(Quinze heures vingt-deux minutes)
M. Khadir
: Bonjour, tout
le monde. J'ai voulu poser une question sur le comportement éthique et les
pratiques actuelles du Parti libéral en relation avec les révélations de la
commission Charbonneau sur l'importance de lutter contre la corruption des
moeurs politiques et notamment d'une fois pour toutes éviter que le financement
des partis politiques soit entaché d'irrégularités. J'expose les faits et je m'attends,
en fait, en exposant mes faits, je m'attends qu'un ministre haut placé du
gouvernement libéral, notamment M. Martin Coiteux, président du Conseil du trésor,
donc ministre sénior du Parti libéral, soit très bien informé, vu ce qui s'est
passé depuis 10 ans avec le Parti libéral, la commission Charbonneau et tout
ça, soit très bien informé des règles d'éthique et des règles de financement
des partis et surtout des règles sur le lobbyisme.
Début avril 2015, le Parti libéral du
Québec de Richmond organise un cocktail de financement. L'invité d'honneur est
Martin Coiteux. Des citoyens et entrepreneurs actifs dans la région, qui
avaient au préalable rencontré la députée locale, Mme Vallières, la députée de
Richmond, et qui avaient dû refuser dans ses bureaux l'offre d'une carte de
membership du Parti libéral se sont vus plus tard offrir la possibilité de
rencontrer le ministre Coiteux, de lui exposer leurs problèmes, leur vision, à
l'occasion d'un cocktail de financement où, pour pouvoir entrer, il fallait
payer 100 $ par personne.
Alors, ma question : Est-ce que ce n'est
pas là une violation flagrante de l'esprit de tout ce qu'on a fait depuis plusieurs
années pour éviter que l'appareil gouvernemental, les ministres servent à
financer la caisse électorale du parti? Ensuite, est-ce que ce n'est pas une
violation directe de la loi sur lobbyisme en invitant des gens à participer à
des soirées de financement sous la promesse qu'ils auront l'occasion de serrer
la main du ministre et de lui exposer leurs points de vue sur divers problèmes
de leur région? Ensuite, des personnes qui ont ainsi été sollicitées sont... quelques-uns
que j'ai rencontrés au hasard, j'imagine, au vu de ce qui a déjà été révélé sur
M. Blais puis une activité dans laquelle un peu la même chose se passait, que,
si on en entend parler quelques-uns d'entre nous, si ça arrive à nos oreilles,
la pratique doit être répandue.
Donc, la question, c'est : Est-ce que
ces pratiques se sont déroulées ailleurs? Est-ce qu'il y a d'autres activités
de financement où des ministres sont invités comme invités d'honneur, et on
invite ensuite des gens qui ne sont pas membres du parti — ces
personnes-là n'étaient pas membres du parti — à participer au
cocktail de financement sous la promesse d'avoir accès au ministre? Et quand
est-ce que Parti libéral entend au juste mettre fin à ces pratiques qui sont
immorales, qui sont clairement contre l'esprit de la loi et de tout ce qu'on a
fait depuis quelques années, contre l'esprit de toute la commission
Charbonneau? Quand est-ce que le Parti libéral, un jour, va faire le décompte
de tout ce qui a été ramassé de cette manière, et rembourser le peuple québécois,
et s'excuser auprès du peuple québécois?
M. Gagnon (Marc-André) :
Qu'avez-vous pensé de la réaction de M. Chagnon, lors de votre
intervention en Chambre tantôt?
M. Khadir
: Une
réaction impulsive. D'abord, je garderais tout commentaire, si vous permettez,
à une première rencontre sur ces faits-là avec M. Chagnon. Mais sur le sujet
plus général, à plusieurs reprises, il m'est arrivé, et je l'expose devant tout
le monde, que, lorsqu'il y a du brouhaha en Chambre, normalement, le président
de la Chambre, la pratique qu'il a développée au cours de ces derniers mois,
c'est de se lever immédiatement, d'arrêter le temps qui s'écoule pour que la
personne qui est train de poser sa question, sa voix soit entendue. Pour la...
je ne sais plus si c'est la troisième, la quatrième fois, cette opportunité ne
m'est pas accordée. Je remarque pour la quatrième fois que le temps coule, il y
a du brouhaha, je ne m'entends même plus, je m'assois, mais le président est toujours
assis. Ça, je ne sais pas comment l'expliquer, mais... Bon.
Mais, ceci étant dit, ça, c'est
secondaire. Ce qui intéresse le peuple québécois aujourd'hui, c'est le fait que
le Parti libéral semble trouver d'autres stratagèmes, consciemment ou
inconsciemment, mais ça montre toute la problématique de ce que la juge
Charbonneau décrit comme un vrai problème répandu et enraciné. Voici pourquoi
elle dit ça. C'est tellement enraciné qu'au moment même où on attend le rapport
de la commission Charbonneau, donc en 2015, le Parti libéral trouve des moyens
d'utiliser les ministres comme levier pour financer le parti libéral.
M. Croteau (Martin)
:
Le président dit que vos allégations sont sans fondement. Donc, vous dites :
Il se trompe.
M. Khadir
: Comment
a-t-il pu juger avant que je parle de mes allégations? Il n'a même pas entendu
de quoi je parlais. Je n'avais pas exposé les faits. Moi, je suis prêt à subir
son jugement une fois qu'il a toutes les informations en main.
M. Robillard (Alexandre)
:
Ça serait quoi, la loi qui serait enfreinte dans ce cas-là, selon vous?
M. Khadir
: Comme j'ai
expliqué tout à l'heure, d'abord, c'est le conflit d'intérêts. Le ministre,
quand il exerce ses fonctions, il ne peut pas, dans l'exercice de ses fonctions,
en même temps faire une activité partisane du financement de son parti quand le
parti s'adresse à des gens qui ne sont pas membres du Parti libéral, de venir à
une activité de financement, ce qui va leur donner l'occasion de serrer la main
du ministre et d'exposer leur point de vue sur des enjeux politiques de
société.
M. Robillard (Alexandre)
:
C'est quelle loi, ça, M. Khadir, qui serait enfreinte?
M. Khadir
: C'est la
loi de l'intégrité, et, bon, je ne connais pas le nom de la loi, là, la loi qui
entoure notre... la pratique des ministres, de la fonction ministérielle. Et
même les fonctionnaires sont soumis à des règles très strictes. Premièrement.
Ça, c'est le premier aspect.
Mais le deuxième aspect, qui est très
direct, c'est la loi sur le lobbyisme, et j'espère que le ministre Coiteux
n'ignore pas la loi sur... parce que ça, c'est un autre problème encore plus
grave. Ça veut dire que les libéraux n'ont rien appris, même leurs ministres
majeurs sont ignorants de la loi sur le lobbyisme. Ces gens-là sont allés pour
faire des représentations auprès d'un ministre. C'est comme ça qu'on les a
attirés.
M. Robillard (Alexandre)
:
Mais, sauf, erreur, la loi sur la lobbyisme ne demande pas de... elle ne
s'adresse seulement aux gens qui sollicitent des rencontres et non pas à ceux
qui sont invités.
M. Khadir
: Mais ces
personnes-là ont sollicité d'avoir accès au pouvoir. Elles sont allées voir la
députée de leur comté, et, à l'occasion de cette rencontre, la première chose
qu'on fait, on les aiguillonne... une fois qu'ils ont refusé de devenir membres
du Parti libéral, on les aiguillonne vers un cocktail de financement ou un
brunch de financement. C'est en contravention.
M. Robillard (Alexandre)
:
Mais donc votre intervention était fondée sur des lois qui ont été enfreintes.
M. Khadir
: Exact.
Mais ce genre d'évaluation mérite au moins qu'on entende les faits puis ensuite
dire : Est-ce que je suis en train d'étendre ou d'étirer la définition de
la loi ou pas? Mais malheureusement, avant même l'exposé, on a jugé que
l'accusation...
M. Robillard (Alexandre)
:
Avez-vous déjà vu qu'un député se fasse interrompre sa question comme ça pour
une question de règlement?
M. Khadir
:
Complètement? Je ne me souviens pas. Je ne me souviens pas.
M. Dutrisac (Robert)
:
Votre interprétation de ces lois-là fait en sorte... Est-ce que vous croyez
qu'aucun ministre ne doit participer à des activités de financement? Mettons,
si on enlève la question de dire aux gens : Bien, vous allez pouvoir
soumettre vos problèmes au ministre ou chercher solution de vos problèmes
auprès du ministre, est-ce que le simple fait que le ministre soit là pour
faire une brève allocution, c'est suffisant, à vos yeux, pour être
répréhensible?
M. Khadir
: Non, pas
du tout. Ce n'est pas ce que j'ai dit. D'ailleurs, nous-mêmes, comme députés,
on est dans la même situation, évidemment avec pas les mêmes impacts parce que
nous ne sommes que députés. Lui, il est ministre, en plus président du Conseil
du trésor, au centre des décisions du gouvernement. Mais lorsque l'activité est
poussée, on en fait la promotion, on sollicite des gens pour venir payer des
couverts avec cette idée qu'ils peuvent rencontrer le ministre, exposer le point
de vue, donc c'est un échange politique sur des orientations, sur des
décisions, il s'agit là clairement d'activités ramenables au lobbyisme. Si ce n'est
pas la lettre, si on aborde la chose stricto sensu parce que ce n'est pas
sollicité par eux-mêmes, etc., si on s'arrête à ça, peut-être que... mais
l'esprit de la loi est clairement violé. L'esprit de tout ce qu'on est en train
de faire depuis des années, les 45 millions juste pour la commission
Charbonneau, est violé.
Journaliste
: Est-ce
qu'il n'appartient pas à...
M. Khadir
: Et, je
m'excuse, et là ça me... Si j'ai été... Ce matin, je n'avais pas l'intention de
ramener ça. J'attendais un peu de voir c'est quoi, la réaction du Parti libéral
au rapport Charbonneau. Et je vous soumets humblement que, si le Parti libéral
avait fait preuve de contrition, s'était excusé comme François Legault l'a fait
au nom de la CAQ, alors qu'il ne porte pas toutes les responsabilités de l'ADQ,
mais s'est excusé, au nom d'une partie de la formation dont il a la direction aujourd'hui,
avec dignité, avec courage, je n'aurais pas fait ça. Mais c'est parce que le Parti
libéral, ses chefs, M. Couillard, M. Fournier, des ministres à 100 000 $
de l'époque Charest, qui étaient soit des... je ne sais pas, moi, des étourdis
qui ne comprenaient rien, soit des gens qui voulaient, comme M. Tremblay, faire
de l'aveuglement volontaire, soit ils étaient pleinement conscients de ce
qu'ils faisaient, en tout cas, ils étaient là. Ces gens-là sont venus
aujourd'hui se péter les bretelles que, dans le fond, c'est fait, ça va, on a
fait des choses, puis tout va bien, passons à autre chose.
M. Croteau (Martin)
:
Pourquoi ne pas avoir dénoncé cette situation au DGE ou au Commissaire au
lobbyisme?
M. Khadir
: Bien, parce
qu'on a pu réunir les... Une fois que j'ai vu ces réactions-là, là j'ai pris...
Moi, j'avais déjà ces informations, et on voulait le faire. Mais, quand j'ai vu
ces réactions, là, j'ai pris la peine d'appeler pour voir c'est quand cette
année. J'ai appris, il y a moins d'une heure, que c'était en avril 2015 et que
c'était 100 $ par couvert. Parce qu'on a d'autres choses à faire, très
franchement. Moi, je pensais qu'aujourd'hui on n'en serait plus là au Québec.
M. Croteau (Martin)
: C'est
parce que là vous avez dit : Je n'étais pas pour le dénoncer, mais, vu la
réaction du Parti libéral, je l'ai dénoncé...
M. Khadir
: Non,
publiquement. Ah, non, non, je l'aurais... Écoutez, je reviens d'une... C'est
la semaine dernière que j'étais... C'était quand, au juste, que j'étais à
Sherbrooke? C'était la semaine dernière. On a bien d'autres chats à fouetter,
comme vous le savez. Ça ne veut pas dire que je ne l'aurais pas dénoncé en
temps utile, quand on aurait réuni l'information, mais je n'étais pas rendu là.
On a d'autres choses, là, on a d'autres priorités. Mais quand j'ai vu la
réaction de M. Fournier, la réaction de M. Charest, j'ai dit : Non, là, il
y a quelque chose qui ne marche pas. Si le Parti libéral continue à nier
l'évidence, à vouloir se complaire dans la dénégation, un peu comme Applebaum,
là, il faut remettre les pendules à l'heure.
M. Gagnon (Marc-André) : Est-ce
que ça n'appartient pas aussi à ces personnes, qui ont été sollicitées, qui se
sont confiées à vous, de dénoncer publiquement...
M. Khadir
: Voulez-vous
leur poser la question?
M. Gagnon (Marc-André) : ...le
fait d'être sollicités de cette façon-là?
M. Khadir
: Si vous
voulez, je vous mettrai en lien pour que vous leur posiez la question :
Pour quelle raison ils n'osent pas le faire?
M. Gagnon (Marc-André) : Bien,
moi, je vous pose la question à vous.
M. Khadir
: Bien, c'est
clair, la peur. C'est des petits milieux, ils ont besoin d'un accès au
responsable. Dans un régime soi-disant démocratique, où les demandes venant de
la société civile, des organisations, des groupements, des citoyens sont si
largement niées par la petite élite qui est au pouvoir, qui n'a d'oreille que
pour les riches qui appuient leurs partis, qui commandent, qui tirent les rênes,
qui tirent les ficelles de leurs partis, c'est sûr que ces gens-là ont peur.
M. Croteau (Martin)
:
Juste clarifier, puis pardonnez-moi si j'ai raté le début de votre exposé, mais
de quelle manière ces gens étaient sollicités? C'est comment... Ils avaient un
carton? C'était verbalement? Comment est-ce qu'on faisait comprendre à ces
gens-là que, s'ils venaient au cocktail puis qu'ils donnaient 100 $, bien,
ils auraient accès au ministre.
M. Khadir
: C'est ce
qu'on leur a dit, c'est comme ça qu'on leur a vendu, verbalement, verbalement.
Mais, si vous voulez, ces personnes peuvent vous confier le détail de ce qui
s'est passé, sauf qu'ils ont besoin... on a besoin d'une protection.
D'ailleurs, c'est là toute la question de la protection des dénonciateurs,
hein? C'est le ministre qui nous... c'est M. Coiteux à qui on a confié... le
Parti libéral a confié la nouvelle Loi sur la protection des dénonciateurs.
Alors, j'aimerais demander au ministre
Martin Coiteux : Quelle protection devraient jouir ces personnes à qui on
a demandé de contribuer à la caisse du Parti libéral pour pouvoir le
rencontrer? Merci.
(Fin à 15 h 35)