(Treize heures trente-quatre minutes)
Mme David (Gouin) : Mesdames, messieurs, bonjour. Je suis
entourée aujourd'hui de membres militants, militantes de la Coalition
Solidarité Santé, une coalition importante, syndicale,
communautaire, féministe dont les membres sont très actifs dans le
secteur de la santé et services sociaux. La coalition va s'exprimer cet après-midi
en commission parlementaire sur le projet de loi n° 10, le projet de loi du Dr Barrette, du ministre Barrette, qui
réforme, de façon très importante, les structures dans tout le domaine du réseau
des services sociaux et de santé.
Les gens qui sont avec moi aujourd'hui peuvent témoigner du bilan des 10 dernières
années d'une autre réforme du système de services
sociaux et de santé et, étant des gens de terrain, ils peuvent vraiment
nous dire comment ça s'est passé et comment ça
se passe encore sur le terrain. Je passe donc tout de suite la parole à Jacques
Benoit.
M. Benoit (Jacques) : Bonjour. Le
12 mars dernier, la Coalition Solidarité Santé a tenu à Montréal
une assemblée, une assemblée publique sur le
thème de Les fusions des CSSS, quel bilan après
10 ans? On trouve dommage que le
Dr Barrette n'ait fait aucune évaluation, aucun bilan de ces fusions-là, de ces 10 ans là de CSSS
avant de faire son projet de loi. Parce que, nous, le bilan que nous en avons
tiré, ce n'est pas
nécessairement très positif, on a plutôt relevé les problèmes qui ont
été causés par les fusions. Je vous les nomme, on en
a trouvé 10 pour 10 ans de fusion :
l'augmentation du pouvoir des médecins au détriment de la première ligne, la perte de
proximité de services, peu ou pas d'intégration ni continuité de
services et une approche populationnelle trop
complexe à utiliser, des coupures et des
réductions de services, la détérioration des
services sociaux, des structures trop grosses et ingérables, un recul de la démocratie, un impact négatif
sur le personnel et les relations de travail,
une gestion inappropriée, qu'on appelle la nouvelle gestion publique et une augmentation
de la privatisation.
Dans tout ça, le pire, c'est l'augmentation
de la privatisation. Mes amis, ici, autres représentants
des membres de la coalition, on va pouvoir vous parler très concrètement de
certains de ces éléments-là, vous donner des exemples concrets de ce que ça a
voulu dire.
M. Fournier (Jacques) : Alors, bonjour, mon nom est Jacques
Fournier. Je suis un retraité bénévole et je suis le responsable bénévole,
donc, du dossier santé à l'AQDR. L'AQDR, c'est l'association québécoise de défense des droits des retraités.
Deux
points que je voudrais aborder avec vous.Vous
dire à quel point, pour les retraités, le projet de loi n° 10 est
dommageable. Le projet de loi n° 10, en créant de nouvelles structures, va
concentrer encore davantage le pouvoir entre les mains des hôpitaux. Et ce qu'on a observé depuis les fusions qui ont eu lieu il y a 10 ans, c'est que
plus le pouvoir est concentré entre les mains des hôpitaux, moins il y a
d'argent pour les services à domicile, qui est une nécessité extrêmement
importante et reconnue par tout le monde. Il y a la Protectrice du citoyen qui,
il y a deux ans, a démontré carrément que les hôpitaux avaient confisqué des
sommes d'argent destinées au maintien à domicile pour combler leurs déficits.
Le ministre nous dit : Ah non! Grâce à
l'article 55, les hôpitaux vont devoir laisser l'argent du maintien
à domicile là où il est. Eh bien, c'est une arnaque,
cet article 55, parce qu'en pratique, quand les hôpitaux font face
à un déficit, même s'il y a des articles de loi qui les empêchent de faire des
choses, ils les font quand même. Donc, davantage d'hospitalocentrisme.
L'autre point dont je voudrais témoigner,
j'étais un employé du réseau de la santé en 2003, au
moment des fusions, je travaillais dans un CLSC qui fonctionnait très
bien. Nous étions 240 employés et, du jour au lendemain, on est passés à 4 000 employés. Eh bien, ça a complètement détruit les solidarités entre les employés. On
était habitués, nous… Des complicités professionnelles s'étaient développées
avec les années. On était habitués à s'entraider, à
bien fonctionner en équipe, on connaissait les problématiques. Et, du
jour au lendemain, tout ça a été défait. On était
pris dans des nouveaux organigrammes incompréhensibles. Les cadres se
chicanaient entre eux pour les postes.
Alors,
imaginez, là, c'est des fusions exposant 10 que le ministre ajoute. Alors,
qu'est-ce qu'on vivre avec ça? Bien, davantage de douleur. Parce que, moi, le témoignage que j'ai eu de mes consoeurs de
travail — par chance, j'ai pu prendre ma retraite un peu après le
début des fusions — bien, mes consoeurs de travail, ce qu'elles m'ont
dit, c'est que ce n'est plus travaillable dans le réseau, c'est de la douleur,
c'est des statistiques à remplir, c'est pas de temps pour voir nos usagers.
Alors, il faut vraiment dénoncer cette détérioration importante qui est à
l'horizon. Merci.
Mme Marcotte (Josée) : Bonjour, Josée Marcotte, vice-présidente
à la Fédération de la santé et des services sociaux, affiliée à la CSN, et je
suis également responsable du dossier de condition féminine à la fédération.
Alors, à
chaque fois qu'il y a eu une réforme, alors, ce sont surtout les femmes qui
font les frais de cette réforme-là. Alors, pourquoi ce sont les femmes? Parce
que 80 % des gens qui travaillent dans le réseau de la santé, ce sont des
femmes. Alors, on y écope parce que nous sommes les principales travailleuses,
donc, lorsqu'il y a des coupures dans le réseau de la
santé.Lorsqu'il y a des
privatisations, ce sont aux femmes qu'on s'attaque. Pourquoi ce sont les
femmes? Parce que, dans le réseau de la santé, alors, ce sont les femmes qui
sont les principales utilisatrices du réseau public. Pourquoi ce sont les
femmes? Parce que, lorsqu'on décide, comme
État, alors, de couper des services ou de privatiser, bien, ce sont les femmes,
alors, qui doivent, elles, assumer, alors, des services qui, autrefois, étaient
assumés par l'État, alors, que ce soient des soins pour les enfants, les personnes âgées. Donc, M. Couillard,
alors, les femmes aujourd'hui vous disent :
Alors, c'est assez, les réformes, alors, ça suffit, alors,
les femmes ne veulent plus faire les frais des réformes.
M. Falardeau (Denis) : Denis Falardeau, je suis de l'ACEF de
Québec, l'Association coopérative d'économie familiale. Nous sommes un groupe
de défense et de promotion des droits des consommateurs, des citoyens
consommateurs, devrais-je dire.
À la lumière de la lecture de ce projet de
loi, sans faire un… ça va être un jeu de mots facile que je vais vous
présenter, mais, à mon avis, ce projet de loi n'est pas le remède à toutes les
inquiétudes que les citoyens, citoyennes peuvent avoir en termes d'amélioration
de l'accès à des soins… à un médecin, premièrement. À notre avis, ça ne vient
pas répondre à ces inquiétudes-là. Ça ne vient pas répondre non plus à des
inquiétudes concernant l'accès à des soins de santé valables, rapides et de façon la plus humaine possible.Ça ne vient pas répondre, grosso modo, à d'autres attentes.
Par le passé, rappelons-nous, il y a
quelques années, on nous servait la mécanique, là, du soin à domicile, il
fallait dégraisser les établissements de santé, il devait y avoir une espèce de
système avec l'assurance maladie qui venait compenser le fait qu'on n'allait
pas être longtemps à l'hôpital, ainsi de suite. Rien n'a été livré. C'est pour
ces motifs-là qu'à notre avis ce projet de loi n° 10 est simplement une
espèce de révolution administrative, une révolution
de palais. On change les maux de place, mais il n'y a pas de solution
pour les régler complètement. Merci.
Mme David (Gouin) : J'aimerais conclure
en disant que ces personnes, qui nous arrivent du terrain, disent à peu
près la même chose qu'au moins 90 % des organismes qui sont venus en
commission parlementaire, c'est assez
fascinant. Et, pas plus tard que ce matin, la FADOQ, qui représente un grand
nombre d'aînés, le regroupement… le Réseau
québécois d'action pour la santé des femmes,
qui représente 300 000 femmes, sont venus dire, à peu de chose près, la
même chose. Ce qui est assez fascinant, aussi, c'est
de voir des fédérations médicales, de voir une association que j'appellerais
patronale, hein, comme l'Association québécoise d'établissements
de santé et de services sociaux, l'AQESSS, elle aussi être très critique
vis-à-vis le projet de loi n° 10, et tous ces gens-là le font souvent pour les mêmes raisons.
Les
femmes, parce qu'elles disent : Mais
nous, on écope tout le temps, étant donné qu'on est les travailleuses, étant donné qu'on est les usagères.Dès qu'il y a des coupes de services, dès que l'État
décide de tout centraliser, de prendre des décisions à des niveaux qui n'ont
plus rien à voir avec les services de proximité, bien, c'est nous qui allons nous retrouver avec les problèmes puis,
comme usagères, bien, c'est nous qui n'aurons
pas suffisamment de services.
Les établissements, ce qu'ils disent, ce
n'est pas compliqué, c'est : Trop de centralisation tue une bonne gestion
de proximité. Et en plus, dans ce projet de loi, le ministre s'arroge tous les
pouvoirs. Vous le savez, il nomme tout le monde, il gère tout et, si quelqu'un
ne fait pas son affaire quelque part, il nous dit :
On va le changer. C'est hypercentralisé comme
système, alors que les expériences récentes de pays où on a des systèmes de
santé et de services sociaux forts, les pays scandinaves, par exemple, ce que
ça nous apprend, c'est que plus les décisions
sont proches des gens, mieux ça fonctionne.
Beaucoup de gens sont venus aussi nous
dire : Attention, il n'y a à peu près
rien pour la prévention, rien pour la première ligne, on a même coupé 30 %
des budgets de santé publique. Et, unanimement, les gens décrient ces gestes-là
en disant : Le curatif, c'est une chose, bien sûr, il faut soigner les gens
malades, mais il faut éviter que les gens tombent malades.
Et ça, ça fait au moins 40 ans qu'on le dit, au Québec, je ne
comprends pas pourquoi on ne le fait pas.
Donc, le ministre nous dit : Mon projet de loi va améliorer la fluidité
des services, le passage de la première à la deuxième ligne. Beaucoup, beaucoup
d'intervenants lui disent que, non, ce n'est
pas ça qui va se passer, que ça va être une lourdeur administrative sans nom.
Et on sait aussi qu'il veut récupérer 220 millions de dollars non pas pour
le réinvestir dans des services, là, mais pour contribuer à l'atteinte de
l'équilibre budgétaire, donc pour remettre ça dans les coffres de l'État.
Si le ministre tient à tout prix à récupérer
de l'argent, nous, on a des propositions, à Québec solidaire : Pharma-Québec, pôle centralisé d'achat de
médicaments, cesser le surtraitement, le surdiagnostic, la surmédicalisation.Il
y en a plein, de moyens d'économiser tout en
offrant vraiment des services de proximité et qui répondent aux besoins des
gens.
Alors, j'annonce,
bien sûr, que Québec solidaire aura des
amendements, et des amendements de fond, à
proposer au projet de loi n° 10. Nous espérons que le ministre sera à
l'écoute et des dizaines et des dizaines de groupes qui sont venus le voir et
des parlementaires qui vont apporter des propositions d'amendement. Merci.
(Fin à 13 h 45)