(Quinze heures une minute)
M. Bernier : Alors, bienvenue
à cette conférence de presse. Je me présente, Raymond Bernier, député de
Montmorency, président de la Commission des finances publiques. Je suis
accompagné de M. Nicolas Marceau et de M. André Spénard,
respectivement députés de Rousseau et Beauce-Nord, membres de la commission.
Par cette conférence de presse, nous vous
annonçons le lancement d'un mandat d'initiative de la Commission des finances
publiques sur le phénomène du recours aux paradis fiscaux à des fins d'évasion
et d'évitement fiscaux. Le but de la rencontre est de vous présenter le sujet
et comment nous entendons l'aborder.
Comme vous le savez, la plupart des pays
développés vivent une crise des finances publiques depuis 2008. C'est donc dire
que ces pays ont besoin de toutes leurs recettes fiscales pour assurer des
services publics de qualité à leurs citoyens. Dans ce contexte, le phénomène du
recours aux paradis fiscaux à des fins d'évasion et d'évitement fiscaux par les
gens fortunés et par des grandes multinationales, nous paraît tout à fait
inéquitable et a des répercussions significatives au niveau social.
Le phénomène n'est cependant pas nouveau.
Rappelons en effet que la formation du secret bancaire remonte à 1934 en Suisse
et aux années 1950 à la City de Londres. Toutefois, de nos jours, il a pris des
proportions inquiétantes. Voici quelques chiffres qui nous parlent d'eux-mêmes.
On estime aujourd'hui que plus de 50 % des capitaux mondiaux passent par
les quelque 70 paradis fiscaux répertoriés sur la planète. Statistique Canada
révèle qu'en 2011, 24 % des investissements directs étrangers du Canada
étaient faits dans des paradis fiscaux. Les contribuables canadiens
posséderaient des avoirs totalisant plus de 170 milliards de dollars dans
ces territoires. Selon des estimations, il en découlerait un manque à gagner
pour le fisc canadien qui se situerait entre 5 à 8 milliards de dollars. Les
pertes fiscales québécoises attribuables au phénomène ne sont pas connues, mais
elles doivent constituer une partie non négligeable des 3,5 milliards de
dollars que les trésors… que le trésor québécois a perdu en 2012, toutes
sources d'évasion et d'évitement fiscaux confondues.
Les effets de paradis fiscaux ne se
ressentent pas seulement au Canada et au Québec, ils sont aussi présents dans
les autres pays, développés ou non. Au cours des dernières années, plusieurs
pays, dont les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, ont fait des enquêtes
et des auditions sur le sujet. L'excellent documentaire Le prix à payer,
que nous avons eu l'occasion de visionner, coscénarisé par l'experte fiscaliste
québécoise Brigitte Alepin, illustre bien le caractère global du phénomène. Il
illustre aussi l'enjeu et les préoccupations qu'il soulève à travers le monde.
Je passe maintenant la parole au député de
Beauce-Nord pour nous exposer comment les pays font face à cette problématique
et les secteurs de provenance de nos témoins aux auditions futures.
M.
Spénard
: Merci,
M. le président. Alors, M. le député de Rousseau, Nicolas, alors bienvenue à tout
le monde. Alors, oui, la question, c'est comment les pays font-ils pour faire
face au phénomène des paradis fiscaux, parce que, plus on parle de
mondialisation, évidemment, plus on parle de connexions entre les différents
pays, et ça va très, très vite.
À l'échelle internationale, c'est
l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE, qui est
l'organe mandaté par le G20 et le G8 pour trouver des moyens de lutte contre
les paradis fiscaux. L'OCDE propose des actions et encourage les divers pays à
les mettre en oeuvre, les incite à coopérer pour qu'ils éliminent, entre autres,
la concurrence fiscale dommageable qu'ils se livrent. Ils participent de
différentes manières au resserrement des principaux outils qui facilitent le
recours aux paradis fiscaux, comme les conventions fiscales, l'Internet, les
prix de transfert, etc.
Enfin, il aide les États à détecter et à
sévir contre les planifications fiscales abusives. Ces pratiques d'optimisation
de l'impôt sont à la limite de la légalité. Il y a tellement de spécialistes maintenant
qui y vont à la limite de la légalité, c'est, bien sûr, immoral, parce que ça
met de la pression énorme sur les autres, mais elle respecte peut-être les lois
fiscales comme telles, mais certainement pas leur esprit.
Plusieurs pays suivent les conseils et les
recommandations de l'OCDE. Ils adoptent des règles, des lois qui compliquent ou
sanctionnent plus ou moins sévèrement la délocalisation des revenus des
multinationales au profit des paradis fiscaux. Le Canada n'est pas en reste et
suit le mouvement.
Toutefois, ici comme ailleurs, la bataille
contre l'attrait des territoires à faible fiscalité est loin d'être gagnée. En
font foi les scandales mis au jour ces dernières années par le consortium
américain International Consortium of Investigation Journalists, qui ont mis à
jour, rappelez-vous, en 2006‑2007, les 20 000 entreprises
extraterritoriales qui faisaient affaire avec la banque multinationale
britannique HSBC. C'est eux autres qui ont mis ça à jour. Il y en avait pour...
en tout cas, 100 000 clients, puis il y en avait pour
180 milliards de dollars qui étaient cachés dans les paradis fiscaux puis
qui transitaient par différentes organisations comme la HSBC, qui n'est pas la
seule, d'ailleurs. Puis, en font foi aussi les nombreux cas rapportés dans les
médias ces derniers temps, de multinationales bien connues qui échappent à
l'impôt dans plusieurs pays en rapatriant leurs profits dans ces territoires.
Voilà deux semaines, on a eu Amazon, qui
avait décidé de modifier un peu, alors ça a paru, mais les Google, Apple,
PayPal, ça paie très, très peu d'impôt par rapport à leurs profits parce que
tout le mécanisme de la fiscalité, ils en profitent au maximum. Ces entreprises
économisent ainsi, année après année, des millions, sinon des milliards de
dollars d'impôt au détriment de la population des pays où elles mènent leurs
activités réelles.
Les membres de la Commission des finances
publiques que nous sommes se soucient de cette problématique et de l'injustice
fiscale qu'elle crée pour les citoyens qui paient tout ce qu'ils doivent en
impôt. C'est pourquoi nous avons décidé de réaliser un mandat d'initiative sur
ce sujet.
Dans le cadre de notre démarche, nous
entendrons une trentaine de témoins, notamment des représentants des secteurs
financier, juridique et comptable, des experts en fiscalité, des représentants
des agences gouvernementales du revenu et de groupes sociaux. D'une manière ou
l'autre, tous s'intéressent ou sont préoccupés par le phénomène des paradis fiscaux.
Maintenant, je vais passer la parole à mon
copain et ami Nicolas... le député de Rousseau, c'est-à-dire, pour vous exposer
le déroulement de nos travaux.
M. Marceau
: Oui.
Alors, merci, André, merci, Raymond, puis salut aussi à tous les collègues
membres de la commission.
Alors, aujourd'hui, donc, nous profitons
de cette conférence de presse pour inviter tous les citoyens ou tous les
groupes intéressés par le sujet à nous soumettre leurs réflexions et un
mémoire. Ils peuvent être assurés que nous en prendrons connaissance et surtout
que nous en tiendrons compte.
La commission juge qu'il est impossible de
couvrir en un seul mandat tous les aspects du phénomène du recours aux paradis
fiscaux à des fins d'évasion et d'évitement fiscaux. D'ailleurs, en 2013, le
Comité permanent des finances de la Chambre des communes s'est penché sur le
seul aspect du chalandage fiscal, lequel constitue la pratique des
multinationales, qui consiste à magasiner, au moyen de conventions fiscales,
les pays les moins fiscalement exigeants afin d'y localiser leurs profits.
Alors, pour notre part, nous nous
intéresserons principalement aux aspects qui suivent. Tout d'abord, les
activités dans les paradis fiscaux sont secrètes pour ne pas dire occultes. Il
n'est pas facile d'y voir clair. Nous chercherons à comprendre, autant que
faire se peut, le mode de fonctionnement de ces territoires. Nous demanderons
aux institutions financières, aux bureaux de comptables et d'avocats de nous
aider à comprendre le mécanisme.
Comme nous l'avons dit plus haut, l'OCDE,
l'Organisation de coopération et de développement économiques est chargée de
promouvoir des moyens coordonnés auprès des pays et de guider ces derniers à
les mettre en oeuvre. Nous chercherons à comprendre les plus récentes
initiatives de l'OCDE dans le domaine et leurs chances de succès. Des experts
qui connaissent bien l'organisme et ses initiatives nous y aideront.
Dans tous les pays, le recours aux paradis
fiscaux est encadré par des règles fiscales internationales qui sont encore
plus complexes que les règles nationales, elles-mêmes plutôt complexes pour les
non-spécialistes. Nous essaierons de voir quelles sont les dispositions
canadiennes et québécoises qui facilitent ou, au contraire, restreignent le
recours aux paradis fiscaux. Des experts universitaires et des praticiens en
fiscalité internationale viendront nous renseigner.
Les activités dans les paradis fiscaux
sont opaques, il en découle que l'importance et l'ampleur des revenus
délocalisés dans ces territoires et les pertes fiscales qui en résultent sont
inconnues et difficiles à estimer. Nous discuterons avec les agences du revenu
des obstacles qu'elles rencontrent en la matière. Nous explorerons avec elles
des pistes de solution susceptibles de remédier, dans la mesure du possible, au
manque de données fiables.
Le Canada et le Québec ont déjà beaucoup
de mesures pour lutter contre le recours aux paradis fiscaux, ces dispositions
sont évolutives et elles sont continuellement mises à jour. Par ailleurs, tous
les pays cherchent des mesures innovatrices pour lutter contre le phénomène,
c'est le cas de plusieurs pays ou régions au cours des dernières années. La
toute dernière mesure remonte à avril 2015 et nous vient du Royaume-Uni, la
«Google tax», donc une taxe qui a été mise en place précisément pour tenir
compte du cas de Google.
Une plus récente, la seconde plus récente,
nous vient des États-Unis, celle-là, c'est le Foreign Account Tax Compliance
Act, le FATCA, qui est entré en vigueur en juillet 2014. Nous explorerons donc
avec certains invités les lacunes de nos lois et règles actuelles et nous
verrons ce que nous pouvons tirer des expériences d'autres pays. Alors, je
redonne maintenant la parole à Raymond.
M. Bernier : Merci, Nicolas.
Voilà en quoi consisteront les travaux de la Commission des finances publiques
qui commencent aujourd'hui. Au terme des auditions, la commission formulera des
recommandations au gouvernement du Québec. Elle lui proposera de mettre en
oeuvre, sans tarder, celles qui relèvent de sa compétence et de discuter des
autres avec le gouvernement fédéral. Nous espérons que l'exercice permettra de
trouver des solutions innovatrices pour renforcer la lutte canadienne et québécoise
contre les recours aux paradis fiscaux à des fins d'évasion et d'évitement
fiscaux.
Pour terminer, la commission remercie
d'avance tous ceux et celles qui déposeront des mémoires et qui participeront
aux auditions publiques à l'automne 2015, et je désire également saluer et
remercier tous les membres de la Commission des finances publiques qui vont participer
à ce travail. Merci.
(Fin à 15 h 12)