(Onze heures seize minutes)
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Aujourd'hui, à ma droite, du vice-protecteur, M. Claude Dussault et des deux
enquêteurs du Protecteur du citoyen qui se sont rendus au Nunavik, à la gauche
de monsieur… à la droite, pardon, de M. Dussault, Mme Joëlle McLaughlin, et à
ma gauche, M. Robin Aubut-Fréchette.
Alors, permettez-moi de vous présenter en
quelques minutes les conclusions de notre rapport d'enquête au Nunavik. Pourquoi
d'abord cette enquête? Il y a quelques mois, des informations préoccupantes sur
les conditions de détention au Nunavik ont été portées à ma connaissance. Ces informations
contredisaient les rapports du ministère de la Sécurité publique responsable
des services correctionnels sur la conformité et la sécurité de la garde des
personnes incarcérées sur le territoire du Nunavik qui est un territoire du Québec.
Devant cette situation, j'ai décidé de
mener une enquête pour connaître ces conditions. Il ressort de cette enquête
que l'on a toléré au Nunavik des conditions déplorables, en deçà des normes les
plus minimales et qui portent atteinte grave aux droits, dont celui à la
dignité. Parmi ces conditions constatées non seulement, mais particulièrement à
Puvirnituq, qui est une plaque tournante de l'administration de la justice sur
la Baie-d'Hudson : un taux d'occupation excessif des cellules, jusqu'à
sept personnes peuvent être entassées dans des cellules conçues pour un ou deux
occupants; la proximité de personnes aux profils incompatibles, par exemple des
personnes qui présentent un risque de suicide avec des personnes intoxiquées ou
avec des personnes dont la santé mentale nécessite une prise en charge;
l'insalubrité généralisée des lieux de détention; l'accès à l'eau limité et les
équipements désuets, défectueux ou insuffisants; des installations sanitaires
qui ne préservent pas l'intimité des occupants. Dans certains cas, les caméras
de surveillance permettent même la vue sur les personnes incarcérées pendant
qu'elles utilisent ces installations.
Les services d'entretien ménager et de
buanderie déficients, sinon inexistants; des matelas sans enveloppe placés sur
le sol et sur lesquels des personnes incarcérées doivent prendre leur repas,
tout comme elles s'y installent pour dormir; et des personnes incarcérées 24
heures sur 24, sans sortie extérieure, ce qui est une situation unique au Québec.
Comme il n'y a pas d'établissement de
détention au Nunavik, lorsqu'un juge ordonne qu'une personne qui réside dans
l'un de ces 14 villages soit incarcérée, c'est dans les établissements au sud
du Québec que ces personnes sont transférées. Nous avons aussi constaté que les
conditions de détention concernant les Inuits dans les établissements de
détention du Québec, malheureusement, ne sont pas adaptées à leur réalité. Particulièrement,
et en premier lieu, bien sûr, la barrière de langue qui pose problème. Aucun
agent correctionnel du Québec n'est d'origine inuite ou, à de très rares
exceptions, ne parle l'inuktitut. Il est alors difficile pour les Inuits de
comprendre les instructions, de faire valoir leurs besoins et de respecter
leurs droits.
À l'origine, cette enquête devait se
limiter aux conditions de détention. Rapidement, nous avons constaté que ces
conditions ne constituaient qu'une partie des problèmes de nature systémique
qui sont liés à l'administration de la justice au Nunavik. Nous avons donc
complété cette enquête sur les enjeux d'administration de la justice et éventuellement
de prévention de la criminalité. Pour l'administration de la justice, c'est la
Cour itinérante, qui est généralement présidée par un juge de la Cour du Québec,
qui se rend au Nunavik. Et avant d'être entendus dans le cadre de leur procès,
plusieurs Inuits judiciarisés doivent être transportés au palais de justice
d'Amos, notamment pour leur enquête sur remise en liberté, et éventuellement
ils doivent retourner dans le Nord pour subir leur procès devant la Cour
itinérante.
Le transport ainsi rendu nécessaire des
personnes du Nunavik, entre le Nunavik et l'Abitibi, est éprouvant. Ils doivent
faire des trajets de longue durée, parfois des jours en raison de multiples
escales. C'est d'ailleurs surtout en raison de ces délais que la durée moyenne de
séjour des Inuits du Nunavik en détention préventive a augmenté de huit jours
en cinq ans et est supérieure de 18 jours à celle du reste de la population
carcérale. Les coûts de gestion liés à ces transferts sont élevés. Pour les
seuls transports et gardiennage, en 2014‑2015, ils ont atteint plus de 6,5 millions,
et ce chiffre ne tient pas compte de certaines dépenses que le ministère ne
comptabilise pas ni les coûts de la Cour itinérante.
Nous avons constaté un manque d'initiative
dans la mise en place des solutions sur le plan correctionnel, et pourtant ces
solutions sont possibles et connues. Les trois principales sont : la
création d'un pont aérien entre l'Abitibi — principalement
Amos — et le Nunavik, le regroupement de la clientèle qui est
incarcérée au sud du 49e parallèle dans un même centre de détention et
l'utilisation accrue des comparutions à distance, donc des visioconférences,
pour comparaître.
Quelques mots maintenant sur la nécessaire
prévention de la criminalité au Nunavik. Un constat s'impose : les Inuits
sont surreprésentés dans les systèmes de justice et correctionnels. Ces
dernières années, cette surreprésentation n'a fait que s'accentuer, et le peu
de ressources investies en matière de prévention de la criminalité, notamment
des ressources qui visent le traitement des dépendances, l'alcoolisme, les
toxicomanies, sur le territoire participent à cette surreprésentation. Il
est devenu évident que le système de justice ne peut à lui seul mener à une
réduction de la criminalité au Nunavik.
D'autres formes d'intervention sont
requises pour régler adéquatement l'ensemble complexe des problèmes sociaux qui
affectent les Nunavummiuts et qui sont à l'origine de la plupart des dossiers
de la Cour itinérante. Sans minimiser, bien au contraire, les efforts
importants consentis notamment par le ministère de la Justice et la
magistrature pour adapter l'administration de la justice aux réalités et aux
besoins du Nord, la recherche d'alternatives à la judiciarisation devra être
faite à la source du problème en s'attaquant aux origines de la criminalité et
à la prévention.
Sur l'enjeu du financement, je vous dirai
brièvement que des sommes importantes sont investies dans le cadre d'ententes
entre le gouvernement du Québec, l'association régionale Kativik et la Société
Makivik, qui agissent et administrent la région du Nunavik, et que ces sommes
devraient être, à mon avis, investies et gérées d'une manière à assurer à la
fois une meilleure prévention de la criminalité, le respect des droits des
personnes détenues et une administration de la justice qui soit davantage
adaptée aux besoins des citoyens du Nunavik.
Je constate chez les différents acteurs,
tant du gouvernement du Québec que du Nunavik, qui sont concernés que l'accent
n'est pas suffisamment mis sur la prévention. Et, à cette fin, il existe un
programme qui s'appelle le programme Ungaluk, ce qui veut dire Programme
des collectivités plus sûres, qui est un programme important et dont la mise en
oeuvre adéquate contribuerait à solutionner les problèmes, en partie en
tout cas, les problèmes de criminalité par davantage de prévention et
davantage d'accompagnement après l'incarcération pour donner des meilleures
garanties de réinsertion sociale.
Il faut accorder la plus haute priorité
aussi à la consolidation des comités de justice, à l'amélioration de l'offre de
services psychosociaux, de désintoxication, de traitement des dépendances, à
mieux adapter aussi les programmes de réinsertion après l'incarcération. Et je
pense que l'implantation d'un programme de traitement judiciaire qui réponde au
contexte du Nunavik est aujourd'hui devenue essentielle.
J'ai insisté pour que ce rapport soit
déposé à l'Assemblée nationale, étant convaincue que, dans ce dossier, il y a
eu trop d'indifférence, trop de banalisation et qu'il est temps maintenant
qu'un plan d'action solide soit mis en place. Les problèmes sont connus de
longue date, les solutions aussi sont connues. Les enjeux de financement ne
sont pas d'abord et avant tout problématiques parce que beaucoup d'argent déjà
est consenti. Et je souhaite donc... j'espère que les parlementaires se
saisiront de cette question et en feront un suivi régulier, vigilant, de telle
sorte que les personnes du Nunavik, les Nunavummiuts, soient traitées dans le
respect de leurs droits, reçoivent les services du gouvernement du Québec qu'ils
sont en droit de recevoir et puissent bénéficier d'un progrès social qui serait
dans le meilleur intérêt du Nunavik et du Québec. Alors, je vous remercie.
Le Modérateur
: On va
passer à une période de questions. On va commencer avec Jocelyne Richer de LaPresse
canadienne.
Mme Richer (Jocelyne) :
Bonjour, Mme Saint-Germain.
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Bonjour.
Mme Richer (Jocelyne) : Quand
on lit votre rapport, je dirais, la première réaction, c'est la surprise. On se
dit que ça dépasse l'entendement, une telle situation qui pourrait faire penser
à un pays du tiers-monde.
J'aimerais savoir, vous, comment vous avez
réagi quand vous avez pris connaissance de l'ampleur de cette situation-là,
l'ampleur de cette tragédie-là?
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Pour avoir, dans le cadre de mes fonctions au sein de l'Association des
ombudsmans et médiateurs de la Francophonie, visité un certain nombre de
prisons en Afrique, j'ai réagi exactement comme vous en me disant : Le
tiers-monde, ce n'est pas si loin. Premièrement.
Deuxièmement, quand j'ai eu un premier
rapport sur les enjeux correctionnels des enquêteurs qui sont ici présents, on
a rapidement convenu que cet enjeu-là, au fond, que la détention,
l'incarcération, c'était la conséquence de phénomènes beaucoup plus
fondamentaux et que la solution n'était pas dans la judiciarisation, la
surjudiciarisation et l'incarcération qui en découle, mais bien dans la prise
en charge des problèmes qui sont à l'origine des actes criminels, donc des problèmes
de dépendance, des problèmes de violence conjugale, des difficultés d'accès à
l'emploi, des difficultés d'accès à l'éducation, donc toutes sortes d'enjeux qui
sont beaucoup plus des enjeux sociaux que des enjeux de justice au départ. C'est
pourquoi nous avons poursuivi cette enquête et que nous l'avons étendue aux
enjeux qui sont liés à la prévention de la criminalité et aux services sociaux.
Mme Richer (Jocelyne) : Ces
deux dernières années, le gouvernement a appliqué un plan de compressions
budgétaires importantes à tout l'appareil de l'État, tous les ministères,
incluant la Sécurité publique. Dans quelle mesure estimez-vous que ce plan de
compressions là a contribué à aggraver la situation?
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Ce plan n'a aucunement contribué à aggraver la situation parce que les ententes
avec l'association régionale Kativik datent de 2005. Des sommes importantes
sont consenties chaque année, notamment pour le programme Ungaluk, qui est un
programme important, le programme des collectivités... pour des collectivités
plus sûres. C'est un programme qui bénéficie, sur 22 ans, d'un budget annuel de
10 millions de dollars, 10 millions de dollars qui sont indexés, donc
315 millions de dollars environ au total. Ces sommes-là n'ont jamais été
remises en question.
L'enjeu, au contraire, c'est de s'en
occuper. Il y a trop de banalisation, il y a trop de laxisme et il y a trop de
travail en silo entre les ministères concernés et les intervenants du Nunavik.
Alors, moi, j'en appelle à une mobilisation et à une concertation. Les
solutions sont connues, il faut s'en occuper, il faut agir. Et je pense qu'on
est vraiment présentement dans une situation où la population du Nunavik, les Nunavummiuts
ont besoin que ce plan d'action, que ce programme des communautés plus sûres,
il soit vraiment géré adéquatement et qu'il bénéficie progressivement de ces
avantages, de ces impacts positifs.
Mme Richer (Jocelyne)
:
Est-ce que le gouvernement devrait exercer une sorte de mise en tutelle de
l'Administration régionale Kativik, qui joue un rôle important, là, dans l'administration
des villages nordiques?
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Je ne pense pas que l'enjeu de blâmer l'association régionale ou de blâmer un ministère
ou un autre réglerait la situation. On n'en est pas au blâme, on en est, je
pense, à l'action. Il y a une clarification, effectivement, des responsabilités,
il y a une reddition de comptes. Il faut mesurer où va l'argent, ce qui est
fait avec l'argent et qu'on s'assure que les progrès sont là, sont progressifs.
Mais on n'en est pas rendus, je pense, à régler des comptes. On est rendus à
travailler de manière concertée, utiliser l'argent qui est là, poser les bons
gestes.
Parmi les bons gestes, on le sait, ça ne
coûterait pas plus cher, un corridor aérien entre le Nunavik et Amos. Il y a
des enjeux de salubrité dans les centres temporaires de détention, que ce soit
dans les quartiers cellulaires des corps de police ou dans les palais de
justice. Ce ne sont pas des enjeux... On ne s'en est pas occupé. Ce n'est pas
une question d'argent, c'est qu'on ne s'en est pas occupé. Alors, il faut s'en
occuper, il faut agir, et c'est incontournable que cette action-là, elle doive
se faire avec l'ARK, avec la corporation Makivik, et le ministère de la
Justice, et le ministère de la Sécurité publique.
Le Modérateur
: Merci.
On va passer à Louis Gagné, Agence QMI.
M. Gagné (Louis) : Bonjour.
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Bonjour.
M. Gagné (Louis) : Comment se
fait-il que les problèmes que vous énoncez dans votre rapport n'aient pas été
portés à votre attention plus tôt? Parce que, bon, on sait que c'est une communauté
éloignée, mais il y a des gens de la Cour itinérante, il y a des agents des services
correctionnels, des services sociaux, qui s'y rendent. Comment ça se fait que — parce
que ça ne date pas d'hier — ça vient tout juste d'être porté à votre
attention?
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
En fait, beaucoup de rapports ont été faits avant. Il y a eu des rapports de
comités de justice, il y a eu des rapports du Barreau du Québec, il y a eu
d'autres rapports qui ont fait des constats semblables, je dirais, qui n'ont jamais
eu de suite. Nous, pourquoi ça n'a pas été porté à notre attention avant, je
vous dirais, d'abord parce que les gens du Nunavik, les Nunavummiuts
connaissent peu les services du Québec, y compris le Protecteur du citoyen,
sont peu portés à se plaindre, ne connaissent pas bien leurs droits dans un système
de justice, et, je dirais, dans les services publics, en particulier au niveau
des services correctionnels, c'est une question qui a été banalisée.
Et je dirais, dans un premier temps, c'est
en 2012 que nous avons constaté que les responsabilités du ministère de faire
la surveillance de la mise en oeuvre des sommes qui étaient confiées à l'ARK, c'est
là que nous avons constaté qu'il n'y avait pas de rapport annuel de cela. Le
premier rapport qui a été fait, en 2013, c'est nous qui l'avons demandé. Il
était tellement laconique, sans données objectives... C'est là où nous avons
constaté qu'il y avait matière à y aller.
Mais, pour répondre brièvement à votre question,
malheureusement, les gens du Nunavik ne connaissent pas suffisamment leurs
droits, et c'est une question qui a été banalisée et donc qui a été l'objet
d'une considération insuffisante.
M. Gagné (Louis) : Donc, même
si vous dites que l'heure n'est pas au blâme, n'empêche qu'il y a des
gouvernements ou des administrations, peut-être à Kativik, qui n'ont pas effectué
le suivi après qu'on leur eut exposé le problème dans différents rapports.
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Manifestement, il y a eu un manque d'initiative, un manque de proactivité, et
des sommes ont été prévues pour des services publics qui n'ont pas été rendus
selon les règles et la qualité qui étaient attendues.
M. Gagné (Louis) : Puis, bon,
les problèmes que vous dénoncez sont en grande partie liés au fait de
l'éloignement géographique, c'est-à-dire qu'on parle d'établissements de
détention provisoire dans des... soit le corps policier de Kativik et tout ça.
Est-ce que la solution... Même si vous
parlez de regrouper les détenus inuits à Amos, est-ce que, même si c'est une
petite communauté, est-ce qu'on ne pourrait pas aménager un établissement de
détention de moindre envergure, mais qui serait, mettons, au centre de ces
communautés-là? Est-ce que c'est une piste à envisager?
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
La question est tout à fait bien posée. D'ailleurs, c'est ce qui était prévu à
l'origine. Il y avait même un budget, on me corrigera, de 300 millions au
total pour la construction d'un établissement de détention. Toutefois, en 2007,
le gouvernement du Québec et les autorités, Makivik, la corporation Makivik et
l'Administration régionale Kativik, ont décidé d'une alternative à la
construction d'un établissement de détention et qui a été notamment ce programme
Ungaluk, des collectivités plus sûres et des mesures qui faisaient en sorte que
la Cour itinérante siégerait de manière habituelle selon les besoins et que les
détenus seraient plutôt transportés… que les personnes, pardon, soit en attente
de procès ou condamnées à deux ans moins un jour, seraient plutôt transportées
vers des établissements de détention au sud du Québec.
M. Gagné (Louis) : O.K. Puis peut-être
en terminant, vous fixez 30 recommandations, je crois. Est-ce que vous fixez un
échéancier au gouvernement pour mettre en place, là, les différentes recommandations?
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Oui. Premier échéancier pour l'ensemble des conditions de salubrité qui
viennent enfreindre le respect des droits dans les centres de détention
temporaire, c'est immédiatement nettoyage, désinfectation et, par la suite,
entretien régulier. Et, pour les autres recommandations, j'ai demandé un plan
d'action pour la fin du mois de mai 2016 sur l'ensemble des autres recommandations.
M. Croteau (Martin) : J'aurais
une dernière question en français avant de passer… Ah! Une question en français?
Journaliste
: En
anglais.
M. Croteau (Martin)
: En
anglais? Avez-vous objection à ce que je pose ma question en français avant de…
Merci. Bonjour. Votre rapport semble décrire un cercle. Il y a les conditions
de détention qui nuisent à la réinsertion, il y a les problèmes de réinsertion
qui alimentent la criminalité et la criminalité qui vient alimenter les problèmes
dans le… À quel point tous ces éléments sont interreliés et s'amplifient les
uns les autres à vos yeux?
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Bien, ces éléments sont… Il y a effectivement une relation de cause à effet.
Le taux d'incarcération, donc de criminalisation des personnes du Nunavik, est
plus élevé que pour les citoyens du Québec ou que pour aussi les autres Premières
Nations dû au fait que, compte tenu de leur éloignement, lorsqu'ils commettent
une infraction, ils sont immédiatement détenus en garde provisoire. Et cette
garde-là, elle se prolonge dû au fait qu'ils doivent venir au Sud, généralement
à Amos, pour être entendus pour une première comparution. Et ensuite, lorsque c'est
le temps de subir leur procès, ils doivent retourner au Nunavik.
Donc, ça fait des délais très importants,
des délais qui, depuis 10 ans, ont été augmentés de huit jours pour les
personnes du Nunavik et qui sont de 18 jours plus élevés, en moyenne, que
pour les autres citoyens du Québec. Alors, premier élément, et ça, ça encourage,
ça entretient les stéréotypes. C'est qu'on les incarcère plus longtemps en
raison des conditions et de l'éloignement.
Ensuite, la prévention de la criminalité,
ce serait important qu'ils aient accès, autant qu'ailleurs au Québec, à des programmes
de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, à de l'accompagnement
psychosocial, à toutes sortes de séances pour prévenir notamment la violence
conjugale, mais tout ça n'est pas géré adéquatement, tout ça n'est pas
accessible en temps opportun. Alors, ça fait en sorte qu'il y a des relations
de cause à effet, moins de prévention, moins d'accompagnement et aussi moins
d'accompagnement pour comprendre le système de justice. Leurs actes
d'accusation sont généralement déposés en anglais. La majorité des gens parlent
l'inuktitut, donc, déjà, ne comprennent pas exactement la portée des actes
d'accusation.
Pas suffisamment d'accompagnement, et d'ailleurs
une des recommandations, et ça a déjà été fait, cette recommandation-là, par
d'autres, c'est les comités de justice qui pourraient mieux vulgariser, dans
chacun des villages, les règles, le système de justice. Comment veut-on qu'ils
aient confiance dans un système de justice dont ils ne comprennent pas les règles,
le mode de fonctionnement?
Alors, oui, tout ça, effectivement, se
complète et se renforce d'une manière qui est négative, et c'est sur ça qu'il
faut travailler, sur ces trois dimensions.
M. Croteau (Martin) : Vous y
avez fait allusion tantôt, comment qualifieriez-vous le degré de sérieux qui a
été accordé à cette situation par les autorités politiques et les autorités
régionales de Kativik?
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Malheureusement, un degré de prise en charge insatisfaisant. C'est une situation
qui a été banalisée, et on s'est confortés dans l'explication que j'ai entendue
relativement officiellement, qui est de dire : Ah! les gens du Nunavik, au
fond, ils sont habitués de vivre dans des habitats surpeuplés, ils ne se
plaignent pas, ce sont des gens qui sont habitués à des conditions difficiles.
Et, pour moi, la Protectrice du citoyen, c'est un commentaire qui est totalement
inacceptable. On ne peut pas avoir différents niveaux de services publics, des
services publics à deux vitesses selon là où sont les citoyens, selon leur
éloignement. Il n'y a pas de commodité administrative qui justifie le manque de
respect des personnes et de leurs droits.
Alors, il y a eu une banalisation de cette
situation-là, une prise en charge manifestement insuffisante, pas de
leadership. Il faut un leadership dans un dossier comme celui-là, et j'espère
que ce rapport, qui s'ajoute à d'autres rapports, notamment de la magistrature,
va être le déclencheur de l'action et va faire en sorte que progressivement les
problèmes sociaux du Nunavik vont être réglés et que le progrès social, auquel
les Nunavummiuts ont toutes les raisons d'aspirer, va enfin être rendu
possible.
M. Croteau (Martin) : Ça
ressemble presque à un système d'apartheid que vous décrivez là.
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Ce n'est pas le mot que j'ai utilisé, c'est le vôtre, mais c'est certain, je
n'irai pas jusqu'à l'apartheid parce qu'il y quand même eu une volonté, certains
efforts. Mais je dirais que c'est un traitement différencié, un traitement
insuffisamment adapté et un traitement qui ne donne pas les résultats qu'il
devrait donner.
Et on entend souvent, je suis la première
à le dire, dans certaines situations, il manque de ressources, il y a des ressources
insuffisantes pour rendre des services. Mais, dans ce cas-ci, ce n'est pas d'abord
et avant tout de dire qu'il n'y a pas d'argent et il n'y a pas de ressources.
Au contraire, il y a de l'argent, il y a des ressources. Il faut agir de
manière concertée, et surtout, dans le cas du Nunavik, on n'en est plus à d'autres
réflexions, ou à des groupes de travail, ou à des comités. On est à mettre en
forme le plan d'action. Les solutions sont connues, il faut les mettre en oeuvre.
Le Modérateur
: Merci.
On va passer aux questions en anglais. Phil Authier, The Gazette.
M. Authier (Philip) : Just one question.
Did you examine the possible costs or the viability of a single correctional
facility in Nunavik? Would it
be possible to have one prison which would… And did you… because obviously
there is none there.
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : No. This scenario was… First of
all, the scenario that the Government of Québec and the
Makivik Corporation has agreed to in 2005… but, in 2007, they decided to act in
another way. They decided that, instead of building a prison in Nunavik, they would invest $10 million a year for a program called
Ungaluk program. This is a program that's called for better security in our
communities, and that the detention will take place in Southern Québec, mainly in the Amos detention centre.
And that's why we didn't put in question that scenario, because it's a decision of both the Government of Québec and the Makivik Corporation.
M. Authier (Philip) : But nothing seems to be working. I was looking at the statistics, the percentage of Innus in prison is higher than even
the average in the First Nations communities, and the number of crimes they
commit is much higher than the Québec average. This seems to be… As you've
mentioned in French, it seems to have been a problem that's been going on a
very long time, but there doesn't seem to be any light at the end of the tunnel
in here.
Mme Saint-Germain
(Raymonde) :Well, it's going worst and worst,
and because of this way of managing correctional services and justice, it is
increasing the data regarding the incarceration of Nunavummiuts, because they
have to stay longer in preventive detention and after that, when they have to
go to permanent detention, they also stay longer.
So it kinds of encourage
stereotypes regarding them, and it is sometimes… in someway, it is unjust,
because they have to pay for the lack of judicial services that are designed
for their environment and situation and they also are deprived of, I would say,
health and social services that they need in order to prevent crime, to get
more social reintegration that is needed after their incarceration.
So they are victims of a
system that is designed for, I would say, white people in the South, in
Southern Québec. We have to adapt our way of managing the public services in Nunavik. We have to adapt to them, to their
culture, their needs and not try to pursue that way of asking them to adapt to
us.
Le Modérateur
:
Thank you. Gentleman in the back.
M. Fennario (Tom) : Hi. Tom Fennario, APTN National News. You already said this in
French, but I would like, for viewers, to hear it in English. What was your initial
reaction when upon hearing about the problems of justice in Nunavik?
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : Well, as I had the opportunity to
visit some prisons in Africa, my first reaction was to say : Well, it's no
different from Africa. And we are in a law society. The rule of law should prevail in Québec. And so this is very disturbing
to realize that, even in 2016, people in Nunavik do not receive the public services that they would deserve, that we
do not adapt our correctional services and our justice system
enough in order to serve them in the right way, and that we do not act enough
for the social progress in Nunavik. So that's very disturbing for the
ombudsperson.
M. Fennario (Tom) :
And you talked, a little bit before, about the two justice systems in Québec. Could
you elaborate a little bit on that, about the difference between justice of
North and justice in the South?
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : Well, the justice system should be the same, according to
the same laws and the same rules. But, regarding Nunavummiuts, we treat them in a justice system that do not adapt to their ways of
living, to their values. Very often, they do not even understand the language
of this system. It is not enough accessible to them, and they have to be much
more longer under the responsibility of correctional services because they are detained longer than
other Quebec's citizens because
there's no detention centre in Nunavik. They have to be transferred to the
South, travel long delays, long way, very difficult, dire conditions. And even
there, in South, almost nobody in the system speaks Inuktitut.
They do not understand
the rules and when they are back, after their incarceration, they do not
receive the services they should receive, services for which the Government of Québec pays, by the way : social rehabilitation services, drug
indictment services, all this type of support they need in order to reintegrate the society, go back to work, very often because
they have been criminalized, they lose their jobs.
So we have to adapt to
that situation and try to
prevent criminality much more than keeping on having them in prison, and
incarcerated, and back and back into the justice system.
M. Fennario (Tom) : Is it a question of
just increasing funding to fix things or is it a matter of changing management?
Mme Saint-Germain
(Raymonde) :First of
all, it's not a matter of funding because I believe
that enough funding is there to deliver the main services they need. There is a
lot of money that has been invested, for many years, in the Nunavik by the Government of Québec. The problem is there is no, I would say,
there is no sharp management of this money. There is no wise investment, an
action plan that is followed, that is measured. The impacts are not really
known, and the Nunavik people do not receive the public services that the
Government paid for at the level they should receive it.
And one of my main worry
in that situation is that : How can they trust the system? How can they
trust the public services when they do not receive what they should receive and
when they are not implied and treated in a way that is
respectful of who they are, what they need and a way that does not increase
their social progress?
M. Fennario (Tom) : Does it fall strictly on the Minister of Public Security or it's Kativik Regional Government, also…
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : Well, they are both responsible
for providing the services. There is a sharing of responsibilities between
them. It is known what services are needed. There is expertise to provide these
services, but there is a kind also of, you know, banalization of the situation.
Nunavummiut people are not people that complain very much. They accept situation, they are very resilient, and
somewhere, perhaps, there is an abuse of them because of these reasons and this
not acceptable.
M. Fennario (Tom) : Merci beaucoup,
madame.
Le Modérateur
: Catou MacKinnon, CBC.
Mme MacKinnon (Catou)
: Hello. Can you tell me what do you think of the decision back in
2007 of instituting a program instead of putting a
correctional facility in the North?
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : Well, I believe that incarceration is not the first
solution. That's why, theoretically, the institution of the Ungaluk program,
which is a program to increase security in the Nunavik communities, seems to be
a good idea, if you implement the program. But it has not been implemented as
it should have been, and, at the same time, the incarceration was still the
first option.
And that's why, without
rehabilitation programs and without support after incarceration of the
detainees when they go back to Nunavik, the solution was not the good one. The
social progress in Nunavik has not been the first preoccupation and there is
still room for much more action, much more well-designed services in order to
increase the social progress of Nunavik.
Mme MacKinnon (Catou)
:
Since you've said that money is not a problem, should there be an Auditor
General's report into where some of this money has been spent? I don't think
that it's all been spent yet, but there was a pocket of $300 million.
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : Well, I don't have to speak for the Auditor General,
first, but what I do believe is that, starting from now, the public services
and the Kativik administration should join their
forces, develop and action plan in order to tackle the dire problems this report
has assessed. That is over judiciarisation, unacceptable detention conditions
and not enough crime prevention. And, for the prevention of crime, they need
more social programs, programs that will prevent and treat addictions.
The solutions are there,
they are known. So action, expertise, people working together and, you are
right, the money should go to the right place in due time. This is not
contradictory with, eventually, an investigation, for the past years, where
went the money. But, according to me, it is not the first action to take now.
Mme MacKinnon (Catou) : What shocked you the most?
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : The whole assessment of this
report, but I would say that, in my investigations, my investigators may
confirm… When I have read their first reports, that there are surveillance
cameras on the sanitary installations working 24 hours a day, even when
the detainees are using these installations, for me, it is such an infringement
of the right of dignity that this is, for me, unacceptable, and I cannot just
imagine that this might have been tolerated.
Mme MacKinnon (Catou)
: You talked about banalization and indifference. Where do you think
that is coming from?
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : Ignorance of the reality of
Nunavummiuts, other priorities and the fact that, you know, sometimes, with
some public services, if there is no complain, there is no problem.
Mme MacKinnon (Catou)
: You said, at one point, that somebody said that, well, you know, Inuit
are used to living in crowded places, they are used to harsh conditions. Who
said that?
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : I won't not tell it to you, but I
can say that this person is working at the public services and will have to act
very differently, starting from now, in order to implement this program.
Mme MacKinnon (Catou)
: The cleanliness of the cells that you
talked about and the situations in the North are the responsibility of the
Kativik Regional Government. What is your message to their leaders?
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : Clean the cells. You have the money to do that. You are there
to take care of the Nunavummiut people, and they deserve better services than
what they have received until now. That's my message.
Mme MacKinnon (Catou)
:
You also said that there's been a lack of adaptation. Essentially, the system is
made for white people in the South and doesn't take into account any kind of
cultural or linguistic difference. Where is the role of the Kativik Regional
Government in this?
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : Well, this investigation was not... You know, we... the
Public Protector has no competence over this jurisdiction. What I can say is
that the money that is transferred to the Kativik Regional Administration is
provided for these services, and there's enough money, according to me, that is
transferred, and their responsibility is to take care of the well-being of the
population. But, once again, my jurisdiction is not over these governments, our
investigation is not on their action, but I hope that the situation for the
Nunavummiut people resulting both from the services provided by the Government
of Québec and those provided by the Nunavik Government will be improved in the
shorter possible delay.
Mme MacKinnon (Catou)
: On a more hopeful note, what difference would it make if there was
a detox or rehab center in each one of the 14 communities?
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : It would make a big, a huge
difference because, mainly, the incarceration is for criminal acts that are
regarding domestic violence, violence against children, and that results from
intoxication, be it from alcohol or other drugs.
Mme MacKinnon (Catou)
: And I haven't checked yet, but I asked the Justice Department
whether or not these people... You talk about the justice committees that are
essentially set up to explain to Inuit : This is how that works, here's
where you can go for help afterwards. Do you think that the people on those
committees should be paid? That should be a job?
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : This is not the way we have
examined this situation, but, if needed, why not? Because there are no justice
committees in every village. Those who are there sometimes lack of resources, it
might be also financial resources. And, once again, there is money in this
agreement between the Government of Québec and the Nunavik Administration, so put the money in the right place. And the prevention of crime
is the first goal that should be attained, so why not putting the money first
there? For sure, there will be need for incarceration, the justice system will
still… the rule of law should apply, but the first result, I hope, that will
follow this investigation is that more money, more action, more effective
action will be invested in the prevention of crime, and this in the interest of
all the Nunavummiut people.
Mme MacKinnon (Catou)
: And I'll ask you again : Do you think there should be an
investigation into where the money went?
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : It might be a good idea, but not
this investigation before or in place of action, the right action in due time,
effective action. And, once again, there is money for that, and we should know
where the money is going and monitor much more than it was done. In fact, there
was no monitoring of where the money went.
Le Modérateur
: Merci, tout le monde. Merci, Mme Saint-Germain.
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : You're welcome. Merci.
Mme MacKinnon (Catou)
: I have one more question, I forgot. I didn't have time to get through the entire report, but
you also talk about the rise in incarceration, and it's quite dramatic in the
last five years. Did you find any causes for that? Was there... I know it's
not… it wasn't within the mandate.
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : Well, more drugs, more alcohol
and the fact that the itinerant court is going much more frequently in the
North. And there is a vicious circle : much more they go, much more people
are judiciarised, so the datas are increasing. But the main cause of the higher
crime rates is crimes that result from drug, alcohol… aggressions that…
assault, I'm sorry, that are due to over abuse of substances.
Mme MacKinnon (Catou)
:Has there been any link with the mining projects there,
any link with the mining projects? And, in some
communities, there have been large amounts of money.
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : Well, the mining project is very good. Economically, it's
very good and the Nunavummiuts are well treated by the company, they received
money, but they have more money, and, at the same time, the drug traffic and the alcohol traffic have followed the money and they
increase in the economic situation, so that's… But I would say that another… once again, drugs and
alcohol have very, very bad effects. If you work for the mine and you are
incarcerated, you will be fired, so, when you're back, you have a judicial
case, you won't be hired again by the mine. So, this is a problem that has
many, many causes, and we have to act at the same time on all of these causes.
Mme MacKinnon (Catou)
:Thank you again.
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : You're welcome.
Le Modérateur
:
Merci, tout le monde.
(Fin à 12 h 1)