(Quatorze heures vingt-cinq minutes)
M. Kotto
: Je veux, au
nom de l'aile parlementaire du Parti québécois, dénoncer ce que je perçois
comme une arrogance du côté du premier ministre Couillard, qui a tendance à
critiquer, à donner des étiquettes très facilement quand vient le temps de
poser des questions sur des enjeux touchant l'immigration, l'intégration,
l'accueil des immigrants. Le spectacle qui a été donné ce matin au salon bleu
était déplorable.
M. Couillard s'est levé un matin avec
l'idée qu'il faudrait envisager 10 000 immigrants de plus par année. On en
accueille déjà en moyenne 50 000 par année. De ces 50 000, il y en a
beaucoup, on le sait, qui sont aux prises avec des problèmes d'intégration en
emploi, notamment celles et ceux qui viennent d'Afrique du Nord comme d'Afrique
du Sud, et il y a de nos concitoyens d'Amérique latine également qui sont aux
prises avec des problèmes d'emploi. Il est bien évident que ne pas se poser ces
questions d'intégration en emploi est légitime, mais ce n'est pas parce qu'on
en pose qu'on est raciste ou xénophobe.
D'un autre côté, il faut considérer ces
hommes, ces femmes et ces enfants comme des êtres humains, pas comme de la
marchandise, pas comme des biens meubles. Ce sont des personnes qui viennent
ici, au Québec, pour se bâtir des rêves ou pour réaliser leurs rêves, leurs
projets de vie. Donc, quand on les invite, soyons clairs avec les moyens que
nous avons pour les accueillir et pour les intégrer. Si ces moyens sont là,
bravo! Mais, s'ils ne sont pas là, posons-nous des questions. C'est ce même
gouvernement qui a fermé les bureaux d'immigration en région, c'est ce même
gouvernement qui a fragilisé les organismes qui, justement, accompagnent ces
hommes et ces femmes en intégration dans le domaine de l'emploi.
Alors, de la cohérence, s'il vous plaît,
de la cohérence, M. le premier ministre, parce que l'immigration, c'est un
enjeu important pour la société d'accueil, déjà, pour les Québécoises et les
Québécois, et aussi pour ces hommes et ces femmes qui viennent ici pour
réaliser leurs rêves.
M. Dutrisac (Robert) : Oui,
M. Kotto, comment qualifiez-vous la réaction du premier ministre, justement,
qui a accusé, par exemple, M. Legault de souffler sur les braises de
l'intolérance, qui a dit qu'il participait à un mouvement de ressac anti-immigration
comme on en voit aux États-Unis ou en Europe? Est-ce que vous pensez qu'il est
allé un peu trop loin dans...
M. Kotto
: Je trouve
cette réaction aberrante, en ce sens que M. Legault, même si nous ne
sommes pas du même parti, a posé de façon très objective une question légitime :
Avons-nous les moyens de hausser les seuils, considérant que, sur la base des
50 000 que nous recevons actuellement, nous avons du mal à les franciser?
Pour 41 % d'entre eux qui arrivent par année, ils ne parlent pas un mot de
français, et ça, c'est établi. Les études à la fois de l'IREC, de l'OQLF — on
peut remontrer, même, à Statistique Canada — nous donnent les mêmes
indications : on a de la difficulté à franciser, et ne pas s'intégrer dans
la société québécoise en français, c'est déjà un obstacle majeur.
Alors, si nous voulons aider ces hommes et
ces femmes — parce que ce sont des individus comme vous et moi — à
s'intégrer, on fait mal notre travail. Parce que, demain, si vous avez
l'occasion de le faire, posez des questions à ces familles, ces familles...
Hier encore, on parlait de ce couple de médecins qui a du mal à intégrer le
domaine de la santé. Ce sont des personnes qui, à terme, risquent d'être
brisées, ce sont des personnes qui, à terme, peuvent vivre des drames
familiaux, c'est déjà arrivé.
M. Dutrisac (Robert) : Et, par
rapport, justement, aux seuils d'immigration, on sait que M. Couillard
semble avoir... il dit qu'il avait... pensait que... jugeait que les seuils
devaient être augmentés de 10 000, à 60 000, avant même qu'il y ait
eu consultation, là, sur ces... la consultation triennale sur ces seuils
d'immigration.
M. Kotto
: Alors là,
vous me permettez, avec un sourire en coin... parce que j'ai interrogé la
ministre Weil sur cette sortie en commission parlementaire il y a quelques
heures, parce que nous travaillons sur le projet de loi n° 77 sur
l'immigration... et c'est ça, donc, mais ce serait intéressant de lire sa réaction.
Je lui ai demandé : Mme Weil, en référence à l'article de M. Dutrisac
ce matin dans Le Devoir, il est dit... enfin, M. Couillard dit
qu'il faut augmenter les seuils, sur quoi se base-t-il exactement? Sur quels
indicateurs socioéconomiques se base-t-il pour établir un tel chiffre? Est-ce qu'il
n'est pas en train d'errer? Parce que, normalement, c'est dans cette
commission-ci que ce débat devrait préalablement avoir lieu, avant que le
gouvernement ne prenne une décision. Ça n'est pas fait. Est-ce qu'il est en train
de violer la loi? Mme Weil m'a dit que M. Couillard respecte la loi. De
mon point de vue, à la limite, s'il respecte la loi, il ne respecte pas nos
règlements, et ça, c'est une faute, c'est une gifle à l'institution en tant que
telle.
M. Dutrisac (Robert) : Et,
d'une façon plus large, comment vous... justement, au Parti québécois? Quels
seuils, justement, devrait-on avoir pour les prochaines années?
M. Kotto
: Nous nous posons
la question de savoir les besoins tangibles, mesurés. Et c'était, là aussi,
l'objet d'un échange long et acrimonieux entre la ministre et moi, hier soir,
en commission parlementaire, relativement à l'article 3 en débat, où il
est établi que les besoins en immigration seront établis... et en fonction
également des demandes en région. Je voulais associer à la notion de besoins la
notion de besoins mesurés et tangibles et des demandes objectives en région en
termes d'immigration. Mais elle m'a, entre guillemets, challengé là-dessus,
disant qu'ajouter des adjectifs aux notions de besoins et de capacités en
région, ça n'est pas très légal, ça sort des traditions de l'écriture des
articles de loi en tant que tels.
Bref, nous sommes des gens très
pragmatiques. Le Québec, on le sait, est en demande relativement à une
main-d'oeuvre pointue dans différents domaines, ces domaines restent à
identifier. Nous attendons du gouvernement qu'il fasse cet exercice, qu'il
fasse l'inventaire des besoins réels et qu'on fasse venir des gens qui ont la
possibilité d'intégrer le marché du travail de façon directe. La nouvelle
approche, celle de la déclaration d'intérêts, aide dans ce sens-là. Donc, on ne
va plus s'égarer avec moult dossiers qui n'ont pas nécessairement une connexion
avec les besoins concrets du marché, donc... Et les moyens doivent être là. Si
les moyens sont là, allons-y, on va encadrer, on va franciser et investissons
tout ce qui est alloué en termes d'enveloppe à la francisation, investissons
tout ce qui est alloué en termes d'accompagnement en intégration sociale et
culturelle là-dessus. Faisons rigoureusement ce travail parce que, si nous ne
le faisons pas de façon responsable, ce travail, d'ici une ou deux générations,
il se passera, ici, au Québec, ce qui se passe, ou s'est passé récemment dans
certains pays européens, avec des enfants de deuxième, troisième génération qui
vont se retourner contre la nation qui les a... qui a accueilli leurs parents
et qui ne vont pas s'identifier à cette nation parce qu'ils n'auront pas
développé un sentiment d'acceptabilité et n'auront pas développé un sentiment
d'appartenance à cette nation, en l'occurrence la nation québécoise. Et ça, c'est
un piège que nous ne voulons pas voir s'ouvrir devant nous. Merci à vous.
(Fin à 15 h 34)