(Neuf heures vingt-huit minutes)
Mme Lamarre : Bonjour. Nous
sommes ici pour présenter des questionnements au ministre de la Santé parce que
ses décisions de déménager les travailleurs sociaux des CLSC vers les GMF nous
questionnent. Ce n'était pas le plan de match qu'on avait compris. On avait
compris qu'il y aurait des nouvelles ressources de travailleurs sociaux qui
s'intégreraient aux GMF, mais pas qu'il y aurait un déplacement des CLSC vers
les GMF. Ça nous pose beaucoup de questions parce qu'on se dit : Qu'est-ce
qu'il va arriver des centaines de patients qui sont actuellement pris en charge
par les travailleurs sociaux dans les CLSC? Pour avoir fait des consultations
moi-même dans des CLSC pendant plusieurs années, il y a des populations et des
patients qui sont particulièrement complexes, où il y a, au-delà des problèmes
de santé physique, parfois des problèmes de santé mentale, mais également des
difficultés complexes au niveau du système psychosocial dans lequel ces gens-là
vivent.
Et le transfert des travailleurs sociaux,
et aussi les commentaires qu'on entend... alors, moi, j'ai vu énormément de
différences entre la circulaire qui a été transmise, du ministère et, d'autre
part, la réaction qui a été présentée, par exemple, dans les médias, à la Fédération
des médecins omnipraticiens, là, par Dr Godin. Alors, d'une part, on
semble prévoir que les travailleurs sociaux vont... devraient pouvoir suivre
leurs patients, continuer à créer ce lien et à maintenir ce lien et offrir les
services à ces patients-là, d'autre part on entend que, non, ça devrait être la
priorité en fonction des patients qui sont suivis par les médecins dans les
GMF. Alors, moi, ma préoccupation, c'est : On a des patients qui risquent
d'être laissés pour compte dans tout ça. Et ça, c'est quelque chose qui est
totalement inacceptable dans le contexte des difficultés sociales que ces
patients-là présentent.
L'autre dimension, c'est la collaboration.
On veut être sûrs que le ministre nous présente un vrai plan de match pour nous
dire comment il voit ça, la collaboration. Est-ce que c'est une vraie
collaboration de partenaires, vraiment d'interdisciplinarité ou bien si c'est
un système pyramidal où c'est le médecin qui va désigner au travailleur social
le patient ou les patients qu'il doit suivre dans le GMF? Alors, ça, ça a peut-être
convenu dans des ententes que le ministre a signées, mais jamais le ministre ne
nous a donné son vrai plan, son vrai plan d'organisation, de déploiement,
comment ça va vraiment se passer. Et on aimerait bien ça que son plan soit
aussi... qu'il parte bien des patients et non pas des médecins ou des
structures.
Alors, j'ai le grand plaisir aujourd'hui
d'avoir avec moi trois représentants très significatifs du travail des
travailleurs sociaux. Alors, ils prendront la parole, d'abord Mme Carolle
Dubé, qui est présidente de l'Alliance du personnel professionnel et technique
de la santé et des services sociaux, APTS; j'ai également Dre Isabelle
Leblanc, qui est présidente de Médecins québécois pour le régime public; et finalement,
M. Claude Leblond, qui est président de l'Ordre des travailleurs sociaux
et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, qui, tous, partagent nos
préoccupations, mais qui vous les présenteront avec des perspectives
complémentaires. Alors, je leur laisse la parole, Mme Dubé d'abord.
Mme Dubé (Carolle) : D'abord,
merci, Mme Lamarre. Écoutez, actuellement, on est vraiment en train
d'assister à une démolition en règle de nos CLSC. On est en train de
déshabiller les ressources qui sont actuellement dans les CLSC pour habiller
les GMF et les médecins. En date d'aujourd'hui, on a au moins 250 travailleuses
et travailleurs sociaux qui ont reçu un avis de transfert. C'est une hémorragie
qui risque de se poursuivre dans les prochaines semaines, et nos gens sont
énormément inquiets et préoccupés par ces transferts-là de ressources vers les
GMF.
Nos gens sont inquiets d'abord et avant
tout pour leur clientèle. C'est une clientèle vulnérable qui est souvent prise
en charge par les travailleurs, travailleuses sociaux dans les CLSC, et ce
qu'on en comprend, c'est que cette clientèle-là ne sera pas prise en charge par
les GMF. Dr Godin le mentionnait cette semaine, leurs attentes, les
attentes des médecins dans les GMF envers les travailleurs sociaux visent à
suivre la clientèle des GMF et non pas un transfert. Ils ne s'attendent pas à
ce que les travailleuses sociales arrivent avec leur clientèle. Donc, nous sommes
très inquiets pour cette clientèle-là. Et, si elle n'est pas prise en charge,
bien, ce que ça fait, ce que ça occasionne, c'est, encore une une fois, une
clientèle qu'on va retrouver à l'urgence, qu'on va retrouver ailleurs sans
soins et qui va se décompenser. Donc, ça, il y a énormément d'inquiétude à ce
niveau-là pour nous.
C'est, encore une fois, une perte énorme
pour le réseau des CLSC. On n'accepte pas ça, nous, comme organisation, que les
CLSC deviennent une coquille vide. C'est une richesse collective qu'on s'est
donnée ici, au Québec. C'est un système qui fonctionne bien, malgré ce que
M. Barrette peut en penser, et on n'accepte pas ça du tout comme organisation.
Nos travailleurs, travailleuses qui oeuvrent dans les CLSC n'acceptent pas non
plus qu'on mette en péril la mission et le coeur de notre réseau par le réseau
des CLSC. C'est une mission particulière qu'on avait donnée au réseau des CLSC,
aux gens qui y travaillent, de s'occuper de faire de la prévention, de faire de
la promotion de la santé, et, encore une fois, on va atteindre cette
dimension-là, ces services-là, alors que nous sommes, au Québec, la province la
plus pauvre au Canada en termes d'investissements en prévention. Encore une
fois, on va devoir subir, la population va devoir subir des effets de réduction
importants au niveau de ces services-là qui sont offerts par les réseaux de
CSLC.
Donc, on est ici aujourd'hui pour dénoncer
ces transferts-là, dénoncer ce qu'on est en train de faire avec les CLSC, et on
n'acceptera pas, comme organisation syndicale... les travailleurs,
travailleuses sociaux, les autres professionnels, également, qui oeuvrent en
CLSC n'acceptent pas ce fonctionnement-là qui est imposé, actuellement, par le
ministre. On ne laissera pas mourir les CLSC et on entend mener une bataille à
ce niveau-là. Merci.
Mme Lamarre : Merci,
Mme Dubé. Alors, Dre Leblanc.
Mme Leblanc (Isabelle) :
Bonjour. Bien, un peu comme on vient d'entendre, nous, Médecins québécois pour
un régime public, on a une grande inquiétude face à cette annonce de transfert
de travailleurs sociaux des CLSC vers les GMF. On a des inquiétudes au niveau
du système puis au niveau des patients dont on prend soin tous les jours, qui
n'auront peut-être pas le même accès aux travailleurs sociaux, qui sont très
importants pour eux. La décision vient d'un soi-disant constat d'échec du
ministre par rapport aux CLSC. On aimerait bien savoir d'où viennent les
données qui prouvent que c'est un échec, parce qu'au quotidien les CLSC
fonctionnent très bien, à plein niveau. Ça n'a peut-être pas autant été un lieu
d'accès pour des soins de santé médicaux, mais, pour tous les autres soins, avec
la vocation populationnelle du CLSC, c'est vraiment un des points d'accès les
plus importants pour les patients.
On discutait tout à l'heure. Moi, je ne
sais pas ce que je vais faire quand un patient vient me voir puis a des légers
problèmes psychosociaux, pas assez graves pour les référer tout de suite à un
collègue spécialiste, de ne pas pouvoir les envoyer au CLSC en disant :
Bien, appelez là-bas, eux vont trouver la bonne ressource pour vous, vont vous
trouver le bon travailleur qui va pouvoir vous écouter et prendre soin de vous.
Donc, ça, ça va être très problématique. La perte, aussi, d'accès pour tous les
patients qui ne sont pas inscrits en GMF. Oui, on a des grands voeux d'inscrire
tous les Québécois auprès d'un médecin de famille en GMF, mais ce n'est pas le
cas en ce moment. Donc, qu'est-ce qui va se passer pour les gens qui ne sont
pas inscrits? Comment vont-ils avoir accès à des soins de travailleurs sociaux?
Puis ce qui était excellent aussi avec la
façon dont c'était organisé avec les CLSC, c'est que chaque professionnel était
indépendant dans la façon dont il travaillait, alors qu'on se doute qu'en GMF,
il risque d'y avoir un système plus hiérarchique qui risque d'être
problématique pour que nos patients aient accès aux meilleurs soins dont ils
ont besoin. Donc, nous, vraiment, ce qui nous inquiète, c'est la perte de
l'aspect universel, de l'universalité de l'accès aux soins psychosociaux,
incluant les soins offerts par les travailleurs sociaux, et un démantèlement
d'un réseau de CLSC sans trop savoir pourquoi et sans trop savoir où on s'en
va. Comme Mme Lamarre disait, on n'a pas une idée du plan final, où on
s'en va avec ça, puis la transmission risque d'être problématique pour beaucoup
de nos patients. Merci.
M. Leblond (Claude) : Alors,
bonjour, je suis Claude Leblond, je suis président de l'Ordre des travailleurs
sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux.
Alors, dans ce dossier-là, le défi, c'est
effectivement de faire la part des choses entre les principes de la pratique et
la mise en oeuvre, là. Sur le principe, comment peut-on s'opposer au fait qu'il
y ait, au sein des groupes de médecine de famille, des travailleuses sociales habilitées
à dispenser les services sociaux à la clientèle? Nous avons toujours
prétendu — et notre exemple est vivant et au Québec — qu'il
fallait que la population ait accès à la fois aux services de santé et aux
services sociaux. Ça a été la raison d'être de la mise en oeuvre du réseau des
CLSC dans les années 70.
Là, où le problème se passe, c'est au
niveau de la mise en oeuvre. Alors, en soi, qu'il y ait une offre de services
sociaux complémentaire à l'offre des services médicaux, ça va, nous croyons
qu'il faut augmenter l'accessibilité aux services sociaux et que le lieu des
GMF est intéressant. Le problème, c'est de diminuer du même nombre ou de la
même quantité l'offre de services sociaux offerts dans le réseau public. Il est
étonnant qu'en matière de services sociaux, quand on augmente l'offre de
services, que ce soit par déplacement, donc par statu quo, alors qu'au niveau
des services de santé et des services médicaux, quand on augmente l'offre, on
augmente l'offre, on ne diminue pas ailleurs.
L'autre élément qui nous pose difficulté,
c'est qu'effectivement les travailleuses sociales CD en GMF deviennent, ni plus
ni moins, que des plateaux techniques pour les médecins, et que leur départ des
CLSC ne soit pas compensé par l'arrivée de nouvelles ressources, et là ça ne va
vraiment plus.
Le ministre nous dit que ce déplacement de
professionnels vers les GMF n'est pas en soi une autre manifestation du virage
vers le privé de notre système de santé et services sociaux. Nous en prenons
bonne note. Mais les différentes pièces législatives qu'il a proposées et qu'il
a fait adopter depuis son arrivée en poste font en sorte que nous doutons de sa
volonté de préserver l'intégrité du réseau public, seul réseau apte, selon
nous, à offrir des services sociaux généraux à la hauteur des besoins de la
population.
Alors, je le redis, il est essentiel, pour
nous, que la planification des services et l'encadrement clinique et
administratif des travailleuses sociales au sein des GMF soient assurés par des
professionnels et des gestionnaires des établissements du réseau public. Il est
également primordial de s'assurer que l'arrimage des activités professionnelles
qu'elles exerceront avec les autres ressources de la communauté... dans une
perspective d'autonomie professionnelle, d'approche populationnelle et
d'accessibilité territoriale en fonction des besoins locaux. Je vous remercie.
M. Caron (Régys) : Est-ce
qu'on peut avoir un bilan, rapidement, des effectifs qui, à ce jour, ont été
déplacés des CLSC vers les groupes de médecine familiale?
Mme Lamarre : Ce qu'on a comme
information, c'est qu'il y a, actuellement, entre... tout près
de — 250, c'est ça? — 250 travailleurs sociaux qui ont
reçu un avis à l'effet qu'ils seraient déplacés. Au départ, le ministre avait
parlé de 200, et là il y en aurait 250 qui auraient déjà reçu leur avis.
M. Caron (Régys) : O.K. Ça
va, ça va, oui.
La Modératrice
: On va
terminer en individuel. Merci.
Mme Lamarre : D'accord. Je
vous remercie. Merci beaucoup.
(Fin à 9 h 41)