(Treize heures trente et une minutes)
Mme David (Gouin) : Alors,
mesdames messieurs, bonjour. Nous allons intervenir aujourd'hui sur les projets
de loi qui ont été déposés et sur le plan d'action du gouvernement en matière,
dit-il, de déradicalisation de jeunes, là, qui seraient tentés par ça.
Deux précautions en commençant. On parle
ici de remarques préliminaires, bien entendu. Vous comprendrez qu'on n'a pas lu
de façon aussi approfondie qu'on voudrait l'ensemble des documents. Donc, nous
reviendrons et nous aurons d'ailleurs tout l'automne pour débattre de ces
sujets. Deuxième remarque importante : nous pensons que nous devons
aborder ces sujets sans nous camper, dès le point de départ, dans des positions
100 % non négociables, bien au contraire. Nous devons essayer, sur ces
questions, d'avoir l'attitude la moins partisane possible, je l'ai dit en
Chambre tout à l'heure, pour avoir des débats de société. Nous ne
souhaitons pas revivre les psychodrames de l'automne 2013 et de l'hiver 2014.
Nous souhaitons un débat éclairé par l'apport de toutes les personnes, de tous
les organismes qui viendront en discuter.
Alors, d'abord, le projet de loi qui porte
sur, entre autres, en partie, la question des discours haineux et, en partie,
on voit bien que ce qui est visé, ce sont les mariages forcés, première
remarque : ça aurait pris deux projets de loi, et nous proposerons
d'ailleurs de les scinder. Quel est le rapport entre éviter et même réprimer
les discours haineux et protéger les jeunes filles, en particulier, de mariages
forcés? Franchement, il n'y a pas de rapport. Donc, encore une fois, un gouvernement
qui dépose, dans un même projet de loi, des questions qui n'ont pas de rapport
entre elles, ce qui n'est pas pratique du tout dans la discussion. Nous allons
proposer de le scinder.
Pour ce qui est de la question de la
répression des discours haineux, ce qui est intéressant, c'est le processus qui
est proposé, qui implique largement la Commission des droits de la personne. Ça
donne la possibilité à une personne de pouvoir se défendre, de pouvoir porter
plainte. Donc, il y a là une avancée. Il faudra regarder pour les détails, mais
il y a quelque chose d'intéressant là.
Dans la deuxième partie, donc protection
particulièrement des jeunes filles contre des mariages forcés et toute autre
mesure qui porterait atteinte à leur intégrité, encore là, une avenue intéressante
qui est beaucoup celle de la protection de la jeunesse. Il faudra évidemment
étudier, de façon plus approfondie, l'ensemble des mesures, mais il y a une
vraie question là.
Deuxième projet de loi, celui sur… enfin,
moi… nous aurions aimé un projet de loi sur la laïcité. C'est un projet de loi
qui favorise le respect de la neutralité religieuse de l'État. La neutralité
religieuse de l'État, c'est un des aspects de la laïcité. Je ne comprends pas
pourquoi le gouvernement se refuse à employer ce mot, le mot «laïcité». C'est
un beau mot qui dit bien ce qu'il veut dire. Il parle de neutralité religieuse
de l'État, oui, le mot «laïcité», mais il parle, par exemple, aussi du fait que
les pouvoirs doivent être radicalement séparés entre État et institutions
religieuses, et ça, on ne le retrouve pas dans le projet de loi. Nous aurions
aimé le retrouver.
On pourra en discuter encore une fois en
détail, mais il y a des mesures intéressantes dans ce projet de loi, entre
autres sur la question des accommodements, etc. Nous aurions aimé que le projet
de loi aille plus loin, repose davantage sur les consensus de la commission
Bouchard-Taylor, en particulier sur l'interdiction du port de signes religieux
pour les personnes en situation d'autorité, mais, je le répète, il y a du bon
matériel dans ce projet de loi. Nous l'accueillons avec ouverture. Nous
espérons que la consultation autour du projet de loi sera très large et nous
pensons qu'il pourrait être amélioré et mené à bon port.
Pour ce qui est, finalement, du plan
d'action en matière de ce que le gouvernement appelle la déradicalisation des
jeunes, en fait ce dont on parle ici, là, ce sont des jeunes aux prises souvent
avec toutes sortes de problèmes personnels, parfois familiaux, des très jeunes
qui se cherchent et qui pensent se trouver dans un appel aux armes, hein, un
appel au djihadisme. Le gouvernement nous dit : Il faut prévenir, agir,
détecter, vivre ensemble, il faut documenter comment ne pas être d'accord.
Nous allons, encore une fois, analyser
soigneusement ce plan d'action parce que nous voulons y retrouver, au coeur du
plan d'action, en fait, la protection des jeunes et de leurs familles, parce
que, faut-il le rappeler, les principales victimes, les premières victimes de
ces départs appréhendés ou réels, là, de jeunes vers des pays en guerre, ce
sont les jeunes eux-mêmes et ce sont leurs parents, qui les aiment et qui n'ont
jamais voulu ça. Alors, il faut les protéger contre eux-mêmes, d'une certaine
façon, ces jeunes-là, beaucoup par la prévention, par l'encadrement, par des
mesures de soutien aux familles. Détecter, oui, mais aider, c'est encore mieux.
Il faudra donc des sous. Pas des sous seulement dans la répression policière,
des sous dans des services sociaux, dans le soutien aux organismes
communautaires qui viennent soutenir les familles. Ça va être extrêmement
important. Donc, là-dessus aussi, nous aurons à revenir au cours de l'automne.
Mme Dufresne (Julie)
:
Sur le projet de loi de la neutralité de l'État, Mme David, vous dites que vous
auriez aimé que ça aille plus loin, notamment sur les personnes en position
d'autorité. Plus précisément, vous auriez voulu qu'on aille dans la même
direction que Bouchard-Taylor, à savoir...
Mme David (Gouin) : À savoir
les juges, les procureurs de la couronne, les gardiens de prison, les
policiers. Je vous rappelle que Québec solidaire, il y a un an et demi, a
déposé lui-même, hein, un projet de loi qui était une charte de la laïcité, et nous
avions tenté d'y mettre tout ce qui était assez consensuel au Québec, et il y avait
donc la question de ne pas porter de signe religieux pour les personnes en situation
d'autorité, celles que je viens de mentionner, et nous apportions en plus le
cas du président ou de la présidente, là, et des vice-présidences de l'Assemblée
nationale. Alors, ça, on aurait aimé le voir.
Pour ce qui est des balises en matière
d'accommodements, il manque peut-être une chose ou l'autre, mais, dans
l'ensemble, c'est quand même assez intéressant de ce côté-là.
Mme Dufresne (Julie)
:
Même si ça exclut, en fait, les municipalités? Est-ce que ça n'aurait pas dû
étendre au moins jusque-là, à votre avis?
Mme David (Gouin) : Alors,
voilà une excellente question. Ça fait partie des propos, des discussions que
nous voudrons avoir au cours de l'automne. Il n'y a pas de raison d'exclure les
municipalités de ce qu'on appelle l'ensemble des mesures qu'on doit prendre,
là, pour s'assurer de la neutralité religieuse de l'État. On vous rappelle que
les municipalités sont des créatures de l'État national du Québec et qu'à ce
titre-là on ne voit vraiment pas pourquoi elles devraient être exclues d'un projet
de loi aussi important, alors que plein d'organismes publics sont inclus.
Mme Dufresne (Julie)
:
On a compris ce matin que le crucifix n'allait pas être visé par ce projet de
loi là. Ce n'est pas l'objet du projet de loi, nous a-t-on expliqué.
Mme David (Gouin) : Bon, écoutez,
c'est bien sûr que le crucifix n'allait pas être l'objet unique et prioritaire
du projet de loi, mais là on est quand même dans l'univers des contradictions.
Si on veut parler de neutralité religieuse de l'État et, plus largement, de
laïcité, c'est-à-dire la séparation de l'État et des institutions religieuses,
il continue d'être quand même contradictoire d'avoir un crucifix donné par
l'archevêque de Québec à Maurice Duplessis pour sceller l'alliance entre
l'Église et l'État, crucifix qui est au-dessus de la tête du président de
l'Assemblée nationale. Bienvenue dans l'univers des contradictions.
Alors, évidemment, nous allons ramer
l'article de notre projet de loi qui portait sur le fait de déplacer le
crucifix — les mots sont importants, ici — déplacer le
crucifix en un autre endroit visible dans tous les beaux bâtiments de
l'Assemblée nationale.
M. Dutrisac (Robert)
:
On a un projet de loi sur la neutralité religieuse de l'État qui ne parle pas,
sauf pour l'article où on dit qu'on veut les protéger, les emblèmes, qui ne
parle pas de signes religieux.
Mme David (Gouin) : Bien, la
raison est très simple, c'est que le gouvernement libéral se refuse à interdire
le port de signes religieux pour quiconque. Donc, c'est évident qu'on n'en
parle pas puisque, dans l'esprit de M. Couillard et de son équipe, tous
les employés de l'État, y compris juges, président de l'Assemblée nationale,
etc., peuvent porter des signes religieux. Alors, nous, nous mettons un bémol,
nous le disions déjà il y a 18 mois.
M. Khadir
: Je voudrais
juste rajouter quelque chose. Et, en cette matière, le gouvernement de M.
Couillard n'est pas très libéral. D'abord, la commission Bouchard-Taylor avait
été nommée par un gouvernement libéral, celui de Jean Charest, et la
commission Bouchard-Taylor, malgré toutes les difficultés et l'émotivité des
débats, si vous vous rappelez, en 2007, avait réussi à dégager quelque chose
qui soit le plus consensuel ou, enfin, qui puisse ramasser tout ça. Et là
M. Couillard se place dans un camp conservateur, à distance même de
Bouchard-Taylor, et je ne comprends pas. Vraiment, là, je ne comprends pas le
Parti libéral du Québec aujourd'hui, comment est-ce qu'on accepte ces positions
plutôt conservatrices, et ça ressemble plus à une approche des conservateurs à
Ottawa.
M. Dutrisac (Robert)
:
Oui. Mais, si je peux me permettre, on pourrait y voir une façon de rendre le projet
de loi tout à fait conforme aux chartes en ne parlant pas de signes religieux, justement,
parce que, là, ce qu'on fait, c'est… indirectement on interdit des signes
religieux, certains signes religieux, c'est-à-dire que, lorsqu'on dit, à visage
découvert, c'est évident qu'on… qu'en pratique la burqa puis le niqab est visé.
Mais, parce qu'on ne veut pas, justement,
avoir le même traitement de la part de la Commission des droits de la personne,
même traitement que la commission a réservé au projet de loi n° 94, par
exemple, on a trouvé une astuce, là, légale pour arriver à cette fin-là avec
conséquence cependant d'accepter le tchador, là, parce que ça ne tombe pas dans
la définition. Mais il reste que… Est-ce que ce n'est pas légitime de la part
du gouvernement d'avoir voulu, justement, faire en sorte que les chartes soient
parfaitement préservées ou, en tout cas, si vous voulez, pour…
Mme David (Gouin) : Vous savez,
les chartes, c'est important pour Québec solidaire. Les chartes, on l'a toujours
dit, mais les chartes, on les interprète aussi, et c'est ce qu'on fait depuis
des dizaines d'années. Moi, quand je vois qu'il y a des chercheurs très
importants, là, comme MM. Bouchard et Taylor, mais bien d'autres aussi dans la société
québécoise, qui nous ont dit clairement, et parmi lesquels des juristes, qui
nous ont dit clairement : Oui, on peut interdire le port de signes
religieux à certaines personnes en situation d'autorité parce que ces personnes
représentent l'État. Un procureur de la couronne représente l'État. Un
président de l'Assemblée nationale, on sait bien qu'il est neutre, mais doit,
au-delà de tout doute, donner l'apparence de la neutralité, y compris en
matière de religion. Il y a tant de gens qui nous ont dit : Oui, c'est
possible de le faire, que je ne trouve pas très courageux de ne même pas
essayer. On peut essayer, au moins, et, à mon avis, ça passerait le test des
chartes.
M. Khadir
: Puis ça
aurait permis un débat plus serein. En essayant de rapprocher les positions, ça
aurait évité que les parties se campent, puis là on soit dans un jeu de
positionnement partisan qui a empêché, depuis 10 ans, en fait, d'arriver à une
solution là-dessus.
Mme Verville (Marie) :
In English. You say this bill is really
streamlined, it doesn't go far enough… at least Bélanger-Campeau did a little
bit more.
M. Khadir
: Yes, because, you know, there
are a lot of good things in what is proposed. There are a lot of good things in
what the Government has
proposed, but unfortunately it misses important points and doesn't mention
secularism — the
equivalent doesn't exist maybe in English, «laïcité» — is
far Bouchard-Taylor, is far from Liberal tradition. I don't recognize the
Liberal Party. You know, this extreme anxiety about religious signs and
religious thought and… is OK, you know. In a democratic society, we protect the
right of religion. But the Liberal agenda usually is to come close to middle
and intermediate consensus, but the actual approach seems more close to
Conservative, the Conservative insistence in not putting in question in any
means the presence of religious symbols everywhere, including the cross, which
is a the head of the National Assembly president.
Mme Verville (Marie)
: The niqab and the burqa, not permitted; but
chador, yes. There's…
M. Khadir
: …you know, we have to be
pragmatic. In Québec, in Western
countries, the type of symbols that are more present and the type of habits
among more conservative and traditional religious habits, «habillement», wears
is not a chador. Chador is an exception, mostly an exception. So I don't think
it services the debate to concentrate on that. There are so many things that we
have to come through, maybe things could be also taken into account to include
that in due time. But that's not the main point today. The main point is that
secularism has not been addressed.
Mme Verville (Marie)
: You said in French that this position that the Government is taking
is actually making this debate more acrimonious.
M. Khadir
: Yes, because, by removing far
from the position of other parties, OK, in ways too close to a Conservative approach within the Liberal
Party, it misses the opportunity to create a platform on which there is less
place to acrimonious and very polarized debate.
The Bouchard-Taylor commission's
position would have been a better platform in approaching the point of view so
that we can, you know, a bit heighten the debate and try to resolve a problem
that we have been unable to resolve during the last 10 years because it was too
acrimonious, it was too partisan and too polarized.
Mme David (Gouin) : Merci.
(Fin à 13 h 47)