(Onze heures trente-trois minutes)
Mme St-Jean (Michèle) :
Mesdames et messieurs, distingués invités, bonjour. Je vous souhaite la
bienvenue à la cérémonie de signatures de la 19erencontre alternée
des ministres québécois et français. Au cours de cette cérémonie, plusieurs
documents seront signés, démontrant ainsi la vigueur de la relation entre le Québec
et la France. Cette cérémonie sera suivie d'une conférence de presse.
Accueillons le premier ministre de la
République française, M. Manuel Valls, et le premier ministre du Québec, M.
Philippe Couillard.
Les premiers ministres signent le relevé de
décisions de la 19e rencontre alternée des premiers ministres québécois et
français. Ce relevé établit les priorités de la coopération franco-québécoise
pour les prochaines années.
Les premiers ministres signent l'Entente
entre le gouvernement du Québec et le gouvernement de la République française
sur la coopération dans le domaine maritime. Cette entente consigne la création
de l'institut France-Québec pour la coopération scientifique, en appui au
secteur maritime, et du comité bilatéral pour la coopération dans le domaine
maritime.
J'invite les premiers ministres du Québec
et de la République française à prendre place à l'arrière de la table. Les
premiers ministres seront témoins de la prochaine signature. J'invite le
recteur de l'Université du Québec à Rimouski, établissement gestionnaire du
Réseau Québec maritime, M. Jean-Pierre Ouellet, ainsi que le président de
l'Université de Bretagne Occidentale, représentant le réseau français des
universités marines, M. Matthieu Gallou, à se déplacer à la table de signature.
J'invite également les autres parties prenantes de l'institut, soit le
scientifique en chef du Québec, M. Rémi Quirion, qui représente les Fonds de
recherche du Québec; le directeur du bureau national de la recherche
scientifique du Centre national de recherche scientifique de Washington, M.
Xavier Morise, qui représente également l'Institut français de recherche pour
l'exploitation de la mer; le directeur du Pôle Mer Bretagne Atlantique, M.
Patrick Poupon, représentant également le Pôle Mer Méditerranée; et le représentant
du Cluster maritime français, M. Frédéric Moncany de Saint-Aignan, à se joindre
au premier ministre.
Les partenaires signent la signature de la
convention constitutive de l'institut France-Québec pour la coopération
scientifique, en appui au secteur maritime. Cette convention détermine la gouvernance
et les modalités de fonctionnement de l'institut. Je remercie tous les
partenaires qui ont permis la réalisation de cette convention.
J'invite les premiers ministres à reprendre
place à la table de signature. Les premiers ministres signent la déclaration
d'intention conjointe portant sur la prévention des phénomènes de
radicalisation. Cette déclaration définit les bases d'un partage d'expertise
entre le Québec et la France en matière de prévention de la radicalisation.
Les premiers ministres signent maintenant
la déclaration commune en matière de protection et de promotion de la langue
française. Cette déclaration établit les diverses mesures conjointes que les
premiers ministres souhaitent mettre en place pour favoriser l'essor de la
langue française à la lumière des changements démographiques mondiaux. MM. les
premiers ministres, je vous remercie. Je vous invite à prendre place à l'arrière
de la table afin d'être témoins des prochaines signatures.
J'invite la ministre des Relations
internationales et de la Francophonie, Mme Christine St-Pierre, et la ministre
de la Fonction publique, Mme Annick Girardin, à prendre place à la table. Les
ministres signent le protocole de coopération portant sur la modernisation et
l'efficience dans la gestion des ressources humaines dans la fonction publique.
Ce protocole établit le cadre de coopération et d'échange entre le Québec et la
France et a pour objectif de contribuer au renforcement des échanges de bonne
pratique dans les domaines de la modernisation et de l'efficience de la gestion
des ressources humaines. Mmes les ministres, je vous remercie.
J'invite le président de l'Ordre des
orthophonistes et audiologistes du Québec, M. Paul-André Gallant, et la consule
générale de France à Québec, Mme Laurence Haguenauer, à venir prendre place à
la table de signature. M. Gallant et Mme Haguenauer signent l'arrangement de
reconnaissance mutuelle des orthophonistes. Cet arrangement de reconnaissance
mutuelle permettra de faciliter la reconnaissance des qualifications professionnelles
des personnes exerçant la profession d'orthophoniste au Québec et en France. M.
Gallant, je vous remercie.
J'invite maintenant le président de l'Ordre
des technologues professionnels du Québec, M. Alain Bernier, à venir rejoindre
la consule générale de France à Québec à la table. M. Bernier et Mme Haguenauer
signent l'arrangement de reconnaissance mutuelle des orthoprothésistes et des
podo-orthésistes. Cet arrangement de reconnaissance mutuelle permettra de
faciliter la reconnaissance des qualifications professionnelles des personnes
exerçant la profession de technologue professionnel dans le domaine des
orthèses et des prothèses orthopédiques au Québec, et des personnes exerçant
les professions d'orthoprothésiste et de podo-orthésiste en France. M. Bernier
et Mme Haguenauer, je vous remercie.
J'invite maintenant le maire de la ville
de Shawinigan, M. Michel Angers, ainsi que l'adjoint au maire de Dunkerque et
conseiller communautaire, M. Jean-Yves Frémont, à prendre place à la table.
J'invite les autres parties prenantes de ce protocole d'entente, le directeur
général, Centre d'entrepreneuriat Alphonse-Desjardins de Shawinigan et
coordonnateur de la communauté entrepreneuriale de Shawinigan, M. Denis Morin,
et la représentante de la compagnie BGE Flandre Création, Mme Michèle Claisse,
à se joindre au premier ministre pendant la signature de ce protocole
d'entente.
M. Angers et M. Frémont signent le protocole
d'entente entre la ville de Shawinigan et la communauté urbaine de Dunkerque
sur le développement de la culture entrepreneuriale, notamment en milieu
scolaire. Ce protocole d'entente permettra de partager l'expertise et d'ajouter
une reconnaissance internationale au modèle de développement de la culture
entrepreneuriale au niveau local et régional. Je remercie tous les partenaires
qui ont permis la réalisation de ce protocole d'entente.
Je vous remercie. Ceci met fin à la cérémonie
de signatures. J'invite maintenant les premiers ministres à se diriger au
lutrin. Les premiers ministres feront chacun une déclaration. Une période de questions
suivra. Celle-ci sera animée par le directeur des communications et
porte-parole du premier ministre du Québec, M. Harold Fortin. À la fin de la
période de questions, une photographie officielle des premiers ministres sera
prise. Nous demandons votre attention.
M. Couillard : Merci.
Mesdames, messieurs, M. le premier ministre, pour vous, une première visite
dans cette belle ville de Québec, mais la 19e rencontre alternée des premiers
ministres de la France et du Québec. On se souvient que cette tradition a
débuté en 1977.
Cette journée suit, bien sûr, l'activité
d'hier alors qu'à Montréal et avec notre invitation avec le premier ministre du
Canada, Justin Trudeau, on a participé à une importante activité de
mobilisation autour de l'effort économique commercial global entre l'Union
européenne et le Canada. Plus de 800 entrepreneurs étaient réunis avec nous.
Beaucoup de soutien, beaucoup d'appuis sur cette notion des frontières ouvertes
et du libre-échange, et, bien sûr, comme vous le savez, on continue les efforts
pour en arriver à la ratification.
Cette rencontre alternée nous permet,
comme vous venez de la voir, de conclure plusieurs ententes. On ne pourra pas
toutes les citer et les mentionner, mais parmi celles-ci, je trouve
particulièrement important de souligner l'entente sur le secteur maritime. On a
eu cette idée il y a un peu moins de deux ans, lors d'un déplacement à Paris,
avec le déploiement de notre stratégie maritime, avec l'expertise reconnue de
la France dans ce qui entoure les sciences de la mer et le développement
économique associé à ce qu'on appelle l'économie bleue et surtout le choix de
Rimouski comme milieu d'accueil de cette collaboration. Je crois, sans me
tromper, je crois que c'est la première fois qu'une activité, une entente liée
à une visite alternée se déroule en région. Et nos collègues étaient là hier, à
Rimouski, pour montrer à toute la population du Québec ce que veut dire pour
eux, pour elles, concrètement, la collaboration France-Québec.
Bien sûr, une entente sur la prévention de
la radicalisation. Comme vous le savez, je m'efforce toujours, lorsque je
commente cette question, d'utiliser deux verbes. D'abord, le verbe «combattre».
Aujourd'hui, alors que nous nous parlons, des jeunes Français, Françaises, des
jeunes Canadiens et Québécois, Québécoises luttent contre l'État islamique,
combattent l'État islamique, mais il faut également prévenir le phénomène de
radicalisation. Vous savez qu'au Québec on a établi ce centre de prévention à
Montréal, qui a beaucoup de succès, mais je sais que M. le premier ministre en
fait une cause également personnelle et qu'il déploie beaucoup d'énergie pour
axer ses efforts sur la prévention du phénomène. Alors, ce protocole nous
permet de partager nos expertises et de collaborer ensemble, surtout à
l'approche de cette conférence de l'UNESCO, fin octobre, qui aura lieu à Québec
avec de nombreux experts internationaux.
La relation France-Québec est également,
bien sûr, ancrée dans notre langue commune, dans cette belle langue française
que nous partageons. Et nous nous sommes entendus, bien sûr, outre les efforts
actuels que nous continuons, d'avoir encore plus d'activités de promotion et de
diffusion de la langue française, particulièrement dans les Amériques, en
Amérique du Nord, et également en Afrique. D'ailleurs, M. Valls et moi
avons parlé de plusieurs angles de notre relation que nous pourrions déployer
de façon conjointe sur le continent africain. Vous savez qu'on veut, au Québec,
augmenter notre présence de représentation internationale en Afrique. Donc, les
étoiles sont alignées, comme on dit chez nous, pour que cette collaboration
s'effectue dans de nombreux secteurs dont, bien sûr, la langue française.
On se souvient, je crois que c'était en
2008, de l'entente sur la reconnaissance mutuelle des compétences. On en ajoute
aujourd'hui deux. C'est une bonne nouvelle. C'est une bonne nouvelle pour les
jeunes Québécois, Québécoises, les jeunes Français, les jeunes Françaises. Il y
a plus de 2 000 Français qui sont établis au Québec dans les diverses professions
qui ont fait l'objet d'ententes depuis le début, et, comme vous le voyez, on
continue à progresser, on continue à aller plus loin.
On a également signé un document sur la
gestion des ressources humaines — tout ça paraît un peu froid — des
ressources humaines dans la fonction publique, mais on parle des jeunes de la fonction
publique, de part et d'autre, qu'on veut voir participer, qu'on veut voir développer
un plan de carrière emballant et surtout apprendre, de part et d'autre de
l'Atlantique, quant à la meilleure façon de donner les services publics à notre
population.
Un des objectifs, bien sûr, sur lesquel on
travaille depuis notre première rencontre à Paris, c'est de donner un caractère
encore plus fort sur l'économie, un appui, un accent encore plus fort sur
l'économie dans notre relation, accroître nos échanges économiques. Il faut
rappeler qu'aujourd'hui la France est le deuxième partenaire commercial du
Québec en Europe et le cinquième dans le monde et il faut surtout dire que ces
échanges continuent d'augmenter. Entre 2014 et 2015, les échanges commerciaux
entre la France et le Québec ont augmenté de plus de 16 %, 16,7 %
pour être plus exact. Mais on peut faire encore beaucoup mieux, on peut aller
encore beaucoup plus loin, et il y a plusieurs champs d'action qui vont nous
permettre d'augmenter nos échanges économiques.
Par exemple, le numérique, le changement
de civilisation profond s'accompagne d'un déploiment d'un grand nombre
d'entreprises, de jeunes entreprises particulièrement, de part et d'autre de
l'Atlantique. On a vu déjà beaucoup de contacts entre ces jeunes entreprises
avec Québec, avec Montréal. J'aime beaucoup le nom du Bleu Blanc Tech qu'on a
maintenant à Montréal. Et on a également des liens ici, avec la capitale
nationale, et on va continuer de bâtir ces occasions de rencontre et de partage
de nos jeunes entrepreneurs dans le domaine numérique.
L'entrepreneuriat, bien sûr, chez les
jeunes est quelque chose qui doit nous mobiliser tous et toutes, et on va
utiliser, bien sûr, toute la force de nos offices jeunesse. Vous savez qu'au Québec
on a centralisé nos offices jeunesse et on continue notre collaboration par la possibilité
de stages et de déplacements de part et d'autre de l'Atlantique pour nos
jeunes.
Il existe une commission permanente
franco-québécoise. On veut lui donner un accent particulier sur la gestion des
métaux stratégiques, notamment des terres rares qui sont, comme vous le
savez, une composante essentielle aux technologies, aux nouvelles technologies
numériques, et également renforcer la partie universitaire de cette collaboration
avec le Conseil franco-québécois de coopération universitaire qui va
centraliser les appels de projets, donc qui va se trouver considérablement
renforcé.
Alors, M. le premier ministre, cher
Manuel, tantôt, nous étions aux nouveaux locaux du consulat de France ici, à Québec.
Vous avez employé les très jolis mots de «nations soeurs». Nous sommes des
nations soeurs, liées par l'histoire, liées par la langue, par la culture, mais
également liées par des projets communs qu'on voit aujourd'hui se déployer dans
de nombreuses directions. Notre relation, elle demeure forte, elle demeure
unique, elle demeure directe, elle demeure privilégiée, mais je dirais qu'elle
gagne en profondeur et en étendue. Mais je crois qu'on pourrait aller encore
plus loin au cours des prochains mois et des prochaines années. Il nous
appartient, à nous deux, mais également à nos équipes, de l'amener encore plus
loin.
Donc, merci pour cette visite, merci à la
délégation qui vous a accompagnée, et longue vie à la belle relation
France-Québec. Merci.
M. Valls (Manuel) :
Merci, M. le premier ministre, cher Philippe, pour ces mots si chaleureux à
notre égard. Merci à toute l'équipe, à tous les ministres qui ont permis la réussite
de cette rencontre. Je retrouve Philippe Couillard avec un très grand plaisir
pour cette rencontre alternée Québec-France. Nous nous étions déjà vus à
plusieurs reprises, à Paris en particulier, lors de la dernière session de
travail entre nos deux gouvernements en mars 2015. Je garde, bien sûr, je
l'évoquais il y a un instant, en mémoire notre rencontre en novembre 2015,
peu après les attentats de Paris. Nous nous étions d'ailleurs rendus ensemble
avec Justin Trudeau sur le site du Bataclan, et je n'oublie pas la solidarité,
celle du premier ministre, du gouvernement, mais des Québécois, ici même
d'ailleurs, en soutien à la France à chaque fois que nous avons été durement
touchés.
Les ministres qui m'accompagnent, ma
délégation, les parlementaires, les hauts fonctionnaires avons été accueillis à
Québec et hier à Montréal avec une très grande amitié, beaucoup de chaleur,
beaucoup de chaleur humaine, cette chaleur québécoise que le temps ne démentira
jamais, et je veux en remercier tout particulièrement le premier ministre.
Un mot d'abord sur notre relation. Je
crois profondément en la force de ce qui unit la France et le Québec. Nous
avons cette relation très, très particulière, unique, forte, privilégiée que
nous avons développée depuis plus de 50 ans. Et les rencontres alternées
entre les premiers ministres en sont l'une, pas la seule, mais l'une des
manifestations officielles, et je suis personnellement très attaché à préserver
ce lien spécial entre la France et le Québec, parce qu'il est magique, parce
qu'il est unique, parce qu'évidemment il est le fruit de l'histoire.
Je suis convaincu que nos deux gouvernements,
mais nos deux sociétés surtout, ont beaucoup de choses à faire ensemble et
doivent donc intensifier leurs échanges et leur coopération. Je mesure, en
venant à Québec, quel est le poids de l'histoire entre la France et le Québec,
quelle est la force des symboles. En admirant le Saint-Laurent tout à l'heure, évidemment,
on a la date de 1534 et la découverte de ce Saint-Laurent par Jacques Cartier. Il
y a d'autres forces. Notamment dans cette période de commémoration du premier
conflit mondial, je pense au 22e Royal canadien, ce régiment francophone qui a
été basé ici, à Québec, et qui, très tôt, s'est engagé dans la Première Guerre
mondiale, au prix de sacrifices effroyables, incroyables, mais aussi de
victoires, d'engagements dans la somme qui restent évidemment dans la mémoire
de notre pays.
Dans les symboles, il y a eu aussi cette
visite du Musée de la civilisation et cette exposition sur notre histoire, et
puis nous nous rendrons tout à l'heure au musée des beaux-arts, dans cette
salle inuite. Ça fait partie aussi de notre histoire commune, celle de nos
valeurs et de cette civilisation que nous incarnons et que nous portons, nous,
Français et Québécois. Et peu importent d'ailleurs les mots que nous utilisons
pour décrire nos relations, c'est cette relation qui compte, de toute façon,
avant tout, et que rien ne viendra entraver.
Nos rencontres alternées, les 19es du nom,
nous ont permis de passer, le premier ministre vient de le rappeler, en
revue tout ce que la France et le Québec font déjà ensemble, et c'est
impressionnant, mais surtout nous avons voulu ouvrir de nouveaux chantiers, de
nouvelles perspectives. Bien sûr, il faut continuer à travailler, entre nos
deux gouvernements, sur les questions de mobilité étudiante et professionnelle,
et plusieurs des accords que nous avons signés y contribueront davantage, mais
je veux insister à mon tour sur le rôle de l'Office franco-québécois de la
jeunesse. Je pense que là il y a un champ qu'il faut évidemment, en permanence,
ouvrir.
Nous devons aussi poursuivre à un haut
niveau d'intensité nos échanges culturels. La rencontre passionnante que j'ai
eue hier soir à Montréal avec une quinzaine de personnalités québécoises du
monde des arts et de la culture montre, à cet égard, les attentes qui existent
de part et d'autre, et Audrey Azoulay et Luc Fortin continueront, bien sûr, à
porter ces projets.
Nous avons décidé d'accroître nos échanges
et nos discussions sur les questions liées à la recherche et à l'innovation. Le
Québec et la France sont deux grandes nations maritimes, et le premier ministre
Couillard a fait de la Stratégie maritime du Québec une de ses priorités. Nous
voulons précisément intensifier nos coopérations dans ces domaines porteurs
d'avenir : l'économie bleue, les biotechnologies marines. La visite d'hier
à Rimouski d'Annick Girardin avec Jean D'Amour est une, évidemment, de ces
belles illustrations et aussi de notre volonté commune, hein? Nous avions
décidé de créer de cet institut, voilà, il est engagé, et j'aurai en tête cette
stratégie commune en me rendant tout à l'heure à Saint-Pierre-et-Miquelon,
puisque là les liens sont si évidents.
S'agissant de l'innovation, et Axelle
Lemaire l'a rappelé, Paris et Montréal sont devenues deux grandes capitales
mondiales pour les start-up — pardon, les jeunes pousses, hein,
défendons la francophonie — et pour le développement de l'économie
numérique, il y a là, entre la France et le Québec, je l'ai vu de mes propres
yeux, un potentiel énorme qu'il nous faut aussi exploiter.
Nous avons en effet eu de nouveau un
échange très intéressant entre les deux délégations sur la question très
sensible de la lutte contre la radicalisation, sachant que nous luttons, ça
vient d'être rappelé avec force par le premier ministre, ensemble contre le
terrorisme, mais ces phénomènes, nos deux sociétés y sont confrontées. Il y a,
au Québec, des expériences de prises en charge qui nous intéressent, pour lesquelles
nous avons décidé de renforcer nos échanges d'expertise. Il y a une conférence
sur la radicalisation, à la fin du mois, avec le soutien de l'UNESCO, ici, à
Québec. Mon gouvernement y sera représenté notamment par la secrétaire d'État,
Juliette Méadel.
Avec Philippe Couillard, nous avons eu,
depuis 24 heures, à Montréal puis à Québec, de nombreuses occasions d'évoquer
bien d'autres sujets : nos échanges économiques, les questions liées à la
diplomatie environnementale avec la mise en œuvre de l'Accord de Paris sur la
lutte contre les changements climatiques conclu l'an dernier. J'ai d'ailleurs
en tête les propos très importants, je crois, de Justin Trudeau rappelant le
rôle important que le Québec a joué dans ce domaine-là, comme dans l'accord
avec l'Union européenne. Et, pour en avoir parlé, il y a déjà plus d'un an,
avec Philippe, je veux saluer le rôle d'avant-garde dans la lutte contre le réchauffement
climatique du Québec qui a montré l'exemple pour aujourd'hui le Canada.
Et puis, bien sûr, nous avons évoqué
l'Accord économique et commercial global entre l'Union européenne et le Canada.
Nous avons ensemble redit, hier, avec le premier ministre du Canada, encore
aujourd'hui tous les deux, combien il s'agissait d'un bon accord, qui sera
bénéfique à nos entreprises mais aussi à nos salariés, à nos travailleurs, à
nos citoyens. Il s'agit d'un accord pleinement conforme à nos valeurs, y
compris sociales et environnementales, et, à cet égard, cet accord est tout le
contraire du TAFTA. Nous souhaitons donc que la signature de cet accord puisse
intervenir comme convenu, et je veux insister là-dessus, fin octobre.
Il y a, en ce moment, des interrogations
et des doutes qui s'expriment, dans certains pays européens, sur cet accord, notamment
en Belgique. Ce matin, le Parlement wallon a fait connaître sa position. Nous
en prenons acte, mais il est important que les discussions se poursuivent dans
les tout prochains jours, et le président de la république, au moment où nous
nous parlons, reçoit le chef du gouvernement wallon pour lever les derniers
obstacles et permettre la signature de cet accord. La France est plus que jamais
résolue, avec le Canada, avec le Québec, à faire aboutir le processus. Il
serait incompréhensible que l'Union européenne, je l'ai dit hier, ne s'engage
pas dans cet accord qui est gagnant-gagnant pour toutes les parties. Voilà.
Nous avons eu un échange de vues très complet sur tous les sujets qui
permettent de tracer une feuille de route pour les mois à venir.
Et je veux insister, moi, en terminant,
sur la francophonie, sur la langue. Il y a bientôt le Sommet de Madagascar. Il
y a le rayonnement commun qui peut être le nôtre, bien sûr, Ericka Bareigts l'a
abordé sur nos outremers, sur la défense et la promotion du français dans les
Amériques. Et, puisque nous voulons engager ensemble, en Afrique, la langue, la
culture, l'enseignement, mais aussi sur l'économie... et les entreprises françaises
et québécoises peuvent, pourquoi pas, conquérir ensemble de nouveaux marchés. En
tout cas, peut-être que cette réunion signe plus que jamais, grâce au travail
que nous avons engagé, et je veux remercier, bien sûr, la déléguée générale du Québec
à Paris et notre consule générale ici. C'est vrai qu'il y a désormais un
consulat général ici moderne et fonctionnel qui marque bien la présence de la
France au Québec.
Il s'agit, je crois, d'un moment
important. Cette rencontre, cette nouvelle rencontre, cette 19e du nom, marque
incontestablement la force, la puissance, la qualité de cette relation entre la
France et le Québec. Il y a l'histoire, mais il y a, plus que jamais, la
modernité, le futur, le progrès que nous voulons incarner à travers tout ce que
nous avons mis en oeuvre. Et donc ce sont de belles rencontres et qui sont
fructueuses, je n'en doute pas, pour les Français et pour les Québécois.
Encore une fois, merci mille fois de la
qualité de cet accueil et de la qualité des travaux que nous avons menés ensemble.
En tout cas, ça a été un grand honneur et un grand plaisir que d'être ici, et
je n'ai qu'une seule hâte, c'est de revenir.
Le Modérateur
: Donc,
merci. Nous en sommes maintenant à la période de questions destinée aux membres
des médias. Nous avons un micro à ma droite ainsi qu'à ma gauche. Les questions
seront posées en alternance. Nous adopterons un modèle : une question, une
sous-question. Veuillez vous identifier ainsi que le média que vous
représentez. Dans le but de faciliter les échanges avec la presse, je nous
invite tous à être le plus concis possible. Nous disposons d'une période
d'environ 20 minutes pour la période de questions. Merci à l'avance pour
votre collaboration. On va commencer par le micro de gauche juste ici.
M. Caron (Régys) : Merci.
Bonjour. Régys Caron du Journal de Québec. Ma question porte sur le port
des signes religieux : burqa, hidjab, niqab, etc. Le gouvernement, le
premier ministre de la République de France a exprimé sa position de façon
assez claire hier. M. Couillard, est-ce que la position du gouvernement
français s'apparente à celle du Parti québécois et à celle aussi de
gouvernements populistes d'Europe que vous avez évoquée récemment?
M. Couillard : Non. Bien,
votre question, bien sûr prévisible, me permet d'abord de dire quelque chose
qui doit être répété très clairement. La France a ses débats, le Québec a ses
débats, les deux se déroulent dans des contextes historiques, sociaux et géopolitiques
totalement différents, totalement différents. Il y a juste à penser à la
question de nombre, à la question du mécanisme d'immigration, d'arrivée des
gens d'ailleurs chez nous, et il n'y a aucune façon de relier ces deux
situations et surtout pas de les comparer. Ce serait tout à fait abusif de le
faire.
Maintenant, j'ai critiqué et je continue à
critiquer la façon dont cette campagne au leadership a été menée. Quand on
accuse un de ses adversaires d'être lié à une figure de la mouvance radicale,
lorsqu'on parle d'armes à feu cachées sous les vêtements, lorsqu'on déploie ce
genre d'adversaires là, effectivement, on se joint au ton qu'on observe un peu
partout dans le monde, malheureusement, qui n'est pas celui de la République
française et qui n'est pas non plus celui d'autres pays, mais qui est celui que
M. Lisée a décidé d'employer.
Maintenant, je note encore une fois avec
plaisir, avec plaisir, qu'il a décidé de rééquilibrer ses propos. Quelle bonne
nouvelle. Je pense qu'il a toute la capacité de le faire et, de ce côté-là,
j'entrevois avec plaisir mes échanges avec lui.
M. Caron (Régys) :
S'agit-il d'un point de désaccord entre vos deux gouvernements, M. Valls?
M. Valls (Manuel) : Ça
vient d'être dit très bien. Moi, je suis très respectueux de l'histoire, de
l'identité, de la différence entre nos sociétés. Et moi, ce qui m'intéresse,
c'est que nous puissions échanger sur le sujet, que nous puissions faire
prévaloir nos expériences différentes. Nous l'avons dit, il y a un instant, sur
les questions de radicalisation et de prévention de la radicalisation.
Les défis de nos sociétés respectives sont
considérables : changements climatiques, menaces terroristes, place des
religions et de l'islam dans nos sociétés, accueil des réfugiés, et donc nous
devons prendre ces sujets à bras-le-corps. Et moi, je sais quelque chose, c'est
qu'entre la France et le Québec, il y a quelque chose de beaucoup plus fort que
les différences, c'est le partage. C'est le partage de valeurs communes, c'est
l'idée que nous nous faisons de la place de la femme dans nos sociétés, c'est-à-dire
l'égalité entre les femmes et les hommes, c'est le fait que nous considérons
que l'islam est compatible avec nos démocraties et avec nos valeurs.
C'est un signe que nous pouvons, ensemble,
adresser au monde. Je le disais hier également à Ottawa. Donc, c'est ça qui
m'intéresse. Je respecte profondément les choix qui sont ceux des Québécois,
mais je demande en retour, ce qui est le cas évidemment avec Philippe
Couillard, qu'on respecte profondément ce qu'est l'histoire de la France, le
rôle de la laïcité, les positions qui sont les nôtres. Moi, je parle clair,
mais je parle en républicain, je parle en démocrate, je parle en homme de
gauche et en fervent partisan féministe de l'égalité entre les femmes et les
hommes, et toute comparaison avec les positions populistes que je
combats, et c'est le sens de ma vie, me sont tout à fait
insupportables. Donc, respectez aussi la France.
Mme Peuron (Laurence) : Laurence
Peuron, France Inter. Une question pour M. le premier ministre français. Vous
disiez à l'instant que le calendrier sur l'accord que nous appelons, je suis
désolée, le CETA en France, l'accord de libre-échange, ne devait pas être
bousculé. C'est bientôt, quand même. Il doit y avoir un rendez-vous de
consensus le 18, l'accord doit être présenté le 27.
Qu'est-ce que vous comptez proposer aux
Wallons pour qu'ils acceptent enfin de signer cet accord? Ils demandent
notamment des garanties sur la déclaration interprétative, ils préféreraient
éventuellement un protocole additionnel. Est-ce que c'est envisageable?
M. Valls (Manuel) : Les
discussions ont lieu, au moment même où je vous parle, entre le premier
ministre, le chef du gouvernement de Wallonie et le président de la république.
Je rappelle que c'est la Belgique qui s'engage dans cet accord. Il reste encore
quelques jours pour convaincre nos amis wallons et permettre la signature et l'engagement
par la Belgique.
Moi, je suis très respectueux des
positions du gouvernement belge et très respectueux — nous devons les
entendre — des autorités wallonnes. Je pense qu'en regardant de près
la déclaration interprétative, qui donne beaucoup de garanties, à la fois sur
les normes environnementales, sur les services publics, sur la protection des
travailleurs, sur la protection de notre agriculture, je pense, et nous le
disions, nous sommes lucides sur la globalisation. Nous partageons les mêmes
valeurs, nous voulons protéger notre environnement, nos services publics, notre
système de santé et les travailleurs de nos pays respectifs. Nous saluons cet
accord, qui est bénéfique pour nous, mais de part et d'autre, et qui protège
pleinement nos intérêts agricoles, par exemple.
Donc, dans la discussion que nous avons
avec nos amis wallons, je leur dis : Écoutez, la France s'engage. Vous
savez notre opposition aujourd'hui au contenu de l'accord avec les États-Unis
d'Amérique, entre les États-Unis et l'Europe, et, au contraire, nous considérons
que l'accord avec le Canada est ce qui se fait de mieux en matière d'accord
commercial. Donc, moi, je suis optimiste. Je pense qu'avec persuasion dans le
débat nous allons convaincre nos amis wallons et nous pourrons préciser sur tel
ou tel point dans la déclaration interprétative pour lever, s'il le faut, les
doutes et les questions qui existent. En tout cas, je l'ai dit au premier
ministre du Québec, comme hier à Justin Trudeau, que la France était totalement
engagée et que nous allons tout faire, c'est notre rôle de leadership, pour
réaliser, pour aboutir à cet accord.
Mme Peuron (Laurence) :
Êtes-vous sur la même longueur d'onde, M. le premier ministre du Québec? Est-ce
qu'il y a des lignes qui peuvent bouger et éventuellement un protocole
additionnel exister?
M. Couillard : Je crois qu'on
a bien résumé, M. Valls a bien résumé ce qui peut être fait, et, comme il l'a
dit, les conversations ont lieu au moment même où nous nous parlons. Je ne
crois pas qu'il soit question de rouvrir le texte de l'accord lui-même. On
parle d'une déclaration interprétative. Et je crois comprendre des commentaires
de M. Magnette, du moins ceux que j'ai vus ce matin dans les médias, qu'il
souhaitait s'assurer que la déclaration ait autant de force que le traité
lui-même. Je crois qu'il est possible de travailler dans cette direction.
Voyons ce que les prochaines heures vont nous apporter.
Le Modérateur
: Micro
de gauche.
M. Chouinard (Tommy) : Tommy
Chouinard, La Presse. Mes deux questions vont s'adresser au premier
ministre de la France, M. Valls, la première sur cette collaboration attendue
concernant la lutte à la radicalisation, la prévention de la radicalisation.
J'aimerais savoir, au-delà des efforts qui
sont évidemment attendus de la part des services policiers, de sécurité et de
renseignement en cette matière-là, quelle est la responsabilité du gouvernement
et quels sont les moyens que doit déployer un gouvernement, d'après votre
expérience, pour arriver à des résultats en cette matière? Et dans quelle
mesure est-ce que la laïcité de l'État, la laïcité stricte de l'État a un lien
à voir avec ça?
M. Couillard : C'est pour M.
Valls?
M. Chouinard (Tommy) : Pour
M. Valls, oui, comme j'ai dit.
M. Valls (Manuel) : Bon, j'ai
l'impression qu'il y a de la suite dans les idées, dans les… Je crois qu'il ne
faut pas tout confondre. Nos sociétés, la société québécoise et la société
française, évidemment, c'est très vrai en France et en Europe, mais pas
seulement en Amérique du Nord, aux États-Unis, en Australie, mais nous
retrouvons aussi ces phénomènes en Afrique, sont confrontées à des phénomènes
nouveaux, d'une ampleur inédite. Ce sont, en France, plusieurs milliers
d'individus, de personnes de confession, de culture musulmane, mais avec une
part très importante de convertis, de femmes, de mineurs qui sont dans ces
processus de radicalisation.
Alors, il faut combattre le terrorisme, et
ça, c'est le rôle de nos forces de sécurité, de nos services de renseignement,
de nos armées, quand il s'agit d'éradiquer l'État islamique en Syrie et en
Irak. Il y a ces processus de radicalisation en prison, dans les quartiers
populaires et surtout sur Internet. Donc, il faut le faire avec nos valeurs,
bien évidemment, mais il faut surtout redonner un sens à l'existence, sortir
ces jeunes garçons et ces jeunes filles de processus où, au fond, parce qu'ils
considèrent qu'ils ont raté leur vie, ils veulent réussir leur mort, travailler
avec les familles. Il faut s'appuyer sur des experts, sur des sociologues, sur
des psychiatres, sur des psychologues, avec des enseignants, discuter et, en
même temps, trouver des solutions très concrètes. Il y a ce centre de déradicalisation.
Nous-mêmes, nous avons créé un centre ouvert sur la base du volontariat, il y a
le travail que nous réalisons... il y a tout le travail avec un numéro vert,
avec les familles.
Donc, voilà, c'est comme dans les processus
sectaires, c'est un travail de très longue haleine, qui nécessite beaucoup
d'expertise. C'est l'affaire, moi, j'ai déjà eu l'occasion de le dire, d'une
génération. C'est un défi considérable, je le répète, pour nos sociétés. Moi,
j'ai beaucoup évolué, travaillé sur ces questions-là quand j'étais ministre de
l'Intérieur, en prenant exemple sur ce qui se passait dans d'autres pays
européens. Le Canada comme le Québec, et surtout le Québec, ont été à la pointe
sur les questions de lutte contre la délinquance, de prévention. Nous nous
sommes beaucoup inspirés... je fais partie de ceux qui ont fait évoluer ma
famille politique sur les questions de sécurité. Le Garde des Sceaux,
Jean-Jacques Urvoas, connaît bien ces questions-là, il est venu souvent ici
pour les étudier. Donc, nous pouvons, nous, nous appuyer sur le travail,
l'expertise, les solutions concrètes qui sont trouvées, et c'est ensemble que
nous allons avancer au-delà de nos modèles, laïcité ou pas.
M. Chouinard (Tommy) :
Toujours pour M. Valls, vous allez rencontrer le nouveau chef du Parti
québécois, M. Jean-François Lisée, tout à l'heure. En vertu d'un engagement
qu'il a pris au cours de la campagne à la direction de son parti, il repousse
toute possibilité de référendum sur la souveraineté dans de très nombreuses
années. En tout cas, dans le cas le plus optimiste, d'un point de vue du Parti
québécois, ce serait en 2022... pas avant 2022, en fait.
Qu'est-ce que ça signifie, cette
position-là, pour ce qui est de la relation entre la France et le Québec, la
France et le Canada?
M. Valls (Manuel) : Bien,
comme je ne l'ai pas rencontré, je vous répondrai après.
Journaliste
: ...pour BFMTV,
une question qui s'adresse à Manuel Valls. Après le scandale autour de la
sortie du livre de deux journalistes français, le président de la république a
été contraint de s'excuser par courrier.
Comment jugez-vous ces regrets? Est-ce que
ce sera suffisant pour calmer la colère des magistrats? Et, d'autre part,
considérez-vous que le président de la république est considérablement et
durablement affaibli? Sera-t-il en mesure de se présenter quand on voit qu'il y
a de plus en plus de doutes dans sa propre famille, dans son propre camp, et
qu'on voit aussi qu'il y a de plus en plus de prétendants qui pourraient être
candidats pour le suppléer?
M. Valls (Manuel) : On attend
mon appel du Québec.
Des voix
: Ha, ha, ha!
M. Valls (Manuel) : Diantre!
Vous parlez de scandale, enfin, il faut ramener tout ça à sa juste raison. Le
président de la république est le garant des institutions. À considérer, je
crois qu'il a eu bien raison qu'il fallait calmer ce débat et rappeler son respect
profond vis-à-vis de la justice. Il le fait d'autant plus qu'il a lui-même, ça
a été aussi le rôle de mon gouvernement, il a lui-même garanti l'indépendance
de la justice avec aucune intervention dans les affaires individuelles ou politiques.
Nous avons donné les moyens à la justice, nous respectons la justice et la
magistrature, et il a voulu le rappeler, et je crois que le président de la république
a bien fait de le faire ainsi. Ça correspond d'ailleurs à ce qu'il est, c'est-à-dire
profondément respectueux de la justice et, je n'en doute pas un seul instant,
gêné par ce débat parce que je connais quelles sont ses convictions.
Pour le reste, ce n'est ni le lieu ni le
moment d'aborder ces questions, sinon pour dire qu'encore une fois la France,
comme d'ailleurs toutes nos sociétés démocratiques, ont besoin de débats à la
hauteur des enjeux et des attentes des Français, mais je n'en dirai pas plus.
Journaliste
: Peut-être
un petit mot de M. Couillard sur sa vision, justement, de parfois ces
polémiques qui naissent dans la vie politique française, vues ici, du Québec.
M. Couillard : Monsieur, je
vais vous décevoir énormément, je ne fais aucun commentaire sur la politique
intérieure française. Ce serait fort déplacé et inconvenant de ma part. Je vais
juste me borner à vous répéter la profonde admiration, je dirais même l'amour
que j'éprouve pour la République française, pour de nombreuses raisons, en
particulier des raisons familiales, et à quel point je suis content de voir nos
relations non seulement demeurer, mais progresser. Et, pour moi, c'est ce qui
compte.
Le Modérateur
: Micro
de gauche.
M. Lacroix (Louis) : Bonjour,
MM. les premiers ministres. Sur l'entente de collaboration sur la prévention de
la radicalisation, bon, il y a des Québécois, qui se sont radicalisés au Québec,
qui sont actuellement en train de se battre dans l'État islamique. Je pense
qu'il y a des Français aussi qui font la même chose.
Est-ce que vous pourriez échanger, dans le
cadre de cette entente-là, des renseignements sur des individus, par exemple,
qui pourraient se radicaliser ou... Est-ce que ça fait partie des...
M. Couillard : Mais on le
fait. Il y a des protocoles d'échange de renseignements entre nos agences de
sécurité au Canada fédéral et du Québec et avec leurs homologues européens,
particulièrement avec la République française.
Je crois que c'est toujours important de
rappeler les deux mots, hein? Je voudrais les répéter parce que, pour moi, ils
sont cruciaux pour notre population. Le premier mot, c'est «combattre». C'est
la première chose, notre premier devoir comme chef de gouvernement, c'est
d'assurer la sécurité de nos concitoyens et de nos concitoyennes puis aussi
éviter, bien sûr, tout relativisme en disant : Bien, un acte terroriste
meurtrier peut être justifié parce que... Non, il n'y a jamais de justification
au meurtre d'innocents et au terrorisme. Cependant, il y a des conditions
sociales qui peuvent mener à l'émergence de ces comportements-là.
C'est pour ça qu'on doit travailler
ensemble. Même si les contextes sociaux, comme je l'ai dit tantôt, historiques
sont très, très différents, il faut apprendre de chacun comment est-ce qu'on
fait en sorte que tout le monde se sente inclus dans la société et que personne
n'ait l'esprit à se tourner vers le faux mirage — c'est un
pléonasme — le mirage du radicalisme pour s'en sortir et progresser
dans la vie. Alors, c'est pour ça qu'on va bien sûr collaborer sur la question
de sécurité, mais on va également collaborer sur les façons d'intervenir en
amont qui nous semblent les plus efficaces et toujours, je répète, en tenant
compte des différences fondamentales entre les deux sociétés.
M. Lacroix (Louis) : Mais
justement, en fonction de l'échange de renseignements qui seraient nominatifs,
est-ce qu'il n'y a pas un problème, par exemple, de droits de la personne ou
sur la protection de la vie privée à échanger des renseignements avec un autre
pays, M. Couillard, des renseignements... parce que, souvent, ce sont des gens
qui, oui, peuvent être ciblés par les services de sécurité, mais qui, dans les
faits, n'ont pas de casier judiciaire, ou n'ont jamais été arrêtés, ou quoi que
ce soit.
M. Couillard : Bien, c'est
pour ça qu'on est dans des sociétés de droit et que tous ces mécanismes sont
encadrés par nos constitutions, nos lois. Mais, encore une fois, on a à veiller
à la sécurité des gens, on a à intervenir dans les situations qui nous
apparaissent hautement risquées. Je ne pense pas que, de part et d'autre de
l'Atlantique, il y ait une différence sur cette question.
Le Modérateur
: Micro
de droite.
Mme Guéricolas (Pascale) : Bonjour.
Pascale Guéricolas, correspondante au Québec pour Radio France internationale.
Vous venez de signer, il y a quelques instants, deux nouveaux accords de
reconnaissance mutuelle. Il y en a plusieurs déjà qui ont été signés depuis
2008, mais il y a des moments où, avec certaines professions, ça coince. Je
parle en particulier des médecins français qui se voient assujettir à un stage
ici de trois mois, alors que cela n'existe pas en France. Je parle des
vétérinaires français qui n'arrivent pas à exercer ici, au Québec. Donc, il y a
plusieurs points d'achoppement. En avez-vous discuté, et, si oui, de quelle
façon ça va être réglé?
M. Couillard : Alors, je vais
me permettre de répondre à cette question d'abord pour rappeler l'utilité et
l'efficacité de ces ententes, globalement. Maintenant, vous avez, à juste titre,
pointé deux situations, et elles sont différentes.
D'abord, avec les médecins, il y a eu,
oui, quelques résistances, mais on a amené maintenant les médecins à travailler
de façon constructive et d'avancer. Alors, il y a déjà des médecins français
qui sont chez nous, puis on veut que ce soit le cas. D'ailleurs, en passant,
nos populations ne comprendraient pas pourquoi c'est si compliqué de faire en
sorte qu'un médecin français formé en France soit reconnu compétent au Québec.
Je pense que là il y a un bon sens de la population qui est notre meilleur
allié. Donc, je crois que du côté des médecins on va aller vers vraiment une amélioration
de la situation.
Je ne suis cependant vraiment pas heureux
de la situation de la médecine vétérinaire, je tiens à le dire, en tout respect
pour l'ordre professionnel qui est indépendant. Là non plus, je ne comprends
pas la situation. Il faudra qu'on la clarifie et qu'on aille plus loin pour
deux raisons, hein? D'abord, il y a une pénurie de vétérinaires au Québec,
notamment dans nos régions rurales et pour s'occuper des grands animaux dans
nos exploitations agricoles. Puis, deuxièmement, l'endroit où nos vétérinaires
sont formés, à Saint-Hyacinthe, est peuplé de professeurs français.
Alors, de présenter la chose de cette
façon amène la population à se demander, comme vous dites : Diantre,
pourquoi c'est si compliqué de faire en sorte que des médecins vétérinaires
puissent également pratiquer leur profession? Alors, moi, j'appelle les
médecins vétérinaires à beaucoup plus d'ouverture et de collaboration. On est
là pour aider, on est là pour faciliter les choses, mais je crois que, de ce
côté-là, il faut reconnaître qu'il y a un pépin qui persiste, et ça ne me rend
pas heureux, et on va continuer de travailler avec les professions et les
ordres professionnels là-dessus.
Le Modérateur
: Merci.
Micro de gauche.
Mme Crête (Mylène) :
Mylène Crête de Radio-Canada. Ma question s'adresse aux deux premiers
ministres. Vous parlez, là, de prévention de la radicalisation, M. Valls a
dit trouver des solutions concrètes. Alors, concrètement, qu'est-ce que cette
signature-là va changer là-dedans?
M. Couillard : Bien, je
peux peut-être donner quelques exemples de ce qu'on fait chez nous, puis
M. Valls pourra parler de ce qui est fait en France parce qu'on veut
apprendre les uns des autres. Alors, par exemple, on a assisté au Québec, au
cours des derniers mois, à des situations dans des institutions d'enseignement,
nos collèges, par exemple. Alors, on déploie maintenant des intervenants dans
certains collèges où il y a une population qui semble plus à risque de façon à
intervenir et identifier les gens le plus précocement possible. On met en place
un centre de radicalisation où les familles inquiètes ou les proches inquiets
peuvent signaler des comportements qui, à juste titre, leur semblent dans la
direction de la radicalisation, ce qui permet d'intervenir rapidement aussi.
Maintenant, tout ça, ce sont des
principes. En pratique, comment on fait? Comment on fait pour mettre sur pied
des lignes téléphoniques? Comment on utilise les médias sociaux? Comment on
utilise l'Internet? M. Valls parlait de la question du milieu carcéral,
qui est, je crois, particulièrement prioritaire en France, mais voilà un
exemple de choses sur lesquelles on peut échanger.
Alors, notre entente d'aujourd'hui, elle
vise à s'assurer, et je pense qu'on le faisait, mais on le fera encore plus
intensément, que nous partagions nos expériences et que nous les comparions,
mais, j'insiste toujours, en tentant compte des différences fondamentales et
importantes qui existent entre les deux sociétés, mais également sur la base de
problèmes communs. Je ne sais pas si vous voulez ajouter.
M. Valls (Manuel) : Non,
mais j'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer, il y a un instant, sur ces
questions-là. Encore une fois, ce sont des phénomènes, pour beaucoup, nouveaux,
nécessitent beaucoup de modestie dans l'approche. Bien sûr, il faut être très
déterminé dans la lutte contre le terrorisme, et il y avait une question tout à
l'heure... La France considère que ceux ou celles, Français ou non, qui se
rendent en Syrie ou en Irak, c'est rarement pour du tourisme aujourd'hui, hein,
et tous ces individus, d'ailleurs, font l'objet, dans le cas de notre État de
droit, évidemment, de procédures judiciaires. Nous sommes, nous, inquiets, par
exemple, du nombre de mineurs. Il y a aujourd'hui autour de 600 personnes,
Français ou résidents en France, qui combattent dans les rangs djihadistes. Il
y a 130, sans doute plus, tués dans les rangs des terroristes. Il y a des
mineurs. Donc, ça, ça nous préoccupe bien évidemment. Mais comment lutter
contre ces phénomènes de radicalisation, qui sont par ailleurs très rapides,
avec par ailleurs une volonté de la part de Daesh, de l'État islamique, de
radicaliser très vite un certain nombre d'individus pour qu'ils passent à
l'acte dans nos propres pays, c'est ça qui doit nous importer.
Et, dans le colloque qui va avoir lieu
ici, à Québec, il y a la question d'Internet, qui est un des sujets majeurs que
nous avons déjà eu l'occasion d'aborder avec mon ministre de l'Intérieur,
Bernard Cazeneuve, mais aussi avec Axelle Lemaire, avec les grands opérateurs
américains. Donc, il y a des questions de droit, il y a l'amendement n° 1,
la Constitution américaine, mais il y a aussi le danger que cela représente
pour ces jeunes. Donc, c'est autour de cela que nous allons discuter, et il
faut agir sur l'ensemble de ces paramètres.
Mais, encore une fois, c'est un travail de
très longue haleine, en profondeur, et nous devons être capables d'agir sur
tous les leviers et de manière... On remarque que ce n'est pas uniquement les
experts, les policiers, les juges, les enseignants, les sociologues ou les
psychiatres qui doivent agir, même si les questions de santé mentale sont, sur
ces sujets-là, tout à fait majeures. Il faut que la santé mentale, notamment
la psychiatrie, le secteur psychiatrique en France, soit capable d'évoluer davantage
sur ces questions-là, mais c'est toute la société qui doit se mobiliser. Tout
le monde doit se sentir responsable, et je vous dirais que, d'une certaine
manière, aucune famille, aucune famille, quel que soit le milieu ou les
origines, n'est à l'abri tant la radicalisation sur Internet aujourd'hui se
joue des frontières politiques, religieuses ou sociales.
Le Modérateur
: Ceci
met donc fin à la période de questions. Je m'excuse, on a passé le temps qui
est imparti, en fait, on l'a dépassé. On va procéder maintenant à une photo
officielle avec les ministres, les parlementaires français et québécois, la
consule générale de France à Québec et la déléguée générale du Québec à Paris.
(Fin à 12 h 26)