(Quinze heures vingt-six minutes)
M. Khadir
: Le Vérificateur
général, en… Bonjour, tout le monde. Est-ce qu'on peut commencer? Les contrats
en PPP du CHUM et du CUSM, hein, nous ont été vendus comme les autres PPP :
partenariat public-privé, ça allait être des contrats fermés, ça allait éviter
les dépassements de coûts. Pour les deux supercentres hospitaliers, CUSM et
CHUM, c'est rendu à 7 milliards. Ça devait coûter 2,6 milliards. On
peut comprendre quelques centaines de millions. Là, c'est plus du double.
La semaine passée, La Presse a fait
des révélations sur un litige qui oppose le CUSM avec le consortium qui
implique SNC-Lavalin, et on comprend qu'il y a une magouille qui a entouré l'octroi
du contrat de SNC-Lavalin — M. Arthur Porter est sous enquête pour ça — dépassement
de coûts, encore, de 200 millions, juste au chapitre des réclamations récentes.
Nous, en 2013, on vous a soumis un
rapport. On pourra vous le fournir, pour ceux qui sont intéressés, rapport daté
de juin 2013, pour montrer toutes les irrégularités entourant les contrats du
supercentre hospitalier de l'Université de Montréal, du CHUM et de son centre
de recherche, avec Dalkia, l'autre consortium.
Cette semaine, hier, une coalition formant
tous les syndicats du réseau de la santé, c'est-à-dire toutes les travailleuses
et travailleurs du réseau, disent : Écoutez, ça n'a pas de bon sens, vous
êtes en train de couper partout dans les services pour épargner 3,2 milliards.
Or, il y a plus de quatre milliards de dépassements dans les PPP, puis, si on
en croit ce qui s'est passé avec les superhôpitaux en Europe, en
Grande-Bretagne et en France, où on commence à mettre fin à ces contrats-là parce
que ça dépasse les coûts, on a avantage d'arrêter ça là, comme le Vérificateur
général le demandait.
Alors, aujourd'hui, à l'Assemblée nationale,
j'ai demandé au premier ministre de rencontrer la coalition, qui cherche des
solutions, et de suspendre les contrats en attendant une enquête approfondie.
On a besoin des documents, on a besoin de savoir le contrat, tous ses détails,
pour comprendre pourquoi on en est rendus là, pourquoi une telle dilapidation
des fonds publics. Merci de votre attention.
Journaliste
: M. Khadir,
peut-être sur un autre sujet, que pensez-vous…
M. Khadir
: Bien,
attendez. On va voir, il y a peut-être des questions sur ce sujet. Rien sur ce
sujet?
M. Gentile (Davide) : Oui.
Mais vous pensez qu'on peut faire quoi? Je veux dire, il y a des contrats qui
sont signés…
M. Khadir
: Exactement
comme… Actuellement, il y a plus de 10 contrats — ça, c'est ceux que
j'ai répertorié — en Europe, en France, en Espagne, en Angleterre, où
ils se sont aperçus que c'est dans l'intérêt des deniers publics de mettre fin
aux contrats et de même payer des pénalités, tellement ces contrats-là ont été
mal ficelés. Et je vous rappelle, ce n'est pas nous qui l'affirmons, en 2009,
déjà, le Vérificateur général disait : La décision a été faussée par… Je
vais vous le citer pour ne pas se tromper : «…des hypothèses irréalistes — par
ceux qui avançaient, faisaient la promotion — des jugements
tendancieux et des omissions graves.» Et lui, il demandait de le suspendre à
l'époque. On a pris quatre ans de retard, ça nous coûte quatre milliards déjà.
Ces contrats ont explosé littéralement.
Donc, il est plus que temps, avec les
problèmes qu'on a avec la balance du budget, la dette du Québec, d'arrêter de
gaspiller l'argent public.
M. Dutrisac (Robert)
:
Mais vous ne savez pas combien de millions ou de centaines de millions ça
coûterait pour annuler ces contrats-là?
M. Khadir
: Regardez,
je ne dis pas qu'il faut le faire, je dis… ce que les travailleurs demandent :
Suspendons-les, examen et enquête approfondis, puisque, comme déjà nous
l'avions dit, regardez, comme dans d'autres chapitres… On l'a vu à tant de
chapitres, hein? Rappelez-vous l'histoire des médicaments puis le 15 ans des
brevets, là, le délai supplémentaire pour les brevets, on a affirmé… Pendant
des années, ils ont dit : Non, non, non, ça ne marche pas, c'est à notre
avantage. Quand ils ont fait les calculs, ils se sont aperçus qu'il fallait y
mettre fin.
Là, comme à bien des chapitres, nous
avions dit déjà, il y a 10 ans : Ça va nous ruiner. Il y a des pays qui
l'ont fait bien avant nous, ce n'est pas la voie à suivre, et aujourd'hui, on
en a la preuve partout en Europe. Plusieurs des plus gros contrats en
Grande-Bretagne sont en train d'être renégociés, c'est-à-dire on paie une
amende parce qu'on sait que sur 20, 30 ans, c'est dans l'intérêt des deniers
publics.
M. Robillard (Alexandre)
:
M. Khadir, qu'est-ce que vous pensez des emplois fictifs qui ont permis à l'Assemblée
nationale de constituer un budget qui va servir à défrayer la majeure partie
des coûts de construction d'un agrandissement?
M. Khadir
: Écoutez,
je viens d'apprendre cette information. Je m'excuse si j'ai été... quelque
chose m'a échappé. Je pense que c'est mieux, pour répondre adéquatement, qu'on
prenne la peine de regarder ça en détail. Vous savez qu'on ne se gêne jamais
pour critiquer qui que ce soit dans cette Assemblée, à commencer par
nous-mêmes.
M. Robillard (Alexandre)
:
Vous n'étiez pas au courant. Visiblement, vous n'étiez pas au courant, même si
vous avez des représentants au Bureau de l'Assemblée nationale?
M. Khadir
: Non, nous
n'en avons pas.
M. Robillard (Alexandre)
:
Vous n'en avez pas? Mais il me semblait que vous aviez accepté... en tout cas...
M. Khadir
: Non. À un
moment donné, lorsqu'il y a eu beaucoup de députés indépendants, ils nous ont
permis de siéger.
M. Gagnon (Marc-André) : Mais
la situation est simple, M. Khadir. En fait, donc, il y a les salaires de 33
employés de l'Assemblée nationale qui sont partis à la retraite qui ont été...
Donc, l'argent de ces salaires-là a été mis de côté pour payer les travaux
d'agrandissement de l'Assemblée nationale.
M. Khadir
: Oui. Vous
me rappelez que déjà, lorsqu'on a appris tous les coûts des travaux, nous avons
émis un communiqué pour signaler le fait que c'est très mal placé actuellement
comme priorité, au moment où on coupe partout, de faire ça. Il faut voir vraiment
ce qui est essentiel et urgent, parce que, des fois, il y a des choses
urgentes. Même si ça ne paraît pas comme une priorité, si on laisse trop
dégrader, ici, cette infrastructure, comme les infrastructures publiques, comme
les égouts, ça finit par nous coûter plus cher. Mais, une fois ce calcul fait, il
y a sans doute des choses qu'on n'a pas besoin de faire en urgence. Donc, ça,
on l'a déjà dit. Donc, c'est une question de priorisation.
Mais je vous signale, mon cher ami, c'est
entre nous, je suis en train de vous parler d'un dossier que, si on est capable
d'intervenir, si, vous et moi, comme on l'a fait dans plusieurs dossiers comme
la construction, la collusion, à l'époque où on était les seuls à aller sur ce
terrain-là, les firmes de génie-conseil, si on est capable aussi, pour les PPP
du CHUM, de faire réagir le gouvernement puis d'arrêter cette hémorragie qui
nous coûte des centaines de millions de dollars chaque trimestre, sans doute
que c'est bien plus prioritaire que les quelques millions d'économies qu'on
pourrait faire en réglant ce problème. Je vous lance ça comme ça, mais, pour
moi, il y a des priorités. Il y a des priorités.
M. Lacroix (Louis)
:
Mais, M. Khadir, on est quand même en train de parler de l'Assemblée nationale
qui prend de l'argent de salaires, en fait, des emplois fictifs…
M. Khadir
: De
salaires fictifs... Bien, c'est tout à fait répréhensible.
M. Lacroix (Louis)
:
C'est une caisse occulte, c'est du détournement de fonds, vous ne trouvez pas?
M. Khadir
: Oui, absolument.
Si ce que vous dites est vrai, c'est-à-dire qu'on a opéré comme ça pour faire,
de manière détournée, ce qui autrement n'aurait pas été permis, je trouve que
c'est tout à fait répréhensible. Mais je vous lance encore une fois la balle,
mes chers amis. Au chapitre du détournement des politiques et des fonds publics
à des fins autres que le bien public, je ne pense pas qu'il faille s'étonner ni
du Parti québécois, ni du Parti libéral.
Je pense que ce n'est pas la première fois.
Ça fait 20 ans qu'ils exercent exactement dans les mêmes champs : les
nominations post-it, les nominations de juges, les nominations à la tête des
plus grandes sociétés d'État. Que ça soit Pierre Karl Péladeau à la tête d'Hydro-Québec
ou aujourd'hui le libéral à la tête d'Hydro-Québec, ce sont là tous des
détournements des décisions publiques en faveur des amis du régime.
M. Gagnon (Marc-André) : Mais,
pour revenir sur la manoeuvre, dont on vient de vous parler, à l'Assemblée
nationale, le porte-parole du Conseil du trésor indique que ce type de
manoeuvre là serait également permise dans d'autres ministères, dans la mesure
où elle obtient l'autorisation en fonction des priorités, là, qui...
M. Khadir
: Là, vous
atteignez la limite de mon ignorance et de ma compétence. Il faut que je voie
le dossier en détail pour vous répondre plus amplement parce que… Là, vous
m'offrez un tableau général, je vous réponds comme général : Pourquoi est-ce
que ça vous étonne, mes amis? Ces deux partis, au pouvoir depuis les dernières
années, dans leur financement comme dans l'utilisation des fonds publics à des
fins partisanes ou pour récompenser les amis du régime, n'ont fait que ça,
détourner les institutions et les règles dans le sens de leurs intérêts. Alors,
pourquoi est-ce que ça devrait nous étonner, si c'est ça? Maintenant, je
demande quand même à avoir le détail.
M. Lacroix (Louis)
:
Mais, si vous... parce que, visiblement, c'est un peu choquant, là, ce qui se
passe, là. Est-ce que vous pourriez demander... Étant donné que vous n'êtes pas
sur le Bureau de l'Assemblée nationale, vous n'avez rien à perdre. Parce que
les autres, ils sont tous représentés sur le Bureau de l'Assemblée nationale,
sauf vous.
M. Khadir
: Bien sûr
qu'on va le faire, mais nous allons gérer les choses en priorité. Je vous le
rappelle, il y a une priorité qui s'appelle les PPP, qui nous coûte littéralement
des milliards de dollars.
M. Lacroix (Louis)
: On
peut marcher puis mâcher de la gomme en même temps.
M. Khadir
: J'espère.
Bien, on va faire les deux. Je compte sur vous.
M. Lecavalier (Charles)
:
Sur ce qui s'est passé hier à Saint-Jean-sur-Richelieu, est-ce que vous croyez qu'il
y a un lien à faire entre ce qui s'est passé hier et la participation
canadienne à la mission militaire en Irak?
M. Khadir
: Je
l'ignore totalement parce que l'enquête est en lien à ce qu'on sait, moi et
vous. Je pense qu'on est mieux de ne pas sauter aux conclusions. Ce qui est
certain, c'est que la tentation du fanatisme est omniprésente partout dans nos sociétés,
mais beaucoup moins sans doute que dans les pays où on fait un grand mal dans
les politiques qu'on a assénées à l'Irak, à l'Afghanistan, au Moyen-Orient
depuis 10 ans. Les premiers à critiquer ces politiques.... moi, j'ai… Retrouvez
mes premiers débats. Avant même que je sois politicien, alors que j'étais au
service de Médecins du Monde dans des missions humanitaires, je mettais en
garde les gouvernements contre leur intervention intempestive, contre des politiques
de terre brûlée qui sont les germes de cette intolérance, de ces poussées de
fanatisme qui ont aussi des conséquences chez nous, et aujourd'hui il faut une
réponse réfléchie. Tomber dans les excès, tomber dans les conclusions tous
azimuts puis en profiter pour augmenter l'agressivité de nos interventions et
leur caractère irréfléchi ne ferait qu'empirer le problème.
M. Lacroix (Louis)
:
Donc, vous pensez qu'on n'a pas d'affaire à intervenir là-bas? Est-ce que vous
êtes...
M. Khadir
: Qui a dit
ça?
M. Lacroix (Louis)
:
Bien, je ne sais pas, je vous pose la question.
M. Khadir
: On a à
intervenir. Comme, par exemple, pour l'Ebola, il y a des manières d'intervenir.Il
y a des interventions en réaction, il y a des interventions en prévision. Il
faut investir dans le développement, il faut investir dans la pacification, il
faut investir dans la santé et l'éducation, il faut investir dans les racines
du problème. Comme l'avait dit Gilles Duceppe, il y a — je me
rappelle — 14 ans, en fait 13 ans, lorsqu'il y avait eu les
événements du 11 septembre : Il faut agir de manière réfléchie, plus loin
que le lobby de l'armement puis des va-t-en-guerre, comme vision.
M. Lacroix (Louis)
:
Mais est-ce qu'il faut… est-ce que le Canada a raison de participer à la
coalition contre l'État islamique?
M. Khadir
: Nous avons
dit que le Canada ne… devait prendre ses décisions en vertu de l'ONU, en vertu
d'un consensus au niveau international. La coalition américaine n'a pas encore
travaillé à cette coalition. Nous avons dit… J'ai participé à une manifestation
aux côtés des Kurdes il y a une semaine. Nous avons dit : Ce que les
populations là-bas ont besoin, c'est qu'on les écoute, qu'on arrête de prendre
des décisions à Ottawa puis qu'on écoute ce que disent les populations qui,
là-bas, résistent. Et les Kurdes avaient dit : Vivres, matériel de soins,
nourriture et armes pour les Kurdes qui luttent contre l'État islamique.
M. Gagnon (Marc-André) :
Êtes-vous étonné, M. Khadir, qu'un magnat de la presse qui est député ici,
à l'Assemblée nationale, multiplie les déclarations sur les réseaux sociaux,
sur Facebook, et qu'il déclare par la suite qu'il n'a pas à répondre aux
questions des journalistes?
M. Khadir
: Vous
parlez de qui?
M. Gagnon (Marc-André) : M.
Péladeau.
M. Khadir
: Bien, écoutez,
je pense, il faut lui faut poser la question. Je trouve qu'il y a un
formidable, disons, terrain pour glisser pour n'importe qui d'entre nous, à
nous laisser happer par les médias sociaux et penser que c'est ça, la politique.
En politique, les gens veulent aussi qu'un politicien, que ça soit Justin
Trudeau ou que ça soit Pierre Karl Péladeau, soit capable de répondre non pas
en consultant des conseillers puis en, disons, peaufinant et polissant son
message, mais puisse répondre spontanément, comme je le fais devant vous, à des
questions. Puis je suis sûr que M. Pierre Karl Péladeau va, tôt ou tard, devoir
le faire.
M. Gagnon (Marc-André) : Et
sinon, sur l'élection partielle qui s'est terminée hier, votre candidat, le
candidat de votre parti dans Lévis, a chauffé le Parti québécois toute la
soirée et il a même failli l'emporter, hein? Il y a une différence de 130 voix.
Êtes-vous satisfait?
M. Khadir
: Notre
ambition… Bien honnêtement, c'est sûr que nous sommes satisfaits, mais notre
ambition, ce n'est pas de chauffer le PQ, notre ambition, c'est de faire élire
des députés aussi bien à Lévis, à Rimouski qu'à Val-d'Or, partout. Donc, on
travaille, dans la patience, à ça. Je pense que les gens nous aiment beaucoup.
Je reçois… j'ai été à Lévis à plusieurs reprises. Bien des gens, qui, je suis
sûr, n'ont pas voté pour nous, nous ont dit sur la rue que leur choix ultime,
c'est nous autres, c'est avec nous, là… c'est chez nous que leur coeur loge, mais
ça prend du temps pour que les gens se laissent convaincre qu'on est prêts,
qu'on est capables de réussir et de gagner des comtés.
En attendant, nous, on travaille à offrir
une alternative progressiste, écologiste, respectueuse du droit des gens… de la
participation des gens dans le processus démocratique. Autrement, le PQ, ça lui
appartient, il faut poser la question au PQ, pourquoi ils connaissent ces
problèmes, et j'espère que tout ça se fait dans la sérénité.
Journaliste
: Est-ce
que c'est une opportunité pour vous, néanmoins? Est-ce que c'est une
opportunité pour vous…
M. Khadir
: Depuis
qu'on existe, depuis la formation du Rassemblement pour une alternative
politique, je vous appelle de remonter à 1997… Nous, Québec solidaire, sa
genèse, c'est 1997. On a commencé en 1997 parce que, justement, on n'était plus
satisfaits du PQ. Ce n'est plus un véhicule, ni pour un projet social, ni pour
l'indépendance. Et, 15 ans plus tard, on ne s'est pas trompés. Ils ont
complètement abandonné la social-démocratie et ils sont presque en train
d'abandonner aussi l'indépendantisme, se questionnent à savoir si ça doit être…
je voyais encore un autre candidat qui parlait de négocier avant même de faire
un référendum, qui se présente comme progressiste, un monsieur… Céré? J'oublie
son nom. Bref.
Une voix
: Pierre Céré.
M. Khadir
: Pierre Céré.
Je pense que les indépendantistes progressistes savent qu'il y a une
alternative. Quand ils sauront, ils auront fait leur bilan… Je les comprends
qu'ils sont déchirés. Quand ils auront fait leur bilan de ce que le PQ est
devenu, est capable de faire, ils savent qu'il y a Québec solidaire comme
alternative pour l'indépendance et pour un projet social rassembleur, ouvert,
du XXIe siècle.
(Fin à 15 h 40)