(Onze heures quatre minutes)
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Alors, bonjour. Le rapport annuel, qui a été déposé ce matin à l'Assemblée
nationale, est, entre autres, l'occasion de constater des avancées des services
publics dans le règlement de problèmes que le Protecteur du citoyen a dénoncé
au cours des dernières années.
Je veux souligner trois de ces avancées
plus particulièrement. L'an dernier, je dénonçais certaines méthodes de Revenu
Québec, notamment au niveau de la vérification. J'illustrais les conséquences
négatives pour les contribuables, en particulier pour des entreprises. En
janvier dernier, à la demande du ministre des Finances, Revenu Québec a rendu
public un plan d'action qui comprend des mesures concrètes pour améliorer ses
relations avec les contribuables et avec les mandataires. Je salue la
publication de ce plan et sa mise en oeuvre qui devrait être bénéfique pour les
citoyens. Déjà, nous avons constaté, sur le terrain, des changements, des
impacts positifs de ces changements.
Je veux saluer aussi les efforts qu'a
consentis la Société de l'assurance automobile du Québec pour mettre en oeuvre
des recommandations de notre rapport concernant l'adaptation du domicile des
personnes accidentées de la route qui sont lourdement handicapées. Les délais
les plus récents que nous avons constatés ont également été abrégés. Et nous
avons publié un rapport sur les atteintes graves aux droits des personnes
incarcérées, des Inuits incarcérés au Nunavik. Une des dimensions était la
difficulté de respecter les droits dans les cellules et les quartiers
cellulaires du Nunavik. Cette dimension a fait l'objet de considérations très
sérieuses de la part du ministère de la Sécurité publique, et, bien que tous
les problèmes ne soient pas réglés, nous notons qu'il y a quand même des
améliorations, en particulier quant aux conditions sanitaires et aux premiers
équipements de secours.
Le rapport annuel met cette année en
évidence que les services publics sont généralement efficaces pour répondre aux
citoyens dont les besoins correspondent aux normes, mais que la réalité est
différente pour ceux qui s'en écartent et pour qui une prise en compte adaptée s'impose.
Je pense encore à des personnes qui ont des handicaps, qui sont en perte
d'autonomie liée à la maladie, ou à l'âge, ou encore des personnes qui sont
analphabètes. Au Québec, ces personnes sont en nombre quand même assez
important.
Il y a plus et il y a mieux à faire en ce
qui concerne ces citoyens, entre autres des jeunes qui n'ont pas accès à
l'école publique parce que leurs parents sont en situation d'immigration
précaire. Et je pense aussi aux besoins des enfants et même d'adultes qui ont
une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l'autisme et pour qui
l'absence de services de réadaptation compromet la réussite des études et leur
pleine participation à la société.
Je pense encore aux personnes qui ont des
besoins de services en santé mentale, en particulier dans la communauté, et qui
méritent un meilleur respect des engagements qui sont pris envers elles. Pour
eux comme pour d'autres citoyens qui n'entrent pas dans les normes de l'administration,
nous constatons trop souvent encore des manquements à la qualité des services,
des manquements qui prennent des formes diverses : longs délais, avec
leurs conséquences; nombreux reports dans les faits qui constituent parfois un
véritable déni de service; interprétation rigide des lois, des règlements et
des programmes qui peut aussi mener à l'exclusion du citoyen au détriment de
son bon droit et de la réponse à ses besoins réels.
Et je veux insister sur un contexte. Le
contexte des services publics, des agents des services publics qui travaillent
au fil des ans avec des compressions qui se cumulent leur rend beaucoup
difficile la tâche. Je veux saluer, en général, leur compétence. Plusieurs
travaillent avec le coeur à l'ouvrage, et je pense qu'ils n'ont pas le contrôle
de situations qui leur sont très souvent imposées et pour lesquelles ils ont à
composer avec une réalité qui est très difficile.
Au terme d'une décennie comme Protectrice
du citoyen, je me permets de revenir et d'insister sur l'essentiel, justement
le service aux citoyens. Au fil des ans, j'en suis arrivée à croire que les
compressions budgétaires cumulées, dont je ne conteste pas la pertinence sur le
fond, mais plutôt la sous-estimation de leur incidence réelle sur les citoyens,
ont malgré tout été moins éprouvantes pour la bureaucratie que pour les
personnes vulnérables. En tenant compte des contraintes, notamment économiques
et démographiques, qui vont perdurer et qui vont s'accroître, je crois que deux
grands défis se posent aux services publics.
Le premier, c'est celui d'intensifier
leurs efforts pour réduire la bureaucratie. Je pense ici à des exigences
excessives, à des formulaires conçus pour celui qui les administre et non pour
celui qui les remplit, à des étapes de supervision et de contrôle exagérés qui
grugent indûment les temps des agents dont la priorité doit être les services à
la population.
Je déplore aussi le travail en vase clos.
Encore trop souvent, et on le déplore depuis des années, des ministères et des
organismes publics posent aux citoyens des exigences parfois contradictoires
sans bien harmoniser leurs services et leurs actions dans une logique de simplification
et de réponse efficace aux besoins.
J'insiste aussi sur l'importance de mettre
à profit les nombreuses expertises des services publics en levant les barrières
de certains protectionnismes professionnels qui persistent, particulièrement en
santé et en services sociaux. Je suis d'avis que le deuxième défi d'importance
des services publics, et cela découle, à l'évidence, des constats du Protecteur
du citoyen, c'est d'offrir un traitement adapté à la situation de personnes
dont les besoins ne correspondent pas à la norme et parmi lesquels plusieurs
sont vulnérables, autrement dit, de tout faire pour leur donner accès aux
services en interprétant les normes en tenant compte de leurs besoins, de leur
vulnérabilité et de leurs intérêts avant tout. Cette approche de service
inclusive permettrait non seulement de prévenir la judiciarisation outrancière
des différends, mais elle susciterait aussi la confiance des citoyens à l'égard
des services publics, ce qui contribuerait à contrer le cynisme. Je vous
remercie.
M. Laforest (Alain) :
Bonjour, Mme Saint-Germain. Si on comprend bien, dans votre rapport, là, vous
déplorez la lourdeur bureaucratique des 10 dernières années qui nuit à
l'accessibilité des services. Je me trompe? Si vous voulez préciser.
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
C'est ce que je déplore dans le contexte où les besoins vont croissant. Au fil
des ans, les compressions budgétaires touchent de plus en plus les services
directs à la population, et, derrière cela, on a des conséquences comme des
longs délais, des avantages ou des indemnités réduits pour les citoyens qui
pourraient y avoir droit, des services auxquels... où ils n'ont pas accès avec
l'intensité requise, en temps opportun ou pour lesquels ils n'auront tout
simplement pas accès parce qu'au moment où les listes d'attente seront rendues
à eux certains seront décédés ou auront... Si on pense aux services, notamment,
de soutien à domicile ou encore pour certains enfants autistes, ils n'auront
pas eu, en temps opportun, accès aux services d'orthophonie qui les aident, avant
l'entrée à l'école, à mieux réussir sur le plan scolaire. Alors, c'est ce que
je déplore.
M. Laforest (Alain) : Donc,
l'austérité a fait mal. C'est ce que vous nous dites, là.
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
L'austérité a fait mal. Je ne conteste pas la nécessité d'avoir redressé les
finances publiques, mais certains choix, il faut le reconnaître, en termes de
services et d'impacts sur les citoyens, ont été au détriment de ces
personnes-là, et j'invite... Je pense que la solution, c'est de redresser
maintenant et de prendre beaucoup l'intérêt, mesurer l'impact pour les
personnes vulnérables, donc, avant de faire des compressions, bien mesurer
leurs impacts réels sur les personnes.
M. Laforest (Alain) : Si on
regarde dans le réseau de la santé, il y a un gros pan de votre rapport où vous
êtes quand même assez dure, là, si on prend le cas de cette fameuse dame qui
souffre de sclérose en plaques, qui doit dormir dans son fauteuil roulant
plutôt que dormir dans son lit en raison de coupures de services. Est-ce que
vous iriez jusqu'à dire que maintenant, selon ce que vous avez observé, la
réforme Barrette échoue?
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Vous avez dit : Vous êtes assez dure. Le Protecteur du citoyen n'est pas
dur, il est juste. Et ce qui est dur et difficile, c'est l'impact de certaines
décisions administratives sur les citoyens. Cet exemple-là en est un.
Sur la réforme de la gouvernance du réseau
de santé, il est bien sûr trop tôt pour en faire l'appréciation, mais ce que
nous constatons dans les résultats de nos plaintes et l'impact direct pour les citoyens,
c'est qu'on a eu tendance, dans les regroupements d'établissements, en raison
des ressources limitées et des besoins qui vont croissants, à retenir l'offre
de services la moins généreuse parmi ceux des établissements fusionnés.
L'exemple concret : les services de
soutien à domicile. Alors, dans certaines régions, par exemple, on avait des
pratiques qui disaient : Si la demande est de moins de quatre heures de
services par semaine, on ne retient pas ces personnes-là ou on les met en
dernier sur la liste d'attente, alors que ce quatre heures-là, pour plusieurs
autres établissements, il était donné. Alors, on a nivellé par le bas pour
mieux répondre à la demande. Alors, vous voyez le défi, l'enjeu des services
publics. Et ce qu'il faut voir, derrière des compressions comme celles-là, c'est
le résultat concret : moins de services en temps opportun pour des
personnes qui en ont besoin maintenant.
La Modératrice
:
Jocelyne Richer, LaPresse canadienne.
Mme Richer (Jocelyne) :
Bonjour, Mme Saint-Germain.
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Bonjour.
Mme Richer (Jocelyne) : Vous
faites un constat sur une relation de cause à effet entre le cumul des
compressions budgétaires ces deux dernières années et une détérioration des
services publics à la population.
J'aimerais savoir, dans une plus large
perspective, si vous concluez à une espèce de bris du contrat moral entre le gouvernement
et la population quant à la garantie d'offrir et de recevoir des services de
qualité.
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
En fait, encore une fois, je ne prête de mauvaises intentions à personne et surtout
je considère que les travailleurs des services publics travaillent dans des
conditions de plus en plus difficiles. Ce que je considère et le signal
d'alarme que je veux lancer, c'est qu'il faut faire un changement de cap et dorénavant
regarder davantage l'impact des décisions administratives sur les services qui
sont rendus, dans un contexte où, d'une part, les besoins de la population en
services publics vont augmenter, notamment en raison du vieillissement de la population,
mais aussi, la conjoncture économique et sociale, elle va demeurer très
exigeante pour les services publics. La situation économique, on sent qu'il y
aura encore des difficultés.
Sur le plan social, il y a des enjeux contemporains
importants qu'on sous-estime trop. Par exemple, avec l'immigration, les enjeux
des personnes sans statut, des enfants en situation d'immigration précaire,
pour lesquels le Québec est encore la seule province qui ne leur donne pas
systématiquement un accès gratuit à l'école publique, c'est un enjeu important.
Les enjeux qui sont liés aux besoins de la santé mentale, le meilleur
accompagnement dans la société, c'est nécessaire non seulement de faire des
plans d'action qui sont très bien sur papier, mais de s'assurer que ce qu'on
promet, ce à quoi on s'engage sera livré. Et, en matière de santé mentale, il y
a encore un écart beaucoup trop grand entre un plan d'action et les besoins
dans la communauté par suite de la désinstitutionnalisation. On le constate, et
c'est autant dans l'intérêt des personnes qui ont besoin de ces services-là que
de leurs proches.
Alors, non, il n'y a pas un bris de
contrat social. Je pense qu'il y a beaucoup de bonne volonté, mais, signal
d'alarme, il faut que les services publics soient vraiment axés sur le service
et que l'essentiel soit fait pour réduire la bureaucratie et les amener à
préserver toutes les ressources dans le service direct à la population.
Mme Richer (Jocelyne) : Est-ce
que la situation, selon vous, a atteint un point critique?
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
La situation a atteint un point critique, oui, dans le sens où, de plus en plus
de citoyens sont en liste d'attente pour recevoir des soins de santé, pensons à
des chirurgies, de plus en plus de citoyens sont en liste d'attente pour des services
de réadaptation, que ça soit par suite d'accident de travail, par suite
d'accident de la route, des besoins qui sont liés à une condition personnelle
comme l'autisme, on en parlait, la déficience intellectuelle. Et la conséquence
directe de ça, c'est que leur réussite dans la société, leur réussite scolaire,
leur contribution à l'emploi, leur capacité d'être autonome économiquement,
elle est menacée.
Alors, on a atteint le redressement des
finances publiques d'une manière satisfaisante. Il faut demeurer, bien sûr,
conscient de la bonne gestion. Je ne suis pas du tout, au contraire, opposée à
ce qu'on soit très rigoureux. Il faut être rigoureux dans la gestion des fonds
publics, mais, en même temps, il faut s'ouvrir les yeux sur l'impact réel sur
non seulement, dans certains cas, l'attente envers des services qui arrivent
trop tard ou en intensité insuffisante, mais envers, dans certains cas,
l'absence de services pour répondre à des besoins qui doivent être
impérativement satisfaits.
Mme Richer (Jocelyne) : Une
dernière question, si vous permettez, plus personnelle. Je crois que votre mandat
est terminé.
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Oui.
Mme Richer (Jocelyne) : J'aimerais
savoir si le gouvernement vous a proposé de le renouveler. Quelle est la
situation?
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
J'ai eu l'occasion d'accepter un troisième mandat, mais je ne souhaite pas
avoir un troisième mandat. Et donc il appartiendra à l'Assemblée nationale, sur
la proposition du premier ministre, de désigner un prochain Protecteur du
citoyen. Ce que la loi prévoit, c'est que le protecteur en exercice demeure en
poste jusqu'à ce que l'Assemblée nationale lui nomme un ou une successeur.
La Modératrice
:
Charles Lecavalier, Le Journal de Québec.
M. Lecavalier (Charles) :
Bonjour. Je voulais savoir, est-ce que la réforme du ministre Barrette a eu des
impacts positifs sur l'accès aux soins à votre avis? Parce que je vois que vous
avez trouvé des problèmes. Je me demandais, sur un plan plus général, est-ce
qu'il y a eu des impacts positifs ou ils sont seulement négatifs?
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Un impact positif que nous avons constaté au niveau de la santé physique, c'est
que certains protocoles, certains protocoles de prise en charge ont été mis…
qui étaient supérieurs dans certaines régions par rapport à d'autres, ont été
mis au bénéfice des autres régions.
Un autre élément qui est positif, c'est
que le guichet d'accès aux médecins de famille dorénavant est géré avec une
plus grande supervision de la Régie de l'assurance maladie du Québec, et ça
entraîne plus d'équité dans les ordres de préséance. Ça permet aussi d'éliminer
ce qu'on peut appeler les fausses listes d'attente, c'est-à-dire des gens qui
vont être sur plus d'une liste d'attente. Alors, ça, c'est un impact qui est
positif.
Pour l'instant, sur les autres enjeux liés
à l'accès, c'est vraiment prématuré de porter un constat, je dirais, plus
général. Mais, à court terme, on a quand même constaté que les délais d'accès,
en raison de la hausse de la demande et du fait que les moyens ou les
ressources financières ne sont pas au rendez-vous, les délais d'accès ne
diminuent pas et, dans certains cas, augmentent substantiellement.
M. Lecavalier (Charles) : Le
ministre Barrette a dû faire plusieurs coupures en santé depuis deux ans.
Chaque fois, il a dit qu'il n'allait pas y avoir d'impact sur les services.
Bien là, je comprends que, finalement, les coupures ont eu des impacts sur les
services. C'est bien ça?
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
C'est certain que soit les coupures ou l'incapacité d'injecter plus de fonds
dans certains cas ont un impact sur des services parce que la demande est
croissante. Les besoins sont de plus en plus grands en raison notamment du
vieillissement de la population qui fait en sorte que les citoyens plus âgés
ont des besoins accrus de soutien à domicile, souvent de services de
réadaptation, d'hébergement public. Alors, au moment où il y a ces coupures-là,
il y a cette hausse de la demande.
Alors, les efforts pour compenser avec
tout ça, financiers notamment, n'ont pas permis d'améliorer la situation.
Est-ce qu'avec les temps, c'est une question qui se pose, tout ça fera en sorte
qu'il y aura eu des économies dans la gestion, dans l'administration, des
simplifications de procédure et qu'on pourra injecter plus dans les services
publics? La question se pose. Et, bien sûr, moi, je souhaite que ce soit oui et
je pense que c'est aussi le souhait du gouvernement.
La Modératrice
: Tommy
Chouinard, La Presse.
M. Chouinard (Tommy) : Le
gouvernement ne parle pas de compressions, il parle de mesures d'optimisation.
Il dit que ces mesures-là ciblent essentiellement l'appareil administratif,
bureaucratique. Vous avez dit dans votre déclaration d'ouverture qu'au fil de
votre mandat vous avez constaté que les compressions n'ont pas tant touché
l'appareil administratif et bureaucratique, mais bien davantage les usagers, en
particulier les personnes vulnérables. Qu'est-ce qui vous permet d'affirmer une
telle chose quand même assez significative?
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
C'est les constats de nos plaintes fondées, parce que les travailleurs des
services publics, dans un contexte comme celui-là, ils ont à prendre des
décisions qui vont dans le sens du respect des budgets qui sont les leurs. Ils
sont jugés sur ça, et un travailleur qui prendrait des décisions qui feraient
en sorte qu'on va défoncer un budget va être mal évalué. Donc, ça vient
d'orienter l'angle de service.
Alors, ça veut dire quoi dans les faits?
Une interprétation plus stricte, plus rigide de la loi, voire, dans certains
cas, des interprétations illégales, comme on a pu le voir notamment à la
Commission des normes, d'équité, de la santé et sécurité du travail pour une travailleuse
enceinte qui était entrepreneure et qu'on excluait dans le sens contraire à la
loi. Ça veut dire qu'on va tout faire pour exclure un citoyen s'il veut dire un
risque de dépasser les budgets plutôt que de l'inclure dans un programme. Ça
veut dire une interprétation rigide de la loi. Ça veut dire : Je n'ai pas
suffisamment d'argent en services à domicile pour vous donner les 12 heures que
nos professionnels ont évaluées, mais je vais vous donner quatre heures, et ça
vient peut-être de compromettre le soutien à domicile de cette personne-là.
M. Chouinard (Tommy) : ...un
peu plus, c'est que vous laissez entendre que c'est comme si on faisait porter
le poids des compressions non pas à l'appareil administratif, mais qu'on veut
déplacer ça vers les services, vers la population, comme si la commande de
compressions, qui se voulait sur le plan administratif, on disait : Ah
non! allons-y en coupant dans les services plutôt que de faire l'effort
nous-mêmes à l'interne.
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Non. Encore une fois, je ne prête pas de mauvaise intention, mais le résultat
de réduire les services directs à la population ou même, dans certains cas, de
les reporter, les longs délais d'attente, ils sont inévitables parce que, dans
les faits, plusieurs éléments sont incompressibles : les immobilisations,
les coûts de services, les salaires des employés des secteurs publics.
Mais ce qu'il faut voir aussi, je dis :
La bureaucratie — je ne parle pas des personnes, je parle des
approches, des manifestations bureaucratiques — en a moins souffert
malgré tout que la personne vulnérable, parce qu'on constate encore trop de
formulaires très lourds, complexes à remplir, qui occasionnent des erreurs chez
les citoyens. S'ils étaient plus simples, s'ils étaient mieux harmonisés...
trop de formulaires, on demande encore trop de diagnostics à trop de médecins
pour le même programme, le même citoyen. On prend encore des interprétations
trop rigides des lois, qui mènent à des contestations devant les tribunaux, dont
les délais sont très longs.
Tout ça, pour moi, ce sont des
manifestations de la bureaucratie auxquelles on devrait s'attaquer pour
pouvoir, à la fois, rendre un meilleur service, avoir plus de ressources pour
les programmes au citoyen et faire en sorte que la finalité première des
services publics, ce soit vraiment de servir le bien-être et de répondre, en
temps opportun, aux besoins des citoyens.
M. Chouinard (Tommy) : Une
dernière question, un peu le bilan sur votre mandat. Année après année, on a
l'impression de... bien, en fait, on relit les mêmes constats, en particulier en
matière de la santé et services sociaux. On a l'impression que les recommandations
sont faites, mais que, puis d'ailleurs vous vous en inquiétez, qu'il n'y a
pas véritablement de suivi sérieux, qu'on a l'impression que c'est toujours la
même chose, le soutien à domicile puis les déficiences, puis comment ça se fait
que ça ne change pas, puis ça revient tout le temps.
Est-ce que vous considérez que le
gouvernement, en matière de santé et services sociaux en particulier, prend au
sérieux les recommandations du protecteur?
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Oui. Je dois vous dire, c'est la partie moins visible, mais, quand on dit
98 % du suivi des recommandations a effet individuel ou collectif, ça, c'est
pour des citoyens dans l'ombre, qui ne seront jamais nulle part, que vous ne
verrez pas dans les médias, pour qui leurs dossiers, aujourd'hui, c'est réglé.
Des situations ou des comportements, des
problèmes de système importants se règlent aussi. Ce n'est pas rien, le
changement de culture qui s'opère présentement à Revenu Québec. Vous direz :
C'est au fil des ans, mais ce n'est quand même pas rien. En santé et services
sociaux, il y a quand même eu des réinjections de fonds. C'est plus complexe,
effectivement, c'est plus lourd, mais il y en a eu aussi des situations qui se
sont quand même améliorées, des enjeux de respect des droits. Il faut quand
même reconnaître, notamment avec les personnes qui ont des problèmes en santé
mentale, le respect des droits est quand même mieux assuré partout.
Les frais accessoires, je ne veux pas
attribuer au seul Protecteur du citoyen le changement de cap parce que ce
serait vraiment prétentieux et injuste, mais il reste que les pressions qui ont
été faites par le Protecteur du citoyen, les démonstrations de l'illégalité de
ces frais-là ont amené aussi, dans certaines situations, des correctifs. On
vient d'obtenir des correctifs sur des frais de stationnement des hôpitaux qui
étaient excessifs, notamment au CUSM, à Montréal. Il y a des situations
vraiment comme celles-là, là, qui se règlent. Pour les enfants autistes, plus
de services aussi depuis 10 ans, encore pas suffisamment, encore des
enjeux de manque d'harmonisation, mais quand même plus de services. Alors, non,
je pense que le Protecteur du citoyen est une institution qui est reconnue et
respectée par le gouvernement et par l'Assemblée nationale.
La Modératrice
: Simon
Boivin, Le Soleil.
M. Boivin (Simon) : Un peu
dans la même veine que la première question de mon collègue, j'ai accroché sur
le fait que vous avez dit qu'il y avait eu peut-être moins d'impact dans la
fonction publique que dans les services aux citoyens, et je me demandais... Je
comprends qu'il y a des dépenses incompressibles et tout ça, mais est-ce que
vous voyez là-dedans une espèce de réflexe de machine administrive aussi, où
c'est plus simple de couper dans le service que de s'attaquer, disons, à des
emplois de collègues autour ou à de la bureaucratie qui, quand même, crée des
emplois dans son environnement de travail immédiat? Est-ce qu'il y a un réflexe
de machine là-dedans qui mériterait d'être mieux encadré par le pouvoir
politique?
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Je pense que ce n'est pas le premier réflexe, mais il ne faut pas nier que ce
réflexe-là, il existe. Et je pense aussi que le travail en silo, hein, on le
dit souvent, le travail en vase clos, c'est qu'il faut prendre du recul puis
regarder davantage, en fonction du citoyen, ce qu'une multitude de ministères
ou d'organismes peuvent faire puis essayer de focusser à ce niveau-là.
On dit qu'il y a de l'incompressible,
c'est vrai, mais plusieurs manifestations que l'on a constatées au Protecteur
du citoyen, notamment la judiciarisation outrancière, la non-reconnaissance de
ses erreurs, le fait que, dans certains cas, on multiplie les formulaires
administratifs, ça a des coûts, tout ça. Ça a des coûts en termes de temps, ça
a des coûts en termes administratifs, en termes informatique. Et ultimement il
est vrai que, si on en avait moins, probablement que ça permettrait d'embaucher
plus de personnes en services directs à la population et moins en services
d'arrière-plan, bien que ces services soient aussi importants.
M. Boivin (Simon) : Et je me
demandais... Donc, vous terminez votre deuxième mandat de cinq ans, donc ça
fait 10 ans que vous portez un regard assez sévère de l'impact des coupures, au
cours des dernières années, sur les services publics. Est-ce que, parmi les 10
ans pour lesquels vous avez été Protectrice du citoyen, vous avez l'impression
que les services publics sont au plus mal de ces 10 années là que vous avez
passées?
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Je ne dirais pas que les services publics sont au plus mal en termes de la
qualité des services qui sont offerts et de la compétence des fonctionnaires.
Là où je trouve qu'il y a une détérioration, et c'est pourquoi j'en appelle à
vraiment mieux répondre aux besoins des citoyens dans des délais raisonnables,
c'est que la demande augmente. Il y a des nouveaux phénomènes, des nouveaux
enjeux, liés notamment au vieillissement de la population et à des besoins de
clientèles vulnérables, qui ne sont pas suffisamment prévus, pour lesquels les
services ne sont pas suffisamment adaptés et qu'on tarde trop à mettre en place.
Alors, moi, j'aimerais qu'on interpelle
davantage et on appuie davantage les agents des services publics pour les aider
à composer avec ces situations-là que de leur demander des contrôles excessifs,
des redditions de comptes toujours sur des aspects administratifs, certes
importants — je souscris pleinement à la bonne gestion des fonds
publics — mais qui prennent une importance démesurée par rapport aux
services directs qu'on doit rendre à la population.
M. Boivin (Simon) : Mais
justement vous sentez le besoin de sonner l'alarme aujourd'hui. Vous avez
utilisé ces mots-là. Est-ce que, pendant les 10 ans au cours desquels vous avez
été là, cet accès à des soins là a déjà été mieux? Est-ce que la situation est
pire qu'au cours de la dernière décennie?
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Au fil des compressions cumulées d'une année à l'autre, c'est sûr qu'on le
voit, les listes d'attente s'accroissent, les délais sont plus grands. Moi, je
mesure... au Protecteur du citoyen, c'est l'impact sur le citoyen, les délais
des gens qui attendent des chirurgies, les délais des gens qui attendent une
indemnité par suite d'un accident de travail, qui attendent des services
d'orthophonie pour leur enfant qui a trois ans. Il y a encore trois ans de
délais d'attente, mais, dans deux ans, il est supposé commencer l'école. Alors,
la réponse à votre question, c'est effectivement.
La Modératrice
: Je
m'excuse, j'ai un trou de mémoire, mais monsieur du 93.
M. Bernard (Jonathan) :
Bonjour, Mme Saint-Germain.
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Bonjour.
M. Bernard (Jonathan) : Est-ce
que vous iriez jusqu'à parler d'une déshumanisation des services offerts en
raison du cadre qui est plus strict?
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
La pression qui est mise sur les agents des services publics les amène à devoir
à composer avec beaucoup de stress puis à travailler dans une grande intensité.
On a vu, dans certains cas, que ça a eu un impact sur le traitement humain, sur
le traitement adapté. Je ne veux pas généraliser, je ne veux pas dire que les
employés des services publics sont déshumanisés. Au contraire, on le dit
souvent, plusieurs travaillent avec beaucoup de coeur et de compétence, mais effectivement
on voit des situations où ce contexte plus difficile amène des comportements,
sur le plan interpersonnel, qui ne sont pas acceptables. On l'a vu, entre
autres, avec des personnes en résidence privée pour personnes âgées ou dans
certains CHSLD.
La Modératrice
:
Mathieu Dion, Radio-Canada.
M. Dion (Mathieu) : Gaétan
Barrette a annoncé 150 millions sur cinq ans pour les soins à domicile,
22 millions en août. À la lumière de ce que vous voyez, des données,
est-ce que c'est assez, dans le fond, quand vous regardez tout ça? C'est parce
que je veux vous entendre sur les soins à domicile particulièrement, là.
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Oui. D'abord, c'est un pas dans la bonne direction. Il faut savoir que, de ce
22 millions, il y en a 14 millions qui vont aller à la formation du
personnel d'organismes communautaires qui vont dorénavant, pour plusieurs,
donner des soins à domicile, soit l'aide à la vie quotidienne ou à la vie
domestique. Pour l'instant, ça ne crée pas de place, ça ne crée pas de besoin.
Je pense que c'est un pas dans la bonne direction, bien évidemment, et je ne crois
pas que le ministre ait prétendu que ça va répondre à tous les besoins, mais,
bien évidemment, les besoins étant croissants et déjà insuffisamment
satisfaits, il va falloir faire d'autres injections de fonds.
Je veux aussi ajouter une préoccupation
que nous avons pour les soins à domicile. C'est qu'il va être important, dans
cette approche d'habiliter les organismes communautaires pour donner des soins
à domicile, que le gouvernement ne se déresponsabilise pas et que l'on s'assure
bien que ces services — ce sont des services de proximité pour des
personnes vulnérables, souvent seules à la maison — ils sont rendus
dans le respect des droits des personnes et avec un contrôle de la qualité. Dans
ce cas-là, ce ne serait pas un contrôle excessif en ce qui me concerne.
La Modératrice
: Une
petite dernière en français, Alain Laforest.
M. Laforest (Alain) : Je ne
veux pas dépasser le droit acquis de Tommy, là. C'est une blague.
Mme Saint-Germain, on note actuellement
une augmentation majeure des salaires des omnipraticiens, et vous notez, dans
votre rapport, que les accès ne sont pas là. Qu'est-ce que ça vous dit, ça,
alors qu'on voit les salaires exploser, la rémunération pour les médecins, les
spécialistes, exploser, mais qu'il n'y a pas plus de services aux patients?
L'avez-vous constaté, ça?
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
Moi, je vais le prendre sous l'angle qui est le nôtre, c'est-à-dire,
effectivement, notre constat qu'en raison des difficultés d'accès à un médecin
des citoyens ne reçoivent pas les soins requis en temps opportun, n'ont pas les
indemnités requises en temps opportun. Je pense évidemment à la CSST et à l'assurance
automobile pour ne nommer que ceux-là.
Ce que ça me dit surtout, c'est qu'il faut
briser les corporatismes. On fait encore appel à des médecins dans des
situations où les infirmières cliniciennes très qualifiées, toujours présentes
sur le plancher dans les hôpitaux pourraient vraiment agir, sauver du temps,
améliorer la situation des personnes. Encore trop de psychologues et de
travailleurs sociaux sont mis à l'écart. Leur expertise est vraiment importante
et requise. Les infirmières auxiliaires aussi sont vraiment des personnes qui
pourraient faire plus, sans compter les pharmaciens. Je trouve que c'est encore
trop peu.
C'est un début, je veux le saluer, cette
interdisciplinarité d'évolution de certaines tâches de la part des médecins aux
pharmaciens et aux infirmières cliniciennes, mais, à mon avis, ça fait partie
de la solution que de conserver le recours aux médecins pour les seules
situations où c'est le recours qui est adéquat et ça fera en sorte qu'il le
sera peut-être plus en temps opportun.
M. Laforest (Alain) : Mais ça
ne vous inquiète pas le fait qu'il y ait une augmentation quand même assez
marquée des salaires, mais moins de services ou pas plus de services?
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
C'est un constat, effectivement, mathématique.
La Modératrice
: Est-ce
que tu as besoin de l'anglais? O.K. Raquel Fletcher, Global.
Mme
Fletcher (Raquel) : Madame, est-ce que vous parlez anglais?
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : I'll try to do my best.
Mme Fletcher (Raquel) : OK. What would you say is the top or the top two worst examples
that you found of delays in the public service?
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : I would say, one that is very detrimental to a little
child is the fact that he has autism syndrome disorder. He was on a waiting
list, he was supposed to have physical therapy services in two years and, when
his mother came with him, two years after, these services were no more
available for him and he had to wait for three more years. And this same year,
he was going to begin his first year at school. So that's very detrimental for
this little child because it compromises his chances of success at school, and
this is very important in life.
We have many other
examples. It is difficult to stress on a few ones, but I would say that,
generally, people that need medical or social services that are very important
to them in order to cope with their work, to cope with school, to cope with
inclusion in society, these persons are vulnerable and even more when they do
not receive the public services on due time. So that's my answer.
Mme Fletcher (Raquel) : OK. How does Québec compare with other provinces in Canada?
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : Well, my report doesn't constitute a comparison with the
other provinces, but on some, I would say, social and contemporary issues,
Québec has to take example on some other provinces. I would say, for instance,
children whose parents are not coping with all the legal issues related to
immigration. In Québec, their children, they do not, for the time being, have
access to free public school. In all the other provinces, these children have
such an access, and it is very important because they are at the beginning of
their life. We are compromising their chances of success in life, in society
and we are contributing to exclude them of society.
So I believe that we should take example on all the other provinces and we should also
abide by the international agreements that were signed by Canada and to which the province of Québec declared it was in agreement with.
Mme Fletcher (Raquel) : If there's one recommendation that you
would want the Government to implement immediately, what would that be?
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : Well, it would be take care of too much administrative
control, bureaucratic attitudes and please focus more and more on the reality
of the citizens and on the impact of the long delays in providing them with
public services.
Mme Plante (Caroline) : Maybe, if I may… I'm Caroline from The Gazette. What are your thoughts now that
you're ending two mandates, spanning a decade, what are
your thoughts and why do you need, sort of in more general terms, why do you
feel the need to sound the alarm?
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : Well, I think that, in Québec, we have very performant
public services when it is the time to serve citizens that cope with the
criterias of the administration, but it is much more difficult to adapt these
services to the citizens that have special needs, for instance, people with intellectual
or mental disabilities. And I believe that we have to take much more care for
their citizens, much more care to satisfy their needs in due time and to do our
best to reduce the bureaucracy for them and to preserve the public fundings for
the direct services they really need everyday in order to success and to be
citizens «de plein droit».
Mme Plante (Caroline) : You mentioned the phenomenon of the aging of the population. Is it
realistic to think that things will get better?
Mme Saint-Germain
(Raymonde) : We have to think that, and I'm sure we are able to act in
a way that the seniors will be taken in care in due time with adapted services.
There are solutions. There are solutions. For sure, it will be a big challenge,
but I believe that we have, in Québec, the expertise, many resources, and, with
the good will of everybody and, I would say, the priority that we should give
to better deserve our seniors, I think we will improve
the situation.
Mme Plante (Caroline) : Thank you very much. Merci.
Mme Saint-Germain (Raymonde) :
You're welcome.
(Fin à 11 h 42)