(Quinze heures sept minutes)
M. Jolin-Barrette : Alors,
bonjour, tout le monde. Aujourd'hui, je voudrais faire le point sur le dossier
de Mme Éloïse Dupuis. J'ai posé la question en Chambre au premier ministre, à
savoir est-ce qu'il était prêt à mettre en place une procédure formelle,
un processus formel pour s'assurer que, lorsqu'il y a un cas comme celui de Mme
Dupuis, qu'on puisse valider le consentement libre et éclairé, le consentement
volontaire de la personne à refuser des soins, de refuser une transfusion
sanguine lorsque... Dans ce cas-ci, il y avait un accouchement qui s'est mal
déroulé. Il faut s'assurer que les individus qui ne souhaitent pas avoir de
soins soient... que leur consentement soit complètement libre, complètement
éclairé.
Et nous, notre proposition qu'on a faite
au premier ministre, c'est le fait qu'un juge puisse valider le consentement de
la personne, c'est primordial, parce que, dans le cas de Mme Dupuis, les médias
ont rapporté que l'entourage bloquait l'accès aux non-membres de sa communauté
religieuse, donc qu'il n'y avait pas une libre circulation. Le consentement de
Mme Dupuis, est-ce qu'il était libre et éclairé? C'est ce que nous demandons au
premier ministre : Est-il en accord, oui ou non, avec le fait qu'un juge
puisse valider le consentement de la personne de refuser des soins?
Parce qu'aujourd'hui on se retrouve avec
un jeune enfant qui est privé de sa mère pour des motifs religieux, et ça
soulève de nombreuses questions, de nombreuses préoccupations, et il faut
adresser cette problématique-là rapidement. Et j'aurais souhaité que le premier
ministre puisse répondre à la question. La ministre Charlebois n'a pas répondu
concrètement à notre question. Elle a dit : Le système de justice est
comme ça, puis c'est la fatalité, c'est simplement la fatalité, et ça, c'est
inacceptable dans notre société.
Les lois doivent être modernisées, l'encadrement
doit être modernisé. On ne peut pas accepter qu'une femme qui donne naissance à
un enfant se retrouve dans une situation peut-être de vulnérabilité et qu'elle
ne puisse pas exprimer un consentement libre et volontaire. Je pense que c'est
le rôle de la société québécoise, c'est le rôle de l'État, de mettre des
balises, des mécanismes en place pour qu'un juge puisse évaluer est-ce que le consentement
était libre et éclairé. Et surtout, le point le plus important, c'est qu'on
nous dit : On ne commentera pas l'affaire parce qu'un coroner présentement
est saisi du dossier. Mais, vous savez, le coroner ne serait pas saisi du
dossier s'il y avait eu un mécanisme en place pour valider le consentement. On
aurait pu savoir tout de suite est-ce que le consentement de madame était libre
et éclairé.
M. Vigneault (Nicolas) :
Vous parlez d'une organisation. Comment vous voyez ça? À même l'hôpital, une organisation
externe? Comme vous le voyez, ce mécanisme-là? Parce qu'actuellement les règles
sont claires, quelqu'un a le droit de consentir à ne pas recevoir des soins.
M. Jolin-Barrette : Oui.
Bien, écoutez, il existe déjà, dans le système de santé, avec la Cour supérieure,
un mécanisme pour garder soin. Donc, à tous les jours, à la Cour supérieure, présentement,
là, vous avez un juge qui évalue la garde des individus qui sont retenus.
Supposons que vous êtes en matière psychiatrique, donc les individus qui ne
veulent pas nécessairement avoir des soins, mais qui représentent un danger
pour eux-mêmes ou pour autrui, il y a des requêtes, à tous les jours, qui sont
plaidées dans les palais de justice, des requêtes d'urgence pour conserver la
garde d'un individu afin de le protéger contre lui-même.
Nous, ce qu'on propose, c'est une formule
où ultimement, là, ce n'est pas au personnel médical à évaluer concrètement les
questions juridiques. On devrait avoir un tiers, un juge, là, qui puisse
évaluer est-ce que, oui ou non, le consentement est libre et éclairé. Parce que
la situation de Mme Dupuis, ce que ça soulève, là, c'est le fait que sa
famille et ses amis qui n'étaient pas membres des Témoins de Jéhovah n'avaient
pas accès à elle, n'avaient pas accès à sa chambre d'hôpital. Semblerait-il
qu'on bloquait l'accès.
Donc, est-ce qu'elle a pu être influencée?
Est-ce qu'elle a pu donner son consentement aux soins jusqu'à la dernière
minute? Est-ce qu'elle avait la liberté de le faire? Ça soulève des questions.
Et nous, on pense que, pour améliorer le processus, on pourrait mettre ça dans
les mains d'un juge ultimement. L'hôpital pourrait saisir le tribunal pour
s'assurer, pour des questions, pour des motifs religieux, qu'il y ait un tiers
indépendant, un juge qui puisse évaluer le consentement.
M. Gagnon (Marc-André) :
Le but d'un hôpital, c'est de prendre soin des patients, de prendre soin des
gens. L'hôpital en question a une direction des services juridiques. Donc, ce
que vous dites, c'est que cette direction-là des services juridiques de
l'hôpital aurait dû se saisir du dossier et intervenir, toujours dans le but de
prendre soin du patient... de la patiente dans ce cas-ci?
M. Jolin-Barrette :
Nous, ce qu'on soumet... Il existe de la jurisprudence, il existe une façon de
fonctionner présentement, mais tous les Québécois aujourd'hui sont préoccupés
par le résultat.
M. Gagnon (Marc-André) :
Non, ce n'est pas ça ma question. Est-ce que...
M. Jolin-Barrette : Oui,
mais j'y viens à votre question. J'y viens, à votre question. Les médecins et
la direction des services juridiques travaillent ensemble, mais, ceci étant
dit, ce n'est pas nécessairement porté automatiquement devant le juge lorsqu'il
est question de motifs religieux. Là, on se retrouve face à une situation où il
y a un enfant qui n'a plus de mère. La mère n'a pas pu voir grandir son enfant.
Est-ce que son consentement était libre et éclairé? Il y a déjà des comités
dans les hôpitaux. Nous, ce qu'on souhaite, c'est qu'il y ait un tiers
indépendant qui va vraiment s'occuper de ça, que ça passe par un juge.
M. Gagnon (Marc-André) :
Et ultimement est-ce que c'est... on se retrouve toujours dans la réflexion ou
le débat à savoir est-ce que ce n'est pas la Charte des droits et libertés qui
n'a pas préséance sur le reste même dans un cas aussi malheureux que celui-là?
M. Jolin-Barrette : Bien,
écoutez, la charte est présente pour donner des droits aux individus, mais les
droits ne sont pas illimités non plus. La Cour suprême a déjà eu l'occasion se
prononcer, dans certaines circonstances, là-dessus, mais je pense qu'en tant
que législateurs, notre devoir, c'est de toujours se questionner et de voir
comment on peut améliorer le système. Manifestement, dans le cas
d'Éloïse Dupuis, là, il y a un manquement. Les Québécois sont bouleversés
par cette situation-là, une femme de 26 ans qui accouche et qui décède. On
est en 2016, là, il y a des soins qui auraient pu être donnés. Il y a un
mécanisme qui aurait pu être en place pour valider le consentement de madame.
Et c'est ça la question fondamentale avec Mme Dupuis : Est-ce qu'elle
avait un consentement libre et éclairé?
M. Vigneault (Nicolas) :
Vous en doutez? Parce que, là, c'est comme si vous alliez au-devant de
l'enquête du coroner, par exemple.
M. Jolin-Barrette :
Bien, écoutez, nous, ce qu'on dit, c'est que, pour ne pas que ce genre de
situation là se reproduise, là, s'il y avait eu un tiers dans le dossier, si ça
avait passé devant le juge, il aurait pu évaluer. Ce qui est rapporté
présentement, c'est que ses coreligionnaires, là, faisaient de l'obstruction
puis qu'au bout de six jours, là, elle s'est vidée de son sang puis qu'elle n'a
pas pu... elle était affaiblie. C'est ce qui ressort. On ne connaît pas le
dossier de façon plus approfondie. Mais les Québécois, aujourd'hui, sont préoccupés
par cette question-là, puis je pense que c'est le rôle du législateur, c'est le
rôle du gouvernement d'amener un mécanisme, une solution et de ne pas tomber
dans la fatalité de dire : C'est épouvantable, mais on ne fera rien. C'est
la responsabilité du gouvernement d'agir.
M. Gagnon (Marc-André) : Est-ce
que ce n'est pas la prudence minimale pour le gouvernement, avant de dire on va
amener telle, telle solution, d'attendre le rapport du coroner qui, lui...
justement, le travail du coroner, c'est d'émettre des recommandations. Ce n'est
pas la prudence minimale que d'agir comme ça?
M. Jolin-Barrette : Bien,
écoutez, ça dépend, si le rapport du coroner, là, va être... Généralement, un
rapport du coroner, ça prend plusieurs mois. Si une autre situation du même
type se reproduit, si un cas similaire se reproduit, du même type, est-ce que
vous allez être à l'aise que le gouvernement n'ait pas mis de balises? Moi, je
pense que le gouvernement devrait mettre des balises à tout le moins
temporaires pour s'assurer que, dans des cas similaires où un motif religieux
est invoqué, on puisse passer devant le juge puis qu'il y ait un contrôle de la
décision.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Mais, M. Jolin-Barrette, il n'y a pas quelque chose de troublant? Je comprends
que vous avez souligné à gros traits le cadre légal, constitutionnel dans
lequel, vous, comme législateur, vous évoluez. Mais qu'en 2016 des personnes
peuvent mourir pour des considérations religieuses, qu'on accepte aujourd'hui
de ne pas donner des soins à des personnes qui le demandent sur une base
religieuse, il n'y a pas quelque chose de troublant là-dedans?
M. Jolin-Barrette : Bien,
c'est le sens de notre propos, où on dit : Bien, écoutez, il faut valider
le consentement volontaire, libre et éclairé de la personne qui refuse des
soins. Mais, pour ce faire, là, bien, il faut qu'il y ait un tiers indépendant.
Nous, on propose que ça se passe devant le juge lorsqu'il y a des cas
similaires qui sont soulevés.
M. Bélair-Cirino (Marco) : Mais
pourquoi accepter les demandes sur des bases religieuses? Est-ce qu'on ne
devrait pas tout simplement, si une personne, là, il lui faut une transfusion
sanguine, lui donner la transfusion sanguine pour la garder en vie?
M. Jolin-Barrette : Bien,
écoutez, ça, c'est un débat juridique. Ça a déjà monté jusqu'à la Cour suprême.
M. Bélair-Cirino (Marco) : Où
vous vous situez dans ce débat-là, oui?
M. Jolin-Barrette : Oui,
nous, ce qu'on dit, c'est que, dans le cas de Mme Dupuis, c'est qu'un
coreligionnaire aurait pu avoir de l'influence. C'est difficile de mesurer son
consentement. L'enquête du coroner pourra nous le dire, mais le problème, c'est
qu'on le prend à l'envers. S'il y avait déjà eu un mécanisme en place, on ne
serait peut-être pas dans cette situation-là. Donc, pour la protection des
Québécois, pour l'intérêt des Québécois, le fait d'invoquer des motifs religieux,
c'est couvert par la charte, mais nous, ce qu'on dit, c'est qu'il faut aller
au-delà des coups puis ce n'est pas acceptable qu'une femme de 26 ans qui vient
de donner naissance à un enfant soit morte et qu'elle ne puisse pas voir et
grandir son enfant.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Mais ça aurait été normal si elle avait manifesté son consentement clair avant
de décéder. C'est ça que vous me dites, là.
M. Jolin-Barrette : Bien,
écoutez, la jurisprudence et le droit actuel, c'est ce que ça dit.
M. Bélair-Cirino (Marco) : Puis,
vous, vous êtes d'accord avec ça?
M. Jolin-Barrette : Nous, ce
qu'on vous dit, c'est que ça prend un mécanisme, avec un tiers, un juge qui va
pouvoir évaluer la nature du consentement, et, dans ce cas-ci, c'est vraiment
ce qui est spécifique et c'est ce qui nous préoccupe.
Des voix
: Merci.
(Fin à 15 h 17)