(Douze heures cinquante-huit minutes)
Mme
Maltais
: Bonjour. Nous avons déposé
aujourd'hui une lettre à l'Assemblée nationale du Québec, au président,
M. Jacques Chagnon, afin de lui demander si le ministre des Affaires
municipales et de l'Occupation du territoire, M. Pierre Moreau, a commis
ce qu'on appelle un outrage au Parlement.
Qu'est-ce qu'un outrage au Parlement?
Écoutez, d'abord, les députés sont ici, dans l'Assemblée nationale du Québec,
pour comprendre les intentions du gouvernement, analyser les projets de loi qui
sont déposés et poser un jugement là-dessus. C'est leur travail. Ils sont les
représentants du peuple, leur voix, donc il est normal qu'ils regardent, à
partir des intentions gouvernementales, ce qui se passe, qu'est-ce qui est dans la loi, puis ensuite doivent décider si, oui
ou non, ils adoptent la loi.
Pour gérer cette discussion entre le
premier ministre, son gouvernement et l'Assemblée nationale, on a un règlement
de l'Assemblée nationale, on a un code de travail, le code de l'Assemblée
nationale et qui sont là pour éviter les dérives, qui sont là pour expliquer comment ça doit être mené, parce qu'il ne
faudrait pas qu'il y ait des recommencements inutiles. Imaginez un ministre qui
met en oeuvre une loi puis qu'après l'Assemblée nationale décide qu'elle n'en
veut pas, ça aurait pu arriver. Donc, nous sommes là pour exprimer la volonté du peuple, la volonté des élus, et l'Assemblée
nationale parle par la voix de tous ses élus.
Donc, dans ce cas-ci, d'abord, le ministre
des Affaires municipales et de l'organisation
du territoire a annoncé ses intentions dans ce qu'on a appelé le pacte fiscal transitoire, il a dit : Je veux faire, par exemple, l'abolition des
conférences régionales des élus. Qu'il l'ait annoncé d'avance, c'est normal, c'est accepté
dans nos règles, mais ce qui est une nouveauté dans la façon de faire, c'est ce qui s'est passé ensuite : le ministre
des Affaires municipales et le ministère se sont mis à écrire, avant même le dépôt du projet de loi, à toutes les conférences régionales des élus et à commander d'office — d'ailleurs, au mois de décembre, donc bien avant l'étude du projet de loi — la fermeture des conférences
régionales des élus. Avant même d'entendre les gens, avant même de voir qu'est-ce
qui était contenu dans la loi, avant d'entendre les gens, avant de faire les
auditions, avant que le principe en soit débattu, nous avons des écrits comme
quoi il demandait la fermeture des conférences régionales des élus. Il y a des
lettres du ministre, des sous-ministres, il y a des avis de licenciements collectifs. Et il
y a des gestes qui sont posés — et ces mots-là sont importants dans ce qu'on va débattre — et qui
sont irréversibles. Il ne sera pas possible de retourner en arrière.
Or, la loi en est à ses débuts. On est en
train de commencer à étudier le projet de loi n° 28.
J'ai... Nous avons déposé, à l'Assemblée nationale, toute la preuve. Je
vous le dis, là, ça, c'est seulement une
partie de la preuve que nous avons déposée au président de l'Assemblée
nationale. Je n'ai même pas tout, là, j'ai simplement les premiers documents
les plus importants. Alors, nous avons une preuve documentée très forte.
Ça fait 17 ans
que je suis ici, je n'ai jamais vu un ministre procéder ainsi et faire que
les... on passe outre ce que veulent les représentants
du peuple.On passe outre au Parlement,
et que toute une administration se mette au service d'un ministre pour passer
outre au Parlement, il ait autorisé son administration publique, des
fonctionnaires, à passer outre au Parlement est,
pour moi, une première. Donc, on dit : C'est
un outrage au Parlement, on a passé outre le Parlement, outre les élus, on est passé outre tous les
usages. Tout le parlementarisme britannique repose sur ça : le gouvernement exprime une intention,
dépose une loi et ensuite elle est adoptée. On est passé outre à tout ce qui s'est fait jusqu'ici.
Alors, demain, je vous le dis tout de
suite, à la demande du président de l'Assemblée nationale, vous allez entendre
mon plaidoyer. Je vais exposer, bien sûr, d'abord, tout... quels sont les articles en question, c'est-à-dire
ce qui est contenu dans la loi qui est déjà mis en oeuvre par le ministère et
par le ministre des Affaires municipales.Je vais expliquer comme il faut, là, quels sont les articles
et qu'est-ce qui est en train de se faire sur le territoire, qu'est-ce qui a
été fait, qui sont des gestes qui, à mon avis, sont des outrages au Parlement.
Je vais déposer la jurisprudence, parce que c'est
très clair, il y a déjà des présidents de l'Assemblée nationale... il y en a
quatre qui ont déjà dit comment on doit traiter un outrage au Parlement, c'est très précis, et la cause que nous avons devant
nous répète... entre véritablement dans les critères de ces présidents. Et nous allons présenter,
bien sûr, la preuve. J'ai 23 documents qui ont été déposés à l'appui de notre hypothèse.
Donc,
nous n'avons pas posé un geste à la légère, nous sommes appuyés par beaucoup de
documentation, mais nous ne pouvons pas prendre ce qui s'est passé à la légère.
C'est la souveraineté du peuple dont il est question.
L'Assemblée nationale — et,
justement, le président de l'Assemblée nationale
le rappelait ce matin — c'est la voix du peuple, c'est la plus haute
autorité, c'est elle qui décide, qui sanctionne.Alors, passer outre à l'autorité de
l'Assemblée nationale dans la base même de son
travail… C'est la base du travail, c'est le dépôt d'un projet de loi,
son étude, son adoption. Faire comme si l'Assemblée nationale n'existait pas,
c'est un outrage au Parlement, à notre avis. Alors, nous allons attendre
l'opinion, maintenant, du président de l'Assemblée nationale, qui va répondre à notre lettre et notre demande,
suite aux plaidoyers que nous ferons.
Journaliste
:
À la lumière des précédents que vous avez évoqués, à
quoi s'expose M. Moreau s'il est reconnu coupable d'un outrage au
Parlement?
Mme
Maltais
: Écoutez, nous verrons selon la
réponse du président de l'Assemblée nationale. Ça dépendra d'abord de la
réponse du président de l'Assemblée nationale.
Journaliste
:
C'est essentiellement symbolique.
Mme
Maltais
: Non, pas du tout.
Journaliste
:
Qu'est-ce que vous…
Mme
Maltais
: Après, nous verrons la suite des
choses, mais attendons d'abord la façon dont le président de l'Assemblée
nationale va juger de notre prétention à l'effet que c'est un outrage au
Parlement. De la réponse du président de l'Assemblée nationale, évidemment, viendront
ensuite, là, les gestes qu'on pourra poser.
Journaliste
:
Mais, comme il y a des précédents — vous l'avez
dit, ça fait 17 ans que vous êtes ici, là — quel genre de
sanctions auxquelles les gens peuvent…
Mme
Maltais
: J'ai rarement vu des outrages au
Parlement être acceptés par un président de l'Assemblée nationale, c'est très
rare que ce soit déposé, je n'en ai jamais vu. Le premier que j'ai vu, c'est
celui sur… en réponse à ma lettre au Commissaire à l'éthique, c'est la première
fois que je voyais ça.
Alors, ce
que je veux vous dire, c'est que c'est très
rare, donc il faut que ce soit une preuve documentée, ce que nous avons fait,
il faut que ce soit une façon de faire qui ne s'est jamais vue, il faut que ce soit… Il y a vraiment des critères, il
faut que ça réfère à des articles de loi précis, alors, ça, c'est… moi, je n'en ai
jamais vu, là, alors attendons la réponse du président.
Journaliste
:
…votre analyse des précédents…
Journaliste
:
Mais que le ministre envoie des
correspondances, prépare le terrain, fasse
part de leurs intentions, ça, c'est tout à fait habituel.
Dans ce cas-ci, c'est quoi, vraiment, l'élément, là, qui fait la différence entre ce
qu'on voit dans les façons de faire habituelles et dans le cas précis qui nous
occupe?
Mme
Maltais
:Bien, il
ne s'agit pas de… on n'a pas à demander… On comprend qu'il peut y avoir des préparatifs pour l'adoption. Vous le verrez dans
mon plaidoyer de demain, il y a des gestes qui ont été posés, qui ont été
posés, dont les avis de licenciements
collectifs. Nous avons… Il y a des gens qui
ont été mis à la porte, ça fait partie du caractère
irréversible, là.
Journaliste
:
Donc, c'est des licenciements…
Mme
Maltais
: …licenciements collectifs.
Journaliste
:
…abusifs, illégaux?
Mme
Maltais
:Non. Attendons, là, attendons la
réponse du président de l'Assemblée nationale.
Journaliste
:
…
Mme
Maltais
:Conférence régionale des élus.
Journaliste
: Mais donc vous ne touchez pas aux CLD, là?
Mme
Maltais
: La preuve qu'on a ramassée concerne
spécifiquement les conférences régionales des élus.
Journaliste
:
Est-ce que ça ne vient pas démontrer, d'une certaine
façon, le problème que pose un projet de loi
mammouth?
Mme
Maltais
: C'est exactement ça, tout à fait. Ça
fait partie des considérations. Là, présentement, je suis sur l'outrage au
Parlement, mais c'est clair que le projet de loi mammouth permet de passer
toutes sortes de dispositions qui ne devraient pas y
être, permet... Mais, je reviendrai sur
les projets de loi mammouth.
L'autre
difficulté des projets de loi mammouth, c'est
que ça comprime les auditions. Imaginez les auditions parlementaires qu'on
aurait pu avoir autour de cette idée d'abolir les conférences régionales des
élus. Il a fallu entendre 70 groupes, mais sur les pharmacies, sur toutes
sortes de sujets, sur les mesures budgétaires. On n'a peut-être... Peut-être
que ça permet au gouvernement d'échapper à une étude attentive de chacune des
lois.
Journaliste
:
Vous, vous avez... Comme vous dites, vous avez fouillé votre dossier, vous avez fouillé les précédents avant de monter votre
dossier.
Mme
Maltais
: Tout à fait.
Journaliste
:
À la lumière de votre analyse des précédents, qu'est-ce qui devrait arriver au
terme de votre plaidoyer?
Mme
Maltais
: Je pense
que... Moi… Nous, notre prétention, c'est qu'il y a un outrage au
Parlement, puis, je vous dis, à mon avis, c'est
fondé, mais c'est le président de l'Assemblée nationale qui va débattre,
qui va nous donner une opinion. Quand on aura l'opinion du président de l'Assemblée
nationale, tout dépend de l'opinion de l'Assemblée nationale... le président.
Journaliste
:
Je vais le dire crûment : Qu'est-ce que
ça fait? Tu sais, qu'est-ce que ça change? Et le fait qu'il y ait eu un outrage
au Parlement, qu'est-ce que ça devrait entraîner comme conséquences, selon votre lecture et selon vos prétentions?
Mme
Maltais
: Ça va être selon le jugement du
président de l'Assemblée nationale, mais il y a, dans notre règlement, des
suivis. J'ai dit,
d'ailleurs, dans la lettre que j'ai présentée
au président de l'Assemblée nationale que, s'il y avait…
s'il jugeait la même chose que nous, c'est-à-dire un outrage au Parlement, nous
ferions le suivi nécessaire qui est prévu dans le règlement. Mais on aura, à ce moment-là… Quand on aura
l'opinion du président, je vous reviendrai.
Journaliste
:
Mais, concernant l'outrage commis par le Commissaire à l'éthique et à la
déontologie, vous avez décidé de ne pas poursuivre l'affaire, donc c'est resté
lettre morte. Dans ce cas-ci, donc, je comprends que vous avez l'intention, s'il
y a outrage, de réclamer, quoi, une pénalité, des conséquences?
Mme
Maltais
: On a... C'est-à-dire qu'il faut déjà
donner notre opinion sur : Voudrons-nous
ou non poursuivre? Alors, selon la réponse du président de l'Assemblée
nationale... mais nous pensons que nous avons une bonne motivation, nous avons
une bonne cause, là. Selon la réponse du président de l'Assemblée nationale, si
vraiment, comme nous le pensons, le ministre des Affaires municipales a fait fi
de l'Assemblée nationale, des représentants du peuple, s'il est passé outre
tout le processus qu'on doit avoir puis qu'il a déjà fermé... et qu'il a déjà adopté des... mis en oeuvre les
articles du projet de loi avant son adoption, si le président de l'Assemblée
nationale a la même opinion que nous, à ce moment-là
on verra qu'est-ce qu'on fait, jusqu'où on va.
Journaliste
:
Donc, pour vous, ce n'est pas tant les
sanctions qui importent plus que le fait de démontrer
qu'il y ait eu — ou, en tout cas,
selon votre prétention — un outrage au Parlement.
Mme
Maltais
: Hein, je... Savez-vous ce qui est
important? C'est que ça arrête. Ça ne peut pas se passer comme ça. On ne peut
pas…
Journaliste
:
…
Mme
Maltais
: Oui, c'est
du… on a zappé, comme vous le dites, on a zappé des épisodes de ce que
doit être une loi. Il faut qu'elle soit étudiée, il faut qu'elle soit vue, il
faut qu'on entende les gens, il faut que les parlementaires en discutent.
Combien de lois on a bonifiées? Combien de lois? On le dit toujours, c'est
80 %, à peu près, adoptées à l'unanimité. Combien
de lois sont bonifiées parce qu'on les a
étudiées attentivement? Alors là, si on commence à sauter par-dessus
cette étape, si on accepte ça une fois… Et c'est la
première fois… Moi, je le vois comme ça. On saute par-dessus l'étape
indispensable dans notre Parlement, au Québec, dans notre société…
indispensable d'entendre la voix des élus et des peuples, les entendre débattre
de ce qu'il y a dans le contenu d'une loi. Ils sont déjà en train de la mettre
en oeuvre. Alors, si on saute par… qu'est-ce que c'est que cette Assemblée
nationale? Elle ne tient plus, le processus
législatif ne tient plus, donc la voix des élus de l'Assemblée nationale
n'a plus aucune importance. Moi, je trouve que ça n'a pas de bon sens. Il faut
que ça arrête. C'est la première fois que je vois une cause comme ça où, vraiment, un
ministre se met à passer outre le Parlement. Il ne faut plus que ça se
reproduise. C'est pour ça que je pense que le Président de l'Assemblée
nationale pourrait être d'accord avec nous, parce que c'est une… Si c'est le
cas, c'est une dérive inacceptable. Il faut que ça arrête.
Journaliste
:
Vous trouvez que c'est un gouvernement
majoritaire qui outrepasse ses pouvoirs, malgré sa
majorité.
Mme
Maltais
: Dans ce cas-ci, le ministre des
Affaires municipales et de l'Occupation du territoire, à mon avis, a commis un
outrage et passé outre au Parlement.
Journaliste
:
…Mme Maltais, sur le rapport du Commissaire à l'éthique et à la
déontologie qui a été déposé hier en catastrophe par le commissaire?
Mme
Maltais
: Tout ce que je vous dirai là-dessus,
c'est que je suis très contente que le commissaire ait finalement déposé son
rapport, et
deuxièmement il va y avoir… oui, il va y avoir une commission parlementaire qui va se tenir parce que, s'il y a
un dépôt de rapport, il devrait y avoir une commission parlementaire. À ce moment-là, on verra les
commentaires des élus.
Journaliste
:
Concernant le remaniement ministériel annoncé…
Mme
Maltais
: Au revoir. Merci beaucoup de votre
attention.
Des voix
:
Merci.
(Fin à 13 h 11)