(Quinze heures trente minutes)
Mme David (Gouin) : Écoutez, je voudrais réagir tout de
suite, immédiatement, sans ambages sur cette espèce d'annonce, dans le fond,
hein, que la ministre Charbonneau a faite, c'est-à-dire la fin du tarif unique
dans les garderies.
Premièrement, je trouve ça extraordinaire
d'antidémocratisme que de prendre une telle décision après une campagne
électorale où on s'est engagés à maintenir à peu près le niveau actuel du tarif en service de garde. Et là, tout d'un coup,
tout change, sans consultations publiques. Je
suppose qu'on va nous dire : Oui, mais il y a
eu un sondage samedi, 60 % des Québécois sont d'accord. Attendez. 60 % des Québécois disent : Oui, il pourrait y avoir une modulation,
mais ils n'ont pas les chiffres.
Alors, si on en croit la rumeur, moi,
j'annonce aux Québécois que les chiffres, ils sont très clairs. Pour une
famille dont le revenu familial est de 75 000 $, bien, ces gens-là,
ils viennent de passer d'un tarif de 8 $...
7,30 $, là, en fait, à 12 $ par jour. Si on a deux enfants, ça fait
120 $ par semaine, et, par mois, bien, on
est à près de 500 $, pour une
augmentation extraordinaire, puisqu'en ce moment la même famille, deux enfants,
tarif réduit, paie 300 $ par mois. C'est une augmentation extraordinaire, là, pour les
familles de la classe moyenne, je ne le répéterai jamais assez. Je ne suis pas
en train de parler de ces fameux riches, là, qui, oui, gagnent
150 000 $ individuellement et, oui, évidemment, sont capables de se
payer des services de garde à fort prix. Ce n'est
pas de ça qu'on parle. On parle vraiment d'une
augmentation spectaculaire du tarif en service de garde pour la classe moyenne.Alors, je ne saurais
assez le dénoncer.
Et je
trouve ça extraordinaire aussi d'entendre la ministre, il y a quelques jours,
nous dire : Oui, mais ce n'est pas juste, il y a des gens qui paient 45 $
par jour, puis d'autres, 7,30 $. Quand
elle dit une chose comme ça, là, ça fait un beau clip, mais c'est parce que ce n'est
pas vrai. Personne ne paie 45 $ par jour pour un enfant en service de
garde, puisqu'il y a des crédits d'impôt. En
fait, l'injustice, c'est que les nombreux
parents qui sont obligés de recourir au privé, c'est
vrai, après les crédits d'impôt, paient entre 10 $, 12 $ par jour. C'est à ça, à peu près, que ça leur revient. Oui, c'est injuste par rapport au tarif de 7,30 $, mais qui a développé tous azimuts des
services de garde privés non subventionnés? Le Parti libéral, de 2003 à 2012.
Alors, qu'ils ne viennent pas nous dire maintenant :
C'est donc de valeur.
La proposition que nous faisons, à Québec solidaire, c'est un tarif réduit, 7,30 $. Nous, un jour,
nous rêvons de gratuité, pour des raisons qui
seraient peut-être trop longues et compliquées à expliquer, mais, pour le
moment, là, maintien à 7,30 $ et que ça soit comme ça partout. Il n'y a
pas de raison, effectivement, que des parents aient à payer plus pour un
service, incidemment, dans le privé, qui n'est
pas sans défauts. La majorité des plaintes qui sont faites relativement à la
qualité des services de garde sont faites dans les garderies privées. Alors,
les centres à la petite enfance, c'est un des plus beaux systèmes de garde qui
existe au monde. C'est un joyau québécois, je propose
qu'on le préserve.
Mme Lajoie (Geneviève)
: Donc, il faudrait transformer toutes
les garderies privées non subventionnées en places à contribution réduite?
Mme David (Gouin) : En fait, ce qui serait fort intéressant,
ça serait d'avoir, de façon extrêmement
majoritaire un système, un réseau de services
de garde que j'appellerais parapublic.Je vous rappelle que les CPE sont dirigés par les parents. En fait, ce sont des
corporations autonomes de type coopératif ou
organisme sans but lucratif.Ça, ce
serait vraiment l'idéal, que les services de garde au Québec soient très, très,
très largement, je dirais, parapublics, mais qu'on continue de les faire
contrôler, diriger par les parents. Ça ne peut pas se faire du jour au
lendemain. Il y a des personnes qui ont investi pour ouvrir des garderies privées,
j'en conviens. Ce qui serait intéressant, c'est que,
chaque fois qu'on donne un permis de garderie, que le tarif soit le tarif
réduit, que ça soit comme ça pour tout le monde
puis qu'on arrête de donner autant de permis à des garderies privées non subventionnées — là, je vous
dis, durant les neuf ans du régime libéral, ça a été quasiment du
mur-à-mur — qu'on développe toutes les nouvelles places en garderie
dans le système parapublic que sont les centres à la petite enfance. Il faut
faire les choses pas à pas.
M. Lacroix (Louis)
: Mais, vous avez dit tout à l'heure
que, pour vous, quelqu'un
qui gagne 150 000 $ individuellement par année, que vous comprenez
que ce n'est pas grave qu'une personne paie plus cher, là. Alors, êtes-vous
pour ou contre la modulation, finalement? Vous êtes…
Mme David (Gouin) : Contre, mais ce que je vous dis…
M. Lacroix (Louis)
: Oui, mais c'est
parce que vous avez dit tout à l'heure :
150 000 $, ça serait correct, là.
Mme David (Gouin) : Non. Alors, si je n'ai pas été claire,
je vais m'arranger pour être claire cette fois-ci.
Moi, je suis contre ça parce que ça finit par être ridicule, là. On a, paraît-il, uniquement 5 % — puis j'exagère même, peut-être — des gens
au Québec qui gagnent plus que 150 000 $ par année individuellement.
On ne fera quand même pas tout un régime de services de garde pour 5 % des
gens. Ma proposition à moi, elle est simple et claire :
On garde le tarif unique, le 7,30 $ par jour par enfant. Si on veut
demander une contribution additionnelle aux personnes les plus riches au
Québec, là, ça, ça se fait par l'impôt, c'est comme
ça que ça se fait.
Et je
plaide pour qu'on ait, au Québec, un système qui parle de solidarité sociale. Alors,
les personnes qui n'ont plus d'enfant en service
de garde, bien, oui, ils continuent de payer pour les familles qui ont des
enfants en service de garde parce que le tarif réduit, évidemment, ne couvre
pas l'entièreté des coûts de service de garde.
Et les jeunes familles, elles, bien, elles continuent de payer pour que les
personnes âgées reçoivent, par exemple, des services à domicile. Ça, ça s'appelle la
solidarité sociale. C'est une sorte de contrat qu'on fait entre nous, entre
générations, puis le contrat qu'on peut faire entre les personnes les plus
riches puis les gens de la classe moyenne ou de revenus...
à revenus très modestes,
c'est : O.K., tout le monde va payer le
même tarif, mais les personnes les plus riches vont consentir, elles, à payer
plus d'impôt. C'est un contrat social. C'est celui qui existe au Québec depuis
fort longtemps puis c'est exactement celui-là que le gouvernement libéral veut
briser. J'espère que j'ai été plus claire.
Mme Prince (Véronique)
: À votre avis, pourquoi le parti
libéral sentait le besoin de faire un caucus spécial, ce matin, sur la question?
Mme David (Gouin) : Je suis convaincue que le parti libéral
faisait un caucus spécial parce que ça doit ruer dans les brancards. Je suis
certaine que des députés libéraux, qui, après
tout, travaillent dans des circonscriptions, ils ont des commettants, il y a
des gens qui sont là, là, sur la rue, qui leur parlent,
je suis convaincue que ces députés-là, ils entendent plein de jeunes
familles se plaindre de cette augmentation de tarif.Parce qu'il doit y avoir quand même un certain
nombre de gens qui ont compris que, non, non, ce n'est pas seulement les plus,
plus, plus riches, là, selon le système libéral, qui vont payer davantage, mais
que c'est eux, gens de la classe moyenne, qui vont vraiment payer plus. Je suis
certaine que, plus ça va aller, puis plus les
gens vont comprendre ça quand ils auront les chiffres sous les yeux. Donc, ils
sont inquiets. Puis ces gens-là, bien, ce sont des électeurs. Alors,
probablement qu'au parti libéral il y a des gens qui doivent commencer à se
dire : Ça sent mauvais sur le terrain,
là. Bien, tant mieux! Tant mieux! Puis moi,
j'invite les gens à s'exprimer. Nous étions très,
très nombreux, il y a 10 jours, un dimanche, une cinquantaine de
milliers de personnes à travers le Québec, pour dire :
On veut des centres de la petite enfance, on veut garder notre tarif réduit. Je
pense qu'il faut que le gouvernement entende ça, là.
M. Bélair-Cirino (Marco) : Mais qu'est-ce
qui est le moins pire entre une modulation des
tarifs de garde et une augmentation du tarif pour tout le monde?
Mme David (Gouin) : Moi, je ne fais pas la politique du pire ou du moins pire, moi, je veux faire la politique
du meilleur. Alors, on va aller un petit peu plus...
M. Bélair-Cirino (Marco) :Qu'est-ce qui est le meilleur entre les deux?
Mme David (Gouin) : Bien, je vais aller un petit peu plus
sur le fond. On va prendre deux minutes, là, parce que ça vaut la peine. Si,
comme société, là, on considère que les services de garde sont, un, un service
essentiel pour les femmes, ce n'est pas frivole, c'est essentiel pour que les
femmes puissent être sur le marché du travail et,
si on considère, comme société, que, deux, les services de garde de qualité
sont essentiels parce qu'ils ont un projet éducatif qui est bon pour nos
enfants et pour l'avenir de la société, à ce moment-là on va considérer les services
de garde comme on considère l'école, comme on considère le système de santé
dans sa réponse au niveau de la première ligne. Idéalement, là, ça devrait être
gratuit ou quasi gratuit. Toutes les familles devraient pouvoir en bénéficier,
et chacun, chacune paiera sa juste part d'impôts
pour se payer ces services-là, comme on se paie l'école gratuite et
obligatoire, et comme on se paie des services de santé théoriquement gratuits,
mais, je le sais, de moins en moins, mais théoriquement gratuits. Autrement dit,
là, il y a un choix social qu'on a à faire. Le choix de Québec solidaire, c'est
que les services de garde sont des services essentiels pour les femmes et pour
les enfants. Ça, c'est la politique du meilleur.
M. Robillard (Alexandre)
: Il y a eu un sondage en fin de
semaine qui montrait quand même que l'opposition à la modulation est quand même,
là, minoritaire. Qu'est-ce que vous pensez de ça?
Mme David (Gouin) : Mais j'ai essayé de l'expliquer, je vais
essayer d'être encore plus claire. Si vous demandez aux gens comme ça,
théoriquement : Seriez-vous d'accord pour
qu'on module les frais de garde en fonction des revenus des gens? Vous posez
cette question-là à une personne de la classe moyenne, elle va se dire : Ce n'est pas de moi qu'on parle, on parle
juste des plus riches. Si on leur avait dit :
Seriez-vous d'accord, vous, monsieur, madame de la classe moyenne qui, au
niveau de votre revenu familial, gagnez 75 000 $ par année,
seriez-vous d'accord pour que votre tarif passe de
7,30 $ à 12 $ par jour?, d'après moi, ils auraient dit non. Il
n'y avait pas de chiffres dans le sondage.
C'est
toujours facile de dire : Ah! que les
plus riches paient. Mais ce n'est pas ça, la réforme libérale.Je le répète, ce n'est pas ça parce que ça ne
rapporte pas assez d'argent au gouvernement. La réforme libérale, c'est que,
dès qu'on est dans la classe moyenne, là, minimalement avec un peu d'argent, on
va payer plus et beaucoup plus, peut-être un
tiers de plus par jour que ce qu'on paie déjà en ce moment. Si c'est comme ça
qu'on avait posé la question, ça aurait été très
différent.
Ce qui
m'a frappée aussi, c'est que plus les gens appartenaient au créneau des jeunes
familles, plus ils étaient contre, et plus les gens vieillissaient, plus ils
étaient pour. Puis là il y a quelque chose d'un
petit peu humain qui est : Bien, au fond,
moi, je n'en ai plus, d'enfants à la garderie, pourquoi je paierais? Et je
trouve que, là,
on atteint quelque chose de très profond socialement, là, et moi, je vais
plaider inlassablement pour qu'on ne raisonne pas comme ça. Le principe de l'utilisateur-payeur
nous enferme chacun dans notre bulle sans penser aux besoins des autres. Puis
le jour où nous aurons besoin des autres, bien, ils ne seront plus là.
Alors, il ne faut pas que ça marche comme
ça, une société. On s'entraide. Que l'on soit jeune,
moins jeune, on paie pour ce dont les autres ont besoin, puis les autres
paient pour ce dont moi, j'ai besoin. C'est comme ça que ça devrait
fonctionner, une société fondée sur la solidarité sociale.
M. Bélair-Cirino (Marco) : Cette modification-là des tarifs semble
être guidée également par une volonté du gouvernement québécois d'aller
chercher davantage de sommes du gouvernement fédéral.
M. Couillard a dit ce matin que, bon, «le
gouvernement fédéral est déjà mis à contribution
à travers les crédits d'impôt. Si le reste du Canada décide [...] de créer un programme
de garde à tarif réduit ou [à] un tarif abordable, c'est certain qu'on
veut récupérer ce qu'on a mis dans le programme
depuis le début.» La somme de 250 millions de dollars a été évoquée.
Le gouvernement semble, par différents mécanismes… d'avoir une tarification qui
lui permettrait d'aller chercher de l'argent d'Ottawa. Est-ce que vous…
Mme David (Gouin) : Bien, il y a une autre façon de le
faire. Le chef du NPD, par exemple, hein, dans leur plateforme… dans sa
plateforme électorale, propose un système pancanadien de services de garde à contribution
réduite et dit au Québec, qui est déjà organisé de ce côté-là : Vous pouvez avoir un droit de retrait avec
compensation. Voilà une proposition intéressante.
M. Bélair-Cirino (Marco) : Mais, face à Ottawa, donc, M. Couillard doit plaider pour? Face au
gouvernement en place, au gouvernement conservateur?
Mme David (Gouin) : Moi, je pense
que M. Couillard doit plaider pour l'exception québécoise. Ça nous
ferait du bien, tiens, d'ailleurs, de l'entendre un petit peu défendre les
intérêts du Québec avec passion et dire au gouvernement d'Ottawa : Nous voulons être traités pour ce que nous
sommes, pour ce que nous faisons comme nation distincte, qui avons fait un
certain nombre de choix sociaux qui ne sont pas, pour le moment, les choix du
reste du Canada. Et donc, oui, comme on l'a déjà fait avec l'assurance-emploi,
avec le Régime québécois d'assurance parentale, on l'a fait à plusieurs égards
au Québec, il faut réclamer la pleine compensation pour un certain nombre de
services que nous donnons et qui ne sont pas donnés de la même façon dans le
reste du Canada.
M. Bélair-Cirino (Marco) : Le gouvernement va déposer un projet de loi
dans une, deux semaines. Quel...
Mme David (Gouin) : Sur?
M. Bélair-Cirino (Marco) : Sur les services de garde,
l'optimisation des services de garde. Il doit légiférer pour modifier la grille
tarifaire. Quel est l'avertissement que vous lui lancez? Bon, on comprend qu'il
ne va pas tenter de l'adopter sous un bâillon, mais, pour les consultations, c'est important que... les consultations…
Mme David (Gouin) : Le gouvernement, là-dessus, doit
absolument aller en consultation la plus large possible, donc tous les groupes
qui veulent venir s'exprimer en commission parlementaire
doivent le faire. Parce que je rappelle qu'on est, ici, devant, moi, je dirais,
la destruction d'un réseau mis sur pied à partir de 1997 et qui faisait, qui
fait encore la fierté de tellement de Québécoises et de Québécois.
Je rappelle aussi que, pour les femmes de
ma génération, c'est en train de dire qu'on avait
tort de mettre au monde des garderies populaires. C'est
assez dramatique. Et, pour moi, j'ai bien peur que ce ne soit que le premier
pas vers ce que, visiblement, ce gouvernement-là a envie de faire, c'est-à-dire
la destruction du modèle québécois, qui n'est
pas un modèle parfait, mais qui quand même fait appel à un sens de la
solidarité sociale minimum. Et c'est ça, là,
qu'on est en train de détruire.
Donc, oui, évidemment, s'il y a un projet
de loi déposé, les consultations devront être extrêmement larges, qu'on prenne
le temps de les faire comme il faut. Et, si,
comme je le crois, l'immense majorité des organismes viennent dire au
gouvernement : Vous faites fausse route,
bien, j'espère qu'il va les écouter, comme j'espère
que M. Barrette va écouter la quasi-totalité des organismes qui
sont venus devant lui, sur le projet de loi n° 10, pour dire : Vous devriez retirer votre projet de loi, il
n'est pas bon, il ne répond pas aux besoins
des gens.
Vraiment, ce gouvernement-là accumule les
erreurs et… en tout cas, c'est à la population de lui dire qu'il fait erreur,
et, s'il n'écoute pas la population, bien, ça s'est déjà vu, des gouvernements
renversés à l'élection suivante, hein?
M. Bélair-Cirino (Marco) :Merci.
Mme David (Gouin) : Merci à vous.
(Fin à 15 h 45)