(Onze heures quatre minutes)
M. Jolin-Barrette : Alors,
bonjour à tous. Le 2 février dernier, la juge Alary de la Cour supérieure a
rendu un jugement en Cour supérieure sur la question des mariages religieux
n'ayant pas de conséquence civile. La Cour supérieure laisse entendre qu'un
mariage religieux ne pourrait pas avoir de conséquence civile. La Procureure
générale, par le biais de ses avocats, Mme Stéphanie Vallée, la ministre de la
Justice, a plaidé qu'au Québec les mariages religieux pouvaient ne pas avoir de
conséquence civile. C'est irresponsable, c'est dangereux et contraire à l'ordre
public.
Le Code civil du Québec a toujours été
interprété de la même façon, en vertu de l'article 118 et 366, à l'effet qu'un
célébrant devait transmettre la déclaration de mariage suite à un mariage, donc
d'autant plus que, sur le site Internet même du ministère de la Justice, depuis
des années, c'est déjà prévu c'est quoi, les prérogatives... en fait, ce qu'il
y a à faire pour un mariage religieux. Vous me permettrez de le lire un peu, les
démarches liées au mariage religieux, c'est prévu sur le site Web du ministère
de la Justice.
Donc, avant de se marier religieusement,
ce que les époux doivent faire : «Avant la cérémonie du mariage religieux,
les partenaires du couple rencontrent un célébrant, fixent avec lui la date de
leur mariage et s'assurent qu'il est bel et bien autorisé à célébrer les
mariages en lui demandant de consulter le document d'autorisation qui lui a été
remis.» Au Québec, si vous êtes un célébrant religieux, vous devez être autorisé
par la ministre de la Justice. Donc, les époux doivent vérifier que le
célébrant est bien autorisé par la ministre de la Justice à célébrer le
mariage.
Suite au mariage, quelles sont les
obligations pour un mariage religieux pour le célébrant religieux? Le site
Internet du ministre de la Justice dit la chose suivante : «Après la
cérémonie, le célébrant transmet la déclaration de mariage au Directeur de
l'état civil, qui vérifiera le document et dressera l'acte de mariage.»
Donc, concrètement, depuis des années, le
Code civil a toujours été interprété de la même façon. Pourquoi est-ce que c'est
comme ça? C'est pour assurer la protection des valeurs québécoises, la
protection de l'égalité entre les hommes et les femmes. C'est une question
d'ordre public et c'est fondamental que la protection de l'égalité entre les
femmes et les hommes soit respectée.
On pourrait se retrouver dans des situations
de mariage forcé, où un prêtre, un imam ou un rabbin pourrait célébrer un
mariage, et, sans transmettre la déclaration de mariage, ça ferait en sorte que
l'épouse, madame se retrouverait dans une situation de vulnérabilité et elle
n'aurait pas droit aux protections associées au mariage. Et ça, c'est encore
plus fondamental aussi parce que ça un impact sur les enfants aussi. Lorsque
vous êtes mariés, les enfants bénéficient du régime de protection associé au
mariage. On se retrouve dans une situation où les femmes pourraient se
retrouver en situation de vulnérabilité et aussi les enfants. Donc, la question
de l'égalité entre les hommes et les femmes est primordiale à ce niveau-là.
Dans le cadre du jugement, c'est un
tournant que la ministre de la Justice a pris par le biais de ses procureurs.
C'est une révolution, et nous demandons à la ministre de la Justice de revenir
sur sa position, sur la position de ses procureurs, surtout qu'on s'en va en
appel présentement. C'est dangereux, ça ouvre la porte à des mariages
clandestins, à une situation de droit où les gens vont pouvoir se marier
religieusement sans qu'il y ait de conséquence civile. Je vous le dis, c'est
dangereux pour la question de l'ordre public et pour la question des mariages
religieux.
C'est une question de valeur fondamentale
pour les Québécois. Lorsque vous vous mariez au Québec, il y a des conséquences
civiles. C'est pour assurer la protection de l'ordre public, la protection de
l'égalité entre les hommes et les femmes. Ça garantit une protection juridique,
et on va, par là, s'assurer du consentement des époux.
Et là ça m'amène à vous parler des mariages
forcés. Si la position de la ministre de la Justice est maintenue, ça pourrait faire
en sorte de légitimer les mariages forcés parce qu'on ne vérifie pas le consentement
des époux. On pourrait se trouver dans une situation où il y a une célébration de
mariage, et l'époux décide, avec le célébrant religieux, entre eux, de ne pas
transmettre la déclaration de mariage. Et là la femme se retrouve dans une
situation où, quelques années plus tard, n'a plus, au moment où il y a fin de
l'union, n'a aucune protection associée au mariage sans qu'elle n'ait même
consenti à ne pas avoir ces protections-là.
Prenons un autre cas aussi. Dans certaines
communautés religieuses, pour pouvoir avoir des relations sexuelles, vous devez
vous marier. Et, dans l'éventualité où il y a consommation du mariage
religieux, et puis, quelques jours après, monsieur décide de répudier madame,
bien, la dame se retrouve sans aucune protection juridique et, dans sa
communauté, elle se retrouve d'avoir un opprobre social associé à sa condition
maintenant d'épouse ayant consommé le mariage. Donc, c'est très important de
comprendre que les règles qui étaient prévues au Code civil du Québec l'ont été
pour la protection de l'ordre public, pour la protection de l'égalité entre les
hommes et les femmes, et on ne peut pas accepter qu'au Québec que des mariages
religieux soient célébrés sans qu'il y ait de conséquence civile.
On invite les gens qui veulent avoir ce
genre de mariage là à aller se marier ailleurs qu'au Québec.
M. Dutrisac (Robert) : Si le
Procureur général du Québec a plaidé ça, et semble-t-il que le jugement donne
raison au Procureur général du Québec, hein, sur le premier jugement, c'est ma
compréhension. C'est votre compréhension aussi? Est-ce que le juge donne raison
à l'interprétation du Procureur général du Québec?
M. Jolin-Barrette : Ce qu'il
faut dire dans le jugement, là, c'est un argument constitutionnel qui est
plaidé, et le jugement, ce qu'il laisse entendre, c'est que les mariages religieux
n'ont pas de conséquence civile. Ce que ça veut dire, c'est que monsieur qui
était baptiste, O.K., lui, quand il s'est marié en 1999, il dit : Pour
exercer ma foi puis pour pouvoir vivre avec une femme, dans ma religion, je n'ai
pas le choix de me marier. Ça, c'est la base du jugement.
Monsieur conteste les dispositions du Code
civil du Québec parce qu'il dit : C'est discriminatoire, ces dispositions-là,
parce que je suis obligé de me marier en raison de ma religion. Donc, lui, ce
qu'il invoque, c'est la liberté de religion. Le Procureur général, de l'autre
côté, dit : Non, non, ce n'est pas discriminatoire. Au Québec, on permet
les mariages religieux sans qu'il y ait de conséquence civile.
Donc, sur la question de la
constitutionnalité, la juge donne raison au Procureur général, c'est vrai, sauf
que ce qui est plaidé, puis le Procureur général, la ministre de la Justice ne
l'a sûrement pas vu, la conséquence que ça a, c'est la conséquence que je vous
dis, que des mariages religieux n'ont pas d'effet civil.
M. Dutrisac (Robert) : …elle
a des conséquences de cette interprétation-là. Ça, je le comprends. Est-ce que
justement, puisque c'est possible que ce soit interprété de cette façon-là, ça
nécessiterait une précision?
M. Jolin-Barrette : Bien, je
pense que…
M. Dutrisac (Robert) : ...amender
le Code civil, là, pour…
M. Jolin-Barrette : Le Code
civil a toujours été lu de cette façon-là. À preuve, dans le dossier, ils ont
fait témoigner l'archevêché de Montréal, l'Église catholique, parce qu'il faut
se rappeler qu'à l'époque, au Québec, les mariages religieux qui étaient
célébrés, principalement c'étaient des mariages chrétiens, donc en majorité
catholiques, à cause de l'historique français, et des mariages anglicans, mais
qui sont chrétiens tout de même. Et donc, quand les dispositions ont été
intégrées aux livres en droit de la famille, ce que le législateur avait en
tête principalement, c'était : quand on parlait de mariage religieux, on
parlait de mariage catholique ou de mariage protestant sous la chrétienté.
Donc, l'impact que ça a, c'est que ça a
toujours été interprété de cette façon-là. L'archevêché de Montréal l'a dit, et
on peut le lire dans le jugement, vers la fin des paragraphes, que, pour
l'Église catholique, on a toujours transmis la déclaration de mariage, parce
que, pour être célébrant, pour célébrer un mariage, vous devez être autorisé
par la ministre de la Justice. Et c'est la même chose au niveau des imams, même
chose au niveau de la religion juive aussi pour célébrer le mariage.
Et là ce qu'on constate, c'est que les
libéraux sont mal à l'aise avec la question d'identité, au niveau de l'égalité
entre les hommes et les femmes. Ils ne sont pas capables de mettre leurs
culottes puis dire : Au Québec, un mariage religieux, ça a des
conséquences civiles, pour ne pas déplaire à leur base électorale entre autres.
Et je vous le répète, c'est une question d'ordre public. Et c'est fondamental
qu'au Québec, lorsque vous vous mariez, il y a des protections juridiques et
que vous puissiez y consentir. Là, on se retrouve dans une situation où une
femme se marierait et elle ne saurait même pas qu'elle n'a pas droit au patrimoine
familial, au régime impératif. Son consentement n'est pas libre et éclairé. C'est
dangereux, et la position de la Procureure générale est intenable, et c'est
surtout irresponsable présentement. Ce à quoi ça ouvre la porte, c'est
complètement irresponsable. Et je ne comprends pas…
M. Dutrisac (Robert) : Mais
comment fait-on pour fermer la porte justement? C'est ma question puisque le
Procureur générale du Québec a ouvert cette porte-là, semble-t-il. Ça a été
avalisé, en tout cas, par la cour. Comment on le referme, ça, cette porte?
M. Jolin-Barrette : Bien, en
fait, la cour y va par le biais d'un commentaire que ça n'a pas de conséquence
civile, mais c'est ce qui a effectivement été plaidé par le Procureur général.
Je pense que la première chose à faire pour envoyer un message clair, c'est que
la ministre de la Justice revienne sur sa position et dise : Écoutez, on
l'a toujours interprété de cette façon-là, on revient à notre interprétation
traditionnelle qu'un mariage religieux, il y a des conséquences civiles, et le
fin mot de l'histoire, c'est l'obligation de transmettre, pour le célébrant, la
déclaration de mariage au Directeur de l'état civil.
Il faut que ça soit très clair. Il faut
que la ministre de la Justice envoie un signal clair que, sur le territoire
québécois, à partir du moment où vous célébrez un mariage religieux, ça a des
conséquences civiles. Il faut qu'elle envoie un message clair en ce sens-là, et
je l'invite à agir en ce sens-là parce que le Code civil du Québec a... et par
aux juristes, a toujours été interprété en ce sens-là. Donc, s'il y a nécessité
de clarifier le code, je l'invite à le faire le plus rapidement possible, mais
c'est surtout sa position à elle, par le biais de ses avocats, qui est
inconséquente, irresponsable et déraisonnable.
Mme Fletcher (Raquel) : Excusez-moi,
Raquel de Global News. Avez-vous...
M. Jolin-Barrette : Bonjour.
Mme Fletcher (Raquel) :
Bonjour. Avez-vous des chiffres ou des statistiques qui sont spécifiques? Vous
avez parlé des mariages forcés. Avez-vous des statistiques spécifiquement pour
le Québec à ce sujet-là?
M. Jolin-Barrette : Non, je
n'ai pas recensé le nombre de mariages forcés, mais ce que je veux dire, c'est :
Ça ouvre la porte, la position de la ministre de la Justice, à, dans un premier
temps, des mariages forcés, mais pas uniquement des mariages forcés, aussi des
mariages religieux sans conséquence civile, mais sans que les époux puissent
donner un consentement libre et éclairé à ne pas avoir de conséquence à leur
mariage.
Et ce que le législateur a voulu, quand
ils ont adopté le Code civil du Québec en 1980, la partie sur le livre en droit
de la famille, c'était que les célébrants transmettent la déclaration de
mariage. Et d'autant plus, c'est prévu sur le site Web de la ministre de la
Justice qu'il y a des obligations pour le célébrant religieux. Il doit être
enregistré au Québec s'il veut célébrer un mariage, il doit rencontrer les
époux, il doit démontrer qu'il a le certificat pour célébrer le mariage et, par
la suite, il doit transmettre la déclaration de mariage.
Donc, la ministre de la Justice doit
clarifier la situation, elle doit revenir sur sa position et, en appel,
j'espère qu'elle va agir de façon responsable et surtout assurer que l'égalité
entre les hommes et les femmes est préservée. C'est la valeur fondamentale...
une des valeurs fondamentales du Québec sur laquelle notre société est basée et
il n'y a pas de... il n'y a aucune façon qu'on doit mettre cette valeur
fondamentale là du Québec de côté. C'est primordial de la faire respecter et c'est
le ciment de notre société. Il faut éviter que des mariages religieux — puis
c'est ça, la conséquence la plus importante — soient célébrés et sans
que les femmes soient au courant qu'il n'y a pas de conséquence. Ça place les
époux et les épouses dans une situation de vulnérabilité où leur consentement
n'est même pas validé.
C'est une dérive de la ministre de la
Justice de plaider en ce sens-là et d'amener les Québécois, les Québécoises à
avoir une incertitude aussi grande sur les mariages religieux n'ayant pas de
conséquence civile. Ce n'est pas acceptable, de la part du Procureur général,
d'adopter une telle position, d'autant plus que ça maintient les Québécois dans
un flou artistique. Et on constate que la ministre de la Justice, à ce
niveau-là, n'est pas consciente des réalités que sa position peut prendre. C'est
extrêmement grave.
Mme Fletcher (Raquel) : Sur
un autre sujet, le ministre de l'Environnement, ce matin, a dit qu'il voudrait
une injonction sur les pipelines TransCanada. Est-ce que vous pouvez commenter?
M. Jolin-Barrette : Bien, écoutez,
principalement, moi, ce matin, j'étais vraiment sur la question des mariages
religieux. Je vais laisser mon collègue Mathieu Lemay, notre porte-parole en
Environnement, c'est vraiment son dossier, pour commenter, là, sur la demande
d'injonction qui a été présentée.
Des voix
: Merci
beaucoup.
M. Jolin-Barrette : Merci.
(Fin à 11 h 16)