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Point de presse de M. Jean-François Lisée, chef de l’opposition officielle, et M. Nicolas Marceau, porte-parole de l’opposition officielle en matière de relations Québec-Canada

Version finale

Wednesday, November 9, 2016, 8 h

Hall principal de l'hôtel du Parlement, hôtel du Parlement

(Huit heures six minutes)

M. Lisée : Alors, mesdames, messieurs, ce matin la planète se réveille avec un... je dirais, un peu sonnée de ce qui s'est passé aux États-Unis hier. Évidemment, la démocratie américaine a parlé, il faut la respecter. Les Américains se sont présentés en assez grand nombre pour les taux de participation historiques américains. La bataille a été extraordinairement serrée, le pays est très divisé. Même sur l'ensemble du vote populaire, on voit que Mme Clinton a légèrement plus de voix que M. Trump, mais il y a un nouveau président américain. Il s'appelle Donald Trump.

On entre dans une période de turbulences, c'est certain, une période d'incertitude. Je pense que la principale victime de l'élection d'hier, c'est la lutte contre le réchauffement planétaire. M. Trump fait partie de ceux qui croient que ça n'existe pas et que le gouvernement américain ne devrait pas investir pour empêcher l'augmentation des gaz à effet de serre, et c'est donc un recul majeur d'une ou deux décennies. Il a été tellement difficile à toutes les nations de faire en sorte que les États-Unis, la Chine, l'Inde puissent décider à Paris, l'an dernier, d'être sur une même feuille de route pour réduire les gaz à effet de serre. Aujourd'hui, on vient de perdre un joueur majeur et on ne peut pas voir les conséquences que ça aura sur le reste des engagements des pays.

Pour ce qui est du Québec, moi, je dirais que la situation économique québécoise est très imbriquée dans l'économie américaine, avec ou sans l'ALENA d'ailleurs. On pense que la présence des produits québécois dans le marché américain est très forte, comme la présence des produits américains sur le marché québécois. Il n'y a aucun intérêt économique qui ferait en sorte de vouloir perturber la libre circulation de nos biens et de nos services de part et d'autre et que, si le président Trump voulait revenir à une situation antérieure, par exemple en rétablissant des tarifs douaniers qui existaient avant l'ALENA, il se heurterait à la totalité des lobbys d'affaires américains. Alors, je pense que ce n'est pas dans les cartes, et qu'un certain réalisme économique va s'imposer, et qu'on n'est pas dans les priorités américaines.

La question du mur avec le Mexique est un problème beaucoup plus grave, beaucoup plus difficile, et je pense que les Québécois ne doivent pas s'inquiéter d'être... et les Canadiens, d'être la cible de modifications. Évidemment, sur certains dossiers qui nous préoccupent, comme le bois d'oeuvre, la position américaine était déjà extrêmement inflexible. Alors, ce sera difficile d'être pire. On pense toujours que ça ne peut pas être pire, donc on verra, mais la situation était déjà difficile.

Pour le reste, je pense qu'on a... En bons démocrates, on félicite l'élection du nouveau président qui a lui-même félicité Mme Clinton pour sa campagne. En tant que féministes, évidemment, on aurait voulu être ici ce matin pour célébrer l'élection d'une première femme présidente des États-Unis. On aurait aimé être ici ce matin pour célébrer l'élection de quelqu'un qui croit en la dignité des femmes, qui croit que les problèmes de... enfin qu'il y a une autre attitude que celle du président américain actuel. Et on entendait beaucoup hier... et moi, j'ai reçu des courriels, ce matin, des gens qui disent : Bien, qu'est-ce que je dis à mes filles maintenant? Qu'est-ce que je dis à mes filles?

Alors, c'est troublant, mais on va faire avec. Et je me souviens du lendemain de l'élection de Ronald Reagan, du lendemain de l'élection de George W. Bush et de sa réélection, et on était dans un état assez semblable à celui qui nous habite aujourd'hui et puis finalement on a survécu. Et l'Amérique nous a surpris en élisant un Barack Obama quelques années plus tard, donc la capacité de rebond des Américains est remarquable.

Ce n'est pas la seule nouvelle aujourd'hui. On va parler, je pense, de M. Bartlett, et nous, on a une motion du mercredi cet après-midi. Alors, il y a plusieurs pages dans un journal, alors, à partir de la quatrième page, il y aura peut-être de la place pour ce dont on va vous parler aujourd'hui. Je vois de l'incertitude au Journal de Montréal, au Journal de Québec.

Alors, écoutez, il y a deux événements importants qui se sont produits dans le dossier de l'injustice économique canadienne face au Québec, ces derniers jours. Comme vous le savez, le Québec a financé l'ensemble de son hydroélectricité à partir de ses propres fonds, jamais en ayant quelque soutien que ce soit de la part du gouvernement fédéral. Et, lorsque Terre-Neuve a décidé de développer son propre site hydroélectrique à Muskrat Falls, le gouvernement canadien a décidé de lui donner une garantie de prêt, ce qui permet une économie substantielle à l'entreprise terre-neuvienne et donc aux contribuables terre-neuviens. Le Québec en entier était contre cette décision fédérale qui donne un avantage comparatif à ce qui est un concurrent. Et, malgré la demande unanime de l'Assemblée nationale, le gouvernement canadien, les 40 députés libéraux fédéraux n'ont rien dit, les 16 députés fédéraux du NPD n'ont rien dit, et donc c'est devenu une réalité la semaine dernière.

Alors, le gouvernement de M. Couillard, d'abord, s'est opposé, mais a changé de tactique cette semaine, et le ministre Fournier, dans une lettre ouverte, a dit : Il faudrait trouver une solution gagnant-gagnant. Alors, on s'est demandé, Nicolas et moi : Bien, qu'est-ce que ce serait une solution gagnant-gagnant pour le Québec? Et on a fait des calculs, si le Québec était traité avec équité, avec justice, selon les mêmes termes que Terre-Neuve, qu'est-ce que ça donnerait, et je vais laisser à Nicolas vous indiquer ce à quoi on en est venus.

M. Marceau : Oui. Merci, Jean-François. Bonjour, tout le monde.     Alors, simplement quelques chiffres. Vous vous rappelez que le projet, donc, fait l'objet d'une garantie de prêt du gouvernement fédéral. Initialement, la garantie de prêt était de 6,2 milliards de dollars, mais elle a été augmentée, là, à la suite de la décision du gouvernement fédéral la semaine dernière, et aujourd'hui cette garantie de prêt est de 9,2 milliards de dollars. Il faut voir ce que ça représente ou ce que ça représenterait pour le Québec si on obtenait l'équivalent.

La garantie de prêt initiale permettait à Terre-Neuve, à l'entreprise terre-neuvienne, de sauver un milliard de dollars en frais d'intérêt. Et donc, si on applique le même principe à la garantie de prêt augmentée de 9,2 milliards de dollars, on arrive à 1,5 milliard de dollars d'économies à Terre-Neuve. Et là ce qu'on a fait, c'est simplement rapporter ça en termes per capita, parce qu'il faut voir que la population terre-neuvienne est 16 fois inférieure à celle du Québec. Là, il y a 530 000 habitants, et nous sommes 8 millions.

Alors, le 1 460 000 000 $ en per capita est rapporté à la population du Québec. Pour que tout le monde le sache, ça représente 23 milliards de dollars. Donc, l'économie réalisée à Terre-Neuve, de 1,5 milliard, si un geste était posé par le fédéral nous permettant nous aussi d'économiser, il faudrait que ça soit un geste permettant de sauver 23 milliards de dollars. Alors, vous voyez l'ampleur du cadeau qui a été fait à Terre-Neuve par le gouvernement fédéral.

Par ailleurs, il est utile de rappeler qu'au partir du début des années 2000, lorsque Terre-Neuve a commencé à exploiter le pétrole, le gouvernement fédéral a fait un gros cadeau aussi en permettant que ces revenus pétroliers n'affectent pas les paiements de péréquation à Terre-Neuve, et les montants qui avaient été consentis à l'époque à Terre-Neuve étaient considérables là aussi. On parle de 4,6 milliards de dollars, soit 8 700 dollars par année... pardon, par habitant. Et, encore une fois, rapporté sur une base per capita, et j'aimerais que vous le compreniez, le 4,6 milliards de dollars qui a été donné à Terre-Neuve, ça représente, en équivalent pour le Québec, 72 milliards de dollars. Je sais que les chiffres sont gigantesques, mais il faut bien comprendre que c'est l'ampleur du cadeau qui a été donné à Terre-Neuve, 72 milliards. Ça, c'est les ententes extracôtières.

Finalement, une autre façon de voir le monde, c'est que le Québec, comme Jean-François le disait, a, depuis très longtemps, construit des ouvrages, des barrages hydroélectriques, des lignes de transport et, pour y parvenir, s'est endetté. Et, si simplement le gouvernement fédéral garantissait la dette d'Hydro-Québec, c'est-à-dire nous permettait... disait, dans le fond, aux emprunteurs, à ceux qui achètent des obligations d'Hydro-Québec qu'advenant qu'Hydro-Québec ait de la difficulté à rembourser, le fédéral va payer, donc la dette d'Hydro-Québec, qui aujourd'hui s'élève à 43,6 milliards de dollars, si elle était garantie par le gouvernement fédéral, ça nous permettrait de réduire le taux d'emprunt d'environ un point de base et ça permettrait à Hydro-Québec d'économiser 13,5 milliards de dollars.

Alors, vous voyez l'ampleur des cadeaux qui ont été versés à Terre-Neuve. J'arrête là-dessus, je veux simplement que vous compreniez que ce que nous demandons, ce n'est rien d'autre que l'équité, un traitement équivalent. Les cadeaux qui ont été versés à Terre-Neuve sont importants, et là on a des cadeaux qui sont versés puis, en même temps, on rend le monde plus difficile pour le Québec puis pour Hydro-Québec en particulier.

M. Lisée : C'est extrêmement grave parce que ce dossier-ci, comme plusieurs autres dont on parlera dans les mois qui viennent, montre qu'il y a un genre de système canadien qui appauvrit le Québec relativement. Il y a ça, il y a d'autres choses, il y a des investissements productifs que nous n'avons pas. Nous sommes dans un système fédéral qui, de plusieurs façons, désavantage le Québec et appauvrit relativement le Québec. L'argument qui a été avancé par le gouvernement Harper pour donner une garantie de prêt à Terre-Neuve, c'est de dire : Ah! bien, maintenant, on veut appuyer les initiatives vertes. Bien, des initiatives vertes, on en a au Québec, et, si le même principe s'appliquait à la dette d'Hydro-Québec, nous aurions une économie considérable.

Alors, l'équité... c'est ce qu'on dit à M. Fournier, à M. Couillard : Vous avez proposé quelque chose de gagnant-gagnant, on aime rendre service, on vous donne une proposition, quelle est la vôtre?

La Modératrice : M. Marceau et M. Lisée vont maintenant prendre vos questions. Merci de respecter la règle de la question et sous-question.

M. Foisy (Philippe-Vincent) : Philippe-Vincent Foisy, de Cogeco. Est-ce qu'il est maintenant temps pour Québec de développer des nouveaux marchés beaucoup plus agressivement, si jamais il va y avoir des problèmes avec les États-Unis, avec l'élection de M. Trump?

M. Lisée : Bien, lorsque j'étais ministre du Commerce extérieur, c'était effectivement une stratégie importante, mais déjà, de toutes les provinces canadiennes, le Québec est le lieu où nous avons la plus grande part de nos acheteurs étrangers. Nous sommes, des provinces canadiennes, le moins dépendant des États-Unis. C'est bien sûr notre premier client, mais la diversification de nos marchés, que ça soit en Europe, en Asie, au cours des 15 dernières années, a été très agressive, nous a permis de développer. Et, même pendant la crise, le développement de nos ventes ailleurs qu'aux États-Unis a été le principal facteur de croissance de nos exportations.

Alors, c'est une stratégie qu'il faut prolonger, c'est une des raisons pour lesquelles Nicolas et moi étions très partisans de l'accord de libre-échange avec l'Europe. Nous avons des bémols, effectivement, sur le fait que le Canada appauvrit notre industrie laitière et fromagère pour avoir cet accord-là, ça, c'est inacceptable, mais quand même, la raison pour laquelle le Québec a été le générateur de cette proposition-là, c'est qu'on est relativement les principaux exportateurs en Europe, et la fin de ces tarifs douaniers sur énormément de nos produits, du sirop d'érable à la motoneige, puis des tarifs douaniers qui étaient de 6 % à 13 %, qui vont disparaître grâce à l'accord, ça va nous aider, nous.

Et, s'il y a une bonne nouvelle dans l'élection de M. Trump, c'est que c'est probablement fini, la possibilité qu'il y ait une entente parallèle entre l'Europe et les États-Unis. Nous, ça fait notre affaire parce que notre avantage comparatif sur l'Europe va rester et donc nos concurrents américains n'auront pas ce même avantage.

M. Foisy (Philippe-Vincent) : Hier, vous disiez que M. Trump était dangereux. Donc, outre l'économie, qu'est-ce que vous voyez comme menace dangereuse pour le monde de façon plus générale, par rapport à M. Trump?

M. Lisée : Bien, c'est sûr que c'est un élément d'instabilité important, les propos qu'il a tenus sur l'OTAN, les propos qu'il a tenus sur la prolifération nucléaire. Il y a un moment où il a dit que ça serait une bonne chose que le Japon ait la bombe et d'autres pays. Il s'est rétracté par la suite. J'espère que la deuxième version était la bonne, mais, comme je l'ai dit au début, le principal effet négatif, c'est le retrait des Américains du groupe des nations qui veulent freiner le réchauffement climatique.

La Modératrice : M. Boivin.

M. Boivin (Simon) : Bonjour, M. Lisée, M. Marceau. J'aimerais savoir comment vous l'expliquez, le vote d'hier. Il y en a qui ont comparé ça un peu au vote du Brexit, une expression de la colère de la classe moyenne. Et est-ce que vous avez l'impression que c'est un mouvement qui pourrait donner un... qui se donne un élan jusqu'en France, par exemple?

M. Lisée : Bien, j'écoutais Michael Moore hier, qui faisait des commentaires et qui, lui, comme vous savez, était pour Bernie Sanders, mais qui disait que dans son patelin de Flint, au Michigan, dans ces zones désindustrialisées, depuis des mois et des mois, il disait : Regardez, ces gens-là vont voter Trump. Pourquoi? Parce que ce sont des gens qui ont été victimes de la crise, qui ont été victimes de la crise aussi du «housing», c'est-à-dire qui ont perdu leurs maisons et qui ont été maltraités par l'économie américaine qui a été extraordinairement inégale dans la façon de distribuer les fruits de la croissance, hein?

On sait qu'aux États-Unis les inégalités de revenus sont énormes. Le 1 % de la population les plus riches contrôlent une partie, je ne me souviens plus du chiffre, c'est 26 %, je pense, des revenus annuels et que donc il y a des gens qui sentent qu'ils se sont fait avoir, que c'est l'élite qui gagne, l'élite de Wall Street, l'élite de Washington. Et c'est sûr qu'il y avait deux porteurs de cette colère-là. Il y avait Bernie Sanders et Donald Trump. Moi, j'étais pour Bernie Sanders. Je pense que, s'il avait été là, probablement qu'il aurait gagné l'élection. On aurait eu une meilleure façon de composer avec cette colère-là, mais c'est l'expression de la colère qui a rencontré un porte-parole qui, de façon très paradoxale... un milliardaire de New York qui a porté la colère d'une partie d'une population qui a été maltraitée par le système américain ces dernières années.

M. Boivin (Simon) : Sur le volet français, juste dans la même question, est-ce que ça peut se propager?

M. Lisée : Non, je ne ferais pas de... Vous savez, je vais vous dire, il n'y a aucune chance que Marine Le Pen gagne l'élection de l'an prochain, mais j'aurais dit la même chose de Trump, alors je vais m'arrêter là.

M. Boivin (Simon) : Juste pour ma deuxième question, M. Lisée. Hier, vous aviez exprimé votre préférence pour Mme Clinton. Bon, vous êtes le chef de l'opposition. M. Couillard l'a aussi fait à titre de premier ministre du Québec.

Est-ce que vous pensez que c'est une prise de position qui peut le placer en situation de délicatesse avec le gouvernement américain? Il rencontre aujourd'hui la consule américaine ici.

M. Lisée : Écoutez, c'est parce que, si on était les seuls sur la planète à avoir dit ça, vous auriez raison, mais comme on est... Sur 195 nations, je pense qu'on était 160 à l'avoir dit, alors on est en bonne compagnie.

M. Lecavalier (Charles) : Bonjour, M. Lisée. Hier, je pense que vous avez été vu en train de faire semblant de donner un coup de poing à une pancarte de Donald Trump. Avec le résultat des élections, est-ce que vous regrettez un peu?

M. Lisée : C'était le seul bon moment de la soirée.

M. Lecavalier (Charles) : Est-ce que vous croyez que le sentiment que vous avez détecté aux États-Unis, qui peut expliquer l'élection de Donald Trump, pourrait... est-ce que vous le sentez ici? Est-ce que c'est quelque chose qui pourrait se produire au Québec?

M. Lisée : Bien, c'est pourquoi je pense qu'il est si important d'être très soucieux des inégalités de revenus. Ici, au Québec, on a un filet social qui est robuste. On a des inégalités de revenus qui sont moins grandes, mais qui augmentent. Et donc, dans ma campagne au leadership, j'ai proposé plusieurs mesures, le salaire minimum à 15 $, par exemple, d'ici 2022, le plus rapidement possible, des mesures pour essayer de limiter les trop hauts revenus.

Alors, ce sont des mesures qui font en sorte que de garder une cohésion dans une société, et la cohésion, c'est ce qui permet d'avoir des élections avec des gens qui proposent des solutions raisonnables à des problèmes qui ne sont pas trop aigus. Aux États-Unis, les inégalités de revenus ont explosé. C'est pire que dans les années 20, début des années 30, et c'est cette absence de cohésion qui permet à des personnalités comme Donald Trump de harnacher la colère populaire.

Alors, je pense qu'on n'est pas du tout dans la même situation, mais qu'il faut être soucieux et de voir que ce qu'on a fait dans la lutte aux inégalités, c'est bien et qu'il faut continuer.

M. Lecavalier (Charles) : Est-ce que vous sentez une colère ou pas du tout?

M. Lisée : Beaucoup moins.

M. Marceau : Juste peut-être dire un mot. Jean-François, à juste titre, insiste sur les inégalités de revenus. J'ajouterais la mobilité sociale aussi, qui est beaucoup moins importante aux États-Unis. Ici, l'ascenseur social, malgré les quelques retards qu'on lui a fait subir, là, depuis deux ans, la mobilité sociale est beaucoup plus importante ici. Et, quand on a l'impression non seulement que c'est inégal, mais qu'en plus de ça il n'y a pas moyen de s'en sortir, comme aux États-Unis, ça peut donner les phénomènes qu'on a vus. Ici, il y a moins de ça. Voilà.

La Modératrice : M. Laforest.

M. Laforest (Alain) : Messieurs. M. Lisée, je veux m'adresser à l'ancien du CERIUM qui sommeille en vous. Quel message le peuple américain a envoyé au monde hier?

M. Lisée : Bien, le peuple américain a une très forte sensibilité sur sa propre valeur et prend ses décisions sans trop se préoccuper de ce que ça signifie pour le reste du monde. Et je pense qu'on fait la même chose au Québec ou au Canada, et c'est normal. C'est que nous, on est moins importants pour le reste du monde. Alors, les Américains ont fait une élection interne, nationale. Ils ont choisi la personne et les personnes, au Sénat à la Chambre des représentants, dont ils pensaient qu'ils pouvaient mieux porter des solutions pour les problèmes américains.

Évidemment, ça a un impact sur nous, sur les questions de défense, sur les questions d'économie, sur les questions de réchauffement planétaire, mais je pense que c'est un vote d'insatisfaction pour la façon dont les choses fonctionnent. Nous sommes plusieurs à penser que le remède proposé est pire que le mal, mais, en tout cas, c'est clair que c'était la recherche de changement. Mme Clinton représentait aussi le changement, M. Sanders représentait le changement. Donc, le dénominateur commun, c'était le refus du statu quo.

M. Laforest (Alain) : Parlons d'hydroélectricité maintenant. Avec l'arrivée de Trump... On sait qu'on est un exportateur majeur, le marché américain... On a construit une centrale à La Romaine principalement pour exporter vers les États-Unis. Avec Trump, est-ce que les frontières viennent de se fermer sur l'hydroélectricité, selon vous?

M. Lisée : Non, parce que les États, avec lesquels on fait affaire beaucoup plus que le gouvernement central, les États ont institué des normes et des conditions de marché qui les obligent à augmenter, au niveau des États, la portion d'énergie verte. Et le débat dans lequel on a été, c'est : Est-ce que vous acceptez que l'hydroélectricité fait partie...

M. Laforest (Alain) : Oui, mais M. Trump ne veut pas respecter l'accord de Paris.

M. Lisée : Oui, l'accord de Paris, mais...

M. Laforest (Alain) : Alors, ça tombe, là.

M. Lisée : Non, ça ne tombe pas. Heureusement, ça ne tombe pas. Heureusement, ça ne tombe pas, parce que le pouvoir américain est très disséminé au niveau des États, et les États ont pris des engagements. Ils ont des plans de cinq ans, de 10 ans, pour augmenter la proportion d'énergie verte, et ce n'est pas lié à une décision américaine.

Évidemment, à partir du moment où le gouvernement américain dit : Nous sommes pour des objectifs encore plus ambitieux, le gouvernement américain peut investir pour induire des politiques encore plus ambitieuses. Ça, ça va tomber. Malheureusement, ça va tomber, mais l'action des États, surtout du Nord-Est américain, qui sont très proches de nos valeurs en termes d'environnement, je pense qu'on est sur un terrain assez solide.

La Modératrice : M. Bélair-Cirino.

M. Bélair-Cirino (Marco) : Oui. Bonjour, M. Lisée. Je vais, pour ma part, m'adresser à l'ancien ministre des Relations internationales. L'élection de M. Trump à la Maison-Blanche commande-t-elle un certain nombre d'actions ou de coups de fil de la part du gouvernement québécois? M. Couillard va rencontrer, cet après-midi, la consule générale des États-Unis. Est-ce que c'est essentiellement une discussion informelle qui va ou qui doit être tenue entre les deux?

M. Lisée : Ce qu'il faut faire aux États-Unis, si on veut défendre nos intérêts, par exemple, sur le bois d'oeuvre ou sur l'hydroélectricité, c'est avoir un réseau d'Américains qui ont les mêmes intérêts que nous. C'est la seule chose à faire. Que ce soit les démocrates ou les républicains à la Maison-Blanche, Donald Trump ou Barack Obama, c'est toujours la même chose, eux vont répondre aux intérêts intérieurs.

Et je pense que le grand échec de la politique canadienne ou québécoise sur le bois d'oeuvre, c'est que nous n'avons pas fait cela, ce n'était pas une priorité pour le Canada. Et le gouvernement Couillard, lui, a rapetissé notre présence diplomatique aux États-Unis, ce qui fait qu'on a moins de capacité de dire : Bon, bien, sur le bois d'oeuvre, c'est sûr que les producteurs de bois américains sont contre nous, mais les consommateurs de bois américains sont avec nous, parce qu'ils veulent avoir du bois à moindre coût, et donc il faut créer cette coalition-là dont les objectifs convergent avec les nôtres.

Alors, comme ce n'est pas le Canada qui l'a fait, parce qu'eux ils travaillent aussi bien pour la Colombie-Britannique que pour nous puis, de toute façon, tout ce qui les intéressait, c'était de vendre du pétrole ces dernières années, il incombait au gouvernement du Québec de le faire et il ne l'a pas fait. Alors, ça n'a rien à voir avec Trump. Si on veut gagner sur nos enjeux aux États-Unis, c'est comme ça qu'il faut faire et donc il faut investir le marché américain de notre action diplomatique et commerciale.

M. Bélair-Cirino (Marco) : Vous estimez que le Parti démocrate aurait remporté l'élection d'hier si Bernie Sanders avait été à sa tête. Pourquoi? Parce que c'est un leader qui a des allures d'homme politique populiste comme M. Trump ou les Américains sont foncièrement sexistes? 

M. Lisée : Non. Je pense qu'évidemment c'était la première fois dans l'histoire américaine, depuis qu'il existe des sondages, qu'on avait deux candidats pour lesquels l'opinion des Américains était aussi négative. Les opinions envers Mme Clinton étaient très négatives, ce n'était pas le cas pour M. Sanders. Et donc ce qui a freiné la capacité de Mme Clinton à avoir une majorité n'aurait pas existé avec Bernie Sanders. Et, lui aussi, parlait aux hommes blancs américains qui étaient en colère, donc il y aurait eu une alternative à Donald Trump. Mme Clinton ne représentait pas cela. Ses liens avec Wall Street aussi étaient utilisés comme un argument contre elle. Ça aurait donné, d'après moi, un résultat différent, mais ce n'est pas dans notre pouvoir de réécrire l'histoire.

M. Bélair-Cirino (Marco) : Rapidement, sur votre proposition du jour, est-ce que je dois comprendre qu'Hydro-Québec devrait ouvrir ses livres à Ottawa s'il souhaitait obtenir une garantie de prêt semblable à celle qui a été promise par le gouvernement fédéral?

Puis il n'y a pas là une espèce de rupture avec la politique, la tradition des gouvernements québécois, aussi péquistes, de vraiment tenir à l'écart le gouvernement fédéral de tout ce qui concerne l'exploitation des ressources naturelles et, en premier lieu, l'hydroélectricité?

M. Marceau : Bien là, la dette à long terme, ce sont des obligations d'Hydro-Québec sur le marché, là, ce sont des choses qui sont publiques. Il n'y a pas de livre à ouvrir là, là.

M. Bélair-Cirino (Marco) : O.K. Donc, lorsqu'on demande une garantie de prêt de plusieurs milliards...

M. Marceau : C'est le volume des titres qui sont en circulation.

M. Bélair-Cirino (Marco) : O.K. Lorsqu'on demande une garantie de prêt de plusieurs milliards de dollars, c'est seulement...

M. Marceau : Bien, regardez, il n'y a aucun investissement d'Hydro-Québec qui pourra s'avérer pire que ce qui se passe à Muskrat Falls. Impossible.

La Modératrice : M. Robillard.

M. Robillard (Alexandre) : Est-ce qu'il y a des possibilités d'association avec Terre-Neuve pour la distribution de la production de Nalcor en Amérique du Nord? On sait que ça a été un enjeu dans le passé. Est-ce que vous pensez que cette option-là, elle devrait être examinée aussi dans le cadre de discussions avec Terre-Neuve? Parce que, pour l'instant, ce que M. Fournier avance, c'est assez large, là, mais est-ce que, d'après vous, il y a possibilité d'entente sur cet aspect-là?

M. Lisée : Moi, j'étais conseiller de M. Bouchard lorsqu'on avait des discussions avec Terre-Neuve et Brian Tobin, à l'époque, et je pense que la posture d'un premier ministre du Québec doit toujours être une posture d'ouverture. Si vous avez des suggestions à nous faire, on va s'asseoir, on va regarder dans l'intérêt mutuel.

Les conditions de marché, en ce moment, sont très mauvaises, et donc... en tout cas, ça semble difficile à concevoir, quel pourrait être un accord mutuellement bénéfique, mais, entre voisins, qu'on soit indépendants ou non, il faut toujours être prêts à s'asseoir et à regarder les scénarios.

M. Robillard (Alexandre) : Hier, on a eu des informations concernant M. Bartlett, qui indiquent qu'il aurait vendu des billets de cocktail. Au PLQ, on a répété, en fait, qu'il n'avait pas détenu de certificat de solliciteur. Hier, en Chambre, M. Couillard a énoncé ce fait-là, mais, en même temps, là, on apprend qu'il a quand même vendu des billets de cocktail. Donc, comment vous réagissez à ça?

M. Lisée : Bien, écoutez, M. Couillard, hier, a essayé de nous dire que cette personne-là n'avait aucun rôle particulier, était un bénévole comme les autres, il était venu le jour du scrutin. Et là Radio-Canada a un document montrant qu'il est le coordonnateur du jour J. Alors, nous, on est en politique, là. Le coordonnateur du jour J, là, c'est une des personnes les plus importantes dans notre organisation. Ce n'est pas quelqu'un qui arrive le matin puis on lui dit : Aïe! toi, tu vas être le coordonnateur de la sortie de vote. Non, ça ne se passe pas comme ça. Alors, je pense que M. Couillard a des explications à donner en Chambre aujourd'hui.

M. Robillard (Alexandre) : Sur le financement, est-ce que c'est plus grave que le statut de M. Bartlett au jour J?

M. Lisée : Bien, ça va d'abord au jugement de M. Couillard. La raison pour laquelle il essaie de dire que Bartlett n'est pas important, c'est qu'il ne veut pas admettre qu'il a fait preuve de mauvais jugement en mettant un homme au passé si douteux dans son organisation.

Alors, si ce n'est pas le cas, bien, c'est la preuve que... la raison pour laquelle il voulait dire qu'il n'était pas important, bien, c'est parce que, maintenant qu'il est important, il est obligé d'admettre qu'il a fait preuve de mauvais jugement. Ou est-ce que quelqu'un lui a imposé cette personne-là? Il y a un bout qu'on ne sait pas. Il y a un bout qu'on ne sait pas.

Maintenant, la question de s'il n'était pas un solliciteur agréé par le Directeur général des élections et qu'il a quand même vendu des billets de cocktail, bien, c'est deux prises plutôt qu'une.

La Modératrice : M. Dion.

M. Dion (Mathieu) : Pour la garantie de prêt, dans une lettre ouverte cette semaine, M. Fournier a comme changé de ton. Après avoir adopté un ton assez féroce, on change de ton, on est beaucoup plus doux, ouverts à discuter. Mais est-ce que c'est la bonne approche dans le contexte ou est-ce qu'il devrait continuer à adopter un ton un peu plus hargneux un peu pour confronter le gouvernement?

M. Lisée : Peu importe le ton, l'important, c'est le résultat, O.K.? Alors, il l'a dit, bon, gagnant-gagnant, parlez avec Ottawa, très bien. Alors, nous, on lui dit : De quoi s'agit-il? Que demandez-vous? Qu'est-ce que ce serait, l'équité et la justice? Et nous, on a une suggestion à vous faire. Alors, qu'il utilise le ton qu'il voudra, mais on voudrait qu'il nous dise si ce n'est pas ce que nous, on lui suggère, qui est simplement l'équité, qu'est-ce que c'est et pourquoi il demande moins que l'équité.

M. Dion (Mathieu) : Par rapport à hier, par rapport à l'élection, rapidement, êtes-vous inquiet pour la croissance économique du Québec avec ce résultat-là? Parce que, déjà que la croissance était assez molle, là, on s'enligne vers quoi?

M. Lisée : Bien, on sait que la croissance était molle à cause des politiques économiques du gouvernement Couillard qui a retiré entre 3 et 5 milliards de dollars de notre PIB. C'est ça, la raison.

Maintenant, on va voir comment les conditions de marché vont évoluer. Bon, aujourd'hui, les marchés réagissent négativement, c'est normal. La vraie question, c'est : Est-ce que ça va perdurer au cours des jours et des semaines qui viennent? Est-ce que ça va avoir un impact sur la croissance économique américaine et qui, en ce cas-là, si les Américains vont moins bien, nous, on va aller moins bien?

Cela dit, l'adéquation n'est pas parfaite parce que, depuis deux ans, l'économie américaine est en bonne croissance, le dollar canadien est faible. Ça nous donne une occasion en or d'augmenter nos exportations, donc notre croissance, et les libéraux eux-mêmes disent : Oui, malgré tout ça, on est tellement mauvais que les exportations vont juste augmenter de 0,2 % cette année. Alors, je ne vois pas comment ce serait pire.

La Modératrice : Mme Johnson.

Mme Johnson (Maya) : Bonjour. Hello, Mr. Lisée. What are the potential ramifications or consequences of a Trump presidency on Québec?

M. Lisée : I think the worst possible thing that will happen is that the U.S. is no longer a strong participant in the global warming offensive. Mr. Trump does not believe in global warming, does not believe in the fact that the human race is responsible for it and will promote coal, and gas, and oil, and I think it's a major setback for the decades of work we have done as a species trying to get the U.S. on board, and China on board, and India on board and… So this is very disheartening.

Mme Johnson (Maya) : And what about the economy? What about softwood lumber?

M. Lisée : On the case of softwood lumber, the American Government has always been inflexible. So how worst can it be? In the end, every cycle had an agreement where we had to give something more. So that's the pattern. There could be a hardening of the American position, but what I've been advocating for years is that the way to circumvent the lobby of the lumber in the U.S. is to make allies with the consumers of our wood who are in favor of lower cost's wood, so that means the distributors, the renovators, the consumers, and have these interests in the U.S., tell the American Government to leave us alone, not for our sake but for their sake.

And that's the work that neither Canadian diplomacy nor Québec diplomacy has done, Canadian diplomacy because their main objective was oil in all this time and they favor British Colombia, and the QuébecGovernment, under Mr. Couillard in particular, has weakened the presence of Québec in the U.S. and does not have a robust strategy on that. So Mr. Trump adds to the difficulty but he doesn't change the dynamic.

Mme Johnson (Maya) : Just one final question. You mentioned earlier that you've been getting messages, emails from women who are saying : What do I tell my girls, what do I tell my daughters? So what kind of a message do you think Trump's victory sends to women?

M. Lisée : To women and to men : Anything goes.

Mme Fletcher (Raquel) : Are you afraid of what will happen in the world in the next four years?

M. Lisée : Well, I think we're in for turbulence, uncertainty. Declarations of Mr. Trump about NATO, about proliferation of nuclear weapons are very, very distressing. He switched positions a couple of times, so we need to know what will be is position as President. Now we need to be hopeful that the reality principle will set in in a number of his pronouncements during the campaign will no longer be operational, but, you know, we have to see. The person is unpredictable, and, when you're the leader of the free world, you should be predictable in many ways. So we're going to have to hope for the best and prepare for the worst.

Mme Fletcher (Raquel) : But what is your personal reaction, this morning, when you woke up?

M. Lisée : Well, it was akin to the re-election of George W. Bush : How could Americans re-elect this guy? And we survived, you know, and then they elected Barack Obama. The ability of Americans to rebound and to surprise us is boundless. And so this is a day where, you know, we have to accept the reality that American democracy has spoken.

Mme Fletcher (Raquel) : What do you say to Quebeckers who woke up this morning, afraid of violence, of racism, of some of Donald Trump's beliefs about immigration, for instance, and Muslims? They have this fear that that's going to cross the border. What do you say to them?

M. Lisée : Well, they should not. They should see that, you know, Québec is a welcoming place, is an open place, freedom of religion, freedom of conscience. We're a place where we try to balance that with secularism in an open way. And we're not talking about building walls, or extreme screening, or, you know, you can… By comparison, you know, you can see that this is a great place to be for everyone. Merci.

Des voix : Merci.

(Fin à 8 h 41)

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