(Neuf heures quarante et une minutes)
M. Khadir
: Bonjour, tout
le monde. Nous allons rentrer en commission parlementaire tout à l'heure, où le
ministre et nous, les députés, nous allons entendre plusieurs intervenants
venir nous présenter des solutions, mais je pense que M. Barrette et le Québec
se trouveraient gagnants à écouter, écouter les gens du milieu, ceux qui
travaillent sur le terrain, ceux qui ont l'expérience de la pratique de la
première ligne, contrairement au ministre Barrette, et qui ont des solutions et
qui les mettent en application.
Je pense à cette initiative de la
Fédération des infirmières du Québec, qui organise une première ligne axée non
pas sur les médecins, mais sur une réorganisation des soins, où tout le monde a
sa place, et les infirmières jouent un rôle pivot; solution d'ailleurs qui
n'est pas une invention. Ce n'est pas un miracle, c'est le genre de pratique
qu'au Canada plusieurs milieux ont mis en application depuis maintenant près de
10 ans.
J'attire votre attention encore une fois sur
l'expérience de la Colombie-Britannique, où on ne fonctionne pas par quotas, où
on ne fonctionne pas par statistiques, où on ne fonctionne pas par des mesures
imposées d'en haut et on ne fonctionne certainement pas à une réorganisation
des soins axée uniquement sur la productivité des médecins, mais sur la
réorganisation où une équipe multidisciplinaire, avec des pouvoirs étendus des
infirmières, des intervenants, qui ont un pouvoir de prescription, s'occupent
des patients en première ligne, et ça semble très bien fonctionner d'ailleurs
pour l'expérience de la FIQ.
D'ailleurs, pour parler des statistiques,
l'APTS, l'association des professionnels en technologie de la santé au Québec,
a, je pense, montré de manière éloquente, dans l'enquête qu'ils ont menée
auprès des CLSC, que l'introduction des statistiques et des quotas entraînent
des anomalies importantes qui vont produire des effets pervers. D'ailleurs, ça
doit faire sourire Dr Barrette, qui reconnaissait, il y a quelque temps… qui
encourageait les spécialistes à répondre positivement, de manière enthousiaste
qu'il disait, au sondage qui a été fait sur ce qu'ils font de leurs heures,
hein? Vous vous rappelez ce débat sur les sondages que, lui, il prétendait erronés
dans le cas des médecins omnipraticiens.
Alors, cette pression, cette manière de
mesurer la qualité des soins en minutant, en imposant des quotas, entraîne les
absurdités que nous apprenons aujourd'hui dans Le Devoir, c'est-à-dire
des intervenants en santé qui sont obligés de téléphoner deux jours consécutifs
au lieu de faire les mêmes téléphones pour les régler, les problèmes d'un
patient, parce que, pour gonfler des statistiques, les directions des
établissements… Et ce n'est pas leur faute, parce qu'on met de la pression,
parce que le ministère, lui, met une pression à la productivité par statistiques.
Bien, ils sont entraînés à gonfler des statistiques de manière aussi, je
dirais, révoltante, parce qu'après tout, tout ça, c'est au détriment de qui? C'est
au détriment des patients.
Alors, merci de votre attention. Nous
allons rappeler au ministre l'importance de mettre de côté son projet de loi
n° 20, comme à peu près tout le monde le demande au Québec aujourd'hui. J'ai
rencontré moi-même plusieurs médecins au début de la semaine dernière,
plusieurs médecins venant de différents secteurs pour réfléchir à des
solutions. Tout le monde est en mode solution, mode solution qui repose sur la
réorganisation des soins, une première ligne axée sur la multidisciplinarité et
non pas sur le médecin. Et, pour ça, parce qu'il n'y a rien de tout ça dans le
projet de loi du ministre de la Santé, il faut qu'il accepte qu'il a fait une
erreur. Et, je pense, ça va être à son honneur de démontrer qu'il est capable
d'écoute, que ce n'est pas le matamore, l'image qu'il projette actuellement.
Merci.
M. Bovet (Sébastien)
:
Si ça fonctionne si bien, la clinique comme celle de Saint-Sauveur, là, où les
infirmières font de la première ligne et réfèrent très peu de patients à des
médecins, pourquoi on ne l'applique pas ailleurs? Qu'est-ce qui bloque dans le
système?
M. Khadir
: Bien,
c'est parce que personne n'en a voulu puis parce que les responsables des
différentes réformes, au cours des 15 dernières années, s'appelaient
M. Barrette, M. Bolduc, M. Couillard et, pour peu de temps,
M. Réjean Hébert, et ce sont tous des médecins à l'écoute des lobbys très
puissants du milieu médical et non pas des infirmières, non pas des médecins
qui travaillent à la première ligne dans les CLSC.
Ça fait des années que, par exemple, les
Médecins québécois pour le régime public proposent ceci. Moi-même, dans le
document qu'on a présenté en 2006 à la commission de la santé, ici, comme
médecin venant pour Québec solidaire, nous proposions de regarder l'expérience
de la Colombie-Britannique, l'expérience de plusieurs cliniques en Ontario, où
on axait les soins sur la première ligne. Et vous savez quoi? La réalité, c'est
que les CLSC… si les CLSC n'avaient pas été abandonnés par l'establishment
médical et les différents ministres de la Santé… c'est ça, en réalité, sauf
qu'on les a sous-financés et on n'a pas pris les mesures pour s'assurer que
cette multidisciplinarité était bien organisée, bien structurée avec le reste
de la santé.
Donc, pour une fois, je crois, maintenant
qu'on voit à quel point les décisions appliquées d'en haut, pour des raisons politiques
ou à cause des manoeuvres de certains milieux, causent des dégâts dans le
système, et déstructurent, et nous retardent, bien, qu'on soit à l'écoute. Les
infirmières viennent de faire une proposition, des associations de médecins
soucieux d'améliorer le système public le font depuis de nombreuses années, il
faut de l'écoute, il faut qu'un ministre soit assez humble pour accepter qu'il
n'a pas toutes les solutions et qu'il doit travailler en collégialité.
M. Bovet (Sébastien)
:
Ce n'est pas compris dans le projet de loi n° 20, c'est-à-dire la…
M. Khadir
: Il n'y a
rien de tout ça dans le projet de loi n° 20. C'est malheureux, il n'y a
rien de tout ça, et le ministre pense avoir les solutions à tout.
M. Gagnon (Marc-André) : Le
ministre a déjà dit qu'il a besoin de son projet de loi n° 20, après le projet
de loi n° 10, pour compléter sa réforme. Qu'est-ce qui pourrait le pousser
à reculer sur le projet de loi n° 20? Parce que je comprends que c'est ça
que vous demandez aujourd'hui.
M. Khadir
: La raison.
La bienveillance, la raison, une réelle détermination à améliorer le système et
non pas à imposer ses points de vue, de se rendre compte que les principaux
dirigeants du milieu de la santé, dont lui-même en était un, parce qu'après
tout si, pendant toutes ces années, on n'a pas fait de réforme, c'est pourquoi?
C'est parce qu'il y avait des fédérations médicales — ça s'appelle la
FMSQ et la FMOQ, qui, je vous le rappelle, représentent l'establishment du
corps médical, pas les médecins en première ligne — ont empêché le
système d'opérer les changements souhaités.
M. Gagnon (Marc-André) : Ce n'est
pas l'amour, en ce moment, entre les fédérations de médecins et le ministre. En
tout cas, ce n'est pas ce qu'on...
M. Khadir
: Bien oui.
Bien, alors, je lui propose d'oublier les fédérations. Je ne suis pas contre
les fédérations, mais ils font partie du problème et ils sont conscients
aujourd'hui que, pendant des années, ils n'ont pas... elles n'ont pas contribué
de manière adéquate à améliorer le système. Je pense que les fédérations... Moi,
j'entends la présidente de la Fédération des médecins spécialistes, j'entends
M. Godin qui font acte de contrition, si vous lisez entre les lignes,
reconnaissent qu'ils ont surtout milité toutes ces années pour augmenter le
salaire de médecins, pas pour améliorer l'accessibilité, et sont maintenant
prêts à passer à l'attaque.
Mais je vous indique qu'ils ne peuvent
pas... qu'elles ne peuvent pas être les seules consultées, qu'il faut consulter
les gens qui travaillent en première ligne. Ça s'appelle les infirmières, ça
s'appelle les travailleuses sociales, ça s'appelle les pharmaciennes, ça
s'appelle les médecins qui ne sont pas dans les structures de fédérations
médicales corporatistes, qui ont d'autres choses à l'agenda que d'augmenter les
revenus.
M. Gagnon (Marc-André) :
Peut-être sur un autre sujet, j'aimerais vous entendre sur les manifestations
étudiantes qui ont eu lieu hier. Est-ce qu'on est devant quelque chose qui
pourrait commencer à ressembler au printemps 2012?
M. Khadir
: Tout le
monde le souhaite. Est-ce que ce sera possible? Nous...
Journaliste
: Vous le
souhaitez?
M. Khadir
: Mais bien
sûr. Pas dans le... évidemment, dans un sens, c'est-à-dire la vraie présence de
la population dans les rues pour que le gouvernement entende la volonté de la
population. Évidemment, je ne voudrais pas que ça vire comme certains
événements qu'on a vus en 2012 à cause de l'intervention lourde, irréfléchie,
provocatrice de la police et l'incompétence du pouvoir public, que ce soit le
maire alors de la ville de Montréal, Gérald Tremblay, la direction de la police
ou le gouvernement libéral, l'incompétence politique et sociale de transformer
un dialogue et un débat de société en affrontement avec la jeunesse.
Les étudiants ne sortent pas pour leur
intérêt individuel, contrairement à plusieurs ministres ici, à l'Assemblée
nationale. Les étudiants font des actions contre l'austérité, comme des
millions de gens en Europe, dans différents pays, qui en ont assez de voir des
politiques imposées par les banques et les milieux d'affaires sur le dos des
citoyens. Et c'est la même chose qui se passe ici. La vision de l'austérité du gouvernement
actuel au Québec vient d'où? De banquiers et de gens du milieu des affaires,
alors qu'il y a d'autres solutions pour balancer le budget, pour régler les finances
publiques. Ces solutions s'appellent de bons revenus pour l'État, la contribution
des plus riches, la lutte à l'évasion fiscale, que tout le monde fasse sa juste
part, un impôt plus juste et équitablement distribué, ce genre de solutions là.
Alors, c'est un débat, les gens vont
sortir, les syndicats, des groupes populaires vont y joindre. Je ne sais pas
quelle ampleur ça va prendre, mais ce qui est certain, il faut que la direction
de la SPVM arrête de provoquer, arrête de dilapider l'argent public avec des
démonstrations de force inutiles qui tournent des manifestations paisibles en
véritables affrontements de rue. Après tout, qu'est-ce que faisaient les
étudiants hier, là? Ils manifestaient devant SNC-Lavalin, entreprise plus que
doutable sur le plan de ses pratiques d'affaires qui ont coûté des centaines de
millions de dollars de surfacturation dans les contrats qu'ils ont eus depuis
des années à cause de ce qu'on sait maintenant, à cause des pots-de-vin. C'est
parce que c'est ce symbole de dérive affairiste qui a gouvernée le Québec que
les étudiants sont allés manifester là-bas. Et là la police qui est intervenue
avec une lourdeur qui est inadmissible, qui ne sert à rien, qui ne fait
qu'envenimer les choses, jeter de l'huile sur le feu, on n'a pas besoin de ça.
On a besoin de voir un gouvernement à l'écoute de sa population.
M. Gagnon (Marc-André) : …les
étudiants aussi qui cherchent à provoquer les forces policières?
M. Khadir
: Il y en a
sans doute, peut-être, mais ils sont une infime minorité, et on serait vraiment
incompétent, comme pouvoir public, si, à cause de quelques-uns, on transforme
un débat de société en guerre dans les rues. Ça, c'est de l'incompétence.
M. Bovet (Sébastien)
:
Pourquoi les étudiants doivent-ils descendre dans la rue en tant
qu'associations étudiantes et pas en tant que simples citoyens? Pourquoi ce
mouvement contre l'austérité, aussi légitime puisse-t-il être, doit s'incarner
par le boycott ou la grève, la grève dans des salles de cours? Pourquoi ces
gens-là, qui veulent contrer l'austérité, ne pourraient-ils pas descendre dans la
rue simplement en tant que simples citoyens?
M. Khadir
: Ils le
font. Ils l'ont fait, par exemple, pour appuyer les policiers, et les cols
bleus, et les pompiers lorsqu'ils sont sortis pour protester contre…
M. Bovet (Sébastien)
:
Mais il n'est pas…
M. Khadir
: Je
comprends, j'y arrive. Pour protester contre le sort qu'on voulait faire à
leurs caisses de retraite. Ils ont été solidaires de ces mêmes policiers qui
leur tapent dessus aujourd'hui. Je veux leur rappeler. Ils le font, parce
qu'aussi loin que je puisse me souvenir, mon cher monsieur, aussi loin que je
puisse me souvenir — j'ai un blanc de mémoire, je m'excuse…
M. Bovet (Sébastien)
:
Ce n'est pas grave.
M. Khadir
: …les
étudiants dans tous les pays ont été à l'origine des transformations les plus
prometteuses, qui font aujourd'hui que nos sociétés sont des sociétés
démocratiques, qui sont des sociétés plus justes, qui sont des sociétés qui
sont capables de surmonter les obscurantistes du passé, parce que c'est des
gens qui fréquentent les universités, parce qu'ils sont les mieux éduqués
d'entre nous, ils ont moins d'attache, ils sont moins conformistes encore dans
leur confort, ils sont capables de lucidité et parce que c'est l'avenir qui les
concerne.
Alors, ils prennent la rue pour nous
appeler, pour nous donner le goût d'embarquer dans un débat et dans des
transformations. Et je pense que, comme société, on doit se réjouir que nos
étudiants soient aussi mobilisés. Je veux dire, pour le Québec, c'est une bonne
nouvelle de ne pas avoir des étudiants apathiques qui pensent juste uniquement
à leur nombril et qui sont juste soucieux, comme certains affairistes ici, au
pouvoir, de leur carrière personnelle, qui pensent au bien commun. Il me semble
que les parlementaires que nous sommes ici, on devrait un peu s'inspirer des
étudiants, qui sont soucieux du bien commun.
M. Gagnon (Marc-André) :
M. Couillard, lui, croit que les étudiants qui souhaitent assister à leurs
cours devraient pouvoir le faire. Est-ce que vous êtes du même avis?
M. Khadir
: Ce n'est
pas à M. Couillard de déterminer la démocratie étudiante. C'est des débats
de société que nous avons eus depuis il y a déjà 40 ans. Si
M. Couillard dit vrai quand il dit s'inspirer de Claude Ryan, Claude Ryan
tenait beaucoup à l'autonomie, à l'indépendance, à la totale liberté du
mouvement étudiant. C'est un véritable intellectuel libéral, M. Ryan.
Alors, si M. Couillard… s'il est vrai, comme il le prétend, qu'il s'inspire
de M. Ryan, bien, je l'invite à le relire.
M. Bovet (Sébastien)
:
Les votes sont-ils légitimes, les votes de grève, d'après vous?
M. Khadir
: Les votes
de grève m'apparaissent légitimes. Écoutez, je ne suis pas dans le détail de
tout ça, mais je ne connais pas, je ne connais pas, dans la société québécoise,
de milieu plus démocratique, animé des valeurs démocratiques profondes, pas
formelles, pas institutionnelles, pas de façade comme souvent on le voit dans
certains C.A. de grands consortiums, de grandes corporations, ou dans le milieu
des affaires, ou même à l'Assemblée, mais une véritable démocratie haletante,
vibrante, où il y a des débats et il y a des décisions qui sont prises. Je n'en
connais pas. Je vous mets au défi de me trouver d'autres milieux dans lesquels
on pratique ce genre de débat ouvert, où on n'a pas peur d'énoncer les choses
telles qu'elles sont, d'inviter le plus grand nombre à participer directement.
C'est ça, la démocratie. Il faut qu'on sorte un peu de nos habitudes, nos conforts,
nos passéismes.
M. Bovet (Sébastien)
:
Une dernière question : Est-ce que vos bottines vont suivre vos babines?
Est-ce que vous allez descendre dans la rue avec les étudiants?
M. Khadir
: Québec
solidaire est un parti qui, dès sa naissance, s'est engagé à accompagner les
mouvements populaires dans la rue, parce que nos démocraties en Occident,
depuis 30 ans, sont en manque d'oxygène. Il y a une érosion de la capacité
des gens d'influer sur le pouvoir public. Beaucoup de formations politiques
sont financées directement par des milieux des affaires qui contrôlent l'agenda
des gouvernements, de sorte que, de plus en plus de gens, de citoyens, dans
différents milieux : éducation, santé, garderies, etc., sont… les citoyens
de nos régions sont obligés de manifester pour se faire entendre, et, pour nous,
c'est une voie démocratique. La véritable souveraineté démocratique appartient
aux gens, et, comme les pouvoirs publics ne veulent pas les écouter, ont des
agendas qui sont déterminés par une clique, une petite minorité dominante qui
leur dicte la conduite, bien, c'est une fonction essentielle pour nous
d'accompagner les régions, les citoyens des vallées du Saint-Laurent qui sont
confrontés à toutes sortes de projets d'exploitation, les étudiants qui se font
couper, les infirmières qui se font couper, les milieux de… de les accompagner
dans les contestations. J'espère qu'un jour on n'aura plus besoin de ça, que
les députés, que les gouvernements seront sensibles aux besoins de la
population puis qu'on n'aura pas besoin de ça.
Journaliste
: …
M. Khadir
: Bien sûr.
Ah oui! bien sûr, ça va…
M. Bovet (Sébastien)
:
Accompagner, ça se décline de plusieurs façons, là, mais accompagner
physiquement, dans la rue, peut-être casserole à la main pour manifester?
M. Khadir
: Bien, on
l'a toujours fait. Ça va tellement de soi pour Québec solidaire, c'est dans
notre ADN. On aimerait mieux que ça ne soit pas nécessaire et, s'il y avait des
partis au pouvoir qui étaient moins financés par l'élite, la petite élite, qui
contrôle leur agenda, on n'en serait pas là. Il y aurait moins d'affrontement
social permanent, il y aurait plus des espaces de dialogue, des forums, du budget
participatif, les gens auraient leur mot à dire dans les grandes orientations.
Ça serait vraiment une démocratie du XXIe siècle, d'avenir. Aujourd'hui, on est
pris.
M. Bovet (Sébastien)
:
Vous serez dans la rue au printemps 2015.
M. Khadir
: Bien sûr,
nous y serons.
Des voix
: Merci.
(Fin à 9 h 59)