(Neuf heures trente-quatre minutes)
Mme
Maltais
:
Alors, je suis ici pour commenter le reportage de l'émission Enquête qui
est passé à Radio-Canada hier soir. Je l'ai écouté avec attention et j'ai relié
certains éléments qui se sont déjà produits ici, à l'Assemblée nationale,
certaines questions qui ont déjà été soulevées et auxquelles Enquête a
donné, d'après nous, des réponses hier.
Ce que soulève le reportage d'Enquête,
c'est d'abord d'où vient cette décision politique. La vente des trois immeubles
qui ont été vendus, immeubles de la SIQ, a été inscrite dans le premier budget
déposé par Mme Monique Jérôme-Forget. C'est la seule fois où j'ai vu une
vente d'immeuble écrite dans un budget, et c'était dès l'arrivée du gouvernement
à l'époque, du gouvernement libéral.
Donc, c'était un ordre du gouvernement
libéral, dans un budget, de vendre ces immeubles. À l'époque, d'ailleurs, nous
avons posé de nombreuses questions. Il y a des papiers qui sont sortis suite à
la discussion autour de la vente de ces immeubles. Une d'entre elles est :
Pourquoi les règles ont-elles été outrepassées? Les immeubles ont été vendus en
bas de la valeur marchande, il n'y a pas eu d'appel d'offres, et, d'après le
reportage qu'on a vu, les Québécois se seraient floués de 47 millions de
dollars. 47 millions de dollars. Ce n'est pas 0,30 $, là,
47 millions de dollars.
Alors, c'est ce qu'on nous apprend hier,
mais pourquoi est-ce que les règles ont été outrepassées? Comment ça se fait
qu'il n'y a pas eu d'appel d'offres? Comment ça se fait qu'il n'y a pas eu d'évaluation
qui aurait fait que ça monte à la valeur marchande? La grande question : Qui
a signé une telle dérogation? Parce que, puisqu'on n'a pas eu les règles en
usage habituellement, il y a sûrement eu quelqu'un qui a autorisé ça. Il y a quelqu'un
qui a autorisé qu'on aille en bas de la valeur marchande. Qui a signé? Nous
devons savoir cela. Enfin, ça, c'est sur la vente elle-même, là, les questions
sur la vente.
Maintenant, les questions sur le résultat
de la vente. Où est l'argent? À quoi a-t-il servi? Et surtout à qui a-t-il
servi? On sait, que d'après le reportage, toujours, d'Enquête, si ça
s'avère vrai, il y a 2 millions de dollars qui se sont rendus jusque dans
des comptes aux Bahamas, dans des paradis fiscaux. Où est l'argent? Le Parti
libéral doit nous donner une réponse à cette question, et le chef du Parti
libéral, M. Couillard, ne peut pas se cacher derrière le fait qu'il y a une
enquête de l'UPAC. Quand ta maison est en désordre, tu dois faire l'ordre, tu
dois faire le ménage. Il doit expliquer aux Québécois où est l'argent, il doit
le savoir.
Deuxièmement, quels sont les liens du premier
ministre Philippe Couillard avec M. Wiliam Bartlett? Ça a été son organisateur
électoral en 2007. Y a-t-il eu d'autres liens entre eux? Y a-t-il eu d'autres
contacts depuis? Est-ce qu'ils se sont croisés autrement? C'est une question
que nous posons.
Finalement, les documents que Radio-Canada
a entre les mains, le rapport juriscomptable et les enquêtes, mais surtout le
rapport juriscomptable, sont entre les mains de Radio-Canada, Mme Marie-Maude
Denis, mais sont aussi entre les mains du Parti libéral du Québec, puisque le gouvernement
est libéral actuellement. Donc, le Parti libéral détient des documents
incriminants sur le Parti libéral du Québec et sur ses collecteurs de fonds.
Les Québécois sont en droit d'avoir ces documents. Ce rapport juriscomptable,
qui a été payé par les Québécois, doit sortir, il doit être sur la place
publique. Ce n'est pas normal qu'on ne l'ait pas.
Enfin, nous demandons ce que je dis que
nous avons demandé hier : une commission parlementaire où on pourrait voir
les quatre ensemble, Rondeau, Fava, Bartlett et Fortier. Nous demandons que le
rapport juriscomptable soit remis aux parlementaires avant cette commission pour
que nous puissions comprendre ce qui s'est passé et poser les bonnes questions
à ces personnages. Et enfin, nous demandons au Parti libéral de nous déposer le
résultat d'une enquête qu'il doit faire très rapidement sur l'utilisation de
ces fonds. Alors, voilà.
Je vous le dis, ce qui m'a jetée à terre hier
peut-être le plus, on me demande beaucoup des réactions aujourd'hui, je
n'ai jamais vu un scandale toucher de si près un premier ministre en exercice.
C'est pour ça qu'il ne peut pas se réfugier derrière l'UPAC. Il doit faire
preuve de la plus grande transparence. Il est premier ministre en exercice et à
la fois chef du Parti libéral. Merci.
M. Dutrisac (Robert) : Mme
Maltais, ce que je comprends du reportage, cependant, c'est qu'il y aurait eu
des appels d'offres, mais que la valeur des immeubles, compte tenu des
avantages qui ont été renégociés à la suite de l'appel d'offres, ont changé la
donne, ce qui fait que celui qui...
Mme
Maltais
:
Oui, mais c'était, semble-t-il, un appel d'offres où tout le monde connaissait
le gagnant à la fin. Ce n'est pas ce que j'appelle un appel d'offres quand tout
le monde a compris qui va gagner l'appel d'offres. C'est exactement ce qu'on
combat depuis des années au Québec et ce qui a fait l'objet de toutes les
discussions à la commission Charbonneau. Je n'appelle pas un appel d'offres
quelque chose où tout le monde dans le milieu, tout le monde dans le circuit
sait qu'il y a un résultat à la fin et que ça va être ça.
M. Dutrisac (Robert) : Et
puis, par rapport au chiffre, le 2 millions, il est par rapport aux baux,
donc aux deux autres transactions. Il y a 7 millions qui est relié à cette
transaction-là, qui ont été versés sous forme de commission.
Mme
Maltais
: On
essaie de démêler les chiffres, là. Je dois vous dire que je n'ai jamais vu
avoir autant de misère à démêler combien d'argent est allé en corruption ou est
allé... en allégations, en tout cas, là, alors en allégations de corruption ou
en allégations de fraude au Québec, là, c'est assez difficile. On essaie de
suivre. Il faut dire que le reportage d'Enquête est sorti hier et que
nous n'avons pas les documents entre les mains. C'est pour ça qu'on demande les
documents.
M. Robitaille (Antoine) :
Croyez-vous qu'un jour le trésor public pourra récupérer une partie de ces
sommes-là?
Mme
Maltais
: Il
le devra. Il y a des gens... j'espère, qu'on entendra, à un moment donné,
parler des résultats de l'enquête et de si le DPCP va agir. C'est l'autre question.
Est-ce que l'enquête est terminée? Est-ce que le DPCP ensuite va agir?
M. Lecavalier (Charles) :
Mme Maltais, j'imagine que vous avez vu l'entrevue avec Monique
Jérôme-Forget.
Mme
Maltais
:
Oui.
M. Lecavalier (Charles) :
Qu'est-ce que vous en pensez? Croyez-vous qu'elle a une part de responsabilité là-dedans,
qu'elle est responsable de ce gâchis?
Mme
Maltais
:
Monique Jérôme-Forget était ministre responsable de la SIQ. Qu'est-ce que ça
signifie, responsable? Ça veut dire que tu es en autorité directe. Elle dit
qu'on lui a imposé des nominations. Je m'excuse, là, des nominations, c'est toi
qui les signes comme ministre, c'est toi qui les proposes au Conseil des
ministres. Elle a une responsabilité.
Deuxièmement, il y avait des papiers. On
avait posé des questions sur cette vente. C'était dans son budget. Comment ça
se fait que, suite à toutes les questions qu'on a posées en Chambre, aux
papiers qui ont été écrits, elle ne s'est pas interrogée sur ce qu'elle était
en train de faire comme ministre? Monique Jérôme-Forget est absolument
responsable. Elle porte une partie de la responsabilité. Le laisser-faire n'est
pas une excuse pour un ministre ou une ministre, pas du tout. Ça n'existe pas,
ça.
M. Lavallée (Hugo) : Mais
elle sembler parler de ça avec beaucoup de désinvolture, vous ne trouvez pas?
Mme
Maltais
:
Exactement, mais, comme je l'ai dit, si elle a eu une commande politique,
qu'elle l'explique plus clairement.
M. Robillard (Alexandre) :
Acceptez-vous ses rétractations ce matin? Elle nuance ses propos.
Mme
Maltais
: Ça
n'allège pas sa responsabilité.
M. Robitaille (Antoine) : Est-ce
qu'il y a quelque chose comme une négligence ministérielle qui peut...
Mme
Maltais
: Ce
n'est pas de la négligence, il y avait un ordre politique de vendre. Ça ne
s'est jamais vu dans un budget. Le premier budget de Jean Charest où Monique
Jérôme-Forget, ministre des Finances, annonce qu'il va y avoir une vente
d'immeubles, ça ne s'est jamais vu. Ce n'est pas de la négligence, là. Il y a quelqu'un,
il y a des... puis, après ça, il y a des sonnettes d'alarme partout à travers
le Québec, puis ça continue comme si de rien était. Elle ne se poserait même
pas de question? Ça ne marche pas.
M. Robitaille (Antoine) : Croyez-vous
qu'il peut y avoir eu trafic d'influence, je veux dire?
Mme
Maltais
: Je
ne le sais pas. C'est ce qu'on verra, mais évidemment, c'est pour ça qu'on veut
le rapport du juricomptable.
M. Robitaille (Antoine) : Est-ce
que la nomination de M. Fortier semble être liée aux pressions de Fava et
Rondeau?
Mme
Maltais
: Écoutez,
il y a là-dedans... Moi, hier, ce qui m'a estomaquée du reportage d'Enquête,
c'était comme si on bouclait la boucle. Les nominations partisanes, ce dont on
avait entendu parler, le fait qu'il y avait des gens qui se réunissaient pour
faire toutes les nominations, MM. Fava et Rondeau qui étaient invités au bureau
du premier ministre pour faire des listes, ;a commission Bastarache où on
apprend qu'il y a des nominations de juges à partir de listes libérales, la commission
Charbonneau où on retrouve les mêmes noms qu'à la commission Bastarache, les
mêmes noms qui se réunissaient pour les nominations qui sont... puis les
problèmes qui sont soulevés, puis on se retrouve avec le scandale de la SIQ et
on retrouve les mêmes personnes, toujours des collecteurs de fonds libéraux,
toujours des gens proches des premiers ministres. Accès direct au bureau du
premier ministre, puis, à la fin, des comptes dans des paradis fiscaux. C'est
comme le... Je n'en reviens pas, là. C'est fantastique de voir que tout ça s'est
passé, qu'il y ait eu des signaux d'avertissement pendant des années et que
personne au Parti libéral, y compris Philippe Couillard, n'a réagi. Je suis
soufflée.
Mais, pour moi, hier, c'est comme si on
bouclait une boucle, là, d'à la fois le mélange, si c'est vrai, si le reportage
s'avère vrai, de corruption avec de l'incompétence. C'est totalement aberrant.
M. Lavallée (Hugo) : En même
temps, M. Couillard, ce n'était pas lui qui était premier ministre à l'époque.
Mme
Maltais
: M.
Couillard était membre du Conseil des ministres. M. Couillard aussi avait un
organisateur électoral qui s'appelait William Bartlett. Il doit s'expliquer sur
les liens entre lui et William Bartlett.
Deuxièmement, M. Couillard est chef du
Parti libéral depuis 2013, depuis 2013. Il ne peut pas se réfugier derrière les
enquêtes de l'UPAC. Il est chef du Parti libéral. Il doit s'expliquer. Il doit
remettre entre les mains des Québécois des explications sur ce qui s'est passé
au Parti libéral. Comme quand tu es ministre, tu portes le poids... quand tu es
dans un État, tu portes le poids du passé, quand tu es ministre, tu portes le
poids du passé. Il est le chef actuel du Parti libéral puis il était là pendant
ces années-là.
Alors, non, non, M. Couillard, là, il faut
qu'il soit un premier ministre solide, là. C'est un scandale qui le touche de
trop près pour qu'il n'agisse pas de façon un peu plus transparente.
M. Lavallée (Hugo) : Mais
parce qu'il nous a dit hier qu'il n'était pas au courant, donc il ne peut pas
agir s'il ne savait pas.
Mme
Maltais
:
Quels sont ses liens... Excusez-moi, là, de 2003 à maintenant, nous retrouvons
des collecteurs de fonds du Parti libéral et des noms qui sont... dont un,
maintenant, qui a été proche de lui, qui a été son organisateur dans
Jean-Talon. Il faut qu'il fasse la lumière sur ce qui s'est passé au Parti
libéral. Il n'y a personne d'autre à qui je peux m'adresser aujourd'hui qu'à Philippe
Couillard. C'est lui, le chef. Il n'y a personne d'autre à qui s'adresser, là.
Les Québécois, là, ils se tournent vers qui? Vers un premier ministre qui est
chef d'un parti qui est accusé, avec des éléments extrêmement troublants, de
fraude, de la plus grande fraude immobilière dans une société d'État au Québec
et même au Canada.
C'est lui, le chef, là. Il faut se tourner
à la fois vers le premier ministre et vers le chef du Parti libéral. Alors là,
là, lui, il n'a pas d'espace de jeu, là. Il ne peut pas laisser douter, il ne
peut pas laisser traîner quoi que ce soit. C'est le premier ministre du Québec.
Est-ce qu'on a une idée de la fonction? Il faut qu'il bouge.
M. Lavallée (Hugo) :
Concernant la demande d'enquête, là, sur l'argent qui a transité dans les
paradis fiscaux, à quel type d'enquête vous songez exactement? Une enquête
interne au Parti libéral?
Mme
Maltais
:
Bien, moi, je me dis d'abord que le Parti libéral doit être en train de faire
une enquête interne. Jamais je ne croirai qu'ils ne sont pas en train de
chercher où est l'argent, parce que c'étaient des collecteurs de fonds
libéraux.
Alors, ou bien ils se sont mis de l'argent
dans les poches personnellement en utilisant le Parti libéral, et les
nominations, et le gouvernement, l'argent des contribuables, ou bien l'argent
est retourné au Parti libéral. Mais là, il faut qu'on ait la réponse, là. On ne
peut pas ne pas avoir la réponse à cette question : Où est l'argent?
Est-ce qu'il est dans ces comptes aux Bahamas, qui appartiennent à des particuliers,
collecteurs de fonds, ou est-ce qu'il y en a une partie qui est retournée au
Parti libéral?
On ne peut pas vivre avec un premier
ministre qui laisse planer quelque chose comme ça, là, qu'on pense qu'il y a de
l'argent qui a servi à son élection qui viendrait de cette fraude-là. Comprenez
ce que ça... C'est dévastateur, à Enquête, hier soir, là. Il faut
prendre conscience de l'ampleur du problème. Pour moi, là, c'est dévastateur.
Si c'est vrai, seul le chef du Parti libéral, qui est le premier ministre
présentement, là, peut nous donner des éléments de réponse, là, est-ce que
c'est vrai, est-ce que ce n'est pas...
M. Robillard (Alexandre) : ...les
tribunaux aussi.
Mme
Maltais
:
Les tribunaux aussi, mais là, lui, là, il est premier ministre en exercice, en
fonction. Il est chef du Parti libéral en même temps.
M. Robitaille (Antoine) : Si
jamais il n'y avait pas d'accusation du DPCP, que concluriez-vous?
Mme
Maltais
: Je
continuerais à trouver extrêmement troublante toute cette histoire qui traîne
depuis 2003, extrêmement troublante, et je conclurais quand même que des
collecteurs de fonds libéraux se sont servis de leurs accointances avec le
Parti libéral pour vendre des immeubles qui en valaient... à bas prix, pour
acheter à bas prix des immeubles, les revendre... je ne sais plus, là, je suis
un peu... mais les Québécois ont perdu 47 millions de dollars dans
l'entreprise. Il y a quand même un problème.
M. Dutrisac (Robert) : Bon,
on ne peut quand même pas présumer qu'il y a des liens entre le financement du
Parti libéral puis cette fraude alléguée.
Mme
Maltais
:
Non. On peut toutefois, M. Dutrisac, se dire que ce sont des collecteurs de
fonds libéraux. O.K.
M. Dutrisac (Robert) : Oui,
mais s'ils ont contribué au Parti libéral avec cet argent-là, ils n'ont certainement
pas contribué... la limite légale de contribution de 3 000 $ par
individu. Donc, on parle d'argent comptant ou de financement. C'est
particulièrement illégal. Il n'y a pas de prête-nom ou quoi que ce soit.
Mme
Maltais
:
C'est pour ça qu'il faut qu'on sache où est l'argent. Vous posez la question
qu'on se pose tous. Où est l'argent? Quel est le circuit? Quel est le chemin?
Il a fallu que ça passe par l'Europe pour s'en venir aux Bahamas. Il y a quand
même quelque chose de dangereux dans ces transits, on le sait tous. Quand on
s'en va faire des transits comme ça pour cacher de l'argent dans les paradis
fiscaux, c'est parce qu'il y a un problème. Premièrement.
Deuxièmement, il faut connaître les liens
entre M. Bartlett et M. Couillard pour que tout ça se libère, tout ça
se nettoie. Merci beaucoup.
(Fin à 9 h 49)