(Onze heures vingt-sept minutes)
M. Khadir
: Alors,
bonjour. On a encore entendu le ministre Barrette essayer de justifier
l'incorporation des médecins. Moi, je pense que M. Barrette, mon collègue
spécialiste, a tout à fait tort. C'est un privilège inacceptable. Si ce
privilège est accordé à d'autres gens qui ont des très hauts revenus, c'est tout
aussi inacceptable. Ce n'est pas parce qu'il y en a d'autres qui le font que
nous, les médecins, on doit se permettre de faire ça.
Je rappelle qu'en moyenne les
omnipraticiens, là, et les spécialistes, on fait au-dessus de
300 000 $ par année, les spécialistes plus que les omnipraticiens. Et
ce n'est certainement pas des entreprises qu'on mène, ce n'est pas une
corporation, ce n'est pas une ferme. Nous sommes des professionnels.
Alors, j'aimerais rappeler que ça fait
longtemps que nous demandons qu'il faut mettre fin à ces privilèges indus. Il y
en a 10 000 parmi les médecins. C'est peut-être une bonne nouvelle pour la
moitié des autres médecins qui, comme moi, ne sommes pas incorporés. Moi, je ne
le deviendrai jamais. Les médecins, là, il y en a la moitié qui ne le sont pas,
et je les félicite. Et je m'adresse à l'autre moitié des 10 000 médecins
pour leur demander : Est-ce que ça vaut vraiment la peine d'entacher notre
profession, d'entacher notre crédibilité, d'entacher notre réputation de
professionnels avec ce genre de stratagème? Parce que c'est un stratagème
fiscal légal, mais qui prive l'État québécois de centaines de millions de
dollars de revenus en impôt.
Ce qui est malheureux, c'est que
malheureusement des firmes de spécialistes fiscales sont après les médecins
depuis des années pour les encourager à faire ça, mais, pire encore,
malheureusement, même la Fédération des médecins omnipraticiens, sur son site,
a un article depuis des années pour, disons, encourager des médecins. Ça, c'est
juin 2010 : «Pour un médecin, le principal avantage de l'incorporation
réside assurément dans la réduction de sa charge fiscale...» Alors, si M.
Barrette avait un doute, j'espère que ça va être levé.
D'ailleurs, une firme spécialisée dans la
chose le dit également, hein, la firme… l'incorporation des médecins au Québec…
Fiscalliance, sous la plume de François Drouin, comptable. Premier point, les
principaux motifs justifiant l'incorporation d'un médecin : «L'incitation
principale à la base de l'incorporation réside certainement dans l'avantage
fiscal énorme qui peut en découler.» Y a-t-il un doute encore? S'il y avait un
doute, le Dr Bernard, président du Collège des médecins, qui a admis que l'incorporation
se fait strictement pour des raisons fiscales. «C'est pour pouvoir étaler les
revenus à travers les années et économiser de l'impôt.»
Économiser de l'impôt. Là, M. Barrette va
encore dire : C'est légal, d'autres le font. C'est une réponse, ça? Bien
des entreprises, actuellement, font de l'évasion fiscale. Ça ne nous empêche
pas, à l'Assemblée nationale, de trouver ça inacceptable et d'avoir une
commission parlementaire, actuellement, qui se penche pour voir comment on met
fin à ça, toutes les pratiques d'évitement fiscal, qui reviennent à de
l'évasion fiscale, en quelque sorte, qui fait en sorte qu'aujourd'hui, là, les
contribuables québécois ont de la difficulté à rencontrer les besoins de l'État,
à financer les services publics.
On coupe partout. Il est inadmissible qu'un gouvernement
qui a imposé l'austérité pendant tant d'années aujourd'hui banalise le fait que
des très hauts revenus... Je vous rappelle, les médecins font partie du
1 % de la population qui gagne les plus hauts revenus, au-dessus de
250 000 $. Il y en a 43 000 contribuables à peu près au Québec.
Sur les 43 000 qui font au-dessus de 250 000 $, bien, il y en a
une vingtaine de milliers, c'est des médecins. Et on apprend que la moitié de
ces médecins-là sont incorporés, et ça fait perdre des centaines de millions de
dollars chaque année en impôt au Québec.
M. Gagnon (Marc-André) : Le
ministre des Finances vient de nous dire : L'incorporation des médecins,
c'est avec l'ordre des médecins qu'il faut voir ça.
M. Khadir
: C'est une
ignorance incroyable. Comment est-ce que M. Leitão peut dire ça? J'invite M.
Leitão à aller regarder ses lois fiscales, là. J'invite M. Leitão à consulter
la page 111 du rapport du statut fiscal des particuliers pour voir... c'est
dans ces lois et dans les lois et règlements sur l'impôt que ça réside. Ce
n'est pas le ministre de la Santé qui, il y a une trentaine d'années, a décidé
que... d'abord, a décidé qu'on donnait un rabais de 50 % dans les revenus
en dividendes qui ont poussé... une fois que des avocats et des corporations
l'ont fait, bien, on a dit : Bien, pourquoi ne pas se constituer en
incorporation puis verser son salaire en dividendes?
M. Gagnon (Marc-André) : M.
Barette et M. Couillard étaient tous les deux, eux-mêmes, incorporés. Est-ce
que ça ne les place pas dans une situation à tout le moins d'apparence de
conflit d'intérêts lorsque vient le temps de discuter de ce sujet-là?
M. Khadir
: Bien, je
ne le savais pas, vous me l'apprenez. Bien, je trouve ça terrible. Ils devraient
être les premiers à donner l'exemple. Ils auraient dû être les premiers à
donner l'exemple. Deux hommes qui voulaient rentrer en politique devraient être
les premiers à les dénoncer pour ne pas donner, justement, l'apparence de
conflit d'intérêts.
Alors, si c'est le cas, d'abord, il
faudrait y mettre fin, et j'aimerais les entendre, comme moi, appeler les
10 000 médecins qui le sont actuellement de penser à tous les
contribuables qui, cette semaine, qui, la semaine prochaine, vont payer des
impôts, qui n'ont pas ces avantages-là, qui ne peuvent pas bénéficier des
services de fiscalistes chèrement payés pour arranger tout ça, étaler leurs
revenus, payer à une conjointe, toute une série de stratagèmes pour échapper
à...
Pourquoi est-ce qu'on essaie d'échapper à
l'impôt? Si l'impôt était plus juste, si les gens plus riches, comme nous,
payaient leur juste part d'impôt, bien, les citoyens ordinaires ne seraient pas
pris à la gorge avec autant d'impôt, de taxes et de tarifs en augmentation,
dont les tarifs d'hydroélectricité, tout...
Sur les cinq dernières années, c'est 11 %
d'augmentation de tarifs d'électricité. Pourquoi est-ce qu'on fait ça? Pourquoi
est-ce que le gouvernement va chercher des revenus ailleurs, hein? Il l'a dit,
le gouvernement, c'est pour aller chercher des revenus dont il a besoin. Bien,
les revenus dont il a besoin... il est en manque parce que les gens riches
comme M. Barrette, comme M. Couillard, ne font pas leur juste part d'impôt.
M. Boivin (Simon) :
Pouvez-vous me rappeler, juste... sur le médicament, le projet de loi
n° 81, votre position sur le projet de loi n° 81, si... à moins que
quelqu'un d'autre ait des questions encore sur l'incorporation. Donc, est-ce
que le gouvernement emprunte, selon vous, la bonne voie en cherchant à faire
faire des appels d'offres sur les médicaments? Vous avez déjà parlé de
Pharma-Québec. Est-ce que c'est un pas dans la bonne direction?
M. Khadir
: L'ennui,
mon cher, c'est... tant que la pizza ne sera pas livrée, moi, je ne peux pas me
prononcer. Là, on m'annonce une bonne pizza, hein, là, si je fais l'analogie.
La loi dit qu'on va aller chercher des économies d'impôt par des appels
d'offres.
Ça fait 10 ans qu'on demande ça. Ça fait
10 ans qu'on demande au gouvernement de faire des appels d'offres sur les
médicaments pour baisser les prix, ça fait que je ne peux pas être contre ça.
Sauf qu'un projet de loi qui a trois articles, avec des propos que le ministre
envoie dans... je ne sais pas si vous avez vu son document d'analyse.
Malheureusement, ça n'a pas été rendu public, ça a été publié en novembre, puis
il faut vraiment fouiller sur le site du MSSS pour le voir. C'est l'étude
d'impact que le gouvernement a faite, le ministère a faite, puis, dans toutes
les pages, à peu près, le ministre s'emploie à dire aux partenaires économiques :
Ne vous inquiétez pas, ça va avoir pas trop d'impact.
Alors, si ça n'a pas trop d'impact, est-ce
que ça vaut la peine? Est-ce que vraiment il est sérieux quand il dit qu'il
veut aller chercher des économies? Vous allez voir, cet après-midi, à
5 heures, l'ancien P.D.G. de Pharmac, qui est l'exemple, là, l'exemple-phare
au niveau international, sur lequel tout le monde essaie d'emprunter les bonnes
idées. Pharmac, c'est Pharmaceutical Agency of New Zealand...
management of New Zealand. Un de ceux qui l'a dirigée pendant cinq ans,
de 2006 à 2011, va venir témoigner à 5 heures, Matthew Brougham, qui va
démontrer comment, en fait, pour arriver à ses fins, il faut vraiment, petit à
petit, passer de quelques molécules à l'ensemble du formulaire des médicaments
de prescription, là, des médicaments remboursables par la RAMQ, pour obtenir
des rabais substantiels.
Si on se fie sur les analyses, ça pourrait
aller chercher jusqu'à 1,5 milliard de rabais parce que ça va permettre à
diminuer les coûts des médicaments, mais aussi à entraîner... pousser vers une
meilleure pratique de prescription pour orienter les bons choix dans le rapport
qualité-prix. Donc, tout ça pour dire que, si le ministre a vraiment une
volonté, bien sûr que je l'appuie, sauf qu'avec ce que j'entends, avec ce qu'il
dit, avec le projet de loi que je vois, il a l'air de vouloir juste... vouloir
saucer deux orteils dans l'eau, là, c'est tout. Moi, je voudrais qu'il plonge.
M. Robillard (Alexandre) :
Sur KPMG, M. Leitão vient de nous dire que l'agence québécoise du revenu est
liée par des ententes conclues par l'Agence du revenu du Canada, donc...
M. Khadir
: Bien, c'est
ça que les gens trouvent inacceptable et scandaleux. Quand il s'agit d'un petit
commerçant qui n'est pas un gros bonnet et qui n'a pas des amis proches du
pouvoir, l'agence du revenu ne fait aucune concession, ni au fédéral ni au
provincial. On serre la vis et on force ceux qui n'ont pas payé leur impôt à
payer jusqu'à la dernière goutte, avec des pénalités, avec des intérêts.
M. Robillard (Alexandre) : Mais
qu'est-ce que vous pensez du fait que M. Leitão dise que l'État québécois
est lié dans la perception...
M. Khadir
: Bien,
c'est ce qu'on lui reproche. Pourquoi a-t-il lié les mains de l'État québécois?
Pourquoi est-ce que l'État québécois se lie les mains à chaque fois qu'il
s'agit des gros bonnets, des rois de la finance, des rois de l'industrie?
Pourquoi est-ce que l'État québécois se met dans une telle situation? Pourquoi?
Pourquoi l'État québécois... si c'est vrai que c'est juste parce qu'il est lié
par entente pour le revenu, bien pourquoi alors il lui donne des contrats? Par
ailleurs, KPMG a plein de contrats pour des ministères pour faire des études,
plein de contrats.
Nous, ce qu'on demande, c'est que KPMG,
comme d'autres filous qui ont trompé le gouvernement dans le
passé — on pense à l'industrie de la construction — qu'on
ait une liste noire. Au moins, l'État québécois pourrait envoyer le bon
message, dire : Aïe! là, il y a un problème. J'ai ma population qui se
sent lésée, qui se sent injustement traitée, parce que les banquiers puis les
gros bonnets peuvent toujours s'en tirer. Alors, je donnerais... au moins, là
où j'ai des contrats à donner dans mes ministères, je n'en donnerais pas à
KPMG.
M. Robillard (Alexandre) :
Mais pensez-vous que, légalement, Revenu Québec est tenu de se conformer à
l'entente de Revenu Canada?
M. Khadir
: Je ne la
connais pas, cette entente-là. Moi, j'aimerais ça, si vraiment M. Leitão
veut nous convaincre, qu'il divulgue les ententes.
Puis ensuite je vous rappelle que, dans un
État démocratique avancé, l'Assemblée nationale et le gouvernement sont
souverains, après tout. On peut ouvrir, comme on l'a ouvert dans d'autres
secteurs. On a ouvert des ententes avec des syndicats qui avaient... avec des
employés de l'État qui avaient payé patiemment pendant des années dans leurs
fonds de retraite. On a oublié... On a ouvert ces contrats puis on a changé les
chiffres, changé les ententes, changé les paramètres.
Pourquoi est-ce qu'on s'empêcherait
d'ouvrir une entente malhabile, injuste, qui nous lie à une entreprise filou?
Je parle d'une entreprise filou à dessein. Cette entreprise-là a été accusée et
reconnue coupable, a reconnu ses fautes plusieurs fois, non seulement au Québec
mais ailleurs dans le monde. Ça fait qu'à un moment donné il faut que ça cesse.
La Modératrice
: Merci.
(Fin à 11 h 38)