(Treize heures trente-quatre minutes)
M. Khadir
: Alors, je
voudrais vous parler d'une motion qu'on présente pour demander au gouvernement
de revoir... en fait, d'accepter de revoir les nominations que fait le bureau
du premier ministre depuis une vingtaine d'années.
Mais avant je voudrais mentionner deux
mots sur les infirmières de Sainte-Justine, les infirmières de la salle
d'accouchement de Sainte-Justine, qui ont témoigné hier, qui ont tiré la
sonnette d'alarme sur la situation dans le réseau. Au même moment, moi, je me
trouvais à mon hôpital et je peux vous dire que c'est vraiment la pointe de
l'iceberg. Spontanément, les infirmières de la clinique externe de mon hôpital
sont venues me dire : Ce que vous avez entendu ce matin, là, nous aussi,
on pourrait dresser une liste puis vous montrer toutes les choses qui vont
croche à cause des coupures du gouvernement.
Et moi, ce matin, j'ai été saisi du lien, et
ça, c'est ressenti par les gens, et il y a eu quelques patients, en fait, des
parents de jeunes enfants qui m'ont croisé et à qui j'ai parlé là-dessus. Les
gens se disent : Mais, bon sens, avec l'argent gaspillé par le
gouvernement, dans les avantages qu'il accorde comme dans le scandale de la
vente des bâtiments par la société d'investissement du Québec, à cause de
l'influence des «bagmen» du Parti libéral, c'est scandaleux qu'aujourd'hui on
assiste à des coutures puis on entende ce qui se passe dans le réseau. Et je
pense que tout le monde convient de le dire.
Maintenant, je pense que l'ensemble du
Québec a été révolté par les révélations à la fois sur l'espionnage des
journalistes et sur ce qu'on a entendu sur l'influence des organisateurs
proches de M. Couillard et des «bagmen» libéraux sur des décisions importantes
qui ont coûté au moins 47 millions de dollars à l'État québécois dans la
vente de trois immeubles à rabais, à des intérêts privés, à des proches du
Parti libéral.
Maintenant, on comprend aussi que ça, c'est
en lien direct parce que la boucle est ainsi bouclée. Comment se fait-il que
tous les journalistes qui ont été espionnés, c'est des journalistes d'enquête
sur la corruption politique? C'est des journalistes d'enquête qui mettent le
nez non pas dans les crimes de violence urbaine, ou de vente de drogue, ou de
meurtre à la petite semaine, mais sur des orientations et des décisions problématiques
du pouvoir municipal ou du pouvoir national ici, à Québec?
Quand on voit par ailleurs qu'un enquêteur
de la pointure de celui qui a témoigné à l'émission d'Enquête nous dire
indirectement que je fais ça, que je vous parle, que je prends la liberté de
parler à vous de tout ça, parce que je ne veux pas que le travail des
enquêteurs de l'UPAC soit gaspillé, il est évident qu'il agit là comme sonneur
d'alarme, comme les infirmières agissent comme sonneurs d'alarme, comme les
sources des journalistes agissent comme des sonneurs d'alarme.
Alors, aujourd'hui, je voudrais demander
au ministre Barrette et au gouvernement Couillard d'être cohérents. Ils ont dit
qu'ils étaient préoccupés par l'espionnage ou les tentatives d'étouffer des
affaires, d'espionnage des journalistes et la tentative d'étouffer ces affaires
à l'entour de ces mandats donnés... et demander donc au ministre Barrette, plutôt
que de déplorer que des gens dans l'intérieur du réseau sonnent l'alarme, déplorent
ce qui se passe, de s'attarder à régler les problèmes, mais surtout encourager
tous les acteurs du réseau, y compris les directeurs des CISSS, auxquels j'ai
écrit une lettre tout à l'heure, que je vais envoyer aujourd'hui, pour leur
demander de donner la pleine possibilité à leur personnel de venir sur la place
publique, de s'adresser directement au public pour dénoncer ce qui se passe actuellement
dans le réseau.
Mais on va demander au gouvernement d'être
conséquent également. Donc, par motion, en Chambre, on va demander au gouvernement
d'accepter une motion qui confie une mission à la Commission des institutions
de l'Assemblée nationale de revoir tous les processus de nomination par les
bureaux des premiers ministres. Vous savez que les premiers ministres, bon an,
mal an, nomment 300 personnes à différents postes : juges, tribunal
administratif, à la direction des grandes sociétés d'État, sur des C.A. des sociétés
parapubliques. Ces gens-là prennent des décisions, comme on l'a vu avec Franco
Fava à l'intérieur du conseil d'administration du CSST. Donc, on demande un
mandat donné à la Commission des institutions de revoir tout ça de 1996 à 2012.
On ne vise pas uniquement le Parti libéral, on s'intéresse vraiment au
processus pour s'assurer que dorénavant ce processus est exempt de toute
influence indue par des «bagmen» qui ont comme tâche de ramasser de l'argent
pour les partis qui arrivent au pouvoir.
M. Lacroix (Louis) : M.
Khadir, il y a déjà le rapport Perrault, là, qui avait été fait sous Pauline
Marois en 2013, qui traîne sur une tablette quelque part. Est-ce qu'il n'y a
pas lieu de s'inspirer de ce qui avait déjà fait par M. Perrault à
l'époque?
M. Khadir
:
M. Perrault n'est pas allé assez loin, à mon humble avis. Je me souviens maintenant
de ce rapport qui pourrait constituer une base, mais il est clair que, pour
qu'on puisse aller aussi loin que j'estime nécessaire d'y aller, il faut d'abord
que les deux partis qui se sont échangé le pouvoir montrent la transparence nécessaire
en nous dressant la liste de toutes les personnes qui ont agi pour eux comme
principaux collecteurs de fonds. Je parle vraiment de ceux qui agissaient au
niveau, là, de régions. Vous savez qu'au Parti libéral il y avait des divisions
régionales : l'Est-du-Québec, Montréal, etc.
Donc, il faut qu'on ait une liste qui va
au-delà de ceux qu'on connaît déjà, hein? Au Parti libéral, on connaît Marc Bibeau,
Franco Fava, Charles Rondeau. Au Parti québécois, on connaît Marcel Melançon et
Me Michel Hébert. Il y en a d'autres, d'accord? On voudrait avoir cette liste
et que la commission ait tous les pouvoirs d'une commission de l'Assemblée
nationale pour mandater le personnel de l'Assemblée nationale de fouiller
toutes les nominations qui sont associées, de l'examiner, de le mettre cartes
sur table, aux yeux du public et des journalistes, pour qu'on puisse juger de
ce qui a été fait, parce qu'ensuite il faut aussi éclairer les décisions que
prennent certaines personnes.
Aujourd'hui, là, moi, je vous ai posé la
question : Pourquoi est-ce que les mandats ont été octroyés par des juges?
Comment se fait-il que des juges aussi bien formés au Québec… On a un des
meilleurs systèmes judiciaires, paraît-il, au monde, sauf les problèmes
d'accessibilité qu'on connaît, hein, qui créent tout le désarroi. Comment ça se
fait que ces juges ont octroyé ces mandats? Est-ce que ça peut être en lien
avec des nominations?
On se rappellera de la controverse qui
avait entouré la nomination de M. Marc Bisson, de Me Marc Bisson comme juge.
Vous rappelez-vous, hein? Norman MacMillan avait admis qu'il avait poussé le
nom, d'accord? Franco Fava admet qu'il dresse des listes pour le bureau du
premier ministre Charest qui nomme les personnes, qui nomme ces juges-là.
Alors, est-ce qu'il y a un lien? On voudrait le savoir parce que c'est lui qui
a autorisé, qui a donné le mandat pour Patrick Lagacé.
Donc, oui, on va utiliser ça, mais ça ne
va pas assez loin. Il faut aller beaucoup plus loin.
M. Vigneault (Nicolas) :
Comment vous réagissez, d'abord, quand vous entendez le premier ministre dire
que les oppositions, finalement, lancent des accusations par association?
M. Khadir
: Bien,
alors, cette commission va permettre de faire la distinction entre des associations
gratuites par association... je veux dire, des accusations gratuites par
association puis ce qui a lieu d'être fondé.
Mais je signale à M. Couillard que, là, sa
cassette commence à être usée. À chaque fois qu'on dit qu'il y a un problème au
Parti libéral… puis on voit la trace des gens qui sont proches de lui, que ce
soit M. Bartlett, que ce soit M. Hans Black, que ce soit Arthur Porter. Il nous
sert ça, mais au bout d'un moment, il y a lieu de questionner : Comment
cela se fait-il que M. Couillard, il est toujours entouré et associé à des
gens qui se trouvent à avoir des comportements éthiquement, moralement
inacceptables?
M. Lacroix (Louis) : M.
Legault, tout à l'heure, a fait le lien direct, lui, sur le reportage d'Enquête,
là, avec les fonds qui reviendraient, selon ce qu'il dit, dans les coffres du
Parti libéral. Est-ce que vous faites ce lien-là, vous?
M. Khadir
: Je
n'ai aucun doute là-dessus. C'est les pratiques du type de parti qu'a été le
Parti libéral déjà. M. Couillard dit que le Parti libéral n'est plus comme ça,
mais, en tout cas, on est certains… Il suffit de lire le rapport de la
commission Charbonneau, et, pour moi, le rapport de la commission Charbonneau,
c'est la version de la juge et non de la dissidence de M. Renaud, qui a été complètement
discrédité. D'accord?
Alors, la juge Charbonneau dit clairement qu'il
y a un lien entre le financement du Parti libéral, et les contrats, et les orientations
du gouvernement libéral. En fait, même M. Renaud reconnaît ça. Et ce mécanisme,
dans tous les pays où ça a agi — on connaît le cas de la France, aux
États-Unis, c'est clair — les intermédiaires se mettent de
l'argent dans les poches. D'accord? Mais cet argent dans les poches, qui est
mis dans la poche des intermédiaires, s'il n'y a pas un lien entre cet
argent-là et le financement des partis, les partis ne prendraient pas les
risques qu'ils prennent. C'est des risques énormes.
Donc, le Parti libéral, jusqu'à preuve
du...
M. Lacroix (Louis) : Mais il
n'y a pas de «smoking gun»...
M. Khadir
:
Excusez-moi, je vais juste finir. Jusqu'à preuve du contraire, cet argent-là
est allé dans la caisse du Parti libéral, à moins que M. Couillard nous
prouve le contraire. Le fardeau de la preuve aujourd'hui, avec tout ce qu'on
connaît depuis autant d'années avec la commission Charbonneau, le fardeau de la
preuve est sur les épaules du Parti libéral et de M. Couillard. Jusqu'à preuve
du contraire, une preuve claire, l'argent qui a été soudoyé, l'argent qui a été
mis dans la poche de M. Fava et M. Rondeau, une partie a dû finir dans la
caisse du Parti libéral.
M. Lacroix (Louis) : O.K.
Mais il n'y a pas l'élément qui permet de le démontrer, la preuve irréfutable.
M. Khadir
: C'est à M.
Couillard de nous le démontrer. C'est à M. Couillard de nous ouvrir tous
les livres comptables du Parti libéral, tous les comptes. Puis ça, ça n'a pas
besoin d'être devant moi, ça peut être devant une commission indépendante.
M. Lacroix (Louis) : Donc, le
fardeau de la preuve est sur ses épaules à lui.
M. Khadir
: C'est sur
ses épaules.
M. Robitaille (Antoine) : Si
on s'arrête à ce qu'on a, là, comme informations, là, le Parti libéral vend un
immeuble, fait un gros gain en capital et ensuite se dépêche de le dépenser en
achetant deux autres immeubles, que pensez-vous d'un parti qui fait dans
l'immobilier? Son siège social...
M. Khadir
: Son siège
social récemment, celui qui était sur la rue Waverly, là?
M. Robitaille (Antoine) :
Oui. Que pensez-vous de ça?
M. Robitaille (Antoine) :
Waverly est vendu; après ça, ils ont acheté la rue Queen; et ensuite, à Québec,
ils ont acheté aussi un siège social à 950 000 $.
M. Khadir
: M.
Robitaille, j'ai honte de mon ignorance. Dans la position où je suis, je suis à
l'affût de ces informations-là, et, s'il y a là-dedans une partie de cet argent
qui a servi à acheter d'abord l'immeuble et maintenant de faire des gains en
capitaux pour en acheter d'autres, c'est immoral parce que c'est avec cet
argent mal acquis puis ensuite acquis par des procédures, comme on dit, de
capitalisme primaire, spéculatives. C'est sûr que ça prouve encore une fois que
le pouvoir actuel, au Québec, est rendu illégitime par les moyens que prennent
les partis pour se ramasser du cash.
M. Vigneault (Nicolas) : Sur
les élections américaines, est-ce que l'élection de M. Trump vous fait peur?
Est-ce que vous craignez l'élection de M. Trump, par exemple?
M. Khadir
: Bien sûr,
comme l'ensemble de la planète. Mais ce qui est désolant, c'est qu'on est tous
conscients à quel point c'est inadmissible que la plus grande puissance
mondiale n'offre à sa population comme choix que M. Trump et Mme Clinton,
impossible pour cette puissance d'offrir une voix, par exemple, à un Bernie
Sanders, mais, dans le fond, de ne pas reconnaître que, si on en est rendus là,
c'est à cause d'un désabusement de la population. Si autant de gens haïssent à
la fois Mme Clinton et M. Trump, c'est à cause d'un désabusement de la population
devant les promesses non tenues de tant de partis qui sont arrivés au pouvoir
et qui se sont dépêchés de briser toutes leurs promesses et de, par l'exemple
des politiques et des orientations prises, démontrer au jour le jour qu'ils
s'intéressent peu, pratiquement plus, au sort de leurs concitoyens. Ils sont
simplement là pour exercer le pouvoir et agir dans l'intérêt des plus nantis.
M. Vigneault (Nicolas) : Est-ce
que c'est un danger, l'élection de M. Trump? Iriez-vous aussi loin que ça?
Est-ce que c'est un danger, pour vous, l'élection de M. Trump?
M. Khadir
: C'est un
danger pour la planète. C'est un danger pour, d'abord, la société américaine,
pour les citoyens d'origines diverses, pour les citoyens latinos, c'est un
danger pour tous les pays qui ont à oeuvrer avec les États-Unis dans des
accords internationaux, par exemple, pour la protection du climat ou dans des
accords internationaux pour la protection des populations vulnérables, pour le
financement de projets, des projets de santé, des projets de protection. C'est
sûr, M. Trump ne sera pas là en plus du fait qu'il va avoir une attitude
unilatérale avec, à sa disposition, la plus grande armée, la plus grande
puissance économique du monde et la plus grande puissance monétaire du monde.
M. Lecavalier (Charles) : M.
Khadir, pour revenir sur la SQI, que pensez-vous de la sortie de Mme
Jérôme-Forget à l'émission Enquête, sur le fait qu'elle n'a pas suivi ce
qui se passait à la SQI parce que ça ne l'intéressait pas? Est-ce que vous
croyez que ça ternit aussi l'image du politique puis du rôle...
M. Khadir
: Bien,
cette attitude désinvolte puis cette réponse désinvolte, en soi, est
inacceptable et ternit, comme vous dites, la réputation de la fonction même de ministre
responsable. Mais moi, je ne la crois pas une seconde. Elle était au centre de
ces opérations. C'était une ministre à 100 000 $ elle-même du gouvernement
Charest. Elle était complice du suspect numéro un du scandale de la corruption au
Québec. Elle était une ministre séniore du gouvernement Charest, qui est le
suspect numéro un de la commission Charbonneau.
Alors, pour moi, pour moi, Mme Jérôme-Forget,
avec quelques autres ministres séniors, comme quelques-uns qui sont ici, les
Sam Hamad, les Jean-Marc Fournier de ce monde, avec Nathalie Normandeau,
constituent le noyau dur de ce qui a consisté à la bande organisée de ministres
qui autorisaient des gens comme Franco Fava, Charles Rondeau, de dicter les
nominations, de financer le Parti libéral, de les aider à arriver au pouvoir
puis ensuite prendre des décisions aussi malheureuses à l'encontre de l'intérêt
public, c'est-à-dire de remercier leurs amis, d'offrir des immeubles sur des
plateaux d'argent, avec des avantages cumulant 47 millions de dollars à
des amis du pouvoir. Donc, elle est responsable, je dirais, de cette honte et
de cette corruption des décisions politiques en premier lieu. C'était la ministre
responsable.
M. Lecavalier (Charles) : Qu'est-ce
que ça vous dit quand Mme Jérôme-Forget dit que le bureau du premier
ministre arrive, lui dit : C'est lui que vous allez embaucher à la tête de
la SQI, qu'elle-même considère que ce n'est pas quelqu'un qui est très bon,
elle va l'embaucher quand même parce que le bureau du premier ministre lui dit
de l'embaucher? Qu'est-ce que ça vous dit sur… Je veux dire, quels sont les
talents dans…
M. Khadir
: Je vais
peser mes mots, M. Lecavalier, mais, dans n'importe quel groupe de malfaiteurs,
il y a un chef puis il y a aussi des complices. Et, quand les complices
décident d'obéir au chef, ils sont complices et ils sont autant responsables
que le premier suspect. Et Mme Forget faisait partie d'un groupe de ministres
obéissant à un premier ministre qui est le premier suspect du scandale de la
corruption dans l'octroi des contrats publics dans le domaine de la
construction et dans les décisions du gouvernement libéral.
Des voix
: Merci.
(Fin à 13 h 49)