(Quinze heures douze minutes)
Mme Lamarre : Bonjour. Alors,
je suis avec vous aujourd'hui pour qu'on puisse exprimer notre préoccupation par
rapport à l'abolition que le ministre désire faire du poste de commissaire, de
l'institution qu'est le Commissaire à la santé et au bien-être. En fait, ce
n'est pas une abolition, c'est un rapatriement sous l'égide du ministère. C'est
une grande différence. Il faut bien, bien comprendre, c'est très différent, ramener
cet organisme-là au sein du ministère par rapport à en faire, comme c'était
jusqu'à maintenant, un organisme indépendant qui faisait des études
indépendantes, des analyses d'impact, qui avait un portrait vraiment autonome
et qui apportait des solutions qui étaient parfois différentes de celles du
ministre mais qui étaient toujours des solutions constructives pour améliorer
notre système de santé et contribuer au bien-être de la population.
C'est étonnant parce que cet organisme-là
a été créé par M. Couillard, l'actuel premier ministre, et finalement
aujourd'hui on décide que ce n'est plus pertinent que cet organisme fasse ces
études et ces analyses. C'est d'autant plus inquiétant parce que le premier
ministre nous a promis plus de transparence, et le ministre Barrette a quand
même fait... dans le projet de loi n° 10, si vous vous souvenez, il y
avait le mot «modifier la gouvernance». Mais, dans la gouvernance, il y a le
maintien d'institutions indépendantes qui ont une voix différente, une voix
complémentaire à apporter dans une société. Ça, c'est un acquis et c'est un
atout important.
Or, il y en a eu beaucoup, des abolitions
d'organismes qui avaient cette mission. En fait, systématiquement, le ministre
les abat les uns après les autres. Il y avait l'AQESSS, l'Association
québécoise d'établissements de santé et de services sociaux, l'association pour
les centres jeunesse, l'association en réadaptation et en dépendance, tous les
regroupements qui visaient à travailler au niveau de la déficience
intellectuelle, trouble envahissant du développement. Donc, tous ces organismes-là
sont systématiquement, je vous dirais, éliminés, et on perd, à l'intérieur de
notre système de santé, des lieux où on peut aller déposer une information
autre que celle qui est dans l'oreille du ministre, et ça, je pense que c'est
vraiment un précédent qui est très, très risqué.
Je vous dirais aussi qu'une autre préoccupation
qu'on a, c'est le commissaire aux plaintes, où on avait historiquement des
commissaires dans chacun des établissements et où, là, tout à coup, ils ont été
réunis au niveau du CISSS ou CIUSSS, donc seulement 33, maintenant,
commissaires aux plaintes avec des gens qui travaillent avec lui, mais qui ont
un statut hybride à la fois d'employé et de responsable des plaintes, ce qui
affaiblit énormément, encore une fois, l'objectivité.
Alors, c'est comme si le ministre
craignait d'avoir des voix différentes, des voix parfois discordantes, mais des
voix qui pourraient aussi, des fois, soutenir ce qu'il pense. Alors, s'il les
redoute tant que ça, c'est peut-être parce que ce qu'il avance n'est peut-être
pas toujours aussi bien documenté, aussi bien réfléchi que ce que ces
organismes-là avaient comme mission. Et, entre autres, le Commissaire à la
santé et au bien-être a vraiment une réputation d'un organisme qui faisait énormément
attention, qui consultait beaucoup, qui consultait le terrain, qui était à
l'écoute du terrain et qui faisait une analyse très juste, très pondérée avec
des recommandations pondérées. On pense à la fécondation in vitro où, clairement,
ils avaient apporté des balises pour diminuer, je vous dirais, les dérapages au
niveau de la fécondation in vitro, mais jamais il n'a recommandé la
désassurance.
Alors, on a beaucoup d'inquiétude. C'est
dommage, ça contribue à une forme de silence, de loi du silence. Et moi, je
suis convaincue que les travaux du commissaire ont toujours comporté des voies
de solution, et je le cite dans son communiqué, et c'est vrai, c'est vraiment
l'esprit dans lequel le commissaire... et, quand on dit le commissaire, c'est vraiment
l'institution, mais travaillait toujours pour trouver des voies de solution.
Or, quand ce ne sont pas les solutions que le ministre recherche ou quand les thèmes
choisis ne sont pas ceux que le ministre voudrait voir étudiés... et là je ne
peux pas m'empêcher de questionner, et je pense que c'est votre rôle aussi, les
journalistes, de questionner le ministre, mais, quand on regarde ce que le
commissaire avait sur sa feuille de route, il y avait une étude sur la
performance des urgences du Québec, une analyse inédite du régime des plaintes,
un rapport sur l'hébergement de nos personnes âgées et, dans les projets qui
avaient été annoncés, il y avait la révision du mode de rémunération des
médecins et la couverture publique des services sociaux.
Alors, on voit, à travers tout ça, qu'il y
a des questions. Qu'est-ce qui inquiète tant que ça le ministre pour mettre fin
à un organisme qui coûte à peine 2,5 millions de dollars par année, là?
C'est vraiment très, très modeste. Je pense que chaque sou de cet organisme là
était resté avec énormément de rigueur et c'est un très bel exemple d'une
institution qui avait une valeur ajoutée, définitivement, et que le ministre
désire faire taire, finalement, en la privant de son indépendance.
M. Blanchet (Jean-Nicolas) : C'est
ça, qu'est-ce que vous craignez le plus, Mme Lamarre, en rapatriant ce
service-là au sein du ministère? Vous craignez quoi? Qu'il y ait intervention
directe du ministre? Vous craignez qu'elle perde toute possibilité
d'indépendance?
Mme Lamarre : Bien, le ministère
a déjà le pouvoir de faire ce genre d'analyse là à l'interne, alors que le commissaire,
lui, était un lieu où on pouvait... il pouvait recueillir des commentaires qui
étaient différents, qui étaient beaucoup plus libres de toute contrainte. On se
rend compte que le ministère est également un organisme négociateur,
négociateur avec les syndicats, négociateur avec plein d'organismes. Alors, les
gens qui seraient invités à partager de l'information avec un commissaire qui
serait sous l'égide du ministère n'aurait certainement pas la même liberté de
penser, la même liberté de parler.
M. Blanchet (Jean-Nicolas) : Vous
pensez que les gens pourraient craindre des représailles?
Mme Lamarre : Oui, ils pourraient
craindre des représailles. Il pourrait y avoir aussi un rapport qui soit
clairement tabletté, alors que le commissaire, lui, s'engage toujours à
publier... Et c'est sur un site, donc il y a vraiment une disponibilité pour
tous d'aller chercher l'information. Et on l'a vu, nous, dans les commissions
parlementaires, souvent, les groupes s'inspiraient du commissaire. Le Protecteur
du citoyen aussi s'inspirait...
Alors, c'est un instrument... On en a très
peu. Vous savez, le ministre n'arrête pas de dire qu'il lui faut des
indicateurs de performance dans le système de santé. Alors, c'est comme ça
qu'il justifie ses trois cliniques privées pour aller chercher des indicateurs
de prix. Alors, ça, je remets beaucoup ça en question, mais c'est un autre
sujet, mais là il avait, à travers le commissaire, au lieu de le voir comme
quelqu'un qui l'affronte, bien, de le voir comme quelqu'un qui lui procure des
informations, des données, des statistiques qui sont vraiment complètement
indépendantes. Et moi, je crois que c'est un très bon instrument, un acquis
important, et c'est vraiment... Je vous dirais, c'est dangereux, cette rupture
de toutes les voies de communication autres que celles qui vont originer du
ministre ou du ministère.
M. Croteau (Martin) : C'est
ça, vous dites que vous voyez là une volonté du ministre Barrette de faire
taire les critiques à son égard?
Mme Lamarre : Bien, de faire
taire, en tout cas, d'autres voix que les siennes, et ce n'est pas
nécessairement des critiques. Si vous regardez le commissaire, il propose des
solutions, mais on dirait clairement que, quand les solutions n'originent pas
du ministre, ce ne sont pas des vraies solutions.
Alors, il peut y avoir effectivement des
critiques. Il y avait des gens, à travers ces organismes, qui pouvaient avoir
des critiques, et je pense que, quand on est ministre, on doit être prêt à
affronter certaines critiques. Mais, dans le cas du commissaire, je vous dirais
qu'il avait en plus la très grande qualité d'essayer de formuler ses recommandations
sous forme d'alternative, de solution, d'autres voies de passage pour atteindre
des objectifs qui pourraient être ce que le ministre voudrait.
Alors, oui, le ministre, actuellement, ne
semble pas disposé à faire en sorte que d'autres que lui puissent prendre la
parole et puissent apporter des réformes. Il n'y a que sa réforme à lui, avec
les modalités que lui juge pertinentes, qui sont recevables.
M. Croteau (Martin) : Combien
de fois le commissaire s'est montré critique à l'égard du gouvernement? Combien
de... Tu sais, à quel point vous estimez que cette institution-là a fait une
différence dans les dernières années? Pouvez-vous donner des exemples, peut-être?
Mme Lamarre : Je vous dirais
qu'il a apporté un éclairage beaucoup plus précis et détaillé. Donc, il y avait,
à travers chaque rapport, une dimension qui n'était pas nécessairement critique
par rapport au ministère, mais qui était peut-être une vision beaucoup plus
contemporaine de ce que le système de santé devrait être et vers quoi il
pourrait s'orienter, et ça, c'est tout au crédit de cette institution du
Commissaire à la santé.
Dans la FIV, clairement, ils ont dit :
Écoutez, oui, il y a des dérives. On a vu des choses, et ils ont mis le
doigt... et ils ont même apporté des informations qui, d'après moi, ont pu être
utiles au ministre, mais leur conclusion était de dire : Balisons,
encadrons et surveillons plutôt que d'abolir et de désassurer.
Alors, vous savez, en santé, ça peut avoir
l'air... Comment je pourrais dire? Les gens, parfois, aiment quelqu'un qui
tranche, mais à force de faire... d'imposer, dans un système de santé, des
choses qui n'ont jamais été soumises à une réflexion collective, il y a des
erreurs qui se commettent. Et actuellement je pense que le ministre aurait
intérêt à prendre un peu l'avis des autres et non pas penser qu'il est le seul
à avoir la vérité absolue. Merci.
(Fin à 15 h 24)