(Quinze heures cinq minutes)
Mme Massé : Alors, bien,
bonjour, tout le monde. Merci d'être là. Dans la suite des révélations qui ont
faites dans les derniers jours concernant l'espionnage du SPVM, c'est sûr que c'est
extrêmement inquiétant. Bien sûr, il y a la situation spécifique de Patrick
Lagacé, mais vous savez comme moi qu'il y a d'autres journalistes. Je pense à
Félix Séguin, Monic Néron, Fabrice de Pierrebourg, et, dans les faits, ça, c'est
ceux qu'on sait. Ce qui est le plus inquiétant, c'est : Y en a-t-il
d'autres? En fait, c'est déjà extrêmement inquiétant. Y en a-t-il d'autres? Et,
en fait, qu'est-ce qui nous amène là? Parce que, quand on en est rendus là, ça
nous laisse présupposer qu'il y a un système derrière ça, il y a une culture
derrière ça.
Alors, bien sûr, depuis ce matin, le premier
ministre a aussi avancé un certain nombre d'idées pour s'assurer de régler ce problème-là,
protéger les sources journalistiques, soit, mais moi, je vous amène à réfléchir
sur comment protéger le droit des citoyens, de s'assurer que leurs sources
journalistiques ne sont pas, bien sûr, espionnées, mais qu'on les protège de
toute possibilité qu'ils vivent des représailles parce qu'ils ont dénoncé des
choses. Et là je pense notamment aux lanceurs d'alerte qui, on le sait, sans
eux, que ce soit dans le cadre de la commission Gomery, puis on en a des
résultats aujourd'hui, la commission Charbonneau, on sait que, sans les
lanceurs d'alerte, il n'y aurait pas eu cette possibilité-là.
L'enjeu, c'est ce que j'ai essayé d'aller
soutirer au ministre durant l'échange à la période de questions, c'est que le
projet de loi n° 87, tel que formulé actuellement, en son article 6, vient
faire exactement ce qu'on ne veut pas, c'est-à-dire il vient plus protéger
l'institution que les lanceurs d'alerte. Comment? Parce que, bien sûr, le
ministre me dit : Oui, ils pourront aller voir la Protectrice du citoyen,
etc., mais là cet article 6 là balise, de façon spécifique, la question d'aller
vers des journalistes pour dénoncer des situations d'intérêt public.
Alors, ce que ça dit, c'est : Non,
vous ne pouvez plus faire ça en situation d'urgence. Vous devez donc, avant
d'aller parler aux journalistes, vous devez aller parler à la police. Mais là
ils nous prennent pour du monde qui ne savent pas.
À partir du moment où vous allez à la
police, qui... je pense, quand les lanceurs d'alerte décident d'aller vers les
médias, c'est pour une bonne raison, c'est que c'est là qu'ils se sentent en
confiance. C'est là qu'ils ont envie de partager la lourdeur du fardeau qu'ils
portent. Alors que, si désormais, ils doivent aller à la police, la première
chose que la police va leur dire, c'est : Aïe! Aïe! Aïe! Là, vous ne dites
pas un mot de ce que vous venez de me dire, là, sinon ça va mettre en jeu
l'enquête.
Alors, voyez-vous le cercle vicieux dans
lequel on nous amène avec le projet de loi n° 87? Et ce qui me fascine,
c'est que le ministre ne semble pas avoir compris ça parce que ses réactions me
laissent entendre qu'il n'a pas compris que, pour les citoyens, dénoncer à la
police, ça veut dire de s'amener dans une situation qui se terminera là.
Alors, je nous rappelle collectivement, la
commission Charbonneau était claire, si nous voulons avoir des remparts pour
s'assurer de détricoter les processus de corruption, collusion, qui reviennent
de façon cyclique dans les gouvernements, il faut protéger adéquatement les
lanceurs d'alerte. Et l'article 6 actuel vient dire aux lanceurs d'alerte :
Vous savez, les médias, là, eux autres, là, ils ne sont pas compétents dans
leur protection d'information, puisqu'on veut qu'ils aillent voir la police
avant, alors que plusieurs lanceurs d'alerte, pour toutes sortes de
raisons et pour certaines qu'on reconnaît bien, et l'exemple qui arrive avec M.
Lagacé en est un, bien, ne souhaitent pas aller à la police, au contraire
souhaitent aller aux médias. Et ce qu'il m'a dit finalement en Chambre, c'est :
Bien, ils pourront aller vers la Protectrice du citoyen. Bien oui, mais cet
article 6 là est fait de façon spécifique, en cas d'urgence, et il ne protège
pas les citoyens, mais bien l'institution.
M. Gagnon (Marc-André) : Le
chef de police du SPVM, M. Pichet, est-ce qu'il doit être suspendu
temporairement ou est-ce qu'il doit démissionner?
Mme Massé : Bien, écoutez,
moi, je ne sais pas exactement comment fonctionne la mise sous enquête. Notre
question à nous est beaucoup plus spécifique, c'est puisque... Et là je vous ai
nommé quatre journalistes, ce n'est pas rien, là, sans compter la saisie des
ordinateurs, sans compter ce qu'on ne sait pas... ont eu des mandats pour faire
ces perquisitions-là, pour faire cette mise à l'écoute là.
Alors, moi, ma question à moi, elle est
bien plus... oups, attendez, là, il me semblait que c'était clair que de
protéger les sources journalistiques, et ça semblait être clair, je l'ai
entendu au moins quatre fois en Chambre aujourd'hui, c'est de protéger un
des joyaux de la démocratie, c'est-à-dire le journalisme. Bien, si tel est le
cas, pouvez-vous m'expliquer comment se fait-il qu'il y a des juges de paix qui
ont donné ces autorisations-là?
Alors, est-ce qu'il y a une mauvaise
interprétation? Est-ce que la loi n'est pas assez serrée? Est-ce que, bien, au
contraire, la loi est assez serrée, mais on l'applique mal? Alors, plusieurs
questions, mais, pour moi, il est là, le principal problème.
M. Croteau (Martin) : Comment
évaluez-vous la manière dont M. Pichet s'est conduit dans cette affaire-là
et que pensez-vous de ses explications d'hier?
Mme Massé : Bien, pour être
très honnête avec vous, je n'ai pas vu l'ensemble de ses explications. Ceci
étant dit, vous savez qu'à Québec solidaire ça fait plusieurs fois qu'on crie
la nécessité... que ça ne peut pas être la police qui enquête sur la police, ça
ne peut pas être... Ce système-là, en fait, qui doit être un système en
protection aux personnes, ça ne doit pas être ce système-là qui puisse avoir
tous les pouvoirs, qui fait qu'ultimement ça peut être dangereux pour une
démocratie. Alors, ça, c'est ce que je peux vous répondre.
M. Croteau (Martin) : Plus
précisément, ce que M. Pichet a dit hier, là, il a dit : Tout a été fait
dans les règles de l'art, mais il n'a pas été en mesure de garantir que
d'autres journalistes n'étaient pas sous enquête, donc, ou espionnés d'une
manière ou d'une autre. Qu'est-ce que vous pensez de ça?
Mme Massé : Bien, c'est là que
je trouve...
M. Croteau (Martin) : C'est-u
acceptable, ça, comme explication?
Mme Massé : Bien, pour moi, ce
n'est pas acceptable. Quand on dit : Tout est dans la règle de l'art,
c'est exactement, moi, ce que je soulevais, c'est-à-dire que, si tout le monde
reconnaît que la protection des sources journalistiques, c'est ce qui nous
permet, comme démocratie, à être en mesure d'avoir de l'information qu'on
n'aurait pas si les gens étaient bien protégés... s'ils n'étaient pas bien
protégés, pardon, bien, ce n'est pas acceptable.
Et c'est pour ça que je pose la question
de qui émet les mandats et comment se fait-il que ce n'est pas clair pour cette
personne-là qu'on doit rehausser... Par exemple, l'exemple que je donnerais, il
faut que, lorsqu'un juge de paix donne son autorisation en matière de
surveillance, par exemple, des juges ou des avocats, il doit être
particulièrement prudent. Bien, il me semble que ça devrait être convenu
d'avance que c'est la même chose pour les journalistes.
M. Croteau (Martin) : Donc,
si je peux juste saisir la balle au bond, est-ce que vous êtes à l'aise à ce
qu'un chef de police qui a un comportement qui n'est pas acceptable, pour
reprendre votre propre expression, reste en poste?
Mme Massé : Écoutez, je veux
être honnête, je n'ai pas l'ensemble de l'information. Ce que je dis, c'est
qu'il y a une culture derrière ça. Là, on parle du SPVM, mais on pourrait
parler de la SQ, on pourrait... Il semble qu'il y ait une culture derrière,
qu'il y ait un système, et, si tel est le cas, c'est ça qu'il faut mettre le
doigt dessus, pas une personne ici et là. C'est vraiment le... S'il y a un
système, et il semble parce qu'il commence à y avoir pas mal de monde, bien, il
faut être capable de déconstruire ça pour protéger les gens.
M. Gagnon (Marc-André) : Donc,
je comprends que vous avez plusieurs questions qui demeurent sans réponse. Et,
pour avoir réponse à ces questions-là, est-ce qu'il ne faudrait pas, comme
d'autres le suggèrent, là, mettre sur pied une commission d'enquête publique?
Mme Massé : Oui. Bien, on
vient d'appuyer, d'ailleurs, la motion de la CAQ qui allait dans ce sens-là.
Tout ça pour vous dire que, oui, on trouve ça intéressant.
Ma crainte, c'est que je ne voudrais pas
qu'on reporte ça aux calendes grecques. Actuellement, nous sommes en train
d'étudier un projet de loi qui, peu importe ce qu'on fera dans le futur,
inscrit, dans son article 6, comme quoi les citoyens qui sont des lanceurs
d'alerte doivent aller à la police avant d'aller aux médias. Et ça, nous, ça
nous pose profondément un problème pour toutes les raisons que vous connaissez.
M. Dion (Mathieu) : Ce qui a
été annoncé aujourd'hui, est-ce que vous ne craignez pas que personne ne soit,
finalement, blâmé avec ce qui a été dit?
Mme Massé : Vous voulez dire,
par le premier ministre.
M. Dion (Mathieu) : Avec ce
qui a été annoncé par le gouvernement.
Mme Massé : Bien, c'est
pourquoi on a appuyé la motion de la CAQ, dans le sens de dire : Il faut
faire la lumière sur ce qui est là. Mais, ceci étant dit, nous avions aussi
appuyé la motion du Parti québécois, parce que cette idée d'avoir un comité
d'experts, mais formé, de façon entendue, par les quatre partis à l'Assemblée
nationale et pas seulement par la partie gouvernementale, nous apparaissait
quelque chose d'intéressant. Et même, moi, j'aurais aimé que ce comité
d'experts... mais d'ailleurs, je peux le suggérer au premier ministre,
puisqu'il voulait voir son comité d'experts animé ou présidé par un juge, un
juge qui étant... il me semble que, dans cette situation-là, il a à réfléchir
toute la question du rôle des juges de paix, de comment les juges sont nommés,
etc. Moi, je ne haïrais pas si c'était une coprésidence, dans laquelle il y a
peut-être un juge, mais aussi un journaliste, pour qu'on soit en mesure...
cette tension créative nécessaire, qu'on soit en mesure de la voir aller dans
l'ensemble du processus de réflexion du comité d'experts.
M. Gagnon (Marc-André) :
O.K. Donc, cette idée que ce soit un juge qui préside à lui seul les travaux de
ce futur groupe d'experts là, vous trouvez ça dangereux?
Mme Massé : Bien,
c'est-à-dire que j'ai bien entendu.... c'est parce que, voyez-vous, là, ce
qu'on vient d'entendre, c'est : On ne sera donc pas partie prenante des
décisions de qui va être sur le comité d'experts, et le gouvernement nommerait
quelqu'un pour être à la tête de ce comité-là.
Nous, on dit : Cette idée d'avoir un
comité d'experts nous convient. On trouve ça intéressant. On pense qu'une
coprésidence serait beaucoup plus enrichissante et que ce serait beaucoup plus
enrichissant si chaque parti pouvait contribuer à la composition de ce
comité-là. Merci, messieurs.
Des voix
: Merci.
(Fin à 15 h 17)