(Vingt-trois heures huit minutes)
Mme David (Gouin) : Alors, le projet
de loi n° 10 est adopté. Nous terminons une très longue journée de
délibération. C'est une journée triste, c'est une journée de bâillon, une
journée où les parlementaires, dans le fond, sont muselés quelques heures pour
passer à travers plus d'une centaine d'articles. Évidemment, on n'y est pas
arrivé. Je n'ai même pas réussi à déposer tous mes amendements, à les
présenter, à les expliquer.
Bref, on est dans une journée où la
démocratie est vraiment bafouée. C'est extrêmement regrettable. J'espère que ce
ne sera pas comme ça pour d'autres projets de loi que ce gouvernement va
déposer, va débattre très bientôt, le projet de loi n° 20 par exemple, le
même ministre, le même système de santé. Ça augure bien mal.
Je voudrais dire aussi que la loi qui est
adoptée ce soir n'est pas une bonne loi. C'est une loi, en fait, catastrophique
pour l'ensemble de la santé et des services sociaux. Les citoyennes, les
citoyens n'y gagnent rien, sinon un éloignement des lieux de décision. Comme me
disait cette semaine à Sherbrooke une jeune travailleuse sociale travaillant
dans une petite municipalité de la région, comment est-ce qu'on va faire pour
faire valoir nos besoins à nous avec un lieu de décision qui est le même, qui
est à Sherbrooke, pour toute l'Estrie?
Et transposez ça à la Gaspésie, à la Côte-Nord,
à l'Abitibi, aux Laurentides. Comment est-ce qu'un petit groupe de décideurs
dans un pôle central va vraiment arriver à comprendre les besoins des
communautés? Et le projet de loi n° 10, c'est essentiellement ça. On
abolit les agences, on les remplace par des mégastructures et on éloigne
complètement les lieux de décision des gens.
Une seule source de satisfaction pour moi,
pour nous à Québec solidaire : on a travaillé avec acharnement, tout au
long des travaux de cette commission, à bonifier un projet de loi
catastrophique, mais qu'il fallait bonifier puisque les gens vont en subir les
conséquences. Et on a réussi, à travers ces travaux et aujourd'hui, in
extremis, à arracher certaines concessions au ministre de la Santé : une
meilleure protection des budgets sociaux, une garantie de la protection de la
mission des organismes communautaires, une garantie du maintien du
développement des réseaux locaux de services, ces réseaux de partenaires du
système de la santé et des services sociaux dans les communautés. Alors, tout
ça, évidemment, je m'en réjouis. Pour les gens concernés, bien, c'est quand
même une petite amélioration. On évite le pire. Donc, on est content du travail
qu'on a fait, vraiment. On s'est montrés des parlementaires aguerris, capables
de discuter, capables de proposer et parfois capables de gagner. C'est
plaisant, mais, je le répète, ce n'est pas une bonne journée pour le Québec, ni
au plan de la démocratie, ni au plan de la loi qui a été adoptée. Merci.
Mme Dufresne (Julie)
:
Qu'est-ce que ça annonce pour la suite des choses? Parce que le Dr Barrette a
été très clair aujourd'hui que le projet de loi n° 20 devait aussi être
adopté avant le mois de juin.
Mme David (Gouin) : Ça augure
bien mal. Écoutez, depuis un mois et demi, à peu près, deux mois, on voit la
levée de boucliers contre le projet de loi n° 20, et beaucoup, beaucoup de
médecins de famille expliquent — et ils l'ont fait avec mon collègue,
d'ailleurs, le Dr Khadir — ils expliquent quelle est leur réalité. La
pratique des médecins de famille est très diversifiée. C'est évident qu'on ne
peut pas adopter des mesures qui sont les mêmes pour tout le monde, et puis il
y a toutes sortes de choses qui rentrent en ligne de compte : les médecins
de famille qui travaillent à l'urgence, d'autres qui ne le font pas, les milieux
qui sont très différents.
En fait, le ministre Barrette prend
l'affaire complètement par le mauvais bout. C'est vrai qu'il y a un problème
d'accès aux médecins de famille, mais ça, ça peut se régler de mille et une
façons, y compris, par exemple, de donner un rôle accru aux infirmières et en
particulier aux infirmières praticiennes. Ça, c'est une des choses qui est
majeure, là, dans une vraie réforme de la santé et des services sociaux, mais
curieusement, ça, on n'en parle pas, on préfère brandir le fouet. En fait, la
méthode Barrette, c'est la méthode du fouet, et ça ne peut pas marcher.
Quand on veut faire des réformes, et c'est
important, parfois, les réformes, il faut s'assurer du concours des premiers et
des premières concernés, donc, dans ce cas-ci, médecins, travailleuses
sociales, tous les professionnels qui travaillent en physiothérapie, en
ergothérapie, etc., les centres jeunesse, les instituts de réadaptation. Il
faut que l'ensemble des travailleuses, des travailleurs du système de santé et
de services sociaux — ils sont 270 000 — il faut
qu'ils se sentent interpellés par la réforme, il faut qu'ils aient l'impression
d'être consultés. Mais ce ministre-là, il a commencé par faire son projet de
loi, après, entendre les gens, et là, bien, 90 % sont venus lui dire :
On n'aime pas ça, mais il a persisté. Et il fait la même chose avec le projet
de loi n° 20. Il n'a pas commencé par consulter les médecins pour ensuite
essayer de trouver des solutions. Il dit : Voilà, moi, j'ai la solution et
puis maintenant, bien, je vais quand même avoir la gentillesse de vous écouter
en commission parlementaire. Ce n'est pas très sérieux.
Mme Dufresne (Julie)
:
Bien, justement, vous allez devoir faire face au même problème avec le projet
de loi n° 20. Vous avez essayé, via le processus démocratique, de faire
entendre votre voix, d'ajouter des amendements. Bon, vous avez eu quelques
gains, mais minces, peut-être, sur l'ensemble de l'oeuvre. Alors, à quoi est-ce
que vous êtes contraints pour la suite des choses?
Mme David (Gouin) : Écoutez,
on va faire notre travail, là, c'est clair. Le projet de loi n° 20, il est
sur la table, il va y avoir des consultations publiques. C'est évident qu'elles
vont probablement être moins longues que pour le projet de loi n° 10,
l'objet étant plus circonscrit. On s'attend à ce que, par exemple, les
fédérations médicales viennent, d'autres. Ça va probablement être un peu moins
long, puis il y aura l'étude article par article.
Québec solidaire, comme d'habitude, comme
pour la majorité des projets de loi, aura des amendements à proposer. Il faut
se battre. Il faut… oui, il faut essayer d'arracher des gains. On va faire
notre travail, il y a mille et une façons de le faire. On va faire notre
possible et on sait aussi que, sur le terrain, on n'est pas tout seul. Il y a
tous les mouvements sociaux, il y a les médecins dans ce cas-ci, les infirmières,
les syndicats, etc. Les gens vont se prononcer.
Et moi, je pense qu'un jour ce qui va
finir par arriver, peut-être pas aujourd'hui, peut-être pas demain, mais ce qui
va finir par arriver, c'est que ce gouvernement — je dépersonnalise,
il n'y a pas que le Dr Barrette dans ce gouvernement — ce
gouvernement va devoir entendre raison, que ça soit sur l'austérité, que ça
soit sur des réformes stériles, que ça soit sur les problèmes démocratiques.
Vous savez, M. Charest, à l'époque, a déjà reculé devant l'ampleur de certains
mouvements sociaux. Moi, je pense qu'on va éventuellement vivre la même chose.
Mme Dufresne (Julie)
:
Bien, alors, c'est un appel à la mobilisation que vous faites?
Mme David (Gouin) : Sans aucun
doute, nais nous le faisons, dans notre cas, depuis septembre, mais, vous
savez, on n'a pas besoin, en fait, d'appeler bien, bien longtemps à Québec
solidaire. Les mouvements sociaux se sont mis en branle dès octobre dernier.
Les grands rassemblements autour du problème des garderies, l'immense
manifestation du 29 novembre, ça ne s'arrêtera pas, là. Ça ne va qu'augmenter,
j'en suis convaincue. Et, à chaque fois que je parle à des gens un peu partout — j'étais
à Sherbrooke cette semaine — oui, je dis à tout le monde : Bon,
avez-vous gardé vos casseroles? On va peut-être en avoir besoin. Et les gens
sourient, comme vous, et me disent : Les casseroles ne sont pas loin,
inquiétez-vous pas, Mme David. Merci beaucoup.
Mme Montgomery
(Angelica)
: Can I ask… We are talking about completely
changing the skeleton that holds together this healthcare system.
When people wake up in
the morning, and this bill is past, and we are making this major change, should
people be worried? What should people be thinking as we are moving ahead next?
Mme David (Gouin) :
I know it's difficult for many people to understand exactly what happens, you
know. When you talk about structures, generally, people say : Structures,
it is a little bit boring. But I make an appeal to the people to be very
vigilant around that reform because I am afraid that the decisions will be really
far from the people. And probably it will take some time, you know, but people
will realize that they can't influence any way the new system of health.
We will have one board
for an entire region and we have 16 or 17 regions in Québec. So people will
realize that the way services are organized is not — voyons, proche,
proche — near the communities. It will be very far, and they will see
the consequences of that.
M. Khadir
: Especially the English community. They will lose a
lot.
Mme Montgomery
(Angelica)
: Could you tell me more about that?
M. Khadir
: Yes, because there will be…
You know, they have taken sometimes decades to build these institutions,
especially the health sector, because, remember, in the French sector, it was
more often the church that provided these services a long time ago, but, for
the English community, they built up community, people built it up. So they
have brought something to their community, to the Québec in a whole, but now
they lose completely power and control over these institutions.
Mme David (Gouin) : The Minister accepts to let the English community just one thing, and,
for the rest, my colleague is right : They will have the permission to
keep the same mission. An hospital will stay as an hospital. House for old
people will act as a house for old people, but all the other decisions, any
kind of decision will be taken by the same board, one by region. So, yes, I
think the English community lose some rights with that bill.
Mme Montgomery
(Angelica)
: The English community has
lost with the bill?
Mme David (Gouin) : Yes.
M. Khadir
: Of course. All these things
will be under the authoritarian rule of this Minister who's bullying everybody.
So imagine, if the community has some needs and want to work out something that
doesn't please to Mr. Barrette, it won't ever happen.
Journaliste
: How do you think the English communities can make themselves heard
in this new context?
Mme David (Gouin) : Make… quoi?
M. Khadir
: Make… Comment ils vont se
faire entendre?
Mme David (Gouin) : Ah! They came into the commission, they… I remember one testimony
from people of the Jeffery Hale's Hospital here, in Québec. It was really interesting
for me to see minority community, a little community say : Listen, we have
that hospital since a very long time, and we would like to keep it, and we
would like to organize it by ourselves. And I can understand that because, as a
Francophone, I feel to be member of a minority in North America.
So, you know, it was very
emotional. And I think they will need to continue to make some representations
with the Minister and to be sure that they will maintain their rights to keep
their institutions. It will be important, but the same thing will be important
for all the people in Québec. People who built hospitals, who built CLSC, many…
any kind of services… It will be really difficult for everybody.
Journaliste
: How can they… about doing that?
M.
Khadir
: Comment ils peuvent faire ça? Par quel moyen?
Mme David (Gouin) : Est-ce que
je peux vous répondre en français?
Journaliste
: Allez-y.
Mme David (Gouin) : Ça va être
plus facile, vraiment.
Journaliste
: Ce n'est
pas pour la radio.
Mme David (Gouin) : O.K.
Regardez, ce que le ministre a consenti à la communauté anglophone, c'est de
conserver le droit d'avoir un droit de veto dans chacun des établissements sur
la mission de l'établissement. Alors, le Jeffery Hale's Hospital va rester un hôpital.
C'est le meilleur exemple que je peux donner, mais c'est tout, c'est tout. Et
avec ce compromis, le ministre nous dit — à vérifier — que
la communauté anglophone a accepté — à vérifier, hein; le ministre,
il dit bien des choses — a accepté, donc, d'être intégrée dans les
CISSS. Je rappelle aussi qu'à Montréal il y a quand même cinq CISSS, dont deux
plus largement impliqués dans la communauté anglophone.
Alors, il faudra voir à l'usage, et je
pense que, s'il y a des problèmes, la communauté anglophone, je n'en doute pas
un instant, va se faire entendre haut et fort et elle aura raison de le faire,
et nous l'appuierons.
(Fin à 23 h 22)