(Treize heures sept minutes)
M. Khadir
: Bonjour.
Voilà un an que nous avons commencé, donc, en commission parlementaire
d'examiner la situation très désastreuse occasionnée aux finances publiques par
les paradis fiscaux. Vous savez que ça coûte littéralement des milliards de
dollars à divers États, à divers gouvernements. Le gouvernement du Québec doit
perdre facilement des centaines de millions de dollars par année en évasion
fiscale, en évitement fiscal. Chez nous, au Québec, comme au Canada, il y a plusieurs
entreprises que je qualifierais soit d'évadés fiscaux ou de fugitifs fiscaux,
pour reprendre une analogie avec les bandits, parce que c'est du banditisme
économique que l'OCDE, que les États, que le FMI, que les Nations unies même
dénoncent, et maintenant il y a une volonté... Moi, je table sur la bonne
volonté de mes collègues des autres partis, parce que, vous savez, nous, Québec
solidaire, on en parle depuis au moins une dizaine d'années. Je suis content aujourd'hui
qu'il y a une unanimité, que même le Parti libéral du Québec s'est rendu compte
qu'on ne pouvait pas continuer.
Donc, nous avons entendu, ce matin encore,
des témoignages remarquables de Mme Rizqy, Pre Rizqy de l'Université de
Sherbrooke, qui est spécialiste en matière de planification financière, mais
aussi de M. Lareau et de M. Lanoue : M. Lareau, à titre de fiscaliste; M.
Lanoue, à titre de président de l'ATTAC. Les témoignages se recoupaient,
insistaient sur le fait que l'État doit donner l'exemple, que l'État ne doit
pas gérer avec complaisance, non seulement revoir ses lois, mais appliquer ses
propres lois. Notamment, par exemple, il y a une loi canadienne, la loi de
l'impôt du Canada, sur laquelle M. Lareau a d'ailleurs insisté, mais il faut
l'appliquer. Pour l'appliquer, il faut avoir des moyens, il faut monter des
dossiers, et ce qu'on observe depuis de nombreuses années, c'est qu'il n'y a
pas vraiment une volonté de poursuivre. Et aussi bien Mme Rizqy que M. Lareau
ont mentionné à quel point tant qu'il n'y a pas de sanction grave, par exemple la
privation de liberté, la prison, autrement dit, beaucoup de ces dirigeants
d'entreprise vont continuer à opérer comme avant.
Je nomme l'exemple d'un fugitif et un évadé
fiscal permanent, qui est KPMG, qui est, en fait, une des principales sources
de ce méfait international, ces crimes économiques. Ils ont payé 405 millions
d'amendes en 2005 aux États-Unis, mais ils continuent toujours à opérer parce
qu'il n'y a pas de peine d'emprisonnement qui ont accompagné ça. Pire encore,
ils obtiennent des contrats du gouvernement du Québec, ils obtiennent des
contrats et ils obtiennent des mandats, ce que nous avons dénoncé.
Donc, je voudrais revenir pour reprendre un
peu les propositions qu'on a entendues jusqu'à date, sur les propositions de
Québec solidaire pour lutter contre le recours aux paradis fiscaux.
Un, rendre toute aide directe ou indirecte
à des entreprises conditionnelle à une attitude irréprochable. Qu'est-ce que ça
pourrait bien dire? Un exemple, on ne peut pas accorder de subvention à des
individus qui sont, par exemple, sur la liste des Panama Papers. Ça, c'est
simple. Les responsables des divers ministères pourraient consulter les Panama
Papers, le LuxLeaks et le SwissLeaks, au moins pour vérifier ceux-là. Il y a
certainement beaucoup d'autres bases de données.
On ne peut pas donner... On ne peut pas
arriver à une entente avec Uber. Uber, c'est un fugitif fiscal. Uber ne se gêne
même pas. L'entente que le gouvernement a conclue avec Uber permettra à Uber de
sortir 20 % de son activité, là, totalement de toute fiscalité. C'est un
cadeau de 20 %, bien, en fait, sur tous les revenus d'Uber au Québec.
Autrement dit, on vient de défaire... d'envoyer un très mauvais message. Alors
que nous, en commission, on se penche là-dessus, le bureau du premier ministre
pousse pour une entente qui permet à un fugitif fiscal de bénéficier d'un
cadeau de la part du gouvernement du Québec. Ça, on n'accepte pas ça. Donc, ça,
c'est la première mesure.
Deuxièmement, utiliser la Caisse de dépôt.
C'est un bras financier énorme, plus de 120 millions...
120 milliards, je m'excuse, de dollars de levier financier. Bien, on a
entendu en commission aujourd'hui que M. Sabia se cache derrière, en quelque
sorte, le fait qu'il n'y a plus de liste de gouvernements ou de paradis fiscaux.
Donc, par définition, la caisse peut investir n'importe où sans investir dans
des paradis fiscaux. Or, on sait très bien que ces gouvernements, c'est sous
pression politique qu'ils ont été sortis de la liste parce qu'ils ont conclu
des ententes avec des gouvernements complaisants comme celui de M. Harper. Ça a
été dit en commission tout à l'heure. Mme Rizqy, je crois, ou M. Lanoue ont
expliqué comment, dans le fond, pour échapper à la liste, ces gouvernements-là
se sont dépêchés à conclure des ententes d'échange d'information avec plusieurs
gouvernements complaisants, dont le gouvernement de M. Harper, ce qui ne règle
en rien le fait que des pratiques d'évasion fiscale continuent à s'opérer.
Donc, la Caisse de dépôt, qui a pour plus de 250 milliards de dollars de
capitalisation, pourrait envoyer de très forts messages. C'est un des
principaux outils financiers à l'échelle de l'Amérique du Nord.
Troisièmement, une «blacklist» effective
dans nos politiques d'achat. Vous savez, à l'Assemblée nationale, là, c'est les
tablettes iPad puis c'est les téléphones iPhone que la plupart des députés
bénéficient. On vient d'apprendre, hein, la condamnation d'Apple. Pour combien
de dollars d'amende? Je pense 15 milliards, corrigez-moi. Apple a été...
Non, excusez-moi, ça revient à... avec les intérêts, là, qu'Apple doit payer à
l'Irlande, c'est 15 milliards d'euros plus intérêts, ce qui revient à à
peu près 25 milliards de dollars qu'Apple a été condamnée à payer par des
tribunaux administratifs européens. Apple, donc, est une entreprise fautive. Si
le Québec se donne ce droit ou, enfin, envoie le message au gouvernement
canadien qu'on devrait avoir des politiques d'achat publiques qui fait en sorte
qu'on établit une «blacklist», surtout des grandes corporations qui fraudent
l'impôt, qui contournent l'impôt, qui ne paient pas leur juste part, je pense
que là on commencerait alors à avoir une politique effective qui pourrait nous
permettre de sortir du trou.
Mettre fin aussi à l'approche de
divulgation volontaire. Vous savez, une entreprise fautive, là, pourrait venir
divulguer volontairement une grande fortune... quelqu'un de très fortuné
pourrait venir divulguer de l'impôt non payé puis il s'en tirerait avec un
pardon. Nous, on dit : Il faut mettre fin à cette clémence, cette
clémence-là ne fonctionne pas. Aux États-Unis, le «diligent track» ou le...
enfin, il y a un terme précis pour une disposition qui permet ce genre de
chose, mais uniquement pour les petites fautes, pour quelques milliers de
dollars, lorsque l'erreur a été commise de bonne foi, par exemple dans un truc
de succession, les bénéficiaires d'une succession ne sachant pas que l'argent
avait été cachée dans un paradis fiscal, ce genre de chose là. Mais pas pour de
grandes fortunes, ou des grandes multinationales, ou des KPMG de ce monde, qui
viendraient se mettre à table, puis on passerait l'éponge. C'est juste le très,
très mauvais message et c'est une énorme injustice envers le cordonnier, la
coiffeuse, le chauffeur de taxi, après qui on envoie les sbires, on envoie les
agents de Revenu Québec, avec l'acharnement qu'on leur connaît.
Troisièmement, et ça nous amène à ça,
justement, parlant d'acharnement de Revenu Québec contre les petites et
moyennes entreprises, contre les individus, bien, déjà ils ont de très maigres
ressources, puis ces maigres ressources, avec le contexte d'austérité... vous
savez que ça fait des années qu'il n'y a qu'un remplacement... en fait, sur
deux emplois perdus, qu'il n'y a qu'un remplacement. Donc, il y a une attrition
qui fait que Revenu Québec n'a pas les moyens puis ses faibles ressources sont
consacrées à faire la traque aux coiffeuses des sous-sols, alors que ce qu'on a
besoin, c'est des compétences.
D'ailleurs, Mme Rizqy l'a mentionné, il
faut des compétences et du personnel qualifié à Revenu Québec. Et ça, ça veut
dire embauches, une politique d'embauche réelle pour avoir les moyens de
vérifier ce qui se passe dans les paradis fiscaux, de vérifier les précédents
de ces entreprises, de monter les dossiers pour avoir des condamnations
exemplaires comme ça a été recommandé. Donc, tout ce qu'on veut faire nécessite
à la base l'embauche de personnel qualifié en nombre suffisant avec une volonté
de faire la traque à l'évasion puis à l'évitement fiscal. Merci beaucoup de
votre attention.
Mme Crête (Mylène) : Bien,
moi, j'avais une question. Parmi les mesures que vous proposez, vous savez que
c'est très difficile pour les gouvernements d'aller, justement, chercher cet
impôt-là. On l'a vu au fédéral avec KPMG, entre autres. Ce qui est arrivé dans
ce cas-là...
M. Khadir
: Bien, les
experts nous ont dit...
Mme Crête (Mylène) : Le gouvernement
avait juste décidé de ne pas poursuivre parce que ça aurait coûté plus cher que
d'aller chercher l'argent qu'ils avaient...
M. Khadir
: Ce n'est
pas le son de cloche qu'on a de la part des experts. Si vous écoutez les
audiences d'aujourd'hui, on se rend compte que ce n'est pas tant la difficulté
de le faire qu'une absence de volonté, et je peux très bien comprendre.
Regardez, nous, on a déjà divulgué comment, au Québec... j'espère que ça
n'existe plus parce qu'avec le changement de la loi sur le financement
électoral, bien, à 100 $, c'est sûr que les firmes d'avocats ou les firmes
d'ingénieurs n'ont pas le poids, mais je vous signale que les dirigeants de ces
entreprises au Québec ont contribué pendant des années aux caisses des partis.
On peut comprendre pourquoi les partis étaient frileux et étaient gênés de
sévir contre eux. Mais au niveau fédéral, malheureusement, ça continue. Alors,
c'est une absence de volonté politique. D'ailleurs, M. Lareau, dans sa
déposition, a bien mentionné les articles de loi qui permettraient facilement à
Revenu Canada de sévir, mais c'est l'absence de volonté qui fait qu'ils ne le
font pas, parce qu'il faut y allouer des ressources et monter ses dossiers.
Je vous signale une dernière chose. Monter
un dossier criminel pour établir une faute criminelle, par exemple dans un
contexte de larcin, d'assassinat, de violence physique, ça peut être très
compliqué, c'est des preuves hors de tout doute raisonnable. Mais les moyens à
la disposition des agences de revenus canadienne et québécoise en matière
d'investigation sur des questions financières sont immenses, même plus grands
que la police en matière criminelle. Ils peuvent débarquer n'importe où,
n'importe quand, et ils ont une liberté d'investigation qui est hors du commun
avec tout le reste.
Donc, il faut simplement appliquer la loi.
D'ailleurs, M. Lareau a même brandi l'article de la loi qui permettrait des
recours qui condamnent, qui conduisent à des condamnations pour peine de
prison, peine d'emprisonnement, mais ce n'est pas appliqué parce que
malheureusement le milieu politique en place, les pouvoirs politiques en place
sont lourdement influencés par des cabinets d'avocats, des cabinets de
comptables. Tous ces gens qui travaillent dans des KPMG puis dans les cabinets,
les firmes d'avocats qui organisent cette évasion fiscale, c'est des
contributeurs aux partis qui arrivent au pouvoir, et malheureusement ça les
empêche d'agir.
Mme Crête (Mylène) : C'est
vrai aussi qu'il y a une certaine opacité, par exemple, pour justement aller
chercher cette information-là qui permet de mener à des condamnations. Donc...
M. Khadir
: Oui et
non. Bien, regardez, je vous donne un exemple. Le gouvernement, pour se justifier,
parle de cette opacité, mais tout à l'heure on a entendu en commission, que, par
exemple, pour ce qui est des opérations du commerce électronique, tout le monde
comprend que les banques disposent de toutes les informations, et le gouvernement
pourrait demander des informations pour retracer tout ce qui est échangé, dans
le commerce électronique, pour imposer adéquatement puis arrêter la concurrence
déloyale que, par exemple, plusieurs entreprises canadiennes font à nos PME.
Mais c'est l'absence de volonté. C'est que, pour que ça se fasse, il faut des gouvernements,
disons, sincèrement engagés dans la lutte à l'évasion fiscale.
Au niveau fédéral, je n'en suis pas sûr, parce
que les schémas de fonctionnement de financement des partis électoraux fédéraux
ne sont pas différents de ce qui existait au Québec avant qu'on y regarde de
près, et malheureusement ça continue à opérer. Et, tant que c'est le cas, je
pense que la volonté politique va manquer, malheureusement.
Mme Crête (Mylène) : Et, parmi
les mesures que vous avez proposées, là, s'il y avait une priorité là-dedans,
là, qui, selon vous, devrait être mise en place...
M. Khadir
: Bien, comme
je vous l'ai dit, embaucher des personnes compétentes et mener cette
bataille-là. Je rappelle, pour ceux qui n'étaient pas là il y a une quinzaine
d'années, Yves Séguin, sous le gouvernement Charest, que je respecte beaucoup
pour cette volonté qu'il a démontrée, dans son premier budget comme ministre
des Finances, entre 2003 et donc 2004, il a alloué un budget de
17 millions de dollars pour la lutte à l'évasion fiscale. 17 millions
de dollars nouveaux pour la lutte à l'évasion fiscale, ça a rapporté à l'État
150 millions de dollars. En fait, il voulait continuer à réinvestir ce
150 millions pour vraiment développer la lutte à l'évasion fiscale, mais,
dans le second budget, on l'en a empêché et on sait ce qui est arrivé à M.
Séguin par la suite parce qu'il voulait démontrer...
Donc, la base de tout, c'est qu'il faut se
donner les ressources en compétence et en nombre pour faire la lutte à
l'évasion fiscale, donc commencer par embaucher des personnes compétentes,
monter un programme solide, pas pour faire la traque aux chauffeurs de taxi,
aux cordonniers, à la coiffeuse du petit salon dans le sous-sol, là, ou à nos
travailleuses et travailleurs du secteur de la restauration, mais pour faire la
traque aux KPMG, aux banques qui permettent tout ça, aux grandes fortunes qui
cachent leur argent dans des fiducies, dans des trusts, même des banques
privées. Merci de votre attention.
(Fin à 13 h 20)