(Neuf heures trente-cinq minutes)
M. Khadir
: Ce
matin, l'actualité nous apprend encore une fois le nom de plusieurs organisateurs
et collecteurs de fonds libéraux, dont encore une fois quelqu'un aux
agissements douteux et vraisemblablement malhonnêtes, si on en croit ce que va
nous révéler le reportage d'Enquête, d'une personne qui entourait M. Couillard,
une autre personne qui s'ajoute aux Porter de ce monde qui ont peuplé
l'entourage de M. Couillard tout au long de sa carrière politique et
publique. On se rappellera aussi du financier qui était impliqué avec lui dans
des activités liées aux investissements en santé, dont j'oublie le nom,
malheureusement.
Donc, ça révèle encore une fois la
profondeur, malheureusement, du mal qui ronge le parti et surtout qui touche le
premier ministre Couillard lui-même. On se demande après pourquoi, avec tant d'insistance,
le gouvernement protège la direction de la Sûreté du Québec et pourquoi le
maire de Montréal continue à protéger le Service de police de la ville de
Montréal. On voit là ce que votre collègue Patrick Lagacé a dénoncé en partie
dans un article de 2013, sur lequel il est revenu à plusieurs reprises.
Malheureusement, les corps policiers
importants du Québec semblent protéger le pouvoir, et, en retour, le pouvoir
semble les protéger. Et ça, ça ne relève pas du directeur actuel, M. Prud'homme,
de la Sûreté du Québec ou du directeur actuel de la police de Montréal, ça
semble être une culture dans laquelle les corps policiers, à chaque fois qu'il
s'agit du pouvoir, là où il y a corruption ou apparence de corruption et des
allégations très inquiétantes qui touchent les responsables du pouvoir, ils
sont très hésitants, ils sont récalcitrants à mener des enquêtes ou même à
loger des poursuites criminelles. C'est ce qu'on apprend ce matin. C'est que, malgré
le fait que l'enquête soit close, il n'y a toujours pas aucune poursuite qui a
été logée contre des personnes qu'on soupçonne d'avoir trempé dans une histoire
de pots-de-vin pour des immeubles appartenant au gouvernement du Québec.
Ce qui me ramène sur l'importance de la
demande que nous avons faite hier, qui va être déposée comme motion par la CAQ.
Il faut absolument que, dorénavant, les principaux dirigeants des corps
policiers soient nommés soit, pour la Sûreté du Québec, par l'Assemblée
nationale et, pour les autres corps policiers d'importance, par les conseils
municipaux aux votes des deux tiers pour dépolitiser, c'est-à-dire enlever le
lien de protection entre ces corps policiers et le pouvoir qui les a nommés,
dont la direction a été nommée.
Et ce qui me ramène sur l'importance aussi
de rappeler que, malheureusement… Et je vous appelle, j'appelle la profession
des journalistes, j'appelle tous ceux qui ont été interpellés par ces histoires
de surveillance de journalistes par la Sûreté du Québec et par la police de
Montréal de se pencher sur l'article 6 du projet de loi n° 87, qui a
été, malheureusement, malheureusement, malgré l'insistance de l'opposition, adopté
par la majorité libérale, un projet de loi qui est censé améliorer la
divulgation d'informations importantes aux journalistes, mais qui, en fait,
fait tout le contraire, et l'encarcane, et le soumet au préalable à une
divulgation à la police.
Vous avez plusieurs commentateurs
aujourd'hui, de vos collègues qui ont interprété la chose, qui ont commenté la
chose. Mais on voit là, en plein milieu de cette crise de confiance envers les
structures de la police qui épient, un projet de loi gouvernemental qui force
les gens de la fonction publique à parler à la police avant d'aller voir des
journalistes pour divulguer des informations d'intérêt public.
M. Vigneault (Nicolas) :
Les informations voulant, justement, qu'il y ait des collaborateurs, on parle
d'une fraude potentielle de 2 millions de dollars, ce serait une des plus
importantes au Canada, ça fait peur d'entendre tout ça?
M. Khadir
: Ça
fait peur, mais ça ne me surprend pas. Vu l'ampleur et la profondeur de la
corruption au sein de l'appareil du Parti libéral au pouvoir, ça ne me surprend
pas du tout, du tout. Le rôle que jouent les financiers, les collecteurs de fonds
de ce parti dans l'octroi de contrats, dans l'octroi de bénéfices, dans la
nomination de juges a été à maintes fois révélé. Rappelons-nous de Franco Fava,
rappelons-nous de Charles Rondeau, rappelons-nous également de Marc Bibeau.
Maintenant, on voit que, bon, ils sont kyrielle, on entend le nom de M. Bartlett,
j'oublie le nom, Matthew Bartlett, je pense, qui semble avoir collaboré avec M. Couillard
à le faire élire dans Jean-Talon et qui semble être trempé maintenant dans ce
scandale de pots-de-vin reçus pour des ventes de biens publics.
M. Caron (Régys) :
Voyez-vous un lien, M. Khadir, entre la décision prise par les autorités
policières de surveiller les journalistes, voir à qui ils parlent et du coulage
d'informations provenant vraisemblablement de policiers, d'enquêteurs frustrés
de voir que les résultats de leurs enquêtes ne montent pas aux plaintes? Est-ce
qu'il y a un lien entre les deux?
M. Khadir
: Moi,
je vois un lien direct. Regardez les journalistes qui ont été épiés, ce n'est
pas des journalistes qui enquêtent sur des dossiers criminels de violeurs,
d'assassins ou du crime organisé, c'est tous des journalistes d'enquête qui se
sont penchés durant des années sur des dossiers qui touchent les responsabilités
gouvernementales, des contrats gouvernementaux, des malversations alentour de
contrats publics. C'est ce genre de journalistes qui ont été épiés. Et l'autre,
Patrick Lagacé, c'est un journaliste qui a déjà mis en doute, je dirais,
l'indépendance de la Sûreté du Québec et a parlé de la Sûreté du Québec comme
d'une police politique.
Alors, comment voulez-vous qu'on en
déduise autre chose que ce qui semble intéresser ces deux institutions, c'est
de se protéger l'un l'autre? Et, quand on apprend qu'il y a des journalistes
qui sont épiés, on voit un lien très clair avec les scandales qui touchent la
corruption du pouvoir public parce que ces journalistes, c'est ça qui était
l'objet de leur investigation.
M. Caron (Régys) : Les
journalistes qui sont épiés, c'est parce que les journalistes parlent ou parce
que des policiers leur parlent.
M. Khadir
: Oui,
des policiers qui, sans doute, las de voir que, malgré des enquêtes même
parfois très bien menées, ça n'aboutit pas. Ça n'aboutit pas comme arrestations,
ça ne vient pas à atteindre le pouvoir, ça s'arrête quelque part entre le
bureau du directeur du service de la police et le Directeur des poursuites
criminelles.
Moi, je suis vraiment malheureux de tout
l'effort qu'on a investi pendant des années, les journalistes, l'opposition, le
public, des gens qui ont pris des risques pour divulguer des informations, et
on se rend compte que, par exemple, le suspect numéro un du scandale de la
corruption au Québec, qui est M. Jean Charest, continue à agir en toute liberté,
être invité sur toutes les tribunes. Il n'est pas inquiété du tout parce qu'il
était premier ministre.
M. Caron (Régys) : Mais
ces affaires-là qui sont rapportées, ça remonte quand même à 2008. Est-ce qu'il
n'est pas rassurant de voir qu'on n'a pas déterré de choses plus récentes?
Donc, est-ce qu'il n'y a pas apparence d'avoir eu un ménage quelque part?
M. Khadir
: Bien,
j'espère, oui, cet aspect des choses, c'est-à-dire qu'on ait réussi à contenir
le caractère systématique de la manière dont les choses fonctionnaient via le
financement des partis au pouvoir. Ça, cette hémorragie semble contenue. Mais
vous savez très bien, mon cher ami, que, lorsqu'il y a d'autres types de
stratagèmes qui sont mis en place pour obtenir des faveurs, pour exercer de
l'influence, notamment d'autres types, je dirais, de faveurs données aux politiciens,
qui relèvent plus des portes tournantes, des nominations de tous ces lobbyistes
qui se ramassent avec des gros postes... Regardez M. Charest. Où est-ce
qu'il est, M. Charest? Je ne sais pas quel est son salaire, mais un gros
cabinet d'avocats qui était très en lien avec le Parti libéral lui a offert une
position en or pour agir dans des dossiers très importants qui doivent être très,
très, très lucratifs.
Alors, ce genre de message là, ce genre
d'opération là continue à agir. Et, tant et aussi longtemps que les corps
policiers ne s'attaqueront pas au sommet des responsabilités, ce sentiment
d'impunité va encourager tous ces gens qui mettent en place d'autres
stratagèmes à opérer. Et les stratagèmes sont dévoilés, malheureusement, des
années plus tard. Alors, je suis rassuré en partie. Les endroits par lesquels il
y avait du saignement et de l'hémorragie, on les a contenus, mais il y a
d'autres choses qui peuvent très bien être en cours d'opération sans qu'aujourd'hui
encore on en ait une idée. Et pourquoi il est plausible que ça soit le cas? Parce
qu'il y a encore une impunité qui est garantie aux plus hauts responsables par
une police qui semble politique, comme le dit et l'affirme Patrick Lagacé.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Le dossier qui nous occupe semble être entre les mains du DPCP. Il n'y a toujours
pas d'accusations de portées, vous le déplorez ce matin.
M. Khadir
: Je
m'en désole.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Oui. Dans la mesure où le DPCP n'a pas l'assurance de pouvoir prouver les
crimes allégués hors de tout doute raisonnable, n'est-il pas plus prudent pour
lui de ne pas porter d'accusations? Est-ce que ce n'est pas la chose à faire
dans notre système de droit?
M. Khadir
: Si
c'est le cas, mais, si c'était le cas, ce serait quelque chose d'exceptionnel, d'accord?
Mais là, systématiquement, depuis des années, on a toujours ce même problème.
Quand, pour le DPCP, il s'agit de loger une accusation criminelle contre une
poignée de jeunes étudiants qui ont mal fait, qui ont mal agi, hein, qui ont
saccagé quelque chose ou occupé quelque part, ça ne prend pas beaucoup de
temps, et on ne s'embête pas, disons, d'étoffer le dossier de tant de mesures
de précaution que ça parce que, bien souvent, ces dossiers qui se ramassent
devant le juge finissent par une absolution. Donc, les dossiers de preuves n'étaient
pas si étoffés que ça. Malgré tout, on a entraîné des gens devant des juges
sous des accusations criminelles. Pourquoi on ne le fait pas à l'endroit de
politiciens sur lesquels pèsent de si lourds soupçons et charges, pour lesquels
on a eu une commission qui nous a coûté 50 millions de dollars? Je parle
du suspect numéro un du Québec, M. Jean Charest, et de plusieurs de ses
plus proches collaborateurs qui sont encore au pouvoir aujourd'hui. Voulez-vous
que je les nomme? Sam Hamad, Jean-Marc Fournier, et j'en passe.
M. Vigneault (Nicolas) :
Vous dites carrément que la Sûreté du Québec protège le pouvoir ou protège les
libéraux?
M. Khadir
: Bien,
c'est votre collègue Patrick Lagacé…
M. Vigneault (Nicolas) :
Mais vous, votre…
M. Khadir
: Moi,
je suis porté à le croire. Jusqu'à preuve du contraire, il m'apparaît clair… Et
le pouvoir le lui rend bien, vous voyez? Le gouvernement, dans des
circonstances aussi, je dirais, problématiques, hein, d'espionnage et d'épiage
des journalistes, qui sont garants de la liberté dans n'importe quel
pays — on a déjà fait des scandales beaucoup plus grands pour des
régimes autoritaires qui ennuyaient leurs journalistes — le
gouvernement n'a même pas demandé la suspension de son directeur et une remise
en question profonde, externe, ouverte de ces décisions à l'intérieur de la
Sûreté du Québec. Il se contente d'une petite révision interne.
M. Caron (Régys) :
Allez-vous faire une proposition à l'Assemblée nationale que les directeurs de
police soient nommés aux deux tiers? La CAQ propose la même chose.
M. Khadir
: C'est
ce qu'on a fait hier. C'est que j'ai demandé hier en point de
presse — vous n'y étiez pas — et la CAQ avait réservé la
motion en même temps. Donc, on est tout à fait d'accord avec ça. D'ailleurs, on
le réclame depuis…
M. Caron (Régys) : N'y
a-t-il pas un débat d'urgence là-dessus aujourd'hui?
M. Khadir
: …on
le réclame depuis nombre d'années. Et déjà, et déjà, lorsque le PQ était au
pouvoir, j'avais réclamé la même chose aussi lorsque mon ami Stéphane Bergeron
était ministre de la Sécurité publique.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Bien, justement, Stéphane Bergeron a renoncé ce matin à ses responsabilités de
porte-parole de l'opposition officielle en matière de sécurité publique. Est-ce
que c'était la décision qui s'imposait, selon vous?
M. Khadir
: Oui,
pour être cohérent avec ce qu'on a dit à date. Quand il y a des controverses
d'une si grande importance, il faut que les personnes se mettent un peu en
réserve, et je pense que c'est le genre d'attitude honorable, c'est-à-dire se
mettre en dehors de ce débat. Parce que, clairement, les réponses qu'il a
fournies ici même hier étaient un peu, disons, inconsistantes avec, disons, ses
propres aveux et affirmations devant les médias en 2013.
M. Vigneault (Nicolas) :
Sur la SIQ, qu'est-ce que le gouvernement devrait faire à partir de maintenant,
à la lumière des informations qu'on a là?
M. Khadir
: Bien,
je n'en possède pas assez. Nous allons regarder le reportage de ce soir de l'émission
Enquête, mais il est clair que ce n'est pas quelque chose d'isolé, là,
et je rappelle que ça fait partie d'un ensemble, d'un tableau qui lie des
décisions prises par l'administration publique en lien avec des collecteurs de
fonds du Parti libéral. Est-ce que ça surprend quelqu'un? Est-ce que quelqu'un
peut dire : C'est peu plausible? Il y a une foule, quantité d'informations
énormes. Alors, je ne sais pas pourquoi le directeur de la poursuite criminelle
ne trouve pas matière là à poursuivre les responsables. Est-ce que c'est parce
que poursuivre les responsables impliquerait le premier ministre actuel du Québec?
Le premier ministre actuel du Québec, à chaque fois qu'il y a quelque chose de
cet ordre, est toujours impliqué avec quelqu'un qui n'est pas fréquentable, qui
semble avoir trempé dans des magouilles, qui a reçu des pots-de-vin, comme M. Porter.
L'autre, comment il s'appelait? M. Gold? Je ne me rappelle plus de... Hans
Black, hein? On se rappellera de Hans Black, de Porter, maintenant Bartlett. Il
s'entoure de gens qui ont des pratiques toujours douteuses. Est-ce que c'est parce
que la justice ne veut pas ennuyer le premier ministre du Québec? Il me semble
qu'en 2016 les citoyens du Québec peuvent s'attendre à une justice plus
impartiale. Merci beaucoup.
(Fin à 9 h 49)