je vous ai sorti
ici les mandats qui le concernent. Il y a pour 24 pages, je crois, 23 ou
24 pages de mandats attachés à la présence de Philippe Cannon, ici, à l'Assemblée
nationale. Philippe Cannon, je vous rappelle, c'est
le porte-parole à qui vous vous adressez pour poser des questions sur
TransCanada. C'est le porte-parole principal
de TransCanada dans ses projets au Québec.
Philippe Cannon était donc un ancien chef
de cabinet libéral très proche du pouvoir lors du gouvernement de l'époque du
gouvernement Charest, avec toute, je dirais, cette culture de la corruption du
processus des prises de décision. Quand je parle de «corruption», il n'est pas question uniquement des enveloppes… quand il
y a des influences qui n'ont pas leur affaire au Parlement, c'est-à-dire le
pouvoir de l'argent. En principe, en démocratie, le pouvoir de l'argent, il
doit y avoir un mur entre le pouvoir de l'argent et l'Assemblée nationale et
les prises de décision prises par les parlementaires. Or, quand il y a Philippe
Cannon et 13 autres — ils sont 14 — payés par la
compagnie à temps plein, plus 10 conseillers en matière de lobbying, des
lobbyistes-conseils à l'emploi de la compagnie, qui travaillent sur le dossier
de TransCanada Énergie. Il y a une liste, que nous allons vous soumettre, de
tous ces conseillers-là qui travaillent pour TransCanada, mais il y a également
tout le lobby pétrolier, dont vous avez, dans
notre rapport, un long chapitre qui décrit
leur influence sur les prises de décision, les orientations énergétiques de ce gouvernement.
Alors, notre question, quand on regarde
une décision qui est précipitée, qui est entachée d'irrégularités, dénoncée par
la juge de la Cour supérieure Mme Roy, bien, la question à poser, c'est : Qui tire les ficelles au Québec? Est-ce que
c'est des décideurs publics? Est-ce que c'est des experts en environnement, des
experts en bélugas, en sécurité maritime ou c'est des lobbyistes qui viennent
de la pépinière libérale?
M. Bellerose (Patrick) : Bonjour, M. Khadir. Vous faites
plusieurs liens sur l'argent, l'influence de l'argent. Quel type de preuves
vous avez?
M. Khadir
:
Les preuves, je pense, ne sont pas à faire. Il se dépense plusieurs centaines
de milliers, sinon des millions de dollars, chaque année au Québec pour le
lobbying. Qu'est-ce que c'est que le lobbying
sinon d'exercer une influence pour obtenir des résultats en faveur des secteurs
d'affaires? Quand il y a un équilibre, quand il y a un gouvernement qui est
assez distant des milieux d'affaires pour pouvoir, bon, à la fois recevoir ces
représentations et d'autres, ça peut toujours peut-être aller dans une démocratie
telle que pratiquée ici, là. Ce n'est pas notre idéal à nous, mais on peut
peut-être y trouver moins à redire. Mais, quand on en est rendus à ce que même
des cadres diplomatiques américains dénoncent l'influence du pouvoir de
l'argent, hein, WikiLeaks… Je fais référence à un article qui est paru
dans les pages du Devoir en mai 2011, votre collègue Louis-Gilles
Francoeur, Politique énergétique — Jusqu'où va l'influence de
Power?, Power Corporation. Je l'ai
mentionné en Chambre, on m'a tout de suite arrêté. On m'a arrêté comme on le
faisait à l'époque lorsque je parlais des prête-noms, lorsque j'ai parlé de
Marc Bibeau. Tout de suite, on a invoqué le règlement :
Vous êtes en train de nous salir, vous faites des allégations. Nous, on dit : Il y a une grille d'analyse maintenant, là.
On ne peut pas aujourd'hui, en 2014, aborder les décisions du Parti libéral sans
tenir compte de la grille d'analyse que nous offre l'histoire des 10 ans,
des neuf ans du pouvoir Charest.
Ce parti est tellement intimement lié à certains secteurs à cause de ses orientations — mais
surtout à cause que ce monde-là se fréquente — ils s'offrent des
postes, tantôt au pouvoir, tantôt dans les lobbys, tantôt dans les compagnies,
dans les firmes d'avocats et prennent des décisions au nom du peuple du Québec.
Alors, la question à se poser : M. Couillard,
est-ce qu'il a opté pour le pétrole sale de l'Alberta pour les intérêts du
Québec, puisque personne d'autre que ces gens proches du pouvoir ne sont
d'accord avec ça, ou est-ce qu'il a pris cette décision parce qu'il y a des
lobbys influents qui exercent une pression indue sur le pouvoir et parce que
Power Corporation a ses intérêts là-dedans?
M. Perrault (Patrick) : Est-ce que vous pensez qu'il y a de
l'argent qui était donné au Parti libéral du Québec pour influencer?
M. Khadir
:
Je reviens : si on se limite à une analyse, je dirais,
superficielle de la corruption, en pensant que corruption, il n'y a que lorsqu'il
y a de l'argent échangé pour enrichir un
ministre, un décideur public, non; mais le
phénomène des portes tournantes a amplement été illustré. Quelqu'un rentre au
pouvoir, prend des décisions favorables à l'industrie, sort du pouvoir,
qu'est-ce qu'il retrouve à la sortie du pouvoir? Un bon poste, P.D.G., par
exemple, de Rx&D. On se rappelle, M. Russell Williams s'occupe de la
politique pharmaceutique du gouvernement sous M. Couillard, qui était ministre à l'époque. Il donne sa
démission au début mars 2004. Avant la fin du mois de mars, il est nommé P.D.G.
de Rx&D. On se rappellera de Mme Normandeau, tout récemment, nommée
dans un grand cabinet de comptables et de conseillers qui ont d'innombrables
contrats très lucratifs avec le gouvernement.
Donc, c'est ce genre de proximité de
portes tournantes qui cause une corruption de nos institutions, et je pèse mes
mots, et je ne suis pas le seul à le dire. Transparency International ne cesse
de répéter que la nouvelle corruption qui s'est installée dans nos démocraties,
ce n'est pas… ce n'est même plus le financement des
partis, c'est ce phénomène du maillage serré entre des décideurs publics
et des gens des milieux d'affaires qui s'échangent des postes. On en a eu un
exemple très clair ici, rappelez-vous, M. Pierre Corbeil, ministre des
Affaires autochtones, s'occupe des affaires qui sont liées aux problèmes
miniers dans les affaires autochtones, perd son siège, devient lobbyiste pour
les compagnies minières, regagne son siège, devient… Non, il était ministre des
Mines, perd son siège, il devient ministre des Affaires autochtones au moment
même où le Plan Nord doit opérer tout un plan minier dans les territoires
autochtones.
M. Perrault (Patrick) : Alors, vous soupçonnez ou vous croyez
qu'on aurait pu promettre des postes futurs à des gens dans le gouvernement…
M. Khadir
:
On n'a pas besoin de les promettre. Il y a un type qui travaille dans le
cabinet d'un ministre libéral — comme
dans bien d'autres dossiers, on l'a vu — il
sort de ce cabinet, il est nommé lobbyiste.
M. Bellerose (Patrick) : Mais, cette personne-là n'a plus de
pouvoir, n'a plus de pouvoir d'influence. Qu'est-ce qu'il reste?
M. Khadir
:
Pardon? Bien, il a des liens, il a de l'influence, il a toutes les portes
ouvertes.
M. Bellerose (Patrick) : ...faire tous les appels qu'il veut, il
n'a pas de pouvoir. Est-ce que vous croyez qu'on a promis à des gens au
gouvernement des postes futurs?
M. Khadir
:
Je n'ai aucune idée comment ça se fait, mais ils n'ont pas besoin de promettre,
ça se lit. Ceux qui sont obéissants, ceux qui exécutent des... le plan et les
orientations idéologiques de la classe d'affaires, ils se retrouvent toujours à
être récompensés. Il n'y a pas besoin d'y avoir de lien direct. C'est ça, le
caractère sournois de cette corruption, et
c'est pour ça qu'il faut trouver des moyens...
Moi, je ne veux
blâmer personne.Je ne pense pas que
personne ici ait un téléphone de M. Desmarais :
Aïe! Si tu fais bien la job, je te donne un... On n'a pas besoin de ça. Il y a
un système... et c'est pour ça qu'il faut prendre une grille d'analyse si on ne
veut pas perdre quatre ans de lutte contre la corruption qu'on a faite au
Québec. Ce que nous offre cette grille d'analyse, c'est que les choses ne sont
pas une mécanique liée à l'échange d'enveloppes. Oui, bien, il y a des grossièretés telles que ce
qu'on a vu avec certains partis, là, municipaux, mais il y a des choses beaucoup plus sournoises, tel qu'on vous l'a décrit, c'est-à-dire les portes
tournantes, qui sont un phénomène très bien documenté maintenant dans les pays
occidentaux.
M. Bellerose (Patrick) : Qu'est-ce qu'on peut faire contre ça?
M. Khadir
:
Bien, il faut l'accepter, il faut le combattre. Lorsqu'une décision semble être
prise en vertu de ce genre de situation... Même l'apparence de conflit
d'intérêts qu'il y a actuellement là-dedans... C'est un ancien chef de cabinet
libéral qui est porte-parole et lobbyiste principal pour TransCanada, et le
gouvernement vient de prendre une décision précipitée, entachée d'irrégularités
en sa faveur. À sa face même, il y a un conflit d'intérêts patent et énorme.
M. Bellerose (Patrick) : Est-ce qu'il faut empêcher le lobbyisme?
Est-ce qu'il faut mieux réglementer le lobbyisme?
M. Khadir
:
Je vous invite à lire notre rapport, il y a une série de recommandations qui
vont dans ce sens-là.
M. Bellerose (Patrick) : ...quand même des façons...
M. Khadir
:
Oui, bien sûr. Il faut encadrer le lobbyisme et tendre vers un jour où on
n'aura pas de lobbyisme qui est directement lié à des intérêts privés lorsqu'il
s'agit de défendre le bien public. Les citoyens qui viennent ici faire leurs...
M. Bellerose (Patrick) : ...seulement les groupes de pression
sociaux, ou communautaires, ou citoyens?
M. Khadir
:
Oui.
M. Bellerose (Patrick) : Mais on ne permettrait pas d'avoir des intérêts
privés qui défendent le...
M. Khadir
:
Non. Bien sûr, parce qu'il y a deux choses… il y a deux ordres d'idées. La
fonction des représentations de ceux qui viennent pour défendre le bien public
et la fonction de gouvernement sont compatibles, sont cohérents. Tous les deux
sont dépositaires d'un mandat de protection du bien public. Alors que, dans
l'autre cas, c'est un bien... c'est un... c'est la
défense d'intérêts privés et qui se fait derrière des portes closes.
Si des hommes d'affaires veulent faire
entendre leur point, ils ont énormément de liberté et de moyens, ils ont des
campagnes publicitaires, ils ont des pleines pages, ils ont des journaux à leur
disposition, ils ont des conférences qu'ils peuvent organiser, des salons d'information
à l'intention des députés de manière ouverte, pas derrière des portes closes,
pas dans des clubs privés, les 357 de ce monde.
M. Bellerose (Patrick) : Donc, pour vous, le lobbyisme privé ne
devrait pas exister?
M. Khadir
:
On va... Regardez, on lance une proposition qui est très audacieuse et qui est
à porter à long terme. Mais à court terme on
peut commencer à mettre en relief que, dans des situations comme dans le cas
d'Enbridge, où c'était un autre membre d'un cabinet libéral qui oeuvrait comme
porte-parole principal pour la compagnie Enbridge, et Philippe Cannon, bien,
que ces gens-là ne soient... Il faut qu'il y ait des cadres pour que d'anciens
haut placés dans les cabinets ministériels ne puissent pas agir comme
lobbyistes.
La Modératrice
: Merci beaucoup.
(Fin à 13 h 28)