(Onze heures seize minutes)
M. Jolin-Barrette : Alors,
bonjour, tout le monde. Encore une fois, aujourd'hui, le gouvernement libéral
ne répond pas aux questions. C'est assez simple ce qu'on demande. On demande
que le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, envoie une directive claire aux hôpitaux
que le contrôle et l'accès dans les chambres d'hôpital, ça va être la direction
de l'hôpital qui va contrôler. Ce n'est pas normal qu'il y ait des Témoins de
Jéhovah influents, on peut les associer à la police du sang comme j'ai dit en
Chambre, qui contrôlent l'accès à la chambre, qui ne permettent pas aux gens
qui ne sont pas membres de cette religion-là de pouvoir accéder aux patients, accéder
à la chambre du patient.
Et je tiens à vous rappeler, là, que ce
matin le Dr Louis Godin, le président de la FMOQ, a dit : Ce n'est pas aux
médecins à juger de la liberté du consentement. Donc, ça prend en place un
mécanisme avec un juge qui va pouvoir évaluer est-ce que le consentement de la personne
qui refuse des soins, est-ce que son consentement est libre et éclairé de façon
à avoir une tierce partie qui puisse véritablement évaluer ça, est-ce que la
personne qui refuse les soins l'exprime de façon libre et éclairée.
Et je reviens sur la question des
directives. Le ministre de la Santé doit prendre action et il doit envoyer un
message clair aux intervenants du réseau de la santé que c'est la direction de l'établissement
de la santé qui gère le contrôle, qui gère la sécurité dans les hôpitaux, et ce
n'est pas des membres influents des Témoins de Jéhovah.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Donc, le groupe que vous qualifiez de police du sang aurait dû être expulsé
manu militari?
M. Jolin-Barrette : Bien, écoutez,
les gens qui doivent être dans une chambre d'hôpital, c'est les médecins, les
infirmières, les proches de la personne. Dans le dossier de Mme Dupuis, on ne
connaît pas tous les faits, mais, pour l'ensemble des Québécois puis pour l'ensemble
des dossiers religieux, il faut s'assurer que les gens qui aient accès à la
chambre, ça soit des proches du patient et que ça ne soit pas n'importe qui qui
bloque l'accès à la chambre d'hôpital. Ce n'est pas normal qu'on bloque l'accès
à des proches du patient sous des motifs religieux.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Donc, la direction de l'établissement aurait dû, pu, selon vous, expulser ces
gens-là qui faisaient entrave au mouvement du personnel et de la famille.
M. Jolin-Barrette : Ce n'est
pas ce que je dis. Ça prend plus d'information là-dessus, mais ce que ça prend
surtout, c'est une directive claire. Le ministre doit envoyer une directive
claire aux établissements de santé pour dire : Je vous appuie, je vous
donne le pouvoir de contrôler l'accès aux chambres d'hôpital. La famille, les
proches, c'est tout à fait normal qu'ils soient présents, mais ce n'est pas
normal qu'il y ait des individus qui bloquent l'accès aux chambres des
patients. C'est incompréhensible.
M. Gagnon (Marc-André) : Mme
Maltais du Parti québécois, en point de presse, vient de nous dire qu'elle, ce
qu'elle réclame, là, ce que le Parti québécois réclame, c'est qu'un expert
externe soit mandaté pour se pencher sur l'endoctrinement, donc, de groupes
structurés comme ceux des Témoins de Jéhovah. Est-ce que c'est une idée que
vous appuyez? Il serait souhaitable, donc, de mandater un expert externe sur
cette question-là?
M. Jolin-Barrette : Bien, écoutez,
je pense que la première des choses, là, c'est vraiment de mettre en place un processus
où il va y avoir un juge auquel on va pouvoir faire référence lorsqu'il est question
du consentement libre et éclairé. Pour les demandes de Mme Maltais, on peut les
étudier, mais ce qui est urgent, c'est vraiment de doter le milieu hospitalier
d'un mécanisme qui va permettre d'évaluer le consentement libre et éclairé de
la personne. Mais on constate que Mme Maltais est un peu en retard sur la
nouvelle 24 heures après. Le Parti québécois vient de constater que c'est important,
puis c'est préoccupant, puis que ça touche les Québécois, puis surtout qu'il y
a une jeune mère de famille qui est décédée, et c'est ça.
M. Robillard (Alexandre) :
C'est quoi, les informations dont vous disposez sur l'ampleur de ce phénomène-là
qui pourraient justifier la mise en place des mesures que vous réclamez?
M. Jolin-Barrette : Bien, écoutez,
on a vu dans la littérature journalistique au cours des derniers jours, là, et
il y a eu plusieurs entrevues dans les médias, qu'au cours des dernières années
il y aurait eu plusieurs personnes qui auraient pu décéder en raison d'une
non-transfusion sanguine. La question qui se pose, c'est vraiment : Est-ce
qu'on peut institutionnaliser un mécanisme pour donner des outils aux
intervenants du milieu hospitalier pour que ceux-ci puissent se tourner vers
une ressource externe? Et même le milieu médical le réclame. Le Dr Godin l'a
dit : Ce n'est pas à nous à juger de la liberté du consentement. Est-ce
qu'on peut avoir une personne indépendante? Est-ce qu'on peut donner les outils
au milieu hospitalier pour le faire?
M. Robillard (Alexandre) :
Mais, dans le fond, ma question, c'est : Est-ce que ça, selon vous, c'est
un phénomène isolé? Êtes-vous en mesure de donner une image claire de la
situation que vous dénoncez?
M. Jolin-Barrette : Bien, en
fait, je ne suis pas un spécialiste des religions, donc je ne peux pas vous
dire combien de fois ça arrive. Il faudrait questionner le milieu de la santé à
ce niveau-là. Mais, chose certaine, c'est arrivé la semaine dernière et ça
pourrait arriver de nouveau. Il y a des situations qui pourraient se produire,
puis je pense qu'on devrait être prudents, prévoyants et prévoir ce genre de
procédure là dans le cas de raisons... dans le cas de refus qui sont invoqués
pour des motifs religieux.
M. Lavoie (Gilbert) : Est-ce
qu'à votre avis... Vous êtes avocat, vous savez que, si un médecin décide
d'aller à l'encontre de la volonté de la personne, il peut faire l'objet de
poursuites. Est-ce que, selon vous, si c'est un juge qui décide que le
consentement n'est pas libre et éclairé, donc qui autorise le médecin, à toutes
fins utiles, à faire la transfusion sanguine, est-ce que ça protège le médecin
contre une poursuite?
M. Jolin-Barrette : Bien,
écoutez, il faudrait évaluer en détail, là, cette situation juridique là. Je ne
peux pas donner d'avis juridique là-dessus à brûle-pourpoint, comme ça, mais
une chose est certaine, c'est que je pense que la décision raisonnable qui doit
être prise dans le dossier puis sur laquelle le gouvernement doit se concentrer
et faire preuve de leadership, c'est de prendre action dès maintenant, même si
c'est de façon temporaire, jusqu'au moment où le rapport du coroner sera déposé,
pour mettre en place une structure qui va permettre à un juge de se prononcer là-dessus.
Mais, pour ce qui est du médecin, à savoir
son risque de poursuite, l'évaluation, je pense que ça demande plus de
réflexion. Mais généralement, lorsque vous avez un ordre de cour de faire
quelque chose, vous êtes protégé.
M. Lavoie (Gilbert) :
Oui. La présence du juge ou l'opinion du juge constituera une forme d'ordre de
cour, selon vous?
M. Jolin-Barrette :
Bien, tout à fait. Bien, en fait, comme vous l'avez dans les ordonnances de
garde pour soins en matière psychiatrique, lorsqu'une personne représente un
danger pour autrui ou pour elle-même, il y a une ordonnance de sauvegarde qui
est prononcée du juge ou il y a une injonction. C'est à peu près l'équivalent,
là. L'ordonnance de sauvegarde, c'était un 2.20.46, dans le temps, du Code de
procédure civile, mais ça fait en sorte que c'est un ordre de la cour, c'est
une obligation de faire. Donc, si vous avez une obligation de faire, vous
respectez la loi puis vous respectez ce que le juge a mentionné.
M. Lacroix (Louis) :
Mais est-ce que notre système juridique est capable d'absorber des demandes
comme celle-là? Parce que, dans un cas de transfusion sanguine, on parle de
questions de minutes, là, c'est-à-dire que le médecin doit prendre des
décisions très rapides, à savoir si oui ou non… Alors, est-ce que, dans un cas
comme celui-là, techniquement, c'est possible de demander à un juge de se
prononcer en quelques minutes, à savoir si la décision est bien fondée ou non?
M. Jolin-Barrette : Oui,
bien, deux volets à votre question. Le premier volet, supposons qu'on prend le
cas de Mme Dupuis, celle-ci, elle a été une semaine à l'hôpital, donc ils
auraient eu le temps. Mais je comprends, comme vous me dites, des fois, c'est
vraiment des situations d'urgence.
Présentement, à la cour, il y a des juges
de garde en tout temps. Donc, c'est possible de rejoindre… il y a toujours un
juge de garde au palais ou il est chez lui, là, on peut dire le juge dans son
bureau. Donc, il y a déjà des mécanismes qui font en sorte que, si vous avez
besoin d'une injonction d'urgence ou d'une ordonnance de sauvegarde d'urgence
en matière civile, c'est possible de rejoindre un juge. Il y a toujours un juge
de garde. En matière criminelle, ça se fait déjà. Lorsqu'il y a des
télémandats, ça se fait.
Donc, pour le système judiciaire, ce n'est
pas une problématique. Les juges sont là, il y a de la disponibilité, et ils
vont pouvoir le faire, surtout qu'on n'est pas dans la question des délais où c'est
jugé au fond. On parle vraiment d'une injonction, on parle d'une ordonnance de
sauvegarde, une ordonnance particulière. Donc, ça se fait très rapidement, et
les juges sont habitués à donner ce genre d'ordonnance là ou d'injonction.
M. Lavoie (Gilbert) : Ça
marcherait comment, une injonction, dans ce cas-là? L'injonction, elle fait
quoi? Elle dit quoi?
M. Jolin-Barrette :
Bien, écoutez, l'injonction va… Vous savez, il y a quatre critères au niveau de
l'injonction. Si vous êtes dans le cadre d'une injonction provisoire, c'est
plus technique, là, mais vous avez notamment la balance des inconvénients, le
préjudice irréparable, l'urgence. Donc, le juge est à même de statuer en
fonction des critères qui sont… des arguments qui sont présentés, des propositions.
Puis ce qu'on veut, c'est vraiment avoir un second regard sur la décision.
M. Lavoie (Gilbert) : Non, je
comprends, mais j'essaie de voir… Techniquement, l'injonction dirait au
médecin : Bien, vas-y, fais une transfusion?
M. Jolin-Barrette : Bien, il
faudrait voir les conclusions. Mais la question et le point pour lequel on veut
avoir un juge, c'est pour évaluer le consentement. Est-ce que le consentement,
il est libre et éclairé? C'est vraiment la base, là, la prémisse, parce que, si
le juge constate qu'elle va refuser des soins, mais elle ne donne pas un
consentement libre et éclairé, bien, ça veut dire que son consentement est
vicié. Donc, si on retourne à la base, là, bien, si son consentement est vicié,
bien, sa décision, elle n'est pas libre, et elle ne prend pas conscience
véritablement des impacts de sa décision. Donc, concrètement, oui, l'injonction
pourrait mener vers cela.
Mais, ceci étant dit, notre position est
très claire. On n'attaque pas la liberté de choix, la liberté de consentement.
On veut juste s'assurer que, quand le consentement est donné, il n'est pas
vicié et il n'y a pas des personnes qui ont fait des pressions indues sur cette
personne-là, et dans le cas de Mme Dupuis.
M. Robillard (Alexandre) :
Mais l'ordonnance de sauvegarde ou l'injonction à laquelle vous faites
référence, elle permettrait aux personnes qui traitent ce patient-là d'aller de
l'avant avec les soins requis. C'est ça?
M. Jolin-Barrette : Bien,
écoutez, chaque cas est un cas d'espèce. Le juge…
M. Robillard (Alexandre) :
C'est parce que la question de Louis, c'était : Est-ce que les délais
médicalement requis vont être respectés? Vous, vous dites : Une ordonnance
de sauvegarde va régler toute la question.
M. Jolin-Barrette : Mais ce
que je dis…
M. Robillard (Alexandre) :
Mais ce que je vous demande, vous, c'est : Est-ce que vous pensez que,
quand il y a une ordonnance de sauvegarde, ça autorise le médecin à aller de
l'avant avec les soins qui sont requis?
M. Jolin-Barrette : Bien, il
faudra voir qu'est-ce que le juge ordonne. Et donc, vous savez, pour les
mineurs, supposons, le juge peut ordonner ce genre de chose, ordonner de faire
la transfusion sanguine. La question, c'est l'évaluation du consentement. Si la
personne refuse les soins, mais qu'elle n'a pas un consentement libre et
éclairé, son consentement n'est pas valide.
Excusez-moi. Je suis désolé.
Une voix
: C'est
poussiéreux ici dedans. Il y a un coup de balayeuse à passer.
M. Jolin-Barrette : Oui.
Merci beaucoup.
M. Lacroix (Louis) : J'ai
juste une petite… une dernière question. Est-ce que la notion de bien-être de
l'enfant, dans le cas de Mme Dupuis, aurait pu être invoquée, par exemple, de
dire que le préjudice… bien, en fait…
Une voix
: Les intérêts
de l'enfant.
M. Lacroix (Louis) : …les
intérêts de l'enfant n'auraient pas pu primer sur le droit, justement, de la
patiente de refuser le traitement?
M. Jolin-Barrette :
Généralement, pour une décision qui concerne un individu, c'est le consentement
de l'individu qui compte. À moins que je me trompe, présentement, l'intérêt de
l'enfant n'est pas pris en compte dans la grille d'analyse au niveau du
consentement, il me semble.
M. Lacroix (Louis) : Est-ce
qu'il ne devrait pas l'être, justement? Est-ce que le bénéfice de la présence
de la mère n'aurait pas été plus grand pour l'enfant?
M. Jolin-Barrette : On
élargit vraiment le débat. La jurisprudence, présentement, ce n'est pas ça
qu'elle dit. La loi, ce n'est pas ça qu'elle dit présentement. Pour nous, là,
la priorité, c'est vraiment la question du consentement libre et éclairé de la
personne qui refuse les soins. C'est vraiment là-dessus puis c'est pour ça
qu'on souhaite que le gouvernement mette en place une mesure avec le juge,
qu'elle soit temporaire ou permanente, mais il faut vraiment protéger la population
puis s'assurer... puis on a un rôle aussi là-dedans, là, au niveau de la
protection de l'intérêt public, d'agir dans ce dossier-là.
M. Lavoie (Gilbert) : Mais
est-ce que c'est au Québec à faire ça? Ça ne serait pas au Canada? C'est à
l'échelle nationale, ça.
M. Jolin-Barrette :
Excusez-moi, je n'ai pas entendu votre question.
M. Lavoie (Gilbert) : J'ai
dit : Est-ce que c'est au Québec qu'il y a à faire ça? Au fond, c'est à
l'échelle nationale, cette question-là. Le problème est le même partout au
pays.
M. Jolin-Barrette : Oui, le problème
est le même au pays. Par contre, est-ce qu'on peut mettre en place ici, au Québec,
des mécanismes? Oui, le gouvernement libéral a tous les outils pour le faire et
il devrait le faire.
Mais deux choses : oui, le recours à
un juge, mais, deuxièmement, est-ce que le Dr Barrette peut très clairement
envoyer une indication à ces établissements de santé que ce sont eux qui sont
responsables de la sécurité dans les établissements. Et il doit envoyer une
directive claire pour dire : Vous ne tolérez pas des gens qui empêchent
l'accès à la chambre à des individus qui sont non membres de la communauté des
Témoins de Jéhovah.
M. Lavoie (Gilbert) : Juste
une toute, toute, toute dernière. Vous savez comment ça se passe, ces gens-là,
les avocats des Témoins de Jéhovah, ils ne rentrent pas dans la chambre, là,
ils sont dans la salle d'attente puis ils disent aux parents... ils ne laissent
pas rentrer telle, telle, telle personne. Ce n'est pas eux directement qui
interdisent l'accès, c'est la famille, c'est la famille des Témoins de Jéhovah.
Qu'est-ce que vous faites avec ça?
M. Jolin-Barrette : Bien, ce
sont des situations... comme je vous dis, c'est du cas par cas. Il y a des cas
d'espèce, mais, supposons, dans les témoignages que vous aviez aujourd'hui dans
les journaux, très clairement, il y avait des gens qui veillaient une personne
qui était opérée puis ils étaient dans la chambre du patient. Donc, c'est
impossible de trancher ça, de dire : dans tel cas ou tel cas... On ne peut
pas spécifier directement, mais ça prend une politique générale puis ça prend
une indication claire que c'est l'établissement de santé qui contrôle l'accès
et surtout que ce n'est pas admissible que des individus bloquent l'accès à la
chambre. Merci beaucoup.
(Fin à 11 h 30)