(Neuf heures quarante-sept minutes)
M.
Caire
:
Alors, bonjour. Je voulais vous rencontrer aujourd'hui pour vous faire part des
objectifs de l'interpellation de ce matin avec le ministre de la Santé,
objectifs qui vont être en lien avec la question que je lui ai posée hier.
Le ministre de la Santé nous propose une
réforme, et je vais être d'accord avec lui sur un point, elle est majeure. Ceci
étant dit, ce ne sera pas la première fois que le Parti libéral va nous
proposer une réforma majeure. L'actuel premier ministre, Philippe Couillard, au
moment où il était ministre de la Santé, a fait la même chose et, sensiblement,
a proposé la même recette aux Québécois, c'est-à-dire : abolition des
régies régionales, regroupement administratif de différentes entités du réseau
de la santé, introduction de cliniques réseau, donc augmenter l'offre de soins.
Et aujourd'hui, le constat, il est désastreux. Ça n'a pas fonctionné.
Donc, de reprendre la même recette, si on
est d'accord que la recette fonctionne et qu'on n'a pas obtenu les bons
résultats, c'est donc que le problème est ailleurs. Et ce que je veux savoir,
entre autres, du ministre de la Santé actuel, c'est : Quelles sont ces
erreurs qui ont été commises? Pas dans l'objectif de l'embêter, mais dans
l'objectif de m'assurer qu'on ne les répétera pas.
Et là-dessus on sera, évidemment, très
vigilants parce que le réseau de la santé, comme je l'ai dit, dans les 10
dernières années, a traversé plusieurs réformes. Que ce soit avec Philippe
Couillard ou Yves Bolduc qui est arrivé avec sa fameuse méthode Toyota, on a toujours
cherché des façons d'améliorer le réseau de la santé, on est toujours arrivés
avec des recettes soi-disant très efficaces et on a échoué. Donc, si la recette
est bonne, c'est celui qui l'a appliqué qui ne l'était pas ou alors il y a
d'autres problèmes d'autre nature ailleurs dans le réseau.
Et je reviens sur un commentaire qui a été
fait par le ministre de la Santé, qui nous disait : Écoutez, oui, la
recette est bonne et, oui, le premier ministre actuel, à l'époque où il était
ministre de la Santé, a bien fait les choses. Le problème, c'est qu'il n'avait
pas tous les outils. Écoutez, à sa face même, c'est un commentaire qui ne tient
pas la route quand on sait que, de 2003 à 2008 ou, en tout cas, de 2003 à 2007
minimalement, Philippe Couillard était ministre de la Santé d'un gouvernement
majoritaire et qu'après cette date-là, donc à partir de 2007, et je suis bien
placé pour le savoir, il aurait certainement pu compter sur l'opposition
officielle s'il avait vraiment voulu mettre en place des mesures de réduction
de la bureaucratie pour augmenter l'efficacité. L'ADQ était exactement dans
cette perspective-là.
Donc, c'est un peu ce qu'on veut voir
aujourd'hui avec le ministre de la Santé, s'il est conscient des problèmes,
s'il est conscient des motifs qui ont amené les échecs du gouvernement libéral
dans les 10 dernières années et si, à partir de là, il est en mesure de proposer
des solutions qui vont faire en sorte qu'on ne va pas rebrasser des structures,
relancer le réseau de la santé dans une autre réforme qui va conduire à un
autre constat d'échec dans quelques années parce que je pense que les Québécois
qui investissent des milliards dans le réseau de la santé sont maintenant en
droit de s'attendre à des résultats, et ce, à courte échéance.
Là-dessus, si vous avez des questions, je
suis prêt à…
M. Caron (Régys)
: M.
Caire, pourquoi annoncer à l'avance que cette réforme-là va être un échec?
M.
Caire
: Je
n'annonce pas à l'avance que cette réforme-là est un échec. Ce que je dis, c'est
que la recette qui est proposée par Gaétan Barrette, c'était la même recette
que proposait Philippe Couillard en 2003, et là je peux vous donner un paquet
de preuves à l'appui — de toute façon, je vais le faire pendant
l'interpellation — et aujourd'hui, notamment entre autres avec le
rapport du commissaire à la santé qui a analysé la performance des urgences
dans le réseau de la santé de 2003 à 2013, on constate que cet un échec.
Donc, moi, on me dit : La recette est
bonne, mais pourtant, ça a donné des mauvais résultats. Donc, si la recette est
bonne et qu'on n'a pas des bons résultats, c'est celui qui a mis la recette en
application qui ne l'a pas été. Donc, pourquoi? Donc, tout ce que je veux
savoir, c'est : Est-ce que Gaétan Barrette va nous prémunir de répéter les
erreurs du passé?
M. Boivin (Simon)
:
Quelles sont ces erreurs-là?
M.
Caire
: Bien,
c'est la question que je lui pose, et vous comprendrez que, comme architecte de
ce projet-là, c'est à Gaétan Barrette à identifier les erreurs du passé, et,
comme il est à la tête du réseau, il a la capacité, justement, de fouiller dans
toutes les entités du réseau pour savoir qu'est-ce qui n'a pas marché. Et c'est
fondamental parce que le réseau de la santé, puis je le disais encore hier…
écoutez, là, quand on a compilé à date les résultats pour 51 hôpitaux, bien, ça
donne près de 162 000 personnes au Québec, en 2013‑2014, qui sont
allées à l'urgence, se sont enregistrées et ont quitté avant de voir un
médecin. C'est un constat d'échec. C'est un constat d'échec.
Alors, je faisais le parallèle avec
l'Hôtel-Dieu de Lévis pour ramener ça à une échelle plus humaine. En 2013‑2014,
l'Hôtel-Dieu de Lévis, 1 560 personnes sont allées à l'urgence, se
sont enregistré et ont quitté l'urgence avant d'avoir vu un médecin. Alors, on
ne peut pas minimiser des résultats comme ça.
Et on constate que, de 2003 à 2013, malgré
une augmentation du nombre de médecins, d'infirmières, malgré une augmentation
de la proportion du budget qu'on mettait en santé, les délais d'attente
augmentent. Alors, je fais ce constat d'échec là et je demande au ministre de
la Santé de me dire qu'est-ce qui n'a pas fonctionné. Qu'est-ce qui n'a pas
fonctionné? Parce que, s'il n'est pas capable de me dire ça, comment peut-il
garantir aux Québécois que la réforme dans laquelle il nous lance présentement
ne subira pas le même sort?
M. Caron (Régys)
:
Croyez-vous qu'il est réaliste quand le gouvernement dit : Il ne faut pas
toucher aux services, on ne touchera pas aux services malgré l'ampleur des
coupes qui sont envisagées? Est-ce que c'est réaliste de dire : Les services
ne doivent pas êtes touchés?
M.
Caire
: C'est
réaliste, si on est ambitieux au niveau des gains d'efficacité. Et là-dessus je
dois vous dire que, par rapport à ce qui a été déposé, et je vous ramène au
document que je vous ai présenté, là, le fameux document de communication qui a
été préparé par le ministère de la Santé, où on nous dit : L'objectif de
la réforme, c'est de dégager des marges de manoeuvre à terme de
200 millions, alors que… Et je l'ai relu avec attention. Raymond Bachand,
dans LeQuébec face à ses défis, parlait bel et bien d'économies
de 600 millions sur la base de la double structure : le ministère et
les agences. Alors, dans le document de marketing préparé par le ministère de
la Santé, on nous prépare déjà à diminuer les attentes en expliquant :
Bien oui, mais il y a déjà un 225 millions qui a été fait dans les gains
d'efficacité qu'on a demandés aux établissements. C'est inexact, ça ne
correspond pas à l'analyse qui a été faite par les experts du comité Bachand,
experts qui, soit dit en passant, se retrouvent sur le comité de révision des
programmes actuel, hein?
Alors, il faut être ambitieux, il faut
aller chercher les économies là où on peut les faire, notamment dans la
bureaucratie, notamment dans la perte d'efficacité du réseau de la santé, et,
si on est capables de faire ça de façon précise, j'oserais dire chirurgicale,
bien, oui, moi, je pense qu'on peut maintenir les services et on peut même les
améliorer.
M. Boivin (Simon)
: Ce
matin, dans Le Devoir, il est question d'une espèce d'omerta qui
est imposée par le ministre de la Santé dans le réseau par rapport au projet de
loi n° 10, des hauts dirigeants, là, des agences de santé qui se voient
dans l'obligation de signer des ententes de confidentialité pour ne pas critiquer
publiquement. Est-ce que c'est préoccupant, ça, pour vous?
M.
Caire
: C'est
préoccupant. Malheureusement, je vous dirais, c'est devenu chose commune. Moi,
ça fait sept ans que je suis élu. J'ai été porte-parole en santé et services
sociaux le plus clair de mon temps comme député à l'Assemblée nationale et je
dois vous dire que, que ce soit Philippe Couillard, Yves Bolduc ou Gaétan
Barrette, ça a toujours été la même chose.
Et je vous dirais... Je vous donne un
exemple. Moi, quand on a des briefings techniques, il n'est pas question
d'avoir un briefing technique s'il n'y a pas quelqu'un du cabinet qui est là.
Pourquoi? Tu sais, qu'est-ce que la personne apporte, sinon de s'assurer que
les fonctionnaires disent ce qu'ils doivent dire et ne disent pas ce qu'ils ne
doivent pas dire? Et c'est la même chose quand on demande des informations.
Vous comprendrez que ce n'est pas toujours très collaboratif.
M. Bergeron (Patrice)
:
C'est une culture du secret, de...
M.
Caire
: C'est
une culture du secret, clairement.
M. Bergeron (Patrice)
:
On a peur de se faire attaquer? Comment vous expliqueriez l'origine de cette
culture du secret?
M.
Caire
: Bien,
écoutez, je dois vous...
M. Gentile (Davide) :
Qu'est-ce que vous nous dites, c'est une culture du secret?
M.
Caire
: Je
vais juste répondre à la question. Oui, c'est une culture du secret parce que,
de façon culturelle, effectivement, je pense que le gouvernement est habitué à
mettre de l'avant ses réformes et à prendre ses décisions en vase clos. Et le
moins de comptes on a à rendre, le mieux on se porte; et le moins les députés
de l'opposition ont accès à de l'information, le moins on a de comptes à
rendre. Donc, c'est une roue qui tourne. Donc, oui, effectivement, je pense
qu'il y a une culture du secret au niveau du gouvernement.
Il y a des améliorations... Par contre, il
faut que je sois honnête, il y a des améliorations qui ont été apportées. Il y
a des informations qui sont maintenant rendues disponibles de façon rapide et
transparente, mais il reste encore des vieux réflexes.
Mme Prince (Véronique)
:
Mais pensez-vous qu'il va y avoir un braquage qui pourrait provenir des
intervenants du milieu? Il y a la Cité de la santé à Laval où huit postes ont
été coupés à l'unité de débordement suite aux compressions. Ça découle des
compressions du gouvernement, me dit-on, et les gens veulent provoquer une
grève illégale pour forcer le Conseil des services essentiels à intervenir puis
rétablir.
M.
Caire
: Oui,
c'est clair. C'est clair qu'il va y avoir de la résistance au changement.
Écoutez, on parle... si tant est que cette réforme-là été faite de la façon
dont nous, on le souhaite… On parle de couper des postes dans l'administration,
on parle de couper dans la bureaucratie. Même si je déplore un peu le manque
d'objectifs clairs dans le projet de loi, j'espère qu'on parle aussi de réduire
la paperasse.
Il y a des gens dont l'emploi dépend de
ça, il y a des gens qui font ça... qui sont ça depuis des années et des années,
à qui on dit : Bien, écoutez, à partir de maintenant... On ne peut pas se
passer de vous autres, mais, à partir de lundi, on va essayer, tu sais. Alors,
c'est clair que ces gens-là se sentent attaqués. Ils vont résister, c'est
clair, et c'est pour ça que je veux du ministre un plan qui est clair et qu'on
est capable de suivre pas à pas. Je ne pense pas qu'on puisse décemment, compte
tenu des objectifs, compte tenu des déceptions du passé, je ne pense pas
aujourd'hui que la meilleure stratégie du ministre, c'est de garder une espèce
de voile autour de ce qu'il entend faire, puis autour de ses objectifs, autour
de ses échéanciers, puis autour de l'ensemble du plan qu'il veut mettre en
place. Parce que j'imagine qu'il y en a un, j'imagine qu'on n'est pas à la
pièce, là. Et ça, ça va faire en sorte qu'il va se trouver, oui, des ennemis,
mais il va se trouver des alliés naturels. Et, en agissant comme il le fait
présentement, il n'a que des ennemis, parce que ses alliés naturels, qui
pourraient être, notamment, la Coalition avenir Québec, on est craintifs parce
que, comme je vous dis, dans le projet de loi, je ne retrouve pas d'objectif
clair.
C'est quoi, son objectif, en termes de
réduction de personnel? C'est un tableau qu'il refuse de rendre public. Et ça a
été demandé par vous, les journalistes, ça a été demandé par nous, la Coalition
avenir Québec, puis il refuse de le rendre public. Mais pourquoi? Tu sais,
c'est quoi, l'intérêt stratégique de cacher une information comme celle-là?
Moi, je ne la vois pas, honnêtement.
M. Bergeron (Patrice)
:
M. Caire, donc vous demandez des preuves, vous demandez, là, que le ministre
dévoile le plus possible ses plans. C'est parce que vous avez des doutes. Mais
ça fait donc… M. Barrette, ça fait donc six mois qu'il est en place, là. Quel
bilan vous tireriez, là, de ces six mois là? Parce qu'il a brassé beaucoup, mais
quel bilan… Parce que c'est peut-être le passé qui est garant de l'avenir
aussi, là.
M.
Caire
: Oui, bien,
vous savez, une carpe, ça brasse beaucoup aussi, mais ça fait lever bien de la
poussière puis ça ne change pas grand-chose, là. Alors…
M. Bergeron (Patrice)
:
C'est pour ça que je vous pose la question.
M.
Caire
: Non,
mais… Écoutez, moi… D'abord, il y a une chose qu'on ne peut pas faire, c'est
dire : Gaétan Barrette est là depuis six mois. Parce que ça, c'est le
scénario habituel. Ah! Philippe Couillard était là seulement depuis six mois en
2003, Yves Bolduc était là seulement depuis six mois en 2008. Tu sais, ils ont
tous été là seulement depuis six mois, mais globalement, le Parti libéral, dans
les, quoi, 11 dernières années, a été au pouvoir 10 ans. Et ça, je pense que,
si on veut tracer un fil conducteur, il faut quand même considérer que c'est
une gouvernance libérale.
M. Caron (Régys)
: Vous
êtes en train de nous dire, M. Caire, que, parce qu'ils ont échoué dans le
passé, ils vont nécessairement échouer cette fois-là aussi. C'est ça que vous
nous dites?
M.
Caire
: Pas nécessairement.
Si le ministre est capable de faire les bons constats et de nous dire pourquoi
le soufflé n'a pas levé, bien là, s'il veut recommencer la recette, moi, je… on
va être des partenaires. Mais, s'il n'est pas capable de m'expliquer ça… Écoutez,
moi, quand il me dit : Philippe Couillard, il a été bon, c'est juste qu'il
a manqué d'outils; en partant, je me dis : Bien, voyons donc! De 2003 à
2007, Philippe Couillard était ministre de la Santé d'un gouvernement libéral
majoritaire. Quel outil n'avait pas Philippe Couillard que Gaétan Barrette a aujourd'hui?
Et, de 2007 à fin 2008, l'opposition
officielle adéquiste aurait été tout à fait d'accord qu'on abolisse les agences
de santé, aurait été tout à fait d'accord qu'on amène le financement à
l'activité dans les hôpitaux. C'étaient des éléments de notre programme, donc
qu'on réduise la bureaucratie, donc il aurait trouvé un allié. Donc, jamais,
dans son passage comme ministre de la Santé, Philippe Couillard n'a été empêché
de faire quelque réforme que ce soit, sinon parce qu'il n'avait pas la volonté
de le faire.
Et je vais même aller plus loin que ça. On
parle aujourd'hui de financement à l'activité. Le ministre dit : C'est
dans le programme. Parfait, mais il ne faut pas oublier que son gouvernement a
voté contre une motion qui lui demandait de faire ça. Donc, non seulement… ce
n'est pas qu'ils manquaient d'outils, mais ils ont même été, jusqu'à tout
récemment, hostiles à ce genre de changement là.
Donc, est-ce que Gaétan Barrette amène une
nouvelle philosophie au Parti libéral? Peut-être. Mais, s'il est incapable de
nous dire ce qui n'a pas fonctionné, il se condamne à recommettre les mêmes
erreurs.
Ça va pour tout le monde? Merci.
(Fin à 10 heures)