(Quinze heures quarante-six minutes)
M. Khadir
:
Bonjour tout le monde, merci d'être présents. Je viens de déposer, il y a à
peine une heure, à l'Assemblée nationale, un projet de loi qui vise à réduire
l'achat des médicaments, le coût des médicaments au Québec.
Il est grand temps d'agir. En fait, tous
les observateurs et les gouvernements alentour
de nous rappellent que nous sommes, au Canada, le pays qui, dans les pays
comparables de l'OCDE, payons les prix les plus chers
pour les médicaments : 30 %. Et malheureusement, au Québec, on
est, au Canada, la province qui paie… la
juridiction qui paie le plus cher les médicaments à l'échelle canadienne, on en
a une idée ici. En fait, c'est nous qui tirons
la moyenne canadienne vers le haut. Si on exclut le Québec de la moyenne
canadienne, nous payons 30 % plus cher. La différence entre le Québec et,
par exemple, une province comme la Colombie-Britannique, qui a commencé ce que
nous proposons de faire il y a déjà un temps, c'est
1,5 milliard de dollars, selon une étude qui est parue il y a une dizaine
de journées et dont a fait grandement mention Le Journal de Montréal
hier.
La réalité, c'est
que nous déposons ce projet de loi parce qu'il est grand temps d'agir. Ça fait
très mal aux finances publiques. Le gouvernement veut faire quelque chose.
M. Leitão montre de l'ouverture depuis l'année dernière. Nous sommes très
conscients qu'il y a encore beaucoup de résistance,
mais nous voyons que même M. Barrette admet qu'il y a des économies
qu'il faut aller chercher. Nous lui proposons,
par ce projet de loi, un moyen d'y arriver
facilement, aisément, en tenant compte des meilleures pratiques à l'échelle internationale.
La Nouvelle-Zélande, qui a… où un gouvernement conservateur a fait exactement ce qu'on propose… Je vous parle d'un gouvernement conservateur, pas de
nationalisation, là. La nationalisation peut être appropriée dans certaines circonstances, mais ici il n'est pas question de nationaliser quoi que ce soit.
Ce qu'il est question, c'est que le gouvernement du Québec négocie ses
médicaments de manière énergique. En fait, on demande au gouvernement du Québec
de négocier ses médicaments exactement comme l'administrateur intermédiaire, c'est-à-dire les pharmacies d'hôpitaux
le font depuis 30 ans avec, en moyenne,
30 % à 40 % de réduction par rapport à la facture que rembourse la
RAMQ aux pharmaciens d'ordonnance.
La Nouvelle-Zélande, le gouvernement
conservateur qui a commencé ça à la fin des
années 90, actuellement paie 340 $ en
moyenne par habitant; nous payons trois fois ce prix. Donc, il y a une
énorme marge de réduction des prix des médicaments qu'on
peut aller chercher, données qui recoupent parfaitement la commission royale
d'enquête, il y a une dizaine d'années, de Roy Romanow
lancée par le gouvernement fédéral, qui arrivait à la conclusion qu'au Canada on paie de trois à six fois trop cher nos
médicaments.
Donc, l'idée, c'est :
comme les plaques tectoniques commencent à bouger, comme les autres provinces
canadiennes veulent aller dans ce sens-là, nous
suggérons à M. Barrette de, disons, recevoir notre proposition, de
l'examiner avec attention. Un expert toutes catégories à l'échelle canadienne, internationale, le Pr Gregory Marchildon, qui
enseigne à Regina et que l'OCDE et l'OMS consultent régulièrement, vient de publier, tout juste — ça, c'est à la Bibliothèque de
l'Assemblée nationale — les
éléments qui expliquent la croissance des coûts en santé. Et c'est clair pour lui, comme pour tout le reste des observateurs : les médicaments sont la part
inflationniste de nos coûts de santé. Il faut faire quelque chose. Tout le monde s'entend, M. Barrette… je
pense, nous sommes mûrs au Québec pour agir dans ce sens-là.
M. Dutrisac (Robert)
: Oui. Votre tableau,
j'essaie de… Parce que nous, on a un régime
universel de couverture en l'assurance médicaments, mais, dans le reste
du pays, ils ont des régimes souvent catastrophiques,
en tout cas moins généreux, ça influe sur la consommation. C'est parce que je suis d'accord pour dire qu'il y a
un écart de prix, mais on consomme plus de médicaments en…
M. Khadir
:
Oui, mais il y a toute une série de choses à
faire, bien sûr, bien sûr. Regardez, la Nouvelle-Zélande
est comparable. La Nouvelle-Zélande, c'est
à… C'est pour ça qu'on
prend l'exemple de la Nouvelle-Zélande. La Nouvelle-Zélande, en tous points,
est comparable au Québec à ce chapitre-là : ils
ont aussi un régime mixte, assurance publique, assurance privée, et la
population de la Nouvelle-Zélande tourne alentour,
maintenant, de 6 millions.
M. Gagnon (Marc-André) :
M. Barrette nous dit qu'en Nouvelle-Zélande, en raison des
politiques qu'ils ont mis en place, ils n'ont pas accès, justement, entre autres, à
certains médicaments, donc la population se
trouve pénalisée.
M. Khadir
:
Oui, mais on n'est pas obligés de faire autant. Nous ne proposons pas une
réduction de 65 % du coût des médicaments parce
que, pour arriver à faire comme la Nouvelle-Zélande, il faut restreindre
sévèrement la liste des médicaments remboursables, aller peut-être un peu trop
loin. Ils sont allés peut-être un peu trop loin. Ce n'est pas nécessaire de le faire.
Nous,
nous proposons, par exemple, de faire des économies pour pouvoir payer les
médicaments précieux anticancéreux qu'actuellement on refuse aux patients.
Pourquoi? Parce qu'ils ne peuvent assurer que
30 % de chances de guérison, mais 30 % de chances de guérison
pour quelqu'un pour qui c'est soit ça, soit la mort, c'est déjà beaucoup. Mais actuellement on lui refuse parce qu'on dit : Ça ne rencontre pas les critères de
l'INESSS. Donc, à cause de dépenses inutiles, du fait qu'on défonce nos budgets
en ne faisant pas les bonnes pratiques, on prive des patients qui en ont
grandement besoin, de médicaments qui peuvent
être salvateurs.
Donc, c'est dans cet esprit-là que nous
proposons simplement de commencer à rejoindre les meilleures pratiques au Canada.
Au Canada… Je pense que M. Barrette… Je comprends M. Barrette.
Écoutez, M. Barrette est en train de dire exactement ce que nous disait M. Bolduc
avant lui. M. Hébert disait la même chose. M. Couillard disait la
même chose. Ça fait 10 ans qu'ils nous disent ça, puis regardez où ça nous
a conduits. Ça fait 10 ans qu'on ne bouge pas parce qu'ils ont peur de
bouger, en disant : Ça ne ressemble à
rien d'autre, on ne peut rien faire. Et
aujourd'hui on constate qu'on est 1,5 milliard de dollars en retard dans
les économies à faire par rapport à la Colombie-Britannique.
M. Gagnon (Marc-André) : C'est la deuxième fois que vous présentez
ce projet de loi là. Alors, quels sont les principales différences entre la
première mouture de votre projet de loi pour Pharma-Québec et celui-ci?
M. Khadir
:
Dans le fond du projet, il n'y a aucune différence. La différence, c'est le
contexte, c'est que M. Leitão est ouvert, c'est que M. Barrette
démontre un minimum, je dirais, de volonté pour agir. Puis il s'est montré
ouvert, il a parlé d'aller chercher 800 millions de réduction dans le coût
des médicaments. S'il compte sur la mise en commun des politiques d'achat par
l'ensemble des provinces canadiennes… il y a
un professeur expert, M. Marc-André Gagnon, qui a montré que ça ne serait
pas suffisant de se… avec le… disons, les négociations communes avec les autres
provinces, la manière dont ils le font actuellement, ça ne permet, au mieux,
que d'aller chercher une couple de centaines de millions de dollars.
Nous, on dit :
Si on veut arriver à ces objectifs, qui sont
nobles, il y a… ça fait longtemps qu'on réfléchit là-dessus, et ce qu'on propose
de faire et qu'on proposait en 2006, plusieurs provinces canadiennes et
plusieurs États à travers le monde l'ont appliqué
maintenant, il n'y a aucune raison de craindre. Ça marche très bien. Il
s'agit d'ailleurs de quelque chose qu'on pratique nous-mêmes, mais à une plus
petite échelle, dans les hôpitaux québécois. Donc, M. Barrette, je pense,
disons, répète les choses qu'il a entendues, mais,
quand il va examiner attentivement ce qu'on a à lui proposer, quand il va
s'apercevoir que, dans le fond, l'administrateur intermédiaire, c'est-à-dire le
responsable de la pharmacie d'hôpital, qui est en consortium avec les autres
hôpitaux de sa région pour acheter les médicaments en commun,
ce que lui est capable d'aller faire, c'est-à-dire de réduire de 30 %
sa facture, bien, l'administrateur principal de la santé,
c'est-à-dire le ministre, peut très bien le faire.
M. Dutrisac (Robert)
: Là, ce que vous proposez, c'est une
société d'État, donc, qui aurait un rôle de grossiste, essentiellement, c'est-à-dire…
M. Khadir
: Non, non, pas de grossiste dans le sens qu'il
achète des médicaments qu'il entrepose; un rôle de négociateur en chef, avec une liste de prix établis.
M. Dutrisac (Robert)
: O.K.,
négociateur en chef, mais ça serait une société
d'État, donc, plutôt que la RAMQ ou…
M. Khadir
: Bien, ça pourrait partir, comme dans notre projet
de loi… il y a une partie du personnel de la
RAMQ qui s'occupe actuellement de l'assurance médicaments, qui serait intégrée
dans cette société, et donc qui gérerait l'ensemble, parce qu'il faut… Pour
être cohérent, notre projet de loi tient compte de d'autres
dimensions : il faut aussi réduire la
consommation de médicaments. Pour réduire la consommation de médicaments, il
faut avoir une politique d'inscription sur la liste
des médicaments remboursables qui tienne compte des meilleurs rapports
qualité-prix. Actuellement, au Québec, il n'y a aucune mesure de cet ordre.
L'Ontario a fait le ménage depuis un certain temps :
ils sont, je pense, rendus à 3 000; on
est à 7 000 médicaments remboursables. Il n'y a aucune raison que ça se perpétue. C'est un gaspillage des deniers
publics à fort coût pour le système.
Donc, il y a plusieurs éléments comme ça qui ont besoin, donc, disons, d'une entreprise d'État centralisée qui intègre
l'ensemble de la démarche.
M. Dutrisac (Robert)
: Il y a un
volet fabrication à votre société d'État, si j'ai bien compris?
M. Khadir
:
Nous voulons… Si… Regardez, M. Barrette n'est pas obligé d'appliquer ça.
M. Barrette peut partir du principe d'un groupe regroupant d'achats à
l'échelle du Québec, d'accord? Mais, si Québec solidaire arrivait au pouvoir ou
si le gouvernement Couillard veut bien accepter les meilleures pratiques, les
principes des meilleures pratiques qui existent à
l'échelle internationale…
La Suède,
actuellement, est un des pays qui a les meilleures pratiques de… en matière
pharmaceutique. C'est reconnu par l'OCDE.Or,
en Suède, ils ont une entreprise publique qui
produit aussi quelques médicaments génériques, qui occupe 1 % du marché.
Ce n'est pas une entreprise qui occupe tout le marché, ce n'est pas une nationalisation du médicament, c'est une
entreprise qui participe dans les offres publiques,
dans les, comment dit-on, appels d'offres publics, qui soumissionne au
même titre que des entreprises privées pour certains
médicaments et qui exerce, de ce fait même, un effet régulateur, à la baisse, des prix
parce que tous les fournisseurs savent bien que l'État suédois dispose des
capacités lui-même de produire tel et tel médicament
générique si jamais leurs prix sont farfelus.
M. Gagnon (Marc-André) : Je comprends que l'idée, c'est de faire
des économies, en bout de ligne, là, mais
est-ce que vous avez quand même chiffré ce que ça coûterait de créer, de mettre
en place cette nouvelle société d'État là?
M. Khadir
:
150 millions. Donc, c'est un dixième des économies qu'on irait chercher.
Une voix
:
…
M. Khadir
:
Je ne sais pas pourquoi certaines personnes sont si insistantes.
M. Dutrisac (Robert)
: Voyons, ça, ça m'a fait perdre ma question.
Oui, c'est ça. Les compagnies pharmaceutiques
sont dans les hôpitaux, etc. Il y a certains, comment dire, comportements de
rétorsion qu'ils emploient, pénuries
artificielles de médicaments, que certaines pharmaceutiques… C'est une pratique qu'ils
font, à l'heure actuelle, dans le réseau de la santé au Québec et ailleurs
quand ils ne sont pas satisfaits des négociations avec l'État…
M. Khadir
:Oui. C'est
pour ça…
M. Dutrisac (Robert)
: …ils s'organisent pour que les
médicaments arrivent mal ou soient en pénurie ici et là.
M. Khadir
:
C'est une pratique scandaleuse.
M. Dutrisac (Robert)
: Oui, c'est
une pratique scandaleuse, mais est-ce que vous ne croyez pas que, justement,
créer, en Amérique du Nord, une société d'État de ce type-là va braquer les
pharmaceutiques?
M. Khadir
:
Regardez, on n'a pas fait ça, puis où est-ce que ça nous a menés? À un énorme
gaspillage des fonds publics et un retard considérable sur le monde entier par
ce genre d'attitude, je dirais, défaitiste.
Mais la donne est en train de changer. Le gouvernement Sarkozy, en 2011, a commandé une étude qui a été
soumise au gouvernement français qui a pris des mesures énergétiques. Depuis ce
temps-là, c'est le rapport Debray — je
ne sais pas si vous êtes au courant, 2011, ça a été
soumis — qui fait le bilan, justement, de ce genre de pratiques et les fausses promesses de l'industrie
pharmaceutique. Le gouvernement américain, la même année, en 2011, Obama a
investi plus de 6 milliards de dollars dans le NIH
pour compenser, pour doter les États-Unis de
capacités, elles-mêmes, de mener à bien certaines recherches en matières
pharmaceutiques et de doter l'État américain des capacités à la fois de
recherche et de développement pas «upstream», mais
«downstream», c'est-à-dire dans la phase développement du produit final.
Tout ça
pour dire que, donc, il y a une prise en considération de ce phénomène-là, et c'est une raison supplémentaire, si je peux me
permettre, d'agir et immédiatement… C'est pour
ça qu'on pense qu'au-delà de la négociation,
pour baisser les prix des médicaments, il y a une promesse formidable dans
cette idée de créer une entreprise publique qui, à chaque fois que l'industrie
voudra faire du chantage, qu'on a les capacités…
Le Brésil
a pu le faire. Écoutez, je pense qu'il faut
que les journalistes qui s'y intéressent se penchent sur le cas brésilien. Une
chercheuse réputée, au Brésil, avec l'aide d'une équipe de 80 personnes, au
milieu des années90, a sauvé
littéralement le Brésil de la banqueroute parce que, devant l'épidémie du sida,
les compagnies pharmaceutiques ne voulaient pas accorder des prix raisonnables, mais ils ont découvert, eux-mêmes… ils ont
contourné le chantage des compagnies pharmaceutiques,
qui ne voulaient pas leur vendre au prix abordable pour le Brésil, ils ont
redécouvert pratiquement tous les médicaments antisida.
Donc, il faut cesser de se laisser
intimider par ces pratiques, et, au Québec, ça tombe bien, parce qu'on est un
des quatre foyers de recherche et d'innovation en matière pharmaceutique à
l'échelle nord-américaine. On est vraiment un des quatre pôles les plus
importants de développement pharmaceutique au cours
des 25 dernières années. Et nous avons testé notre hypothèse et sa
viabilité avec l'expert qui a reçu le Prix du Québec
pour ça exactement, M. Yvan Guindon. On est allés le voir, on lui a proposé le
modèle, incluant la partie négociation et la partie production et recherche et
innovation, et, selon lui, ça tient la route, et c'est ce qu'il faut au Québec.
(Fin à 16 h 1)