(Onze heures vingt-quatre minutes)
M. Cloutier
: Alors,
bonjour à tout le monde. Vous aurez compris que je suis insatisfait de la
réponse qui a été donnée aujourd'hui par le leader du gouvernement, qui était,
à l'époque, l'ancien ministre de la Justice.
Ce qu'il y a de nouveau, c'est qu'on a le
détail de l'information que Mme Kovachich a transmis à l'ancien ministre de la
Justice, et on peut lire le type d'information qui a été communiquée au paragraphe
110 de l'avis, ou du jugement, ou plutôt du rapport du comité d'enquête qui a
été rendu public. Permettez-moi de vous en lire des extraits :
«Compte tenu de la fonction de Procureur
général du Québec qu'occupe le ministre, Me de Kovachich s'estime autorisée à
l'informer du détail de l'affaire. Elle lui indique donc la nature des
procédures, les raisons pour lesquelles elles ont été prises ainsi que
l'identité des parties impliquées. Le ministre l'assure de son soutien et
l'informe qu'il demandera à son sous-ministre, Me Denis Marsolais, de
communiquer avec elle à ce sujet.»
C'est là qu'arrive la réponse du ministre,
et il dit : Lorsque j'ai eu ça, j'ai transféré ça à mon sous-ministre.
Juste pour qu'on se rappelle ce qui se
passe, tu as la présidente du Tribunal administratif du Québec, consciente
qu'elle est dans une situation délicate, le moins qu'on puisse dire, qu'elle
souhaite engager des sommes pour payer ses frais d'avocat dans un dossier qui
lui est pourtant personnel, consciente de la problématique dans laquelle elle
se retrouve, prend le téléphone et décide d'appeler le ministre de la Justice.
Le ministre de la Justice se fait expliquer les raisons pour lesquelles... se
fait expliquer le détail de l'affaire, se fait dire l'identité des parties,
bref le ministre de la Justice a tout en main pour prendre une décision. Alors,
ce qu'il fait, c'est qu'il refile ça au ministère de la Justice, puis le ministère
de la Justice dit : L'administration de la justice, c'est le Tribunal
administratif. Alors, la décision qui est prise par le gouvernement de l'époque,
c'est de dire : Ça appartient au TAQ de décider ce qu'il en est, sauf que
la présidente se retrouve dans une situation où elle est à la fois juge et
partie.
Alors, le ministre de la Justice aurait dû
agir, aurait dû minimalement demander un avis externe, s'assurer qu'on ne se
retrouve pas dans cette situation où Mme de Kovachich est à la fois juge et
partie et réclamer... et donc prévenir. Alors, ce qui fait en sorte
qu'aujourd'hui on parle d'une facture de 200 000 $, mais, bien
évidemment, on ne compte pas là-dedans les travaux du Vérificateur général, on
ne compte pas là-dedans les travaux du Conseil de la justice et toutes les
sommes et les frais qui ont été transférés aux Québécois, tout ça en raison du
fait qu'il y a eu clairement un manquement. Le ministre de la Justice aurait dû
sonner l'alarme, aurait dû sonner l'urgence lorsqu'il a vu que la procureure…
ou plutôt la présidente du Tribunal administratif l'appelait personnellement
pour lui expliquer un cas qui était vraiment exceptionnel.
M. Lacroix (Louis)
:
Mais M. Fournier, là-dedans, dit que, selon ce que lui aurait dit Mme de Kovachich,
la réputation du tribunal était en cause là-dedans, du TAQ. Alors, c'est…
Est-ce que vous achetez cet argument-là pour…
M. Cloutier
: En fait,
ce que M. Fournier dit, il dit : ce n'est pas vrai que je n'ai rien fait.
La preuve, il cite le rapport du Vérificateur général dans lequel,
effectivement, le Vérificateur général confirme qu'il a demandé l'avis du
ministère de la Justice. Le problème, c'est qu'il ne s'est pas questionné
qu'est-ce que le ministère de la Justice allait faire, alors qu'il savait très
bien que Mme de Kovachich se retrouvait dans une position où elle devenait à la
fois juge et partie, ce qui est, bien évidemment, inacceptable.
M. Lessard (Denis)
:
Est-ce qu'il ne pouvait pas accepter l'argument que l'image ou la réputation du
tribunal allait être altérée par cette cause-là?
M. Cloutier
: La responsabilité
du…
M. Lessard (Denis)
:
…l'affirmation de la présidente du TAQ.
M. Cloutier
: Bien, il
devait absolument demander un avis externe, considérant… Écoutez, là, quand la
présidente du tribunal prend la peine d'appeler directement le ministre de la
Justice, là, c'est parce qu'il se passe quelque chose. Quand… Puis là, en plus,
il n'a pas juste été informé de façon superficielle, ce n'est pas moi qui le
dis, là, c'est le paragraphe 110° de la décision. Alors, ce qu'on comprend,
c'est qu'il était au courant de l'ensemble de l'oeuvre. Il était donc apte à
porter un jugement, aurait dû avoir un avis externe, donc, sur l'interprétation
qui lui était donnée, les faits dans lesquels Mme Kovachich se retrouvait, et
puis ensuite prendre une décision pour s'assurer qu'on ne se retrouve pas dans
le scénario complètement absurde dans lequel on est, où les contribuables québécois
ont à la fois payé pour Mme Kovachich pour sa défense…
Mme Dufresne (Julie)
: Quel
genre de décision est-ce qu'il aurait dû prendre?
M. Cloutier
: Il aurait
dû d'abord s'assurer de la version de Mme de Kovachich, aurait dû demander un
avis externe et aurait dû intervenir pour se rendre compte, à l'évidence même,
qu'elle était dans une situation où elle devait juger elle-même si, oui ou non,
on allait accorder ces frais-là, ce qui n'a aucun bon sens, tout le monde en
convient. Puis il a la responsabilité de défendre l'ensemble du système
judiciaire pour s'assurer, comme vous le savez, de l'indépendance…
M. Lessard (Denis)
: Il
y a plusieurs mois, le ministre a… le ministre St-Arnaud a continué de payer
les factures, il était au courant de toute cette histoire-là. Et pourtant on
l'a interpellé plusieurs fois, puis il n'a pas bougé. Son seul geste, ça a été
d'arrêter de payer les factures.
M. Cloutier
: Avec
égard, vous oubliez de mentionner qu'il y a aussi eu une demande que le Vérificateur
général fasse enquête. Depuis, on a eu le rapport du vérificateur en 2014, et,
parallèlement à ça, il y a eu aussi une demande pour que le conseil de la
justice du Québec se penche, et le rapport nous a été transmis hier.
Maintenant, là, nous avons tous les
documents entre les mains et faites le croisement entre le rapport du Vérificateur
général et la décision du conseil, ce que je viens de vous lire, c'est le paragraphe
110, à l'effet qu'on sait maintenant que Mme de Kovachich a informé le détail
de l'affaire en lui donnant la nature des procédures, les raisons pour
lesquelles elles ont été prises ainsi que l'identité des parties.
M. Lacroix (Louis)
:
Quel est l'intérêt de M. Fournier, dans ce cas-là, d'avoir…
M. Cloutier
: En fait,
ce qui est arrivé…
M. Lacroix (Louis)
:
C'est-u négligence ou il l'a fait par intérêt, à votre avis?
M. Cloutier
: Non,
mais… je ne prétends pas qu'il y avait un intérêt quelconque dans ce
dossier-là. Ce que je dis, c'est qu'il n'a pas agi. Il s'en est lavé les mains,
a donné ça à l'administration de la justice, il a dit : Gérez ça. Mais le
problème, c'est que tout le monde a dormi au gaz. Il le savait qu'il y avait…
qu'on se retrouvait dans une situation d'à la fois juge et partie, puis il n'a
rien fait. Il est ministre de la Justice, il a la responsabilité de défendre le
système judiciaire et il n'a pas donné suite à ça. Il ne s'est pas assuré que
les fonctionnaires avaient une situation qui était satisfaisante puis, à la
limite, même, de contre-vérifier la version de…
M. Lacroix (Louis)
:
Donc, c'est une négligence. Selon vous, c'est une négligence.
M. Cloutier
:
Absolument. Absolument, c'est une forme de négligence, effectivement.
M. Dutrisac (Robert)
:
Sauf que, bon, c'est un peu normal qu'un ministre avec un problème, conscient
d'un problème, s'adresse à son sous-ministre pour dire : Règle-moi ça.
M. Cloutier
: Je suis
d'accord. Oui. Le problème, c'est la solution. Quand tu es ministre, non
seulement tu consultes, mais c'est le fun de savoir aussi c'est quoi, la
solution qui est recommandée. Puis là, là, il le savait, le problème. Ce n'est
pas comme s'il ne connaissait pas la nature. Ce n'est pas comme s'il y avait
juste : Ah! je pense qu'il y a un problème dans ce dossier-là, réglez-moi
le. Bien non, il connaissait tout le détail. Alors, il savait qu'il y avait
urgence en la demeure, donc qu'il devait agir avec toute la précaution
nécessaire. Puis, en plus, il est Procureur général du Québec. Alors, veux veux
pas, le degré de profondeur avec lequel il doit travailler ce genre de dossier
là, c'est avec la prunelle de ses yeux. On parle de l'intégrité du système de
justice.
M. Robillard (Alexandre)
:
Est-ce que c'était approprié que Mme de Kovachich téléphone ou s'adresse
directement au ministre?
M. Cloutier
: C'est une
bonne question que vous posez. Je sais que les présidents d'un tribunal se parlent.
Ce n'est pas clair… Je ne veux pas trop questionner ça, ça fait partie du
jugement. Ce que je comprends, c'est qu'on peut interpréter ça comme demandant
un avis au ministre, mais ce qui est sûr, c'est qu'elle l'a appelé pour
l'informer. Elle ne l'a pas appelé parce que… Elle l'a appelé parce qu'elle
savait qu'il y avait un problème, puis elle savait qu'elle avait besoin d'être
guidée, puis elle… En réalité, on a remis ça au tribunal administratif.
M. Robillard (Alexandre)
:
On parle souvent de séparation des pouvoirs, des choses comme ça. Ça, est-ce
que…
M. Cloutier
:
Absolument, mais, en même temps, dans l'administration de la justice, c'est
normal qu'un ministre de la Justice parle parfois, je ne sais pas, moi, à la
juge en chef de la Cour du Québec, pour des raisons plus administratives.
Mme Dufresne (Julie)
:
Oui, mais là ce n'était pas une raison administrative, c'est un cas personnel.
M. Cloutier
: Non, non.
Là, on est d'accord, bien oui, mais, en plus... Absolument, d'autant plus que
tout le détail a été donné.
M. Lacroix (Louis)
:
Dans les circonstances, est-ce que vous croyez que la sanction est suffisante,
c'est-à-dire six mois de suspension sans salaire? Est-ce que c'est suffisant
face, justement, à une négligence aussi importante?
M. Cloutier
: Là, ce
qu'on veut savoir, c'est : Est-ce qu'il y a des procédures qui sont
entamées auprès du Conseil du trésor pour récupérer les sommes? Parce que, là,
tout le monde sait que ce sont des sommes... On parle de plus de 200 000 $,
mais, en réalité, c'est plus des millions de dollars qui sont en jeu si on
prend tous les frais qui ont été assumés par l'État inutilement dans ce
dossier-là. Et ce qu'on... Donc, est-ce que les procédures ont été entamées?
Puis ensuite on veut que M. Fournier s'explique... son inaction qui entache
malheureusement tout le processus judiciaire.
M. Lessard (Denis)
: …ce
qu'on veut savoir aussi, c'est : Est-ce que vous estimez que la sanction
est suffisante?
M. Cloutier
: C'est-à-dire
que la recommandation qui est donnée dans le rapport qui a été rendu public
hier, c'est une suggestion qui est faite à partir de la jurisprudence. Mais,
honnêtement, je ne veux pas moi-même questionner...
M. Lessard (Denis)
:
Bien, le rapport... pourrait suggérer la destitution...
M. Cloutier
: Mais ils
ont choisi de ne pas le faire. Ils ont choisi de ne pas le faire, eu égard à la
jurisprudence applicable. Je fais confiance à l'indépendance des personnes qui
étaient en place et qui ont soumis à la ministre que, dans ce scénario-là, la
meilleure décision, c'était celle-là.
Par contre, si vous voulez faire un
parallèle qui est intéressant, c'est que, là, justement, il y a une faute
importante qui a été commise, qui est documentée à la fois par un rapport du Vérificateur
général, qui est bonifié par l'avis ou le jugement qui a été rendu... — comment
qu'ils appellent ça? Excusez-moi, je vais utiliser le bon mot — le
rapport du comité, puis, parallèlement à ça, vous avez Me Magnan qui se fait recommander
juge en bonne et due forme avec une procédure indépendante; la ministre de la
Justice décide d'intervenir pour annuler, donc écarter Me Magnan de la
nomination, sans invoquer quelque motif que ce soit; et ici, vous avez Me de Kovachich,
dans lequel il y a clairement une situation de gestes graves qui ont été posés
et documentés, puis, en bout de course, c'est une suspension de six mois.
Ce que je veux dire, c'est qu'on est clairement
dans une situation de deux poids, deux mesures, et c'est pour ça que je vais
continuer à talonner la ministre de la Justice dans le dossier de Me Magnan, parce
que, tant et aussi longtemps qu'on n'aura pas donné de réponse, ça donne clairement
l'impression que c'est pour des raisons arbitraires qu'on a agi...
Mme Dufresne (Julie)
:
Mais quel parallèle vous faites avec le dossier de Me Magnan? Je ne suis pas
certaine de le comprendre.
M. Cloutier
: Me
Magnan, on a suivi... on a écarté un juge. On a écarté, pardon... bien oui, on
a recommandé la recommandation pour qu'il devienne juge. La sanction qui est
appliquée ici, c'est la suspension pendant six mois. On a écarté quelqu'un, on
a fait... La ministre de la Justice n'intervient pas dans le processus de
nomination. Pour qu'elle puisse le faire, ça prend des motifs graves. Ce que je
vous dis, c'est qu'il y a des motifs vraiment importants dans ce dossier-là,
alors qu'en bout de course il y a de la suspension, alors que, pour Me Magnan,
on a écarté sa candidature, alors qu'on ne connaît absolument pas les faits. On
ne…
M. Ouellet (Martin)
:
Vous nous disiez tout à l'heure que la sanction vous apparaissait correcte.
M. Cloutier
: Ce que
j'ai dit, c'est que moi… ce que je vous dis, c'est que je ne porte pas… je
prends acte de la recommandation qui doit être bien justifiée. Ce que je dis,
celle que je ne comprends pas, c'est celle d'avoir écarté Me Magnan.
M. Ouellet (Martin)
: C'est
quoi, le rapport?
M. Cloutier
: Le
rapport, pour moi, m'apparaît assez évident, on pourra en rediscuter si vous le
souhaitez, mais, d'un côté, tu as une recommandation qui est écartée sans
raison et, de l'autre côté, tu as quelqu'un qui est reconnu de faits importants
et, en bout de course, c'est six mois de suspension.
M. Lacroix (Louis)
: …dans
le dossier de M. Magnan, là, qu'est-ce que vous soupçonnez, là… Vous avez
mentionné en Chambre hier… vous avez fait un lien avec l'histoire de M.
Tomassi. Est-ce que ce…
M. Cloutier
: C'est que
le rapport de commission Bastarache, c'est quoi l'esprit du rapport? C'est
qu'on ne peut pas prendre de décision arbitraire et que toute forme de décision
doit être justifiée.
M. Lacroix (Louis)
:
Mais alors, elle se justifie comment? Hier, vous avez fait un lien. Est-ce que
vous refaites ce lien-là maintenant?
M. Cloutier
: Le lien…
en fait, hier, j'ai… nous cherchons des réponses parce que la ministre refuse
de s'expliquer. On ne peut pas… Écoutez, ce n'est pas rien, là. Tu as la
ministre de la Justice du Québec — ce n'est jamais arrivé depuis
Bastarache, ce n'est jamais arrivé depuis la période des
post-it — qui intervient directement dans le processus de nomination
des juges pour écarter une recommandation sans raison. Alors, c'est sûr qu'il y
a un problème. C'est pour ça qu'on n'accepte pas simplement…
M. Ouellet (Martin)
:
Vous avez lancé ça, hier, un peu… parce que vous dites : On cherche des
réponses. Alors, vous avez lancé ça sans fondement?
M. Cloutier
: Bien,
c'est-à-dire que Me Magnan avait la responsabilité, comme DPCP, d'entamer les
procédures contre Tony Tomassi. Ce que nous, on dit, c'est que ça fait des
drôles de hasards. On cherche à comprendre pourquoi la ministre est intervenue
dans ce dossier-là puis… C'est la première fois que ça arrive, là, depuis les
post-it puis Bastarache.
Alors, pourquoi ce dossier-là? C'est quoi,
les motifs? Elle peut le faire, mais uniquement si elle est capable de le
justifier dans l'intérêt de la justice. Or, on n'a aucun détail, on n'a absolument
aucun détail. Ce n'est pas banal, là. Regardez ce qui se passe dans les autres
pays à travers le monde. Quand un ministre de la Justice intervient pour
annuler un processus, là, ça ne se fait pas sur le coin d'une table.
M. Lacroix (Louis)
: Mais
vous pensez que l'ascendant de M. Tomassi sur le parti libéral est encore
suffisamment fort pour qu'aujourd'hui, là, à cette époque-ci, la ministre
écarte la candidature de celui qui a porté les accusations contre lui?
M. Cloutier
: Je n'ai pas
l'information. Je suis incapable de faire tous les liens que nous souhaitons
faire parce que la ministre refuse de répondre. Mais soyez assurés que je vais
continuer de poser des questions là-dessus parce que sinon ça entache le
processus et ça donne l'impression d'une intervention arbitraire. Alors, tant
qu'on ne le saura pas, on va continuer de poser…
M. Ouellet (Martin)
:
Avez-vous une idée des raisons, M. Cloutier? Parce qu'on entend toutes sortes
de choses, là. Il y en a qui disent : C'était peut-être parce qu'il manquait
de femmes, ces choses-là. Est-ce que vous avez entendu les mêmes choses?
M. Cloutier
: Alors, je
vais laisser la ministre de la Justice répondre, mais, si la ministre de la
Justice vient ici en point de presse puis elle vous dit : C'est parce
qu'il manque de femmes, objectif qui est tout à fait valable… Maintenant, est-ce
que ça nécessitait d'annuler le processus dans ce cas-là lorsqu'il y a 80, 100
juges qui sont nommés par année? Merci.
(Fin à 11 h 39)