(Douze heures trente minutes)
M. Villeneuve
: Alors,
bonjour, tout le monde. Bonjour, messieurs les journalistes. Heureux d'être
avec vous en cette belle matinée d'hiver qui va bientôt se terminer, on
l'espère tous.
En octobre dernier, j'avais demandé aux
membres de la commission parlementaire de se pencher sur le phénomène de
l'accaparement des terres agricoles au Québec. Depuis quelques années,
l'accaparement des terres inquiète beaucoup le monde agricole, notamment les
jeunes agriculteurs de la relève. Des fonds comme Pangea, Agriterra ou
Partenaires agricoles achètent des terres dans plusieurs régions du Québec, et
les agriculteurs s'inquiètent que ces terres ne soient plus disponibles pour la
relève en plus de la hausse sur la valeur des terres qui est créée. On n'a pas
de données complètes sur ce phénomène. On sait qu'il s'accélère, mais il faut
savoir quelle est son ampleur exactement.
Alors, je suis heureux que les membres de
la commission aient accepté ma demande de se pencher sur l'accaparement des
terres. Nous entendrons, aujourd'hui et demain, 18 groupes ou individus nous
donner leur point de vue sur le sujet.
Nous, au Parti québécois, nous sommes en
mode écoute, nous sommes là pour trouver des solutions. On espère que les
libéraux et la CAQ seront eux aussi ouverts, et j'espère aussi, bien sûr, que
le ministre, M. Pierre Paradis, écoutera la commission pour pouvoir justement
s'assurer d'avoir toute l'information qui en découlera. Voilà. Merci. Est-ce
qu'il y a des gens qui ont des questions?
M. Caron (Régys)
: La
loi n° 46 a été adoptée sous votre gouvernement, justement, pour tenter de
juguler ce phénomène-là. Est-ce que ça veut dire que la loi est inopérante,
elle n'a pas d'effet?
M. Villeneuve
: Bien,
il y a deux choses. La loi n° 46, c'est la loi sur les personnes
étrangères qui veulent acquérir des terres au Québec. C'est bien encadré, la
loi est bien faite, et je pense qu'elle fait bien son travail. Par ailleurs,
ici, on parle de fonds d'investissement privés, donc des fonds d'investissement
privés qui sont propriété de Québécois, de Québécoises. Alors, c'est deux
choses distinctes, il faut faire vraiment une distinction entre les deux. On ne
parle pas ici d'un problème qui viendrait, là, de pays étrangers, mais on parle
d'un phénomène qui se déroule ici, au Québec, donc par des fonds
d'investissement privés au Québec.
M. Caron (Régys)
: Mais
là vous avez mis en garde, à l'époque de la commission parlementaire, sur ce
phénomène-là. Il y avait des fonds privés québécois qui convoitaient les terres
agricoles. Alors, est-ce à dire que la loi rate la cible partiellement?
M. Villeneuve
: Bien,
la loi ne rate pas la cible. Elle fait ce qu'elle doit faire dans un contexte
international, mais...
M. Caron (Régys)
: Mais
pourquoi ne pas avoir légiféré pour...
M. Villeneuve
: Bien,
un pas... moi, je vous dirais : Un pas à la fois. Il faut dire aussi, à
l'époque, que, dans l'actualité, c'était très frappant, là, parce qu'on sait
que, sur le plan international, effectivement, la Chine est très, très active
pour l'acquisition de terres, notamment en Afrique. Et, bon, à l'époque, les
gens voyaient en cela une possibilité pour le Québec, ce qui ne fut pas le cas,
remarquez, et la loi n° 46, par ailleurs, fait très bien son travail. On
s'assure finalement que les terres vont rester dans les mains des Québécois.
Ceci étant dit, il faut comprendre aussi
que l'accaparement des terres au Québec est un phénomène qui ne date pas de
plusieurs décennies, là. C'est un phénomène qui est relativement récent, mais
c'est un phénomène qu'on constate, il y a une accélération, une accélération du
phénomène, donc… et qui dit accélération du phénomène dit, bien, il faut que
l'État soit en mesure de mesurer cette accélération-là. Et, s'il y a des
mesures prophylactiques à prendre pour justement s'assurer de contrer des
effets négatifs de ce phénomène-là, bien, faisons-le et donnons-nous en même
temps aussi, bien sûr, une stratégie, que l'État québécois se donne une
stratégie prospective pour s'assurer de la suite des choses dans l'avenir.
M. Dutrisac (Robert)
:
Bien, pourquoi on ne connaît pas l'ampleur? Pourquoi l'État n'a pas d'idée sur
l'ampleur du phénomène?
M. Villeneuve
: Bien, écoutez,
nous, on a… lorsqu'on a rencontré la Commission de la protection du territoire
agricole, lors d'un audit ici, à l'Assemblée nationale, c'est la question que
j'ai posée à la présidente de la Commission de la protection du territoire
agricole du Québec, et je lui ai demandé si la commission avait l'expertise,
avait les moyens, avait tout ce qu'il fallait, finalement, pour relever ce
défi-là et s'assurer de tenir un registre de l'ensemble des transactions. Parce
que là ce que le ministre Paradis dit publiquement, c'est : Appelez-moi…
donc du bouche à oreille, je m'excuse, mais là ça va prendre un peu plus de
rigueur que ça pour arriver à des résultats, là, scientifiques et rigoureux,
là. Donc, ça prend un registre pour s'assurer de qui prend possession des
terres, qui achète les terres, qui en est les propriétaires en bout de ligne.
Et ça, donc, la question a été posée à la commission, et la présidente m'a assuré,
a assuré les membres de la commission sur l'agriculture qu'elle avait
l'expertise pour le faire, mais que ça prendrait des ressources et qu'elle n'a
pas le mandat présentement, mais que, si le ministre lui donnait le mandat,
qu'ils étaient, eux… ils avaient les moyens de faire ça, c'était
dans leurs, excusez l'expression, dans leurs cordes de le faire.
M. Caron (Régys)
: Est-ce
que vous souhaitez que le gouvernement empêche l'acquisition de terres à
d'autres fins qu'agricoles par des spéculateurs, des banques, par exemple, parce
que les terres prennent de la valeur? Est-ce que c'est ça que vous visez exactement?
M. Villeneuve
: Moi, ce
que je vise, là, c'est qu'on a présentement un modèle au Québec, hein, un
modèle d'agriculteur propriétaire, et je pense que là-dessus il y a un
consensus que, ce modèle-là, il va bien, et que les gens, en tout cas, à tout
le moins, considèrent qu'on doit le préserver. Maintenant, quand on voit le phénomène
d'accaparement des terres agricoles, est-ce que ce phénomène-là d'accaparement
des terres agricoles par des fonds d'investissement privés vient menacer ce
modèle-là?
Alors, moi, tout ce que je dis, là, c'est qu'il
faut le mesurer, le phénomène. Il faut le mesurer. Quand on l'aura mesuré,
quand on aura l'ensemble des données, on fera une analyse correcte, une analyse
pointue, rigoureuse, et là on pourra, avec le monde agricole, mais aussi avec
la société québécoise, se donner une stratégie. Qu'est-ce qu'on veut pour le Québec?
Je pense que c'est une question légitime, puis que les Québécois ont le droit
d'avoir l'information pour être en mesure de prendre des bonnes décisions pour
l'avenir.
M. Dutrisac (Robert)
:
Qu'est-ce que vous pensez de la réaction du ministre au phénomène, le ministre
Pierre Paradis? Est-ce que…
M. Villeneuve
: Bien,
je vais vous répondre très simplement, quand je lui ai posé la question et que
j'ai eu la réponse, à savoir — d'ailleurs, il avait donné la réponse
à la journaliste — que lui n'agirait qu'en cas de catastrophe, bien, écoutez,
moi, je pense que, lorsqu'on est à la tête d'un ministère, lorsqu'on est à la
tête d'un gouvernement, on n'attend pas que la catastrophe annoncée se
produise, on s'assure qu'on va prendre des mesures pour éviter une catastrophe.
Et c'est la raison pour laquelle, à ce moment-là, m'est venu à l'idée de
demander à la commission sur l'agriculture, au nom de mon parti politique, que
la commission se donne un mandat d'initiative sur le phénomène, et la
commission a accepté, et je pense que ça va permettre, justement, d'éclaircir
toutes les zones d'ombre qu'il y a présentement.
Vous savez, CIRANO a fait une étude et,
dans l'étude de CIRANO, si vous prenez le temps de la lire, eux-mêmes disent
qu'ils n'ont pas les éléments nécessaires pour tirer des conclusions claires. Alors,
ils ne sont pas capables de dire : Est-ce que le phénomène qui s'accélère,
mais il s'accélère à quelle vitesse? Est-ce qu'il s'accélère de un à deux, sur
une année ou sur deux ans, ou de deux à quatre l'année d'après? On ne le sait
pas. Alors, il faut avoir ces données-là, c'est fondamental pour la suite des
choses.
M. Caron (Régys)
: Qu'est-ce
que vous craignez dans ce phénomène-là?
M. Villeneuve
: Moi, je
crains qu'on se retrouve avec un modèle qui n'aura pas été voulu par la société
québécoise, par le monde agricole, par la population du Québec, et ça, pour
moi, c'est inacceptable. On doit aller chercher l'information. L'État a un rôle
à jouer pour s'assurer que la population du Québec prendra des décisions qui
s'imposent. Vous savez, il y a des États à travers le monde qui ont des
règlements en place, mais ils ont mesuré le phénomène. Je pense à la France
notamment. Ils ont mesuré le phénomène, ils savent à quoi s'en tenir parce
qu'ils ont des règlements qui viennent cadrer tout ça.
Ici, présentement, bon, on a quelques
outils, mais force est de constater qu'il va falloir regarder s'il n'y a pas
lieu de se donner des outils supplémentaires pour que le modèle qui va sortir
au final, là, hein, les résultats, là, que ça va donner, là, bien, il faut
s'assurer que les Québécois auront pris des décisions qui feront en sorte que
ça sera selon leurs aspirations, ce qui va se produire par la suite.
M. Dutrisac (Robert)
:
Ces terres-là sont exploitées, à l'heure actuelle, pour la plupart? C'est des
terres…
M. Villeneuve
: Moi, je
vous dis, il faut mesurer tout ça, il faut… On ne sait pas à qui, on ne sait
pas qui les a achetées, on ne sait pas combien ils en ont. Il y a moult
questions auxquelles on n'a pas les réponses, et c'est ce à quoi, j'espère,
puis j'en suis convaincu, dans le fond, que la commission va pouvoir se pencher
aujourd'hui et demain. On va rencontrer l'ensemble des intervenants, en tout
cas, on pense avoir fait pas mal le tour. De toute façon, il y a toujours possibilité
pour les intervenants qui voudraient se manifester de déposer un mémoire à la commission,
mais je pense qu'avec le tour d'horizon qu'on va faire aujourd'hui et demain, ça
va nous permettre, au final, de pouvoir aller plus loin et de s'assurer qu'on
aura tout ce qu'il faut en main comme société pour assurer la suite des choses.
M. Corbeil (Michel)
:
Le ministre et CIRANO semblent dire que c'est un phénomène qui est marginal. L'UPA
a des chiffres, et c'est à peu près 2 %.
M. Villeneuve
: Oui.
Bon, écoutez bien, vous me dites : C'est un phénomène marginal. C'est sûr
que, si la moitié des terres appartenaient à des fonds privés au Québec, on le
saurait, hein? Si la moitié des terres... on le saurait. Ce qu'on ne sait pas,
c'est le chiffre exact du marginal.
Mais, ceci étant dit, c'est clair qu'on ne
parle pas de 25 %. Mais, ceci étant dit, maintenant, ce qu'il faut
s'assurer, c'est de savoir à quelle vitesse le phénomène croît. Alors, l'étude
de CIRANO date de 2012, ils ont fait ça sur quatre mois. Alors, il date de
2012, sur quatre mois, on est en 2015. Depuis ce temps-là, il y a d'autres
fonds qui se sont ajoutés par rapport à l'étude de CIRANO. Parce que
CIRANO, à l'époque, avait demandé la collaboration de certains représentants de
fonds, mais, depuis ce temps-là, il y a d'autres fonds qui se sont ajoutés.
Alors, le phénomène, présentement, il prend de l'ampleur puis il ne faut pas se
surprendre, là. Vous savez qu'on perd environ 30 millions d'hectares de
terres cultivées sur la planète, annuellement, selon l'ONU, hein?
20 millions partent en urbanisation puis 10 millions partent soit en
appauvrissement des sols ou en érosion des sols. C'est énorme. Et là la
population mondiale augmente, et là vous avez une diminution des terres.
Alors, que les terres du Québec soient
convoitées... je pense que CIRANO l'a dit aussi, oui, elles sont convoitées, et
CIRANO rajoute que les fonds d'investissement privés sont agressifs. Alors, il
y a des raisons à tout ça, là, hein? On a des belles terres, on a une paix
sociale intéressante, on a un système politique intéressant, alors il y a… Pour
les investisseurs, c'est un endroit intéressant, le Québec, et, en plus, on a
des belles terres, on a de l'eau en quantité et on a de l'eau de qualité, et
ça... et, avec les changements climatiques, certains experts nous disent qu'il
y aura une amélioration des températures. Donc, tout ça fait en sorte que nos
terres, effectivement, seront... Elles sont convoitées, et maintenant à nous de
décider, comme société, qu'est-ce qu'on veut pour l'avenir, pour l'avenir du
Québec.
M. Dutrisac (Robert)
:
Est-ce que ça pourrait mener à une expropriation de ces terres-là, un retour de
ces terres-là aux agriculteurs propriétaires?
M. Villeneuve
:
Précisez-moi votre question, monsieur.
M. Dutrisac (Robert)
:
Est-ce qu'on pourrait exproprier les terres?
M. Villeneuve
: Bien,
écoutez, moi, je ne suis pas là. J'ai été maire pendant neuf ans et je peux
vous dire une chose : la pire chose qu'un maire ou une mairesse peut faire
dans son mandat, c'est bien de l'expropriation parce que ce n'est jamais
très...
Mais, regardez, moi, là, je suis en mode
écoute, aujourd'hui et demain, je suis en mode écoute. Moi, je veux entendre
les propositions des représentants des groupes qui vont venir nous voir, puis
ce ne sera ni noir ni blanc, j'en suis convaincu. On a vu les mémoires déjà et
on sait que c'est assez diamétralement opposé. Mais voyons voir comment on
passe... on trouve la ligne de passage, justement, pour s'assurer de prendre
les bonnes décisions, comme État québécois, pour la suite des choses.
M. Corbeil (Michel)
:
Le portrait de l'ONU ne semble pas s'appliquer au Québec, étant donné qu'il y a
une loi de protection du territoire agricole.
M. Villeneuve
: Qu'est-ce
qui ne semble pas s'appliquer? Je m'excuse.
M. Corbeil (Michel)
:
Le portrait global que vous avez dit, de revenus ne semble pas s'appliquer au
Québec.
M. Villeneuve
: Bien,
l'érosion et l'appauvrissement des sols, au niveau de l'érosion, je comprends,
oui, je suis d'accord avec vous, c'est un autre monde. Mais il n'en demeure pas
moins que la...
M. Corbeil (Michel)
:
...du territoire agricole...
M. Villeneuve
: Qu'est-ce
qui ne semble pas s'appliquer? Je m'excuse.
M. Corbeil (Michel)
:
Le portrait global que vous avez dit, de l'ONU, ne semble pas s'appliquer au
Québec.
M. Villeneuve
: Bien,
l'érosion et l'appauvrissement des sols... Au niveau de l'érosion, je
comprends, oui, je suis d'accord avec vous, c'est un autre monde, mais il n'en
demeure pas moins que la planète est finie, on s'entend là-dessus, hein? La
planète, elle est finie. Et, quand vous perdez 30 millions d'hectares de
terre cultivable sur la planète, bien, ils ne reviennent pas. Elles ne
reviennent pas, ces terres-là, et la population mondiale augmente.
Regardez, on n'est pas là. Je comprends
qu'on n'est pas là, ce n'est pas un scénario, mais ce sont tous... ce sont des
éléments qui, dans l'équation, trouvent leur place aussi, là, sans être
alarmiste, parce que là, regardez, je ne suis pas en train de vous dire, là,
que le Québec est en péril, là. Ce n'est pas ça que je vous dis. Ce que je vous
dis, c'est que le modèle qu'on a présentement, sur lequel... le modèle qui fait
consensus, soit dit en passant, ce modèle-là, est-ce qu'il sera affecté par le
phénomène de l'accaparement des terres? Bien, c'est un peu la question à laquelle
les gens de la commission devront répondre éventuellement, et, si c'est le cas,
bien, donnons-nous des outils pour pouvoir, justement, choisir le modèle que
nous, comme société, on aura décidé de choisir.
M. Corbeil (Michel)
:
Les ministres s'entendent que le portrait de l'UPA est alarmiste, il revenait
sur l'exemple des Chinois. Il disait : On a passé une loi pour empêcher
les Chinois d'acheter des terres. On les cherche encore, les Chinois.
M. Villeneuve
: Je suis
d'accord avec lui pour ce qui est de... le péril de la Chine, ce n'est pas un
péril qui s'est avéré, ça, je suis d'accord avec lui. Par ailleurs, on ne peut
pas non plus faire l'autruche et penser que ce qui se produit présentement sur
le terrain actuellement au Québec… et je le répète, ce n'est pas les Chinois
qui sont en cause, et je ne le dis pas de façon non plus péjorative, mais il y
a un phénomène qui se produit actuellement, qui s'accélère, et c'est
l'accaparement des terres par des fonds d'investissement privés.
Alors, un coup qu'on sait ça, qu'est-ce
qu'on fait? On laisse aller puis on ne bouge pas? Bien, moi, je ne suis pas
d'accord. Moi, je pense que l'État a un rôle important à jouer et il doit le
jouer. Voilà.
M. Corbeil (Michel)
:
Savez-vous où loge le ministre dans tout ça? Parce que le ministre n'a pas...
M. Villeneuve
: Ah!
Bien là, je vais lui rendre la pareille. M. le ministre. L'autre jour,
quelqu'un lui a posé une question à savoir où est-ce que monsieur loge, il a
dit : Vous demanderez à M. Villeneuve. Alors, vous demanderez à M. le
ministre. Merci beaucoup. C'est très gentil.
(Fin à 12 h 44)