(Onze heures neuf minutes)
M. Khadir
: Oui.
Alors, d'abord, je veux saluer la très bonne nouvelle, c'est-à-dire l'annonce
de l'annulation du contrat d'Aviseo, un contrat qui, à sa face même, de gré à
gré avec des gens proches des cabinets libéraux, montre à quel point le gouvernement
est prêt à prendre des risques, à contourner ses propres lois. On parle du fait
de ne pas soumettre de projet de TransCanada, Énergie Est à l'examen du BAPE
pour faciliter par complaisance au projet d'Énergie Est de TransCanada, pour
transporter le pétrole sale de l'Alberta dans le territoire du Québec et
l'acheminer dans les marchés internationaux.
Alors, on se demande, mais qu'est-ce qui
peut bien motiver le gouvernement à prendre tous ces risques-là, à contrevenir
à ses propres lois, alors que c'est un projet que la population du Québec
rejette, ses agriculteurs le rejettent, l'UPA le rejette, l'Union des
municipalités, les maires des principales villes du Québec. Comment se
fait-il... C'est quoi l'influence? C'est quoi l'élément qui explique que malgré
cette opposition, malgré l'absence de toutes retombées économiques, les risques
qu'on prend pour nos cours d'eau, le gouvernement veut quand même faciliter la
tâche à TransCanada?
Alors, nous avons mis en évidence, et j'ai
déposé des documents sur l'important investissement, qui se chiffre à plusieurs
milliards de dollars, de Power Corporation à travers ses filières. On parle
d'IGM financière, on parle de Total et on parle d'une série d'autres
investissements qui appartiennent à Power, a des milliards de dollars
littéralement et des projets titanesques en collaboration avec Suncor et une
autre entreprise dans le pétrole... En fait, c'est le plus important
investissement qui a été fait au cours des années 2010. Donc, Power Corporation
a besoin de TransCanada parce que, sans un débouché vers le marché, tous ces
investissements-là sont un peu voués à l'échec.
Or, nous avons réalisé et été très
troublés d'apprendre que non seulement Marc Bibeau, mais M. Daniel Johnson sont
sur le conseil d'administration d'IGM financière, qui est un des bras
financiers de Power Corporation. Et c'est pour ça que j'ai posé une question
sur IGM financière, mais j'ai aussi posé des questions sur Dan Gagnier. Vous
vous rappelez de Dan Gagnier, l'ancien chef de cabinet de M. Charest. Dan Gagnier
est passé à un lobby pétrolier qui s'appelle Institute for Policy... Energy
Policy Insitute of Canada, EPIC. Voilà.
Alors, Dan Gagnier est devenu le P.D.G. d'EPIC
puis, à ce titre-là, il a organisé des activités de lobbyisme en Alberta. Au Canada,
on sait qu'il a dû donner sa démission de l'entourage de M. Trudeau suite aux
révélations sur ses activités de lobbyisme. Mais on sait aussi qu'actuellement
la GRC enquête sur des gens qui faisaient du lobbyisme pour son organisation,
et ces documents révèlent — je les ai déposés en Chambre — que,
durant cette période, ils menaient aussi d'intenses activités de lobbyisme
auprès du gouvernement Charest, auprès du cabinet de M. Charest, auprès de Mme
Normandeau.
Alors, j'ai posé la question aujourd'hui :
Est-ce que Marc Bibeau, est-ce que Daniel Johnson, est-ce que Daniel Gagnier,
Dan Gagnier ou d'autres personnes associées à ces lobbys ou aux firmes de
McCarthy Tétrault ont eu des activités de communication, d'influence avec M.
Couillard, avec ses ministres ou leur cabinet? Malheureusement, je n'ai aucune
réponse ni à la première question ni à la deuxième question.
Alors, j'en appelle au public, j'en
appelle à notre capacité collective, comme on l'a fait avec Aviseo en quelques
jours, de mettre de la pression sur le gouvernement, parce qu'il ne faut pas
uniquement revenir sur la décision d'Aviseo, comme ça a été fait. C'est une
bonne décision d'annuler le contrat, mais il faut aussi soumettre Énergie Est à
l'examen du BAPE parce que ce projet-là doit passer les examens les plus
rigoureux.
M. Bellerose (Patrick) :
Est-ce que Daniel Johnson a trop d'influence auprès du gouvernement Couillard?
M. Khadir
: C'est à M.
Couillard de nous dire ça. C'est sûr que c'est l'organisateur en chef de sa
campagne à la chefferie. C'est une personne très influente dans le monde des
affaires, comme dans le monde politique, il l'a démontré à plusieurs reprises.
On a déploré la proximité de Daniel Johnson avec M. Couillard et son cabinet
alentour du dossier de Bombardier.
C'est sûr que, là, ça fait deux dossiers,
puis ce dossier-là est encore plus important, il est encore plus stratégique.
Ce dossier-là concerne des milliards de dollars d'investissements de Power Corporation,
au sein duquel oeuvre M. Johnson, pour des cabinets d'avocats au sein duquel
oeuvre M. Charest. J'ai déposé également des documents en Chambre qui montrent
que le cabinet McCarthy Tétrault a des millions de dollars... enfin, il y a des
projets de plusieurs centaines de millions de dollars dans lesquels McCarthy
Tétrault est l'avocat de ces projets pétroliers.
Donc, pour nous, il apparaît important de
s'assurer que ces intérêts-là n'ont pas une influence indue auprès du gouvernement
Couillard.
M. Bellerose (Patrick) : Mais
ces gens-là, vous ne savez pas s'ils ont communiqué avec le gouvernement
Couillard, donc vous soulevez la question tout simplement.
M. Khadir
: C'est ce
que j'ai posé comme question. Ce que je sais, c'est que Jean Charest n'a jamais
été enregistré comme lobbyiste. Ce que je sais, c'est que Dan Gagnier n'a
jamais été enregistré comme lobbyiste. Ce que je sais, c'est que Daniel Johnson
n'a jamais été enregistré comme lobbyiste auprès du Registre des lobbyistes du Québec.
M. Robillard (Alexandre) :
Plus tôt cette semaine, au sujet d'Aviseo, M. Couillard avait dit que c'est une
firme privée qui avait été choisie, celle-là, mais le procédé, là, de
sous-traiter l'analyse à l'externe, ça avait été choisi pour éviter qu'une
analyse produite par des fonctionnaires du gouvernement soit perçue comme
biaisée par les membres de l'opposition. Donc, est-ce que...
M. Khadir
: C'est une
belle tentative de noyer le poisson, mais la réalité est que, si on veut vraiment
être sûrs qu'il y a une analyse indépendante, ça s'appelle le BAPE. Il y a une
loi déjà au Québec qui est prévue pour ça. Alors, pourquoi est-ce qu'on ne s'en
remet pas au BAPE, dont on est sûrs des mécanismes d'indépendance, puis on le
remet à un cabinet d'avocats très proche du milieu libéral?
M. Robillard (Alexandre) : O.K.
Mais, bon, en même temps, est-ce que vous pensez que les fonctionnaires vont
être en mesure de faire une évaluation neutre des retombées économiques du
projet d'oléoduc Énergie Est?
M. Khadir
: Une fonction
publique digne de ce nom et qui n'a pas été longtemps soumise, malheureusement,
à des choix de nature partisane dans les nominations — on sait qu'on
a quand même passé à peu près neuf ans d'un gouvernement post-it de l'ère
Charest — oui, pourrait très bien faire des analyses, mais, pour
éviter justement et pour déborder... pour permettre à plus d'aspects d'être
pris en compte, on a prévu le BAPE.
Donc, je pense que, dans le contexte
actuel, étant donné, disons, le fait que la confiance n'est pas totale dans les
cabinets ministériels et au sein des ministères concernés à cause de toutes les
années de nominations partisanes, je pense que tout le monde dormirait plus
tranquille et serait plus persuadé de la valeur de l'évaluation si c'est remis
au BAPE comme c'est prévu par la loi.
Pourquoi le gouvernement cherche à
contourner sa loi? Pourquoi le gouvernement prend un tel risque? Moi, quand je
regarde, là, le contrat donné par M. Leitão, je ne comprends juste pas une
telle bévue, une décision aussi grossièrement inacceptable. La preuve, en quelques
jours, ils ont été obligés de reculer. Alors, c'est quoi, en arrière de ce
projet-là? Quelle est la force de l'influence qui les pousse à commettre ce
genre d'irrégularité? D'une part, ne pas respecter leurs lois, ensuite des
contrats de gré à gré, c'est assez troublant.
M. Robillard (Alexandre) :
Vous attendez-vous que l'analyse du ministère des Finances soit favorable au
projet, sous l'angle des retombées économiques?
M. Khadir
: Je ne le
sais pas. J'espère que ça va être fait de manière convaincante, mais, comme je
vous l'ai dit, pour nous, ce n'est pas acceptable, ce n'est pas suffisant. Oui,
le ministère doit faire son propre travail, mais ce dont on a besoin, c'est une
évaluation environnementale publique, parce que c'est un projet qui a un impact
public. C'est pour ça qu'on a prévu cette loi.
Je vous assure, M. Robillard, que ce que
je constate dans ce dossier, tous les éléments réunis me paraissent plus
troublants que lorsque je faisais ma recherche sur le cas de Marc Bibeau et le
financement illégal du Parti libéral, les prête-noms. Il y a plus d'éléments
ici qui prêtent à controverse, qui prêtent à des questionnements sur la nature
des rapports entre le monde des affaires et le gouvernement libéral. Merci.
(Fin à 11 h 18)