(Neuf heures quarante-six minutes)
M. Cloutier
: Alors,
bonjour à vous tous. Je vous remercie d'être présents. Il y a un important
jugement qui a été rendu en début de semaine. La Cour d'appel du Québec a
confirmé un jugement déclaratoire de première instance dans lequel essentiellement
on vient confirmer une brèche dans l'application de la loi 101. La loi 101
prévoit l'affichage en français… l'affichage commercial en français au Québec,
comme vous le savez. Maintenant, il y a une nouvelle brèche qui est créée. Dorénavant,
une entreprise pourra afficher légalement sa marque de commerce en langue
anglaise.
Ce qu'on souhaite donc, c'est que le gouvernement
du Québec intervienne, colmate cette brèche. Le juge de première instance a
invité le législateur à prendre acte de cette faille juridique, de la combler. Maintenant,
le Parti libéral du Québec est au pouvoir, c'est à lui de prendre ses responsabilités.
C'est un jugement qui a été rendu sur le
banc, cinq juges unanimes qui ont confirmé cette décision. C'est donc dire qu'il
y a un vide juridique important, et vous aurez compris que, si rien n'est fait,
dorénavant, une entreprise qui voudra contourner la loi n'aura qu'à enregistrer
sa marque de commerce pour ensuite en faire l'affichage. Et, si rien n'est
fait, tout ça sera dorénavant légal, tel que vient de confirmer la Cour d'appel
du Québec.
M. Kotto
: Et je veux
rappeler ici les propos de M. Couillard lors de son discours inaugural. Il
disait, et je le cite : «La protection et la promotion de la langue française
sont proclamées dans le titre de la ministre de la Culture et des
Communications. Ce sera pour notre gouvernement un devoir quotidien. La langue française
sera toujours sous pression au Québec. Nous serons vigilants quant à sa situation
comme langue commune de l'espace public, signe visible de la vitalité de notre
peuple, et langue de travail.
«Le français — dit-il — c'est
nous, c'est notre manière d'être présents au monde. Ce n'est pas une
contrainte, c'est un atout extraordinaire…» Alors, il a, le premier ministre,
comme devoir quotidien, comme il dit, de veiller à ce que cette langue et la
loi qui la protège soient respectées.
Nous, avant d'être, disons, démis du gouvernement,
nous avions, sous la houlette de Diane De Courcy, déposé le projet de loi
n° 14, et c'était le 5 décembre 2012. C'était un projet de loi qui
prévoyait notamment, donc, plusieurs dispositions pour favoriser le renforcement
de la langue française, plus spécifiquement à Montréal, en matière de langue du
travail, en matière de langue d'affichage, dont il est question aujourd'hui, en
matière de langue de commerce et des affaires en matière de droits
linguistiques fondamentaux.
Et force est de constater que le gouvernement
libéral n'a pas rappelé le projet de loi n° 14. Et souvenez-vous qu'alors
qu'ils étaient encore dans l'opposition ils s'y sont opposés vigoureusement.
Par contre, de notre côté, ce qu'on constate, en immigration par exemple, en
référence au projet de loi que Mme De Courcy avait déposé, Mme Weil a rappelé
le projet de loi. De mémoire, c'était le projet de loi n° 71, projet de
loi qui est à la base de la nouvelle politique d'immigration en gestation au
moment où on se parle.
Donc, ils ont fait ce que doit d'un côté,
mais, de l'autre côté, ils se sont défaits, ils ont tourné le dos au projet de
loi n° 14.
M. Caron (Régys)
: M.
Cloutier, est-ce que vous signifiez, dans ce que vous venez de dire, que ce
jugement-là ouvre la porte à une surmultiplication de l'affichage anglophone?
M. Cloutier
: Bien
évidemment, une entreprise pourra s'incorporer, choisir le nom qu'elle souhaite
et ensuite utiliser cette incorporation en anglais pour l'affichage. C'est pour
ça qu'on parle de faille, de brèche, et c'est pour ça qu'on demande aux
législateurs de corriger la situation. L'esprit de la loi, évidemment, c'est
que l'affichage se fasse en français au Québec, la langue officielle du Québec.
Vous savez qu'il y a des entreprises qui, de
bonne foi, ont traduit leurs marques de commerce, ont appliqué la loi ou l'esprit
de la loi. Il y en a d'autres qui ont souhaité plutôt publier la marque de
commerce. Alors, ce qu'on souhaite, c'est que dorénavant on puisse ajuster la
loi en fonction de la réalité économique mondiale. C'est qu'il y a de plus en
plus d'entreprises…
M. Ouellet (Martin)
:
Mais, M. Cloutier, est-ce que ça signifie… Est-ce que vous parlez ici du
descriptif en français des produits ou de la marque comme telle?
M. Cloutier
: C'est la
marque de commerce, en fait, qui peut être traduite, il peut y avoir un
descriptif en bas. C'est des façons de…
M. Ouellet (Martin)
:
Non, mais qu'est-ce que la loi devrait… qu'est-ce que…
Journaliste
: …
M. Ouellet (Martin)
:
C'est ça, quelles sont les dispositions qui devraient s'appliquer dans ce
cas-là? C'est-à-dire que la marque est en anglais, et il faudrait les forcer à
la traduire en français?
M. Cloutier
: Ça prend
une déclinaison française. Il y a différents exemples puis il y a différents
modèles qui sont applicables. Les cafés Starbucks, par exemple, on écrit «les
cafés Starbucks».
M. Ouellet (Martin)
:
Mais c'est un descriptif…
Journaliste
: Un
descriptif, ce n'est pas la marque…
M. Cloutier
: C'est un
descriptif.
M. Dutrisac (Robert)
:
…ce serait… Par exemple, GAP devrait s'appeler Écart, puis Guess devrait
s'appeler Deviner.
M. Cloutier
: C'est un
descriptif, donc… C'est un descriptif en français, puis, pour y arriver, il y a
différents moyens. Mais ça peut être aussi la marque de commerce, comme Staples
ou… qui s'est traduit en français par Bureau en Gros. C'est d'autres moyens
pour y arriver. Alors, ça peut être les deux.
M. Laforest (Alain)
:
Est-ce que les tribunaux viennent d'affaiblir la loi 101?
M. Cloutier
: Bien,
c'est évident que c'est une brèche qui vient d'être créée dans la loi. La
brèche, elle est législative, alors c'est aux législateurs de la corriger. Maintenant,
c'est un jugement unanime, puis de cinq juges, rendu sur le banc. Le message
est très clair aux législateurs québécois : Si vous voulez que ça change,
agissez sur le plan législatif. On a une ministre responsable de la langue française,
on a un premier ministre qui dit qu'il veut défendre la langue française, il a
l'occasion d'agir.
M. Boivin (Simon)
: …est-ce
que les Québécois devraient bouder les chaînes qui, de bon gré, ne se plient
pas à l'esprit de la loi 101?
M. Cloutier
: Non.
Écoutez, c'est au législateur à faire son travail, c'est au législateur à aller
corriger la situation, puis les entreprises, elles, elles s'ajusteront. Maintenant,
on n'invite pas les gens au boycott. C'est une erreur législative, l'erreur
législative doit être corrigée.
M. Croteau (Martin)
:
M. Cloutier, qu'est-ce qui vous porte à croire qu'il y a des entreprises
qui font la file, là, pour aller profiter de cette brèche qui vient d'être
ouverte?
M. Cloutier
: Bien,
écoutez, il n'y a rien qui porte à croire que ça fait la file. Ce que je vous
dis, c'est qu'on vient de rendre légale une procédure qui était incertaine.
Alors, ceux et celles qui souhaiteront en profiter pourront le faire sans avoir
l'épée de Damoclès sur le plan juridique.
M. Croteau (Martin)
:
Mais avez-vous le sentiment qu'il y a vraiment un mouvement chez les
entreprises…
M. Cloutier
: Non, ce
n'est pas ce que je dis. Ce n'est pas ce que je dis.
M. Croteau (Martin)
:
…pour angliciser leurs marques de commerce.
M. Cloutier
: Ce n'est
pas ce que j'ai dit.
M. Lacroix (Louis)
:
Non, mais est-ce que vous redoutez ça?
M. Cloutier
: Ce que je
vous dis, c'est qu'il y a désormais cette possibilité, et ceux et celles qui
voudront contourner la loi pourront légalement le faire. Il y a là un problème
puis, avant que le problème soit partout dans les rues, il vaut mieux le régler
avant.
La Modératrice
: Une
dernière en français…
M. Lavallée (Hugo)
:
Est-ce que c'est une nouvelle brèche? Parce que ça fait des années que…
M. Cloutier
: Bien, le
jugement a été rendu hier.
M. Lavallée (Hugo)
:
Non, non, je comprends, mais c'est parce que le jugement fait juste constater,
en fait, cette brèche-là, qui est législative, mais…
M. Cloutier
: Avec tout
le respect que j'ai pour vous, tant que la décision, elle n'est pas rendue puis
c'est le statu quo… Tant et aussi longtemps qu'on était dans une procédure
judiciaire, tout était suspendu, c'est-à-dire qu'on ne pouvait pas mettre en
oeuvre la loi, on ne pouvait pas mettre en oeuvre le jugement déclaratoire
puisqu'on était en procédure d'appel. Là, c'est terminé. Bien, c'est-à-dire
que…
M. Dutrisac (Robert)
:
…
M. Cloutier
: Vous avez
raison, vous avez raison, vous avez raison.
M. Dutrisac (Robert)
:
Ça peut prendre encore quelques années…
M. Cloutier
: Vous avez
raison, il reste un 30 jours de procédure, 30 ou 60… 60 jours? 60 jours de
procédure d'appel, vous avez raison. Mais il y a soit l'appel qui peut être
logé, effectivement, ou carrément de procéder par voie législative.
M. Kotto
: C'est la
voie la plus facile.
M. Caron (Régys)
: Les
deux ne sont pas incompatibles, aller en cour et…
M. Cloutier
: Oui,
c'est…
M. Caron (Régys)
: Ah
oui?
M. Cloutier
: Bien, ce
n'est pas… On pourrait en discuter longtemps de cet enjeu, à savoir si le législateur
québécois peut intervenir dans une procédure judiciaire, mais il y en a quelques
exemples à l'Assemblée nationale. Je ne suis pas sûr que c'est toujours une
bonne idée. Mais ça, c'est un autre sujet.
M. Authier (Philip)
:
Aujourd'hui, est-ce que le PQ favorise toujours la règle du «nette
prédominance» sur l'affichage en général? C'est toujours la position du PQ?
M. Cloutier
: Il n'y a
pas de raison de remettre les choses en jeu. Ce qu'on souhaite, nous, par
contre, c'est bonifier la loi 101 et l'application de la loi 101 aux entreprises
de 25 employés et plus. Ensuite, il y avait toute la question du bilinguisme de
certaines municipalités qui pouvait être revu. Ce sont toutes des propositions
que nous avons faites lorsque nous étions au gouvernement, sous la responsabilité
de Diane De Courcy, et qui sont des bonnes mesures que le législateur pourrait maintenant…
Alors, ce qu'on dit, nous, le message
qu'on vous envoie, c'est que là il y a une opportunité de corriger une brèche
dans la loi 101 et d'utiliser cette opportunité pour ouvrir un dialogue québécois
pour bonifier l'application de la loi 101 en fonction de la réalité d'aujourd'hui.
Puis notre gouvernement… avions proposé à l'époque plusieursmodifications.
Mme Montgomery
(Angelica)
: M. Cloutier, I've heard
arguments that Québec doesn't
have the jurisdiction to do what you're doing, that this is federal
jurisdiction and that it might even violate international copyright laws. Are you sure what you're suggesting is legal?
M. Cloutier
: Well, language, I think, it's under the Québec's jurisdiction. I mean, there's no doubt for us that a «descriptif»…
How do you say that?
M. Kotto
: Description.
M. Cloutier
: A description of the name will respect the… as well the Charter…
«la Charte de la langue française», I don't know how you say that in English…
M. Authier (Philip)
: The Charter of the French language.
M. Cloutier
: The Charter of the French language. I'm quite sure that it does
respect all the Québec laws.
There's no doubt for us that Québec has jurisdiction to legiferate on language in Québec, and it has been recognized. You
know, all the cases I could cite, one famous is Ford, that do recognize the Québec ability to do so.
M. Authier (Philip)
: Historically, the problem has been that trademarks are…
Mme Montgomery
(Angelica)
:Federal.
M. Authier (Philip)
: Federal and international, which has always been the problem
legislating on that, isn't it?
M. Cloutier
: I understand this is… there is a concept in constitutional law, it
is called «concept des deux aspects». It can sprawl on the two jurisdictions. I
mean, you have plenty of cases where you can legiferate under a certain
circumstance and you can also… I mean, both governments can legiferate on the
same subject. That happens everyday, every time, all the time. It might just be
another case of that.
Mme Montgomery
(Angelica)
: And what do you fear would
happen or will happen now that this decision has been made? What is your
concern about what will be happening?
M. Cloutier
: Well, it is just a legal way to adopt new measure that was not
planned by the Government at the time. I mean, we were… we didn't know that
could happen legally, and now the Court is saying: Well, if you do not want
that to happen, you have to legiferate. This is what we're asking the Québec Government. Merci beaucoup, tout le
monde.
(Fin à 9 h 58)