(Quinze heures trente et une minutes)
M.
Bergeron
: Alors, bonjour. Je dois vous dire que
je suis pour le moins surpris de la décision du gouvernement de refuser son
consentement à une motion qui visait à manifester l'opposition de l'Assemblée
nationale à ce qu'on baptise le pont qui remplacera le pont Champlain autrement
qu'en lui conservant le nom du fondateur de la Nouvelle-France.
C'est d'autant plus étonnant que le premier
ministre avait semblé ravisé… se raviser quant à sa position, demandant au gouvernement
fédéral de ne pas faire injure à la mémoire de Maurice Richard en gommant le
nom du fondateur de la Nouvelle-France.
On s'est demandé sincèrement avec quel
énoncé de la motion le gouvernement libéral avait un problème. Est-ce que c'est
le fait de s'opposer à un changement unilatéral de la part du gouvernement
fédéral, laissant entendre par cet énoncé qu'on souhaiterait être partie
prenante de la décision? Est-ce que c'est le fait de rappeler que Samuel de
Champlain est un personnage incontournable de l'histoire du Québec? Est-ce que
c'est le fait de rappeler que Samuel de Champlain est le fondateur de la
Nouvelle-France et celui qui a ancré l'avenir… pour l'avenir la présence française
en Amérique? Est-ce que c'est le fait de souligner la vision, la droiture, la
détermination et le respect de Samuel de Champlain pour les Premières Nations?
Qu'est-ce qui, dans cette motion, pose problème au gouvernement, sinon que de
simplement ne pas vouloir indisposer le gouvernement fédéral?
Ce dont il est question ici, c'est de
toponymie. Or, la toponypie… la toponymie, dis-je, n'est pas qu'une simple
coquetterie. Il faut prendre conscience de la force évocatrice des mots, des
noms qu'on donne à nos infrastructures publiques. Elles sont, pour ainsi dire,
ces infrastructures, de par leur dénomination, le pont entre notre passé et le présent.
C'est l'incarnation, dans le présent, de toute la richesse de notre histoire.
Je fais partie de cette génération de Québécoises
et de Québécois pour lesquels Champlain, au départ, c'était un pont. Lorsqu'on
se met à gratter un peu, on réalise que Champlain n'est pas qu'un pont et qu'on
a donné ce nom-là à cette infrastructure majeure qui enjambe le fleuve Saint-Laurent
parce qu'il y a un homme portant ce nom qui a marqué, d'une marque indélébile,
notre histoire nationale.
Lorsqu'on prend la peine de regarder et d'étudier
l'histoire de Samuel de Champlain, nous réalisons que la présence
française en Amérique ne serait jamais devenue une réalité sans Samuel de Champlain.
Il aura fallu à cet homme énormément de détermination, d'opiniâtreté, j'irais
jusqu'à dire, pour réussir à implanter, contre vents et marées, une présence
française permanente en terre d'Amérique. Il en a connu, des obstacles, des
obstacles liés, bien sûr, au caractère inhospitalier du climat, des obstacles
liés à l'accueil différent qui lui a été réservé par les peuples qui occupaient
déjà le territoire et il aura connu des obstacles à l'intérieur même de la
petite troupe qui l'accompagnait en terre d'Amérique, il a connu les obstacles
de la maladie dans son groupe, il a connu les obstacles à la Cour de France, il
a investi de ses propres deniers pour faire de son rêve une réalité.
N'eût été de Samuel de Champlain, la
présence française en Amérique ne se serait jamais réalisée. Il est le
fondateur de la Nouvelle-France, mais, comme l'évoquait la motion, il est celui
qui a ancré, pour l'avenir, la présence française en terre d'Amérique, et ce
serait faire injure non seulement à la mémoire de Samuel de Champlain,
mais à notre histoire que de nommer autrement le pont qui remplacera l'actuel
pont Champlain.
Et je veux ici dire un mot concernant
Maurice Richard. Maurice Richard est un personnage plus grand que nature de
notre histoire contemporaine. Ce n'est pas simplement qu'un hockeyeur de grand
talent, c'est un homme qui… dans lequel le peuple québécois s'est reconnu,
c'est un homme à travers lequel le peuple québécois a décidé de relever la
tête, de se tenir debout. Nous sommes, évidemment, éminemment redevables à
Maurice Richard, mais, comme je le disais au départ, je pense que ce serait
faire injure également à la mémoire de Maurice Richard que d'imposer, pour lui
rendre hommage, qu'on gomme le nom du fondateur de Nouvelle-France. Je pense
qu'il doit y avoir moyen de rendre hommage à Maurice Richard, un hommage bien
mérité, sans pour cela devoir gommer le nom de Samuel de Champlain.
Alors, je réitère ma profonde surprise et
déception devant le refus du gouvernement d'adopter la motion que nous avons
proposée il y a quelques instants, et je ne sais trop quelle conclusion en
tirer, compte tenu du fait que je ne sais pas avec quelle partie de la motion,
en fait, les libéraux sont en désaccord et compte tenu du fait que le gouvernement
ou, du moins, le premier ministre, le chef de ce gouvernement, semblait avoir
un peu changé son fusil d'épaule par rapport à cette question très importante.
Et je suis d'accord avec lui qu'il est
hors de question de mettre en opposition Samuel de Champlain et Maurice
Richard. Et c'est la raison pour laquelle il n'est pas opportun, voire il est
totalement inacceptable de gommer le nom de Samuel de Champlain, et qu'il
faille trouver une façon de rendre hommage comme il se doit à la mémoire de
Maurice Richard.
M. Lavallée (Hugo)
: Avez-vous le sentiment que le gouvernement
fédéral essaie de gommer une partie importante de l'histoire nationale
québécoise avec ce changement de nom là?
M.
Bergeron
: Écoutez, je pense que le gouvernement
fédéral essaie, depuis un certain temps, d'instrumentaliser notre histoire à
des fins politiques.
Quand le gouvernement fédéral a décidé
d'accorder énormément d'importance et d'investir des sommes importantes, des
sommes colossales d'argent pour rappeler la guerre de 1812, alors que cette
guerre, aussi importante soit-elle, n'occupe, finalement, que quelques lignes
dans nos livres d'histoire et qu'elle se résume à quelques escarmouches ici et
là sur le territoire du Canada, on peut se demander quel est l'objectif
poursuivi par le gouvernement conservateur qui est en poste à Ottawa.
Quand ce même gouvernement ne lève pas le
petit doigt pour souligner la signature du traité de Paris… On peut-u imaginer
un événement qui a eu plus d'importance que la signature du traité de Paris sur
toute l'Amérique du Nord? Et pourtant le gouvernement conservateur s'est fait
un devoir de ne pas souligner la signature du traité de Paris, mais on a mis beaucoup
d'emphase sur le fait de souligner l'anniversaire de la guerre de 1812, mais le
traité de Paris, pas un traître mot. Et il aura fallu la détermination d'un
certain nombre d'individus, d'historiens pour qu'on obtienne du gouvernement français,
chose tout à fait exceptionnelle, que le traité de Paris puisse être exposé
ici, au Musée de la civilisation, de telle sorte que nous puissions bien
modestement souligner cet événement qui a eu un impact déterminant sur
l'histoire de toute l'Amérique du Nord.
Alors, je pense que ce gouvernement
cherche effectivement à instrumentaliser, pour une raison ou pour une autre,
notre histoire à des fins politiques.
Journaliste
:
Qu'est-ce que vous décodez dans les prises de position de M. Couillard par
rapport à ce dossier-là depuis le début? Au début, il s'est dit plutôt
favorable, ensuite il a semblé envoyer une mise en garde au gouvernement
fédéral, et là il refuse d'adopter ou d'appuyer votre motion. Qu'est-ce que
vous décodez dans les différentes prises de position du premier ministre
là-dessus?
M.
Bergeron
: Bien, c'est une excellente question à
laquelle je n'ai pas d'excellente réponse. Comme je l'évoquais il y a quelques
instants, je ne parviens pas à décoder ce comportement, qui m'apparaît
erratique, quant à cette controverse. Parce qu'il faut bien appeler un chat un
chat, c'est véritablement une controverse qui est en train de poindre dans la
société québécoise, une controverse qu'on pourrait aisément éviter. Il n'y a
aucune raison — puis là-dessus je suis d'accord avec le premier ministre — d'opposer
des personnages aussi importants que Samuel de Champlain
et Maurice Richard, et on se retrouve dans une
situation — et je comprends le malaise de la famille de
M. Richard — où on a tendance à
nous faire... à vouloir nous faire choisir entre Samuel de Champlain et
Maurice Richard. Il est hors de question d'avoir à choisir. Maintenons la dénomination
du pont pour la nouvelle infrastructure puis trouvons une façon de rendre
hommage comme il se doit à un personnage aussi important que Maurice Richard.
Donc, ce que j'essaie de dire, c'est que
je ne parviens pas à décoder l'attitude du gouvernement. Je l'évoquais d'entrée
de jeu, si on lit cette motion, je ne parviens même pas à savoir avec quelle
partie de la motion le gouvernement pourrait avoir un problème. Alors, je suis
obligé de vous dire :Peut-être qu'il faudra poser la question à quelqu'un
d'autre qu'à moi, mais il y a certainement quelqu'un, quelque part, qui doit
donner des réponses parce que, là,
actuellement, on n'arrive pas à suivre le fil des décisions de ce gouvernement
sur une question... sur cette question, sur cette épineuse question.
Journaliste
:
Il y a un malaise du gouvernement, à vos yeux?
M.
Bergeron
: Pardon?
Journaliste
:
Est-ce que ça trahit un malaise du gouvernement, à vos yeux?
M.
Bergeron
: Bien, je pense que ça trahit
certainement quelque chose. Je ne sais pas s'il s'agit d'un malaise ou d'une
volonté de ne pas indisposer le gouvernement fédéral. On a un gouvernement qui
semble être particulièrement aplaventriste à l'égard du gouvernement fédéral,
et ça se traduit sur une chose aussi... à la fois banale et importante que
cette question de la dénomination du pont Champlain. C'est pour le moins
malheureux, je dirais.
M. Caron (Régys)
: Votre intention, M. Bergeron,
c'était que l'Assemblée nationale se prononce unanimement pour cette motion-là?
M.
Bergeron
: Évidemment.
M. Caron (Régys)
: Bon, mais quelle est la conséquence
maintenant si l'Assemblée nationale n'y parvient pas? Quel signal ça envoie?
M.
Bergeron
: Je ne sais pas quel signal ça envoie
parce que je ne sais pas quel signal le premier ministre et son gouvernement essaient
d'envoyer dans ce dossier. Comme je le disais, les signaux sont pour le moins
contradictoires. Alors, je ne sais pas qu'est-ce qu'Ottawa doit décoder des
messages contradictoires qu'envoie le premier ministre sur cette question
depuis un certain nombre d'heures, mais je suis sûr qu'à quelque part ils
doivent se dire : Bon, bien, tant qu'ils
ne s'entendent pas, nous, on a la voie libre devant nous.
Et vous me permettrez… Je sais que ce
n'est pas usuel, mais je pense que c'est important. Il y a eu un certain nombre
de vos collègues qui se sont exprimés sur cette question depuis un certain nombre d'heures, mais je me permettrai
de simplement vous citer la conclusion de l'article de Paul Journet ce matin,
dans LaPresse, quand il dit :
«Il est donc logique que le pont menant à la plus grande ville francophone
d'Amérique porte son nom — faisant référence au nom de Champlain. Car
c'est en bonne partie lui qui a rendu possible l'aventure francophone en
Amérique — ce qu'évoquait d'ailleurs notre motion — à laquelle
ont contribué plus tard plusieurs grands personnages, comme Maurice Richard.»
Ce qu'on doit retenir de la controverse
qui a cours présentement, c'est que, sans Samuel de Champlain, il n'y
aurait jamais eu de Maurice Richard. On ne peut donc pas éliminer le nom de
Samuel de Champlain pour rendre un hommage bien mérité que Maurice
Richard… qui doit être rendu à Maurice Richard.
M. Lavallée (Hugo)
: Qu'est-ce que vous comptez faire à
partir de maintenant, donc, pour la suite des choses? Organiser une
mobilisation populaire contre ce changement de nom là, revenir à la charge à
l'Assemblée?
M.
Bergeron
: Écoutez, une mobilisation populaire,
on n'en est pas là. J'imagine que les libéraux voudront, je l'espère, eux-mêmes
concocter une motion pour tenter de trouver un terrain d'entente sur cette
question pour éviter qu'on se retrouve, comme
on l'est présentement, avec une patte dans les airs, là. Je pense qu'il faut
qu'on trouve une solution pour être capables de s'exprimer d'une seule voix. Je
croyais, à la lumière des propos du premier ministre aujourd'hui, et même de
ceux de M. Legault aujourd'hui, que nous pourrions, avec une motion
«soft», si vous me permettez l'expression, trouver
un terrain d'entente qui pourrait… qui nous permettrait de nous exprimer sur
cette question. Manifestement, c'était peut-être encore trop «hard» pour les
fédérastes qui siègent en cette Chambre.
Journaliste
:
Vous avez bien dit «fédérastes»?
M.
Bergeron
: C'est bien ce que j'ai dit.
(Fin à 15 h 44)