(Quinze heures quarante-cinq minutes)
M. Khadir
: Bonjour, tout
le monde. Merci d'être là. Je suis en compagnie du Dr Yv Bonnier Viger, de la
Direction de santé publique de Chaudière-Appalaches, qui a donné, en entrevue
au Devoir, ses impressions sur les décisions du gouvernement, annoncées,
en fait, de source sûre et… qui s'apprête à l'annoncer, mais dévoilées de
source sûre aujourd'hui même par Le Devoir, à l'effet que le gouvernement
a demandé à la Santé publique de couper 30 % de ses effectifs.
Quand on lit les propos tenus par Mme
Charlebois, la ministre déléguée en matière de santé publique, sur le fait que
certaines interventions de santé publique qui touchent, par exemple, les
conséquences d'une circulation trop grande automobile à la sortie d'un pont,
nommons-le, le pont de la 25 sur la santé de la population ou le projet Turcot,
sa conséquence sur les populations touchées ou encore l'emplacement d'un
casino, les conséquences délétères que ça peut avoir sur la santé d'une
population, sur les problèmes de dépendance et de jeu, que Mme Charlebois
prétend que toute intervention, dans ces domaines-là, serait une intervention
politique. Ça nous fait penser et ça nous fait craindre une grave dérive de ce
gouvernement, qui semble emprunter les mêmes voies que le gouvernement de M.
Harper, qui ne veut pas que des scientifiques parlent des conséquences de
l'activité industrielle canadienne sur les changements climatiques, de la
pollution engendrée par les sables bitumineux, du danger du nucléaire et leur
demande simplement de se taire.
Or, nous savons que 30 % de coupures
dans les effectifs de la Direction de santé publique, ça veut dire que le
travail que fait la Santé publique en matière de prévention pour éclairer la
population sur les choix qu'on fait dans notre développement urbain, industriel
ou dans le développement économique sont grandement tributaires de sa capacité
à avoir du personnel pour mener ces enquêtes-là et pour nous tenir au courant.
Alors, nous sommes ici pour dénoncer, je
dirais, cette violation de la mission même de la Loi sur la santé publique. Je
rappelle à la ministre qu'en fait elle doit demander aux gens de la fonction
publique d'être loyaux à leur mission et de faire ce qu'ils ont à faire,
c'est-à-dire de prendre la parole et de dénoncer une décision qui touche à
l'amiante, qui touche au pont de la 25, qui touche au casino, qui touche au
développement autoroutier ou n'importe quelle autre décision gouvernementale
qui a un impact sur la santé des Québécois et des Québécoises. Nous aimerions
le savoir, et Mme Charlebois devrait savoir que la loi donne le droit et exige,
par devoir, aux directions de santé publique d'éclairer la population en ce sens.
M. Bonnier Viger (Yv) : Bien,
écoutez, effectivement, on va aller rapidement à vos questions parce que je
pense que vous avez dû lire puis avoir beaucoup d'«insides», là, sur cette question-là,
au cours de la journée. Mais juste pour réaffirmer que les budgets de santé
publique, ça fait plusieurs années qu'ils sont rognés à la marge. Donc, les
gens, actuellement, donnent le maximum qu'ils peuvent avec les budgets qu'ils
ont actuellement, et c'est à la limite de ce que... il n'y a pas de gras là-dedans.
D'autre part, dire que ce sont des
coupures dans l'administration de la santé publique, c'est bien mal connaître
la santé publique parce qu'il y a très peu d'administration actuellement dans
la santé publique. Ce sont vraiment des services à la population qui risquent
d'être coupés.
M. Lavallée (Hugo)
: Qu'est-ce
que vous pensez, M. Khadir, de cette intention du gouvernement fédéral de rebaptiser
le pont Champlain? M. Bergeron tout à l'heure disait qu'il avait essayé de
faire adopter une motion, puis les libéraux avaient bloqué cela. Vous, vous
étiez favorable à cette motion?
M. Khadir
: Est-ce
qu'il y a d'autres questions sur la santé publique?
M. Dutrisac (Robert) : Bien,
sur le sujet, moi, j'en aurais une...
M. Khadir
: S'il vous
plaît, oui, puis on reviendra à votre question, par simple respect du Dr
Bonnier, qui s'est déplacé... sur la santé publique, de l'autre côté, à Lévis
et Chaudière-Appalaches, pour vous entretenir sur un sujet très, très important
puisque toute décision qu'on prend a un impact sur la santé du public.
M. Dutrisac (Robert)
:
La ministre, on l'a interrogée, après la période de questions, sur cette
question-là, et ce qu'elle nous a dit, c'est que le 30 % dont on parle, ce
n'est que le budget de santé publique... en tout cas, c'est relativement au
budget de santé publique des agences de la santé, hein, et que, globalement, c'est
plutôt une réduction de 6,6 % des budgets et qu'à ce titre-là elle
estime que c'est un effort qui a été demandé à tout le monde, que ça va se
faire sans heurt et sans diminution de services.
M. Bonnier Viger (Yv) : Oui,
mais c'est bien mal connaître la santé publique, parce que la santé publique se
vit et s'organise à partir des directions de santé publique, qui ont déjà été
des départements cliniques de santé publique dans les... c'étaient des
départements de santé communautaire, à l'époque, dans les hôpitaux. Il y en
avait 32. Et, à un moment donné, on a regroupé ces départements-là dans les
agences pour avoir une proximité plus facile avec les décideurs et pour avoir
la capacité de soutenir toute une région.
Mais donc ce qui se fait au niveau local,
les campagnes de vaccination que les infirmières font au niveau local, quand
elles vaccinent les gens, bien, c'est tout préparé au niveau régional. Si on n'a
plus la capacité de préparer les interventions au niveau local, bien, il ne
s'en fera plus. Tout ce qui s'organise en santé publique s'organise à partir du
niveau régional, donc... et avec un support national, mais c'est fondamentalement...
le coeur de la santé publique est au niveau régional.
M. Dutrisac (Robert)
:
L'administration, s'il s'en trouve, c'est au niveau, justement, régional, c'est
au niveau des attentes?
M. Bonnier Viger (Yv) : Mais
qu'est-ce qu'une administration en santé publique? Le directeur de santé
publique est un médecin parce que, justement, il doit prendre des décisions
médicales au jour le jour. Alors, ce n'est pas une décision administrative. Il
y a très, très peu d'administration dans le domaine de la santé publique comme
tel parce que la gestion de ces équipes-là est faite par les ressources
humaines de l'agence. Ce n'est pas à l'intérieur de la direction de santé
publique que ça se fait.
Donc, en réalité, ce que fait la Santé
publique, c'est préparer les programmes, c'est supporter tout le travail qui se
fait au niveau local, sans quoi ce travail-là ne pourrait pas se faire. On a
juste à penser, je ne sais pas, aux programmes de soutien aux jeunes mères, là,
tout le programme SIPPE, qu'on appelle, là. Bien, ce programme-là, c'est sûr
qu'il déploie des infirmières sur le territoire, mais ces infirmières-là sont
supportées par des agents de planification et de programmation qui leur
permettent de faire ça, qui les amènent à réfléchir, puis à regarder le
résultat, puis à être capable de voir si on s'en va dans la bonne direction ou
on ne s'en va pas dans la bonne direction.
Toute la partie surveillance, toute la
partie protection… on est de garde 24 heures sur 24, sept jours par
semaine. C'est les directions de santé publique qui font ça, la garde pour les
épidémies ou les catastrophes qui peuvent se produire. Ça vient de la direction
régionale. Alors, on peut… je ne sais pas pourquoi on appelle ça de
l'administration, puis M. Barrette avait dit la même chose quand il y a eu
la démission des directeurs, que c'étaient juste des administrateurs. C'est
totalement faux.
M. Khadir
: Mme
Charlebois ignore peut-être que, quand vous comptabilisez le nombre de
Clostridium difficile qui sont déclarés, qui surviennent sur chaque
département, bien, qu'on remplisse des feuilles, bien, si on ne comptabilise
pas ça, on ne sait pas ce qui se passe, de la même manière que, si on ne
comptabilise pas le nombre de morts d'Ebola, bien, on perd la guerre contre
l'infection. Alors, si elle appelle ça de l'administration que de remplir les
formulaires qui consistent à savoir d'où vient l'épidémie et comment elle se
propage, oui, c'est de l'administration. Si elle veut couper là-dedans, bien, qu'elle
réponde à la population.
Oui, sur le pont Champlain.
Journaliste
: Oui, où
logez-vous, sur le…
M. Khadir
: Bien, nous
étions conjoints sur la motion, pas tellement pour insister sur les bons
rapports entre Champlain et les autochtones, parce qu'il y a beaucoup de bémols
là-dedans, c'étaient des alliances militaires. Mais, pour revenir à
aujourd'hui, si on doit décider de garder ce nom ou de le changer, si on doit
décider quel nom donner, Champlain, Richard ou autre, c'est au peuple québécois
de le faire.
On veut savoir si M. Harper avait une
parcelle, un epsilon, une goutte de sincérité lorsqu'il reconnaissait la nation
québécoise il y a quelques années. Elle est où, la reconnaissance de la nation
québécoise, si un pont aussi emblématique, qui a à la fois un caractère
symbolique majeur dans la métropole du Québec, mais aussi par le nom que le
pont porte, que les Québécois ne seraient pas assez grands, ne seraient pas
assez autonomes, ne seraient pas assez respectables comme entité indépendante,
comme État-nation qu'il a pourtant reconnu, pour décider du nom du pont de leur
métropole? Je ne comprends pas les engagements de ce gouvernement-là, et ça
traduit pas mal, je dirais, l'arrogance et la suffisance du gouvernement Harper,
qui, au mépris de tous et de toutes, agit comme bon lui semble quand ça fait
son affaire. Alors, nous sommes contre.
Maintenant, quant à débattre des vertus
d'un nom ou l'autre, ça, c'est entre nous que ça doit se décider, ce n'est pas
au gouvernement fédéral.
M. Lavallée (Hugo)
:
Quelle est votre position justement, là, sur le fond de l'affaire, à savoir
quel nom…
M. Khadir
: La couleur
du pont?
M. Lavallée (Hugo)
:
Non, le nom…
M. Khadir
: Ce serait
bon que ce soit bleu.
M. Lavallée (Hugo)
:
Non, le nom du pont…
M. Khadir
: Ça, c'est
un débat que nous allons avoir en temps opportun. Moi, je…
M. Lavallée (Hugo)
:
…vous positionner sur le fond.
M. Khadir
: Bien non,
mais je pense que c'est un affront. C'est un affront à M. Richard, à la mémoire
de Maurice Richard, que d'utiliser ce nom puis de tomber dans ce débat-là à ce
moment-ci, comme le gouvernement fédéral veut nous forcer à le faire, pour des
fins politiques, pour en faire une basse, je dirais, campagne de, je dirais, de
collecte électoraliste. D'accord, on comprend… et je pense que Maurice Richard mériterait
mieux qu'on l'entraîne dans cette controverse. Le pont Champlain est le pont
Champlain et doit rester le pont Champlain. Maurice Richard mérite une place
publique, une oeuvre publique d'envergure, qui représente ce qu'il a été pour
le hockey, pour le peuple québécois, pour le fait français.
M. Lavallée (Hugo)
: Le
gouvernement Harper a beaucoup agi sur les symboles, là, a parlé beaucoup des
toiles de Pellan qui étaient remplacées par des toiles de la reine. Qu'est-ce
qu'il essaie de dire, le gouvernement Harper en…
M. Khadir
: Le
gouvernement fait un usage tout à fait politique partisane et, en quelque sorte,
confisque des symboles à son intérêt partisan très limité et avec sa vision
très… à la fois royaliste, très militariste et archipartisane de tout enjeu
politique et historique, et c'est ça qui est déplorable.
M. Lavallée (Hugo)
:
Qu'est-ce que vous pensez, donc, de la réaction du gouvernement libéral ici, à
Québec? M. Couillard, dans un premier temps, semblait ouvert à l'idée de
changer de nom. Aujourd'hui…
M. Khadir
: Bien,
j'espère qu'il se ressaisit. J'espère qu'il se ressaisit et a un minimum de
respect. Je comprends très bien la dérive du gouvernement Couillard vers les
politiques de Harper, hein? On l'a dit, en matière de santé, ce qu'ils vont
faire avec la santé publique, c'est exactement la même attitude que le
gouvernement avec des scientifiques canadiens. D'accord? C'est exactement la
même chose.
Maintenant, en politique d'austérité,
c'est le même saccage, c'est la même sévérité de l'austérité, en matière
d'intervention militaire du Canada à l'étranger. C'est la même politique en
matière de, je dirais, d'approche vers les sables bitumineux. Ils sont très proches.
Donc, il y a vraiment un rapprochement qu'on n'a jamais vu, dans l'ère Charest,
sous le gouvernement libéral. Et je ne sais pas où les libéraux du Québec… les
partisans libéraux, les sympathisants libéraux… Ceux qui ont voté pour les
libéraux, est-ce qu'ils se reconnaissent dans ce rapprochement entre M.
Couillard et M. Harper, ce que ne faisait pas, même au pire de ces tentations,
je dirais, «fédéralisantes», M. Charest, à l'époque où les deux occupaient la
politique en même temps?
Mais ce n'est pas une raison pour tout
accepter, là. Là, ça serait vraiment le boutte du boutte, comme dirait ma
grand-mère du Lac-Saint-Jean.
Journaliste
: Le premier
ministre a d'abord dit qu'il était plutôt favorable au changement de nom pour
Maurice Richard. Ensuite, ce matin, là, il a semblé plus nuancé, il a comme
lancé une mise en garde et là il vote contre la motion. Donc, qu'est-ce que
vous décelez dans les prises de position successives du premier ministre?
M. Khadir
: Bien, je
pense qu'il y a une confusion. C'est qu'il doit y avoir beaucoup de pression
qu'ils exercent sur eux. C'est sain. J'aurais souhaité que le gouvernement
fasse preuve de la même écoute quand il s'agit de l'austérité ou lorsqu'on
parle des coupes dans le domaine de la santé ou dans le département de santé
publique. Mais quels que soient, je dirais, les brefs moments de
ressaisissement de la part de M. Couillard pour enfin écouter la population,
agir avec bienveillance pour le Québec, on le prend puis on l'accueille. Alors,
vivement une décision qui soit respectueuse du Québec, respectueuse de
Champlain, mais respectueuse surtout de Maurice Richard qui mérite mieux que ce
traitement qu'en fait le gouvernement Harper, cette utilisation qu'en fait le
gouvernement Harper.
M. Lavallée (Hugo)
:
Juste pour être certain, là, parce que tout à l'heure vous disiez : On
fera le débat plus tard entre nous, puis là, après ça, vous avez dit : Le
pont Champlain doit rester…
M. Khadir
: Oui, mais
tout le monde a son opinion. Ça, c'est notre opinion. Mais ça, là…
M. Lavallée (Hugo)
:
Là, je vous demande la vôtre, à vous.
M. Khadir
: Je ne veux
pas tomber… Ça, c'est… Regardez, on tombe dans le piège que nous tend le
gouvernement fédéral qui veut mettre des Québécois contre les autres dans un
débat sur le pont Champlain. Je crois qu'il faut absolument refuser, dans un
premier temps, dire non au gouvernement Harper.
Maintenant, est-ce qu'il y a quelqu'un au
Québec qui a proposé de changer le pont Champlain pour Maurice Richard? Est-ce
qu'à part les ministres fédéraux, est-ce qu'il y a quelqu'un au Québec,
dites-moi, qui a proposé ce changement?
M. Lavallée (Hugo)
: Mais
Denis Lebel, il est Québécois.
M. Khadir
: Oui, mais
comme ministre… Ah non! Écoutez, là… On se comprend. Donc, il n'y a que des
ministres québécois, inféodés sous la botte de M. Harper, comme M. Lebel, qui
ont osé suggérer ça. Parce qu'une fois qu'on dit : C'est à nous que ça
appartient, je pense que personne au Québec n'a jamais proposé ça. Merci.
(Fin à 15 h 59)