(Treize heures quarante-neuf minutes)
M. Khadir
: Bonjour, tout
le monde. Des questions m'ont été posées aujourd'hui à propos de la candidature
de M. Pierre Karl Péladeau à la direction du Parti québécois. L'annonce a
été faite aujourd'hui même. Il n'appartient pas à nous, à Québec solidaire, de
commenter les choix que devront faire les membres du Parti québécois, ceux qui
ont les mains dans la pâte dans le destin de ce parti-là.
Bien sûr, il y a des questions plus
pertinentes qui concernent tout le monde, nous comme d'autres, c'est-à-dire sur
les questions de conflits d'intérêts qui peuvent exister entre des personnes
appelées à exercer des pouvoirs importants à la tête des partis ou à la tête du
gouvernement, mais c'est un débat qu'on mène en public, puis nous, nous avons
déjà, disons, posé des questions et émis nos réserves là-dessus.
Mais l'autre question, puis, je pense, qui
concerne tous les Québécois, tous les gens qui, au cours des années, sur les
40, 45 dernières années, ont voté pour ce parti-là et qui nourrissent toujours
l'espoir que ce parti soit le défenseur de la social-démocratie, que ce
parti-là véhicule les valeurs progressistes qui présidaient à son élan lorsque,
il y a 40, 45 ans, ce parti représentait un espoir de changement, mais
surtout d'une plus grande justice sociale, d'un progressisme de la société,
c'est sûr que, si le choix ultime se fait en faveur de M. Pierre Karl
Péladeau, là, il y a un bilan à faire, surtout pour les progressistes, tous ces
travailleurs et travailleuses qui connaissent M. Pierre Karl Péladeau,
qui, après tout, est un des patrons les plus revanchards, les plus sévères et
connu pour ses positions les plus antisyndicales qu'ait connu l'histoire
récente du Québec.
Alors, je pense, c'est dans ce bilan-là,
dans… ce qui est pertinent au débat public, c'est cet aspect des choses. Il y a
un bilan à faire sur le destin du Parti québécois, et je pense que beaucoup de
progressistes, beaucoup de sympathisants de ce parti depuis de nombreuses
années auront les mêmes questionnements que l'ensemble du public.
Mme Lajoie (Geneviève)
:
Donc, vous ne croyez pas son discours social… supposément social-démocrate?
M. Khadir
: Bien, on
ne s'invente pas social-démocrate et progressiste en quelques semaines. Le vrai,
véritable bilan qui parle pour M. Pierre Karl Péladeau, c'est son
oeuvre : 14 lockouts en 14 ans. Ses propos sur la
social-démocratie... Il y a juste quelques années, je me rappelle des débats
que j'ai eus avec des journalistes pour commenter des sorties de M. Pierre
Karl Péladeau à l'époque où il était uniquement à la tête de l'empire Québecor.
Je pense qu'il ne faut pas insulter l'intelligence de la population. C'est un
patron qui veut prendre le contrôle d'un parti qui s'appelle le Parti
québécois, qui, jadis, fut social-démocrate. Alors, dans cette équation-là,
c'est aux membres du Parti québécois à décider, mais, si ce lien est scellé et
que M. Pierre Karl Péladeau devient président… chef du Parti québécois,
bien, c'est sûr qu'il faudra en faire... en déduire les conséquences logiques.
Mme Biron (Martine)
:
Est-ce que ça ne pourrait pas, justement, vous être favorable?
M. Khadir
: Bien, je
souhaite, dans ce débat-là, qu'on réfléchisse non pas à ce qui est favorable
pour nous ou pas, mais ce que le Québec a besoin. Ce que le Québec a besoin,
d'une alternative progressiste à toutes ces politiques de coupures, qui n'ont
pas commencé avec la Parti libéral, ça a commencé sous le régime de Lucien
Bouchard. Et notre existence, nous, à Québec solidaire, tient à ça, à ces
changements que le Parti québécois a amorcés, déjà, il y a une quinzaine
d'années.
C'est sûr qu'il y a beaucoup de gens très
progressistes au sein du Parti québécois qui nourrissent encore des illusions
sur la capacité de leur parti à se resaisir puis à se présenter véritablement
comme parti... et au gouvernement, comme gouvernement défenseur du bien commun
et du plus grand nombre. Mais la réalité des 15 dernières années,
l'expérience d'il y a à peine un an, lorsqu'ils étaient au pouvoir, montrent
tout le contraire.
Alors, c'est en ces termes-là, je pense,
qu'il faut choisir. Il faut réfléchir, non pas ce qui fait le bénéfice ou pas
de Québec solidaire. Le Québec a besoin d'une alternative, puis il se pourrait
qu'on soit cette alternative.
Mme Biron (Martine)
:
Est-ce que vous sentez un plus grand intérêt, par exemple, pour votre parti
chez les militants du Parti québécois depuis que…
M. Khadir
: Bien sûr,
depuis de nombreuses années, mais ça a pris, disons, un cours plus accentué
depuis quelques mois, c'est certain. Et c'est logique, puisqu'on est rendus là,
dans cette société. Il y a une...
Mme Biron (Martine)
: À
cause de M. Péladeau?
M. Khadir
: Non, à
cause de l'exercice au pouvoir du Parti québécois. Et là, la candidature de
M. Pierre Karl Péladeau a été le symbole qui venait couronner d'un symbole
très fort l'oeuvre au pouvoir du Parti québécois, qui était un gouvernement
néolibéral avec les mêmes politiques, avec des tonalités, des couleurs un peu
différentes. Le cas des CPE l'illustre parfaitement, le cas de la commission
qu'on a eue sur Enbridge, rappelez-vous, et maintenant le double discours sur
TransCanada l'illustrent parfaitement. Je pense qu'il faut respecter
l'intelligence de ces sympathisants, des gens qui suivent avec plus d'attention
le débat politique, et je crois que beaucoup de gens vont se poser des questions,
et il y a des choix à faire.
M. Laforest (Alain)
:
Si je peux me permettre, M. Khadir. Est-ce que vous invitez des gens du Parti
québécois, progressistes, à se joindre à Québec solidaire?
M. Khadir
: On le fait
depuis sept ans. Nous existons depuis 2007, et c'est notre message. Mais
nous comprenons qu'il y a des loyautés, il y a des espoirs investis, il y a le
fait que des gens ont des liens affectifs, puis tout ça entraîne des illusions,
des distorsions dans les perspectives, qui fait qu'encore beaucoup de
progressistes pensent que le Parti québécois peut, au pouvoir, livrer quelque
chose en faveur de l'idée du progrès d'un pays du Québec. C'est sûr qu'à
ceux-là je dis : Là, c'est vraiment le temps de faire des bilans, un bilan
définitif, et Québec solidaire a les bras ouverts.
M. Laforest (Alain)
:
Et vous avez dit : C'est un patron de presse qui tente de devenir chef de
parti. Je vous cite bien?
M. Khadir
: Bien sûr, absolument.
M. Laforest (Alain)
:
Alors, c'est ce que vous avez dit…
M. Khadir
: C'est un
grand entrepreneur, surtout, c'est un grand industriel, un baron du monde des
affaires au Québec qui veut prendre le contrôle d'un parti politique. Déjà,
dans cette dérive de la démocratie au Québec, qui commence à ressembler un peu
à la démocratie italienne ou… Avec Sarkozy, c'était un peu ça, c'était
quelqu'un de très proche des grands conglomérats médiatiques. Ce n'est pas
unique au Québec, c'est le destin malheureux de nos démocraties, qui comptent
de plus en plus inféoder, sous le contrôle, parfois indirect mais parfois
direct, du milieu des affaires. Alors, pour tous ceux pour qui ça représente un
problème, puis qui pensent que la démocratie mérite mieux que ça, bien, Québec
solidaire a les bras ouverts.
M. Bellerose (Patrick) :
Tantôt, M. Péladeau, dans son discours, s'est exprimé contre les
compagnies qui éludent l'impôt. Est-ce que ça vous a fait sourciller?
M. Khadir
: Je n'avais
pas… Je n'avais pas remarqué cette partie, là. Écoutez, quand ils arrivent au
pouvoir ou qu'ils sont sur la scène politique, tous ces gens-là qui viennent du
milieu des affaires font des professions de foi en faveur de l'impôt. Mais
c'est la réalité de leurs actions qui parle. Et la réalité, pour ce qui est de
l'empire Québecor, c'est qu'une majorité des entités qui composent Québecor
ont… sont enregistrées à Delaware, qui est reconnu pour offrir la possibilité
pour des entreprises coquilles de venir s'enregistrer là-bas pour éluder
l'impôt. C'est un des 10 principaux paradis fiscaux, dans le sens large du
terme. Ce n'est peut-être pas un endroit où on va placer son argent, mais ça
fait partie de l'ensemble des trucs, des magouilles que font les grandes
entreprises, très grandes entreprises américaines pour échapper à l'impôt.
Alors, la question est toujours là : Comment ça se fait qu'une majorité
des entreprises de M. Péladeau sont enregistrées là-bas et comment il
concilie ça avec son attachement, son aveu, sa profession de foi en faveur de
la social-démocratie et de l'impôt?
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Comment expliquez-vous l'attrait que suscite M. Péladeau?
M. Khadir
: Bien,
c'est sûr que j'ai... un empire médiatique à son service. Et j'ai toujours
dit : Même au plus fort de sa charge à fond de train contre le syndicat
qui représentait ses employés au Journal de Montréal… c'est malheureux
pour le Québec, parce que le Québec ne demande pas mieux que d'aimer cette
entreprise, qui, quelque part, appartient aux Québécois, puisqu'on a payé avec
nos impôts, des crédits d'impôt, de l'aide directe, l'acquisition de multiples
filiales qui font l'empire Québecor aujourd'hui.
Donc, les Québécois aiment à aimer
Québecor. Mais c'est sûr que le comportement de M. Péladeau à la tête de
son entreprise n'est pas très reluisant, n'est pas très respectueux de
l'héritage de son père. Et ça, je prends le soin de le dire aujourd'hui comme
je l'ai déjà dit : Son père avait une affection réelle pour ses
travailleurs, pour ses employés et il cherchait à les protéger du mieux qu'il
pouvait dans le cadre d'un grand patron.
Donc, dans ce contexte-là, c'est sûr qu'il
y a une érosion qu'on va assister. Et j'espère que M. Péladeau va répondre
à vos questions, parce qu'il y a des questions. Quand on arrive en politique,
il faut être prêt à affronter la musique, à répondre aux questions sur les
paradis fiscaux, sur son comportement en tant que patron de presse, sur ce
qu'il pense de l'égalité sociale.
M. Bélair-Cirino (Marco) : M.
Péladeau a-t-il été favorisé d'une façon ou d'une autre en raison de... en fait,
qu'il est propriétaire actionnaire de contrôle de Québecor depuis qu'il est
entré en politique et depuis qu'il est député à l'Assemblée nationale? Est-ce
que le fait d'être propriétaire d'une entreprise de presse l'a avantagé depuis
qu'il est député?
M. Khadir
: Pour
répondre à votre question, il nous faut le genre d'analyse que nous, on a déjà
faite et qui prend des mois et des mois sur des questions de conflit
d'intérêts. Sur le lobbyisme, on a produit un rapport, ça a pris plus d'un an
de travail pour identifier les éléments qui font problème. Sur la question des
conflits d'intérêts individuels des gens, nous, on ne fera jamais ça, parce que
ça, c'est le travail du Commissaire au lobbyisme, du commissaire aux règles d'éthique
et de déontologie, et, en temps opportun, ces questions-là se poseront.
Maintenant, s'il a été avantagé ou pas, donc, c'est à travers ces canaux-là. Je
ne peux pas vous inventer une réponse à brûle-pourpoint comme ça. Mais c'est
sûr que l'apparence, même, qu'il puisse y avoir un conflit d'intérêts est aussi
grave que le conflit d'intérêts lui-même.
Je vous répète : Pour quiconque
connaît les prémisses de base, les règles d'éthique et de déontologie,
l'apparence même de conflit d'intérêts est en soi problématique.
La Modératrice
:
Questions en anglais.
M. Harrold (Max) : What is the risk of Mr. Péladeau becoming leader of the party,
of the PQ?
M. Khadir
: That is something to be identified more acutely by PQ
members, because, after all, a lot of people who have voted for the PQ over the
last 45 years have voted so with the idea that this party is a social
democratic party which has a favorable opinion about the rights of people,
about the rights of workers, of middle class, of lower income. Of course, when
a billionaire becomes head of such a party, there is a big, big contradiction, and that's a question of worry for those who
still have illusions about the capacity to do something for the common good.
M. Harrold (Max) : You talked about it in French, what is your concern about him, his
positions so far, as we know them, or his personality, his baggage?
M. Khadir
: He's a very aggressive media
mogul, he's a very aggressive head of a corporate enterprise. He has always
expressed his will to destruct the union influence in our society. From my point of view, the unions' influence is what
saves, actually, our economy from the worst impacts of the financial crisis.
So, the danger for our society is, first, the aggressive attitude of a party
leader against our rights in society to unionize and, second, is the patent
conflict of interest between his multibillion-dollar business and his role as a
chief of a party where, in democracy, when you act in the name of people, you
should protect public interest, not your private enterprise.
Mme Verville (Marie)
:You seem to have a problem also with the fact that
Québecor has some of the... «les filiales de Québecor» have put their money in
a fiscal paradise.
M. Khadir
: Yes. Well, I invite the population, the public to check out about
Delaware, what is the use of Delaware for multibillion-dollar companies that
register there. It's one of the main tax havens. Not in terms of putting the
money there, but to have «coquille» — how do you say it? — façade enterprises to channel some of your interests in order to
avoid paying taxes. So, it's in... it's contradictory, totally, with the
function of a government. You cannot be the head of a government, and then your
own businesses putting money aside to avoid paying taxes. People, now,
middle-class people, working... hard-working people are strangled by the tax
burden, by heavy direct and indirect taxation, but our more affluent people
who... those who are in the top of economy like Mr. Péladeau are evading
their responsibility, and we want that to be corrected, and it couldn't be with
Mr. Péladeau at the head of our Government.
La Modératrice
: Merci.
(Fin à 14 h 3)