(Onze heures neuf minutes)
M. Khadir
: Alors, les
révélations de L'Actualité, par l'article de M. Lacroix,
soulèvent d'énormes questions sur les raisons qui ont amené à la mise à l'écart
de M. Robert Poëti, député de Marguerite-Bourgeoys, du cabinet libéral. Une
première hypothèse avait été Uber. Aujourd'hui, on apprend qu'il est possible
que ça soit ses interventions à l'intérieur du ministère pour mettre fin à des pratiques
douteuses en matière d'octroi de contrats, en matière de surveillance de
l'intégrité des processus d'octroi de contrats et de réalisation de projets,
qui semblent avoir mené, suivant sa propre lecture des choses, si on comprend
bien le sens de son entrevue, à sa mise à l'écart par le Conseil des ministres.
Ce qui m'a beaucoup, profondément
préoccupé aujourd'hui en entendant les réponses du ministre Daoust, c'est son
indolence, l'impression qu'il ne prend pas ceci avec tout le sérieux que ça
mérite. Je rappelle à nos auditeurs et aux journalistes que, juste pour les
deux prochaines années, 2016‑2018, le ministère des Transports va dépenser 4,7 milliards
de dollars en infrastructures routières, 4,7 milliards de dollars. J'ai
mentionné que chaque pourcentage, donc, de surfacturation, là, c'est 50 millions
pour le trésor public. Et, on sait, suivant les rapports de transparence
internationale du bureau canadien de la concurrence et de nos constatations
nous-mêmes ici, au Québec il y a quelques années, quand il y a corruption et
collusion dans l'octroi des contrats, ça va chercher entre 10 % comme
plancher et même jusqu'à 35 % de dépassement de coûts. Alors, imaginez, ça
veut dire une facture de 500 millions à éventuellement 1,5 milliard.
Donc, il est excessivement important pour
nous d'y voir clair. Les réponses de M. Couillard, de M. Daoust ce matin n'ont
pas été, disons, à la hauteur des attentes. On n'a pas l'impression que le
gouvernement saisit le caractère absolument intolérable pour la population de
savoir qu'après tant d'années d'efforts au ministère des Transports du Québec
il y a encore des problèmes, alors que l'alarme avait été sonnée par François
Beaudry, si vous vous rappelez, un employé du ministère des Transports,
courageusement dès 2003. Et les mêmes choses que M. Beaudry disait en 2003, c'est-à-dire
l'incapacité de l'administration et du ministère de faire enquête et de
recevoir les plaintes et les alertes, semblent demeurer, à tel point que
l'ancien ministre des Transports, M. Robert Poëti, a dû, donc, mener une
opération «undercover», en quelque sorte, pour essayer de voir : Mais pourquoi
est-ce qu'on en est toujours là?
Donc, ma demande au ministre et au gouvernement,
c'est d'accueillir favorablement notre proposition d'un mandat d'initiative
pour la Commission des transports pour qu'on entende... une commission, en
fait, spéciale, je m'excuse, commission spéciale de la Commission des
transports pour qu'on entende la sous-ministre Dominique Savoie, pour qu'on
entende le ministre actuel, pour qu'on entende l'ancien ministre des Transports,
Robert Poëti, et éventuellement la direction de ce comité qui a été mis sur
pied par M. Daoust, tel qu'il nous l'a affirmé en Chambre tout à l'heure, et,
j'espère, dans de meilleures conditions que presque à huis clos, sans la
présence de caméras, parce qu'après tout ce qui s'est fait et s'est dit au
Québec et les besoins d'en savoir clair, après une commission d'enquête sur les
contrats publics, la commission Charbonneau, qui a écorché le ministère des
Transports plus que tout autre ministère, savoir que ces pratiques perdurent
encore, c'est très inquiétant, et le public a le droit de savoir.
M. Lecavalier (Charles) : Bonjour,
M. Khadir. Est-ce que ça vous étonne d'entendre le premier ministre dire qu'il
a été mis au courant de cette situation-là seulement ce matin?
M. Khadir
: Bien, il y
a quelque chose de profondément troublant parce qu'on comprend bien que, dans
des processus, disons, de contrôle de l'image d'un gouvernement, on veut
parfois épargner le chef pour éviter de mettre le gouvernement dans l'embarras.
Mais, ce faisant, qu'est-ce qui arrive? C'est qu'il y a une réalité de
corruption, de collusion, de pratiques inacceptables, qui ne respectent pas
l'intégrité des décisions, qui perdure juste parce qu'on ne veut pas
embarrasser le premier ministre d'un dossier potentiellement explosif qui
explique pourquoi, à l'intérieur, on a magouillé pour ne pas permettre au
ministre Poëti, le ministre des Transports d'alors, Poëti, de mettre fin à des
pratiques qui sont intolérables.
Je vous signale ces pratiques-là. Par
exemple, on donne des contrats à d'anciens employés, hauts cadres du ministère,
pour des conseils à coups de 50 000 $, 185 000 $ — je
parle de deux contrats différents à d'anciens employés — et tout ça
se fait de gré à gré par la décision de la sous-ministre. En fait, si les
allégations de M. Poëti et des informateurs de votre collègue dans L'Actualité
sont vraies, on parle véritablement de décisions et de pratiques qui sont
en complète violation de tout l'esprit de tout ce qu'on a fait depuis cinq ans
et des recommandations de la commission Charbonneau.
Donc, pour répondre à votre question, je
trouve ça inacceptable, dans un dossier qui touche le ministère des Transports,
qui est au centre de tout le scandale de la corruption et de la collusion au
Québec depuis six, sept ans, que des responsables au ministère, que ça soit un
sous-ministre ou d'autres responsables, n'aient pas tenu important de s'assurer
que l'information se rende au ministre et au chef du gouvernement. C'est
proprement scandaleux! Ne serait-ce que ça... mérite qu'on se penche
immédiatement sur la situation au ministère des Transports.
M. Dutrisac (Robert) : Est-ce
que vous avez pris connaissance du rapport qui a été déposé en Chambre?
M. Khadir
: Mon équipe
est en train de l'étudier. Mais on voudrait, au-delà de…
M. Dutrisac (Robert) :
Semble-t-il qu'il y a un problème de pagination.
M. Khadir
: Ah oui? Très
bien. Ah bon! Mais disons que ça, c'est une situation accessoire. Le rapport
lui-même importe moins, à mon avis, étant donné les circonstances qui ont
entouré le départ de M. Poëti et le fait qu'on parle de possibilité de
pratiques qui sont en dérogation de l'intégrité de l'octroi des contrats,
qu'immédiatement l'Assemblée nationale et le public se saisissent. Et donc nous
demandons une commission spéciale où on entend le ministre, l'ancien ministre,
Mme Savoie, la sous-ministre, et également le responsable du comité mis sur
pied par M. Daoust.
M. Lecavalier (Charles) : Et
croyez-vous M. Couillard lorsqu'il dit que la démotion de M. Poëti n'a
absolument rien à voir avec cette histoire d'enquête sur Dominique Savoie?
M. Khadir
: Disons
que, considérant les problèmes sérieux d'intégrité que connaît ce gouvernement,
on se rappellera du problème de M. Hamad, on se rappellera que le gouvernement
a essayé par tous... En fait, le gouvernement a sabré le champagne, hein, au
lieu de se désoler pour le Québec, a sabré le champagne lorsque le rapport de
la commission Charbonneau a été déposé, étant donné la controverse qu'il y a eu
à... la dissension de M. Renaud Lachance. Donc, étant donné ce problème-là,
c'est sûr que... Là, j'ai perdu le fil de ma pensée. Votre question, c'était...
M. Lecavalier (Charles) : ...M.
Couillard.
M. Khadir
: Oui, si
je... C'est sûr qu'il est très difficile d'accréditer la thèse comme quoi ça
n'avait aucun impact. Donc, il est peut-être permis de croire que le premier
ministre ne savait pas tout le détail, mais il y a certainement quelque chose
qui a dû représenter un gros problème pour le gouvernement pour avoir tassé un
ministre qui avait d'importants projets en main. On se rappellera Uber, pour
lequel on avait dépensé tant d'argent ici, à l'Assemblée nationale, organisé
une commission publique, etc. Donc, je pense qu'il est très difficile... Il va
falloir en faire la démonstration. Je dirais que je ne peux pas donner le
bénéfice du doute à M. Couillard, malheureusement.
M. Dutrisac (Robert) : Est-ce
que M. Couillard et le ministre ont raison d'accorder toujours leur confiance à
la sous-ministre? Parce qu'on voit quand même que, dans l'article...
M. Khadir
: À sa face
même, les révélations de l'article... Et je n'ai aucune raison de mettre en
doute les propos d'un ancien policier dont l'intégrité n'a jamais été mise en
doute par personne dans l'exercice de ses fonctions comme ministre. On comprend
qu'il y a des acrimonies, bien sûr, quand on est tassé, mais, justement, ça
permet, je dirais, d'accréditer la thèse qu'il a besoin de mettre les pendules
à l'heure et d'expliquer réellement les différents éléments qui ont dû peser
dans la décision de M. Couillard. Et je pense qu'on doit prendre les allégations
de M. Poëti avec le plus grand sérieux.
Si tout ça s'avère, Mme Dominique Savoie a
de sérieuses explications à nous donner publiquement en commission
parlementaire. Et ensuite, bien, je vois mal comment elle peut continuer à
opérer si elle n'a pas des explications qui lui permettent de dissiper les
craintes qu'elle a essayé de manoeuvrer pour éviter d'embarrasser le ministère
du Transport.
M. Robillard (Alexandre) :
Mais, quand M. Couillard dit qu'il ignorait tout de ce dossier-là avant son petit-déjeuner
de ce matin, est-ce que vous le croyez?
M. Khadir
: Bien,
comme je vous ai dit, on est obligés de prendre sa parole, mais je ne suis pas
très rassuré, je ne suis pas très, je dirais, confiant dans la justesse de ses
propos.
Dans un cas comme dans l'autre, s'il était
au courant, bien, c'est très, très grave, qu'il ait agi de la sorte,
c'est-à-dire en ayant été mis au courant, plutôt que de régler le problème...
de tasser le ministre qui cherche à régler le problème. Et, s'il n'était pas au
courant, je dirais que c'est presque même encore plus grave. Ça veut dire que
le gouvernement ne s'est pas assuré, dans les directives données aux ministères,
de s'assurer qu'au moins dans les ministères les plus vulnérables à la
corruption — hein, le rapport Charbonneau en témoigne, le ministère
des Transports et le ministère des Affaires municipales — toute
information qui fait état de problèmes soit directement relayée au chef du
gouvernement.
M. Couillard tient-il, oui ou non, à avoir
un gouvernement au-dessus de tout soupçon, un gouvernement intègre, comme il a
promis en élection? Bien, il me semble, la première chose qu'on se serait
attendus, c'est que des directives soient claires, que toute information
relative à un problème dans les ministères soit relayée immédiatement au
Conseil des ministres pour que des actions soient prises.
Donc, dans un cas comme dans l'autre, je
pense qu'il y a un grave problème pour M. Couillard.
M. Robillard (Alexandre) :
Pensez-vous que M. Lafrenière a un rôle à jouer dans le fait que des plaintes n'ont
pas été... il n'y a pas eu suite à certaines plaintes?
M. Khadir
: Ça, c'est
une question beaucoup trop, je dirais, sensible et impossible à décortiquer
pour que je puisse vous donner une opinion éclairée là-dessus. Ce qui est
clair, c'est que, maintenant, tout le monde est au courant qu'il y a des
tensions à l'interne sur le ministère des Transports. Et donc j'aimerais que,
disons, le travail de l'UPAC dans les prochaines semaines, dans les prochains
mois, nous fasse la démonstration claire qu'on a raison d'avoir confiance en
l'UPAC, qu'il n'y a aucune compromission quant à ce qui se passe à l'intérieur
du ministère du Transport.
Une voix
: Merci.
M. Khadir
: Merci
beaucoup.
(Fin à 11 h 20)