(Huit heures six minutes)
M. Lisée
: Alors,
mesdames, messieurs, ce matin la planète se réveille avec un... je dirais, un
peu sonnée de ce qui s'est passé aux États-Unis hier. Évidemment, la démocratie
américaine a parlé, il faut la respecter. Les Américains se sont présentés en
assez grand nombre pour les taux de participation historiques américains. La
bataille a été extraordinairement serrée, le pays est très divisé. Même sur
l'ensemble du vote populaire, on voit que Mme Clinton a légèrement plus de voix
que M. Trump, mais il y a un nouveau président américain. Il s'appelle Donald
Trump.
On entre dans une période de turbulences,
c'est certain, une période d'incertitude. Je pense que la principale victime de
l'élection d'hier, c'est la lutte contre le réchauffement planétaire. M. Trump
fait partie de ceux qui croient que ça n'existe pas et que le gouvernement
américain ne devrait pas investir pour empêcher l'augmentation des gaz à effet
de serre, et c'est donc un recul majeur d'une ou deux décennies. Il a été
tellement difficile à toutes les nations de faire en sorte que les États-Unis,
la Chine, l'Inde puissent décider à Paris, l'an dernier, d'être sur une même
feuille de route pour réduire les gaz à effet de serre. Aujourd'hui, on vient
de perdre un joueur majeur et on ne peut pas voir les conséquences que ça aura
sur le reste des engagements des pays.
Pour ce qui est du Québec, moi, je dirais
que la situation économique québécoise est très imbriquée dans l'économie américaine,
avec ou sans l'ALENA d'ailleurs. On pense que la présence des produits
québécois dans le marché américain est très forte, comme la présence des
produits américains sur le marché québécois. Il n'y a aucun intérêt économique
qui ferait en sorte de vouloir perturber la libre circulation de nos biens et
de nos services de part et d'autre et que, si le président Trump voulait
revenir à une situation antérieure, par exemple en rétablissant des tarifs
douaniers qui existaient avant l'ALENA, il se heurterait à la totalité des
lobbys d'affaires américains. Alors, je pense que ce n'est pas dans les cartes,
et qu'un certain réalisme économique va s'imposer, et qu'on n'est pas dans les
priorités américaines.
La question du mur avec le Mexique est un
problème beaucoup plus grave, beaucoup plus difficile, et je pense que les
Québécois ne doivent pas s'inquiéter d'être... et les Canadiens, d'être la
cible de modifications. Évidemment, sur certains dossiers qui nous préoccupent,
comme le bois d'oeuvre, la position américaine était déjà extrêmement
inflexible. Alors, ce sera difficile d'être pire. On pense toujours que ça ne
peut pas être pire, donc on verra, mais la situation était déjà difficile.
Pour le reste, je pense qu'on a... En bons
démocrates, on félicite l'élection du nouveau président qui a lui-même félicité
Mme Clinton pour sa campagne. En tant que féministes, évidemment, on aurait
voulu être ici ce matin pour célébrer l'élection d'une première femme
présidente des États-Unis. On aurait aimé être ici ce matin pour célébrer
l'élection de quelqu'un qui croit en la dignité des femmes, qui croit que les problèmes
de... enfin qu'il y a une autre attitude que celle du président américain
actuel. Et on entendait beaucoup hier... et moi, j'ai reçu des courriels, ce
matin, des gens qui disent : Bien, qu'est-ce que je dis à mes filles maintenant?
Qu'est-ce que je dis à mes filles?
Alors, c'est troublant, mais on va faire
avec. Et je me souviens du lendemain de l'élection de Ronald Reagan, du
lendemain de l'élection de George W. Bush et de sa réélection, et on était dans
un état assez semblable à celui qui nous habite aujourd'hui et puis finalement
on a survécu. Et l'Amérique nous a surpris en élisant un Barack Obama quelques
années plus tard, donc la capacité de rebond des Américains est remarquable.
Ce n'est pas la seule nouvelle aujourd'hui.
On va parler, je pense, de M. Bartlett, et nous, on a une motion du mercredi
cet après-midi. Alors, il y a plusieurs pages dans un journal, alors, à partir
de la quatrième page, il y aura peut-être de la place pour ce dont on va vous
parler aujourd'hui. Je vois de l'incertitude au Journal de Montréal, au Journal
de Québec.
Alors, écoutez, il y a deux événements importants
qui se sont produits dans le dossier de l'injustice économique canadienne face
au Québec, ces derniers jours. Comme vous le savez, le Québec a financé l'ensemble
de son hydroélectricité à partir de ses propres fonds, jamais en ayant quelque
soutien que ce soit de la part du gouvernement fédéral. Et, lorsque Terre-Neuve
a décidé de développer son propre site hydroélectrique à Muskrat Falls, le gouvernement
canadien a décidé de lui donner une garantie de prêt, ce qui permet une économie
substantielle à l'entreprise terre-neuvienne et donc aux contribuables
terre-neuviens. Le Québec en entier était contre cette décision fédérale qui
donne un avantage comparatif à ce qui est un concurrent. Et, malgré la demande
unanime de l'Assemblée nationale, le gouvernement canadien, les 40 députés
libéraux fédéraux n'ont rien dit, les 16 députés fédéraux du NPD n'ont rien
dit, et donc c'est devenu une réalité la semaine dernière.
Alors, le gouvernement de M. Couillard,
d'abord, s'est opposé, mais a changé de tactique cette semaine, et le ministre
Fournier, dans une lettre ouverte, a dit : Il faudrait trouver une
solution gagnant-gagnant. Alors, on s'est demandé, Nicolas et moi : Bien,
qu'est-ce que ce serait une solution gagnant-gagnant pour le Québec? Et on a
fait des calculs, si le Québec était traité avec équité, avec justice, selon
les mêmes termes que Terre-Neuve, qu'est-ce que ça donnerait, et je vais
laisser à Nicolas vous indiquer ce à quoi on en est venus.
M. Marceau :
Oui. Merci, Jean-François. Bonjour, tout le monde. Alors, simplement
quelques chiffres. Vous vous rappelez que le projet, donc, fait l'objet d'une
garantie de prêt du gouvernement fédéral. Initialement, la garantie de prêt
était de 6,2 milliards de dollars, mais elle a été augmentée, là, à la
suite de la décision du gouvernement fédéral la semaine dernière, et aujourd'hui
cette garantie de prêt est de 9,2 milliards de dollars. Il faut voir ce
que ça représente ou ce que ça représenterait pour le Québec si on obtenait
l'équivalent.
La garantie de
prêt initiale permettait à Terre-Neuve, à l'entreprise terre-neuvienne, de
sauver un milliard de dollars en frais d'intérêt. Et donc, si on applique le
même principe à la garantie de prêt augmentée de 9,2 milliards de dollars,
on arrive à 1,5 milliard de dollars d'économies à Terre-Neuve. Et là ce
qu'on a fait, c'est simplement rapporter ça en termes per capita, parce qu'il
faut voir que la population terre-neuvienne est 16 fois inférieure à celle du
Québec. Là, il y a 530 000 habitants, et nous sommes 8 millions.
Alors, le
1 460 000 000 $ en per capita est rapporté à la population
du Québec. Pour que tout le monde le sache, ça représente 23 milliards de
dollars. Donc, l'économie réalisée à Terre-Neuve, de 1,5 milliard, si un geste
était posé par le fédéral nous permettant nous aussi d'économiser, il faudrait
que ça soit un geste permettant de sauver 23 milliards de dollars. Alors, vous
voyez l'ampleur du cadeau qui a été fait à Terre-Neuve par le gouvernement fédéral.
Par ailleurs, il
est utile de rappeler qu'au partir du début des années 2000, lorsque
Terre-Neuve a commencé à exploiter le pétrole, le gouvernement fédéral a fait
un gros cadeau aussi en permettant que ces revenus pétroliers n'affectent pas
les paiements de péréquation à Terre-Neuve, et les montants qui avaient été
consentis à l'époque à Terre-Neuve étaient considérables là aussi. On parle de
4,6 milliards de dollars, soit 8 700 dollars par année... pardon, par
habitant. Et, encore une fois, rapporté sur une base per capita, et j'aimerais
que vous le compreniez, le 4,6 milliards de dollars qui a été donné à
Terre-Neuve, ça représente, en équivalent pour le Québec, 72 milliards de
dollars. Je sais que les chiffres sont gigantesques, mais il faut bien
comprendre que c'est l'ampleur du cadeau qui a été donné à Terre-Neuve,
72 milliards. Ça, c'est les ententes extracôtières.
Finalement, une
autre façon de voir le monde, c'est que le Québec, comme Jean-François le
disait, a, depuis très longtemps, construit des ouvrages, des barrages hydroélectriques,
des lignes de transport et, pour y parvenir, s'est endetté. Et, si simplement
le gouvernement fédéral garantissait la dette d'Hydro-Québec, c'est-à-dire nous
permettait... disait, dans le fond, aux emprunteurs, à ceux qui achètent des
obligations d'Hydro-Québec qu'advenant qu'Hydro-Québec ait de la difficulté à
rembourser, le fédéral va payer, donc la dette d'Hydro-Québec, qui aujourd'hui
s'élève à 43,6 milliards de dollars, si elle était garantie par le gouvernement
fédéral, ça nous permettrait de réduire le taux d'emprunt d'environ un point de
base et ça permettrait à Hydro-Québec d'économiser 13,5 milliards de
dollars.
Alors, vous
voyez l'ampleur des cadeaux qui ont été versés à Terre-Neuve. J'arrête là-dessus,
je veux simplement que vous compreniez que ce que nous demandons, ce n'est rien
d'autre que l'équité, un traitement équivalent. Les cadeaux qui ont été versés
à Terre-Neuve sont importants, et là on a des cadeaux qui sont versés puis, en
même temps, on rend le monde plus difficile pour le Québec puis pour
Hydro-Québec en particulier.
M. Lisée
: C'est
extrêmement grave parce que ce dossier-ci, comme plusieurs autres dont on
parlera dans les mois qui viennent, montre qu'il y a un genre de système
canadien qui appauvrit le Québec relativement. Il y a ça, il y a d'autres
choses, il y a des investissements productifs que nous n'avons pas. Nous sommes
dans un système fédéral qui, de plusieurs façons, désavantage le Québec et
appauvrit relativement le Québec. L'argument qui a été avancé par le
gouvernement Harper pour donner une garantie de prêt à Terre-Neuve, c'est de
dire : Ah! bien, maintenant, on veut appuyer les initiatives vertes. Bien,
des initiatives vertes, on en a au Québec, et, si le même principe s'appliquait
à la dette d'Hydro-Québec, nous aurions une économie considérable.
Alors, l'équité... c'est ce qu'on dit à M.
Fournier, à M. Couillard : Vous avez proposé quelque chose de
gagnant-gagnant, on aime rendre service, on vous donne une proposition, quelle
est la vôtre?
La Modératrice
: M.
Marceau et M. Lisée vont maintenant prendre vos questions. Merci de respecter
la règle de la question et sous-question.
M. Foisy (Philippe-Vincent) :
Philippe-Vincent Foisy, de Cogeco. Est-ce qu'il est maintenant temps pour Québec
de développer des nouveaux marchés beaucoup plus agressivement, si jamais il va
y avoir des problèmes avec les États-Unis, avec l'élection de M. Trump?
M. Lisée
: Bien, lorsque
j'étais ministre du Commerce extérieur, c'était effectivement une stratégie importante,
mais déjà, de toutes les provinces canadiennes, le Québec est le lieu où nous
avons la plus grande part de nos acheteurs étrangers. Nous sommes, des
provinces canadiennes, le moins dépendant des États-Unis. C'est bien sûr notre
premier client, mais la diversification de nos marchés, que ça soit en Europe,
en Asie, au cours des 15 dernières années, a été très agressive, nous a permis
de développer. Et, même pendant la crise, le développement de nos ventes
ailleurs qu'aux États-Unis a été le principal facteur de croissance de nos
exportations.
Alors, c'est une stratégie qu'il faut
prolonger, c'est une des raisons pour lesquelles Nicolas et moi étions très
partisans de l'accord de libre-échange avec l'Europe. Nous avons des bémols, effectivement,
sur le fait que le Canada appauvrit notre industrie laitière et fromagère pour
avoir cet accord-là, ça, c'est inacceptable, mais quand même, la raison pour
laquelle le Québec a été le générateur de cette proposition-là, c'est qu'on est
relativement les principaux exportateurs en Europe, et la fin de ces tarifs
douaniers sur énormément de nos produits, du sirop d'érable à la motoneige,
puis des tarifs douaniers qui étaient de 6 % à 13 %, qui vont
disparaître grâce à l'accord, ça va nous aider, nous.
Et, s'il y a une bonne nouvelle dans
l'élection de M. Trump, c'est que c'est probablement fini, la possibilité qu'il
y ait une entente parallèle entre l'Europe et les États-Unis. Nous, ça fait
notre affaire parce que notre avantage comparatif sur l'Europe va rester et
donc nos concurrents américains n'auront pas ce même avantage.
M. Foisy (Philippe-Vincent) :
Hier, vous disiez que M. Trump était dangereux. Donc, outre l'économie, qu'est-ce
que vous voyez comme menace dangereuse pour le monde de façon plus générale,
par rapport à M. Trump?
M. Lisée
: Bien, c'est
sûr que c'est un élément d'instabilité important, les propos qu'il a tenus sur
l'OTAN, les propos qu'il a tenus sur la prolifération nucléaire. Il y a un
moment où il a dit que ça serait une bonne chose que le Japon ait la bombe et
d'autres pays. Il s'est rétracté par la suite. J'espère que la deuxième version
était la bonne, mais, comme je l'ai dit au début, le principal effet négatif,
c'est le retrait des Américains du groupe des nations qui veulent freiner le
réchauffement climatique.
La Modératrice
: M.
Boivin.
M. Boivin (Simon) : Bonjour, M.
Lisée, M. Marceau. J'aimerais savoir comment vous l'expliquez, le vote d'hier.
Il y en a qui ont comparé ça un peu au vote du Brexit, une expression de la
colère de la classe moyenne. Et est-ce que vous avez l'impression que c'est un
mouvement qui pourrait donner un... qui se donne un élan jusqu'en France, par
exemple?
M. Lisée
: Bien,
j'écoutais Michael Moore hier, qui faisait des commentaires et qui, lui, comme
vous savez, était pour Bernie Sanders, mais qui disait que dans son patelin de
Flint, au Michigan, dans ces zones désindustrialisées, depuis des mois et des
mois, il disait : Regardez, ces gens-là vont voter Trump. Pourquoi? Parce que
ce sont des gens qui ont été victimes de la crise, qui ont été victimes de la
crise aussi du «housing», c'est-à-dire qui ont perdu leurs maisons et qui ont
été maltraités par l'économie américaine qui a été extraordinairement inégale
dans la façon de distribuer les fruits de la croissance, hein?
On sait qu'aux États-Unis les inégalités
de revenus sont énormes. Le 1 % de la population les plus riches
contrôlent une partie, je ne me souviens plus du chiffre, c'est 26 %, je
pense, des revenus annuels et que donc il y a des gens qui sentent qu'ils se
sont fait avoir, que c'est l'élite qui gagne, l'élite de Wall Street, l'élite
de Washington. Et c'est sûr qu'il y avait deux porteurs de cette colère-là. Il
y avait Bernie Sanders et Donald Trump. Moi, j'étais pour Bernie Sanders. Je
pense que, s'il avait été là, probablement qu'il aurait gagné l'élection. On
aurait eu une meilleure façon de composer avec cette colère-là, mais c'est
l'expression de la colère qui a rencontré un porte-parole qui, de façon très
paradoxale... un milliardaire de New York qui a porté la colère d'une partie
d'une population qui a été maltraitée par le système américain ces dernières
années.
M. Boivin (Simon) : Sur le
volet français, juste dans la même question, est-ce que ça peut se propager?
M. Lisée
: Non, je ne
ferais pas de... Vous savez, je vais vous dire, il n'y a aucune chance que
Marine Le Pen gagne l'élection de l'an prochain, mais j'aurais dit la même
chose de Trump, alors je vais m'arrêter là.
M. Boivin (Simon) : Juste
pour ma deuxième question, M. Lisée. Hier, vous aviez exprimé votre préférence
pour Mme Clinton. Bon, vous êtes le chef de l'opposition. M. Couillard l'a
aussi fait à titre de premier ministre du Québec.
Est-ce que vous pensez que c'est une prise
de position qui peut le placer en situation de délicatesse avec le gouvernement
américain? Il rencontre aujourd'hui la consule américaine ici.
M. Lisée
: Écoutez, c'est
parce que, si on était les seuls sur la planète à avoir dit ça, vous auriez
raison, mais comme on est... Sur 195 nations, je pense qu'on était 160 à
l'avoir dit, alors on est en bonne compagnie.
M. Lecavalier (Charles) :
Bonjour, M. Lisée. Hier, je pense que vous avez été vu en train de faire
semblant de donner un coup de poing à une pancarte de Donald Trump. Avec le
résultat des élections, est-ce que vous regrettez un peu?
M. Lisée
: C'était le
seul bon moment de la soirée.
M. Lecavalier (Charles) : Est-ce
que vous croyez que le sentiment que vous avez détecté aux États-Unis, qui peut
expliquer l'élection de Donald Trump, pourrait... est-ce que vous le sentez
ici? Est-ce que c'est quelque chose qui pourrait se produire au Québec?
M. Lisée
: Bien, c'est pourquoi
je pense qu'il est si important d'être très soucieux des inégalités de revenus.
Ici, au Québec, on a un filet social qui est robuste. On a des inégalités de
revenus qui sont moins grandes, mais qui augmentent. Et donc, dans ma campagne
au leadership, j'ai proposé plusieurs mesures, le salaire minimum à 15 $, par
exemple, d'ici 2022, le plus rapidement possible, des mesures pour essayer de
limiter les trop hauts revenus.
Alors, ce sont des mesures qui font en
sorte que de garder une cohésion dans une société, et la cohésion, c'est ce qui
permet d'avoir des élections avec des gens qui proposent des solutions
raisonnables à des problèmes qui ne sont pas trop aigus. Aux États-Unis, les
inégalités de revenus ont explosé. C'est pire que dans les années 20, début des
années 30, et c'est cette absence de cohésion qui permet à des personnalités
comme Donald Trump de harnacher la colère populaire.
Alors, je pense qu'on n'est pas du tout
dans la même situation, mais qu'il faut être soucieux et de voir que ce qu'on a
fait dans la lutte aux inégalités, c'est bien et qu'il faut continuer.
M. Lecavalier (Charles) :
Est-ce que vous sentez une colère ou pas du tout?
M. Lisée
: Beaucoup
moins.
M. Marceau
: Juste peut-être
dire un mot. Jean-François, à juste titre, insiste sur les inégalités de
revenus. J'ajouterais la mobilité sociale aussi, qui est beaucoup moins
importante aux États-Unis. Ici, l'ascenseur social, malgré les quelques retards
qu'on lui a fait subir, là, depuis deux ans, la mobilité sociale est beaucoup
plus importante ici. Et, quand on a l'impression non seulement que c'est
inégal, mais qu'en plus de ça il n'y a pas moyen de s'en sortir, comme aux États-Unis,
ça peut donner les phénomènes qu'on a vus. Ici, il y a moins de ça. Voilà.
La Modératrice
: M.
Laforest.
M. Laforest (Alain) :
Messieurs. M. Lisée, je veux m'adresser à l'ancien du CERIUM qui sommeille en
vous. Quel message le peuple américain a envoyé au monde hier?
M. Lisée
: Bien, le
peuple américain a une très forte sensibilité sur sa propre valeur et prend ses
décisions sans trop se préoccuper de ce que ça signifie pour le reste du monde.
Et je pense qu'on fait la même chose au Québec ou au Canada, et c'est normal. C'est
que nous, on est moins importants pour le reste du monde. Alors, les Américains
ont fait une élection interne, nationale. Ils ont choisi la personne et les
personnes, au Sénat à la Chambre des représentants, dont ils pensaient qu'ils
pouvaient mieux porter des solutions pour les problèmes américains.
Évidemment, ça a un impact sur nous, sur
les questions de défense, sur les questions d'économie, sur les questions de
réchauffement planétaire, mais je pense que c'est un vote d'insatisfaction pour
la façon dont les choses fonctionnent. Nous sommes plusieurs à penser que le
remède proposé est pire que le mal, mais, en tout cas, c'est clair que c'était
la recherche de changement. Mme Clinton représentait aussi le changement, M.
Sanders représentait le changement. Donc, le dénominateur commun, c'était le
refus du statu quo.
M. Laforest (Alain) : Parlons
d'hydroélectricité maintenant. Avec l'arrivée de Trump... On sait qu'on est un
exportateur majeur, le marché américain... On a construit une centrale à La
Romaine principalement pour exporter vers les États-Unis. Avec Trump, est-ce
que les frontières viennent de se fermer sur l'hydroélectricité, selon vous?
M. Lisée
: Non, parce
que les États, avec lesquels on fait affaire beaucoup plus que le gouvernement
central, les États ont institué des normes et des conditions de marché qui
les obligent à augmenter, au niveau des États, la portion d'énergie verte. Et
le débat dans lequel on a été, c'est : Est-ce que vous acceptez que l'hydroélectricité
fait partie...
M. Laforest (Alain) : Oui,
mais M. Trump ne veut pas respecter l'accord de Paris.
M. Lisée
: Oui, l'accord
de Paris, mais...
M. Laforest (Alain) : Alors,
ça tombe, là.
M. Lisée
: Non, ça ne
tombe pas. Heureusement, ça ne tombe pas. Heureusement, ça ne tombe pas, parce
que le pouvoir américain est très disséminé au niveau des États, et les États
ont pris des engagements. Ils ont des plans de cinq ans, de 10 ans, pour
augmenter la proportion d'énergie verte, et ce n'est pas lié à une décision
américaine.
Évidemment, à partir du moment où le
gouvernement américain dit : Nous sommes pour des objectifs encore plus
ambitieux, le gouvernement américain peut investir pour induire des politiques
encore plus ambitieuses. Ça, ça va tomber. Malheureusement, ça va tomber, mais
l'action des États, surtout du Nord-Est américain, qui sont très proches de nos
valeurs en termes d'environnement, je pense qu'on est sur un terrain assez
solide.
La Modératrice
: M.
Bélair-Cirino.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Oui. Bonjour, M. Lisée. Je vais, pour ma part, m'adresser à l'ancien ministre
des Relations internationales. L'élection de M. Trump à la Maison-Blanche
commande-t-elle un certain nombre d'actions ou de coups de fil de la part du
gouvernement québécois? M. Couillard va rencontrer, cet après-midi, la consule
générale des États-Unis. Est-ce que c'est essentiellement une discussion
informelle qui va ou qui doit être tenue entre les deux?
M. Lisée
: Ce qu'il
faut faire aux États-Unis, si on veut défendre nos intérêts, par exemple, sur
le bois d'oeuvre ou sur l'hydroélectricité, c'est avoir un réseau d'Américains
qui ont les mêmes intérêts que nous. C'est la seule chose à faire. Que ce soit
les démocrates ou les républicains à la Maison-Blanche, Donald Trump ou Barack
Obama, c'est toujours la même chose, eux vont répondre aux intérêts intérieurs.
Et je pense que le grand échec de la
politique canadienne ou québécoise sur le bois d'oeuvre, c'est que nous n'avons
pas fait cela, ce n'était pas une priorité pour le Canada. Et le gouvernement
Couillard, lui, a rapetissé notre présence diplomatique aux États-Unis, ce qui
fait qu'on a moins de capacité de dire : Bon, bien, sur le bois d'oeuvre,
c'est sûr que les producteurs de bois américains sont contre nous, mais les
consommateurs de bois américains sont avec nous, parce qu'ils veulent avoir du
bois à moindre coût, et donc il faut créer cette coalition-là dont les
objectifs convergent avec les nôtres.
Alors, comme ce n'est pas le Canada qui
l'a fait, parce qu'eux ils travaillent aussi bien pour la Colombie-Britannique
que pour nous puis, de toute façon, tout ce qui les intéressait, c'était de
vendre du pétrole ces dernières années, il incombait au gouvernement du Québec
de le faire et il ne l'a pas fait. Alors, ça n'a rien à voir avec Trump. Si on
veut gagner sur nos enjeux aux États-Unis, c'est comme ça qu'il faut faire et
donc il faut investir le marché américain de notre action diplomatique et
commerciale.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Vous estimez que le Parti démocrate aurait remporté l'élection d'hier si Bernie
Sanders avait été à sa tête. Pourquoi? Parce que c'est un leader qui a des
allures d'homme politique populiste comme M. Trump ou les Américains sont
foncièrement sexistes?
M. Lisée
: Non. Je
pense qu'évidemment c'était la première fois dans l'histoire américaine, depuis
qu'il existe des sondages, qu'on avait deux candidats pour lesquels l'opinion
des Américains était aussi négative. Les opinions envers Mme Clinton étaient
très négatives, ce n'était pas le cas pour M. Sanders. Et donc ce qui a freiné
la capacité de Mme Clinton à avoir une majorité n'aurait pas existé avec Bernie
Sanders. Et, lui aussi, parlait aux hommes blancs américains qui étaient en
colère, donc il y aurait eu une alternative à Donald Trump. Mme Clinton ne
représentait pas cela. Ses liens avec Wall Street aussi étaient utilisés comme
un argument contre elle. Ça aurait donné, d'après moi, un résultat différent,
mais ce n'est pas dans notre pouvoir de réécrire l'histoire.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Rapidement, sur votre proposition du jour, est-ce que je dois comprendre qu'Hydro-Québec
devrait ouvrir ses livres à Ottawa s'il souhaitait obtenir une garantie de prêt
semblable à celle qui a été promise par le gouvernement fédéral?
Puis il n'y a pas là une espèce de rupture
avec la politique, la tradition des gouvernements québécois, aussi péquistes,
de vraiment tenir à l'écart le gouvernement fédéral de tout ce qui concerne
l'exploitation des ressources naturelles et, en premier lieu,
l'hydroélectricité?
M. Marceau
: Bien là,
la dette à long terme, ce sont des obligations d'Hydro-Québec sur le marché,
là, ce sont des choses qui sont publiques. Il n'y a pas de livre à ouvrir là,
là.
M. Bélair-Cirino (Marco) : O.K.
Donc, lorsqu'on demande une garantie de prêt de plusieurs milliards...
M. Marceau
: C'est le
volume des titres qui sont en circulation.
M. Bélair-Cirino (Marco) : O.K.
Lorsqu'on demande une garantie de prêt de plusieurs milliards de dollars, c'est
seulement...
M. Marceau
: Bien,
regardez, il n'y a aucun investissement d'Hydro-Québec qui pourra s'avérer pire
que ce qui se passe à Muskrat Falls. Impossible.
La Modératrice
: M.
Robillard.
M. Robillard (Alexandre) :
Est-ce qu'il y a des possibilités d'association avec Terre-Neuve pour la
distribution de la production de Nalcor en Amérique du Nord? On sait que ça a
été un enjeu dans le passé. Est-ce que vous pensez que cette option-là, elle
devrait être examinée aussi dans le cadre de discussions avec Terre-Neuve?
Parce que, pour l'instant, ce que M. Fournier avance, c'est assez large, là,
mais est-ce que, d'après vous, il y a possibilité d'entente sur cet aspect-là?
M. Lisée
: Moi, j'étais
conseiller de M. Bouchard lorsqu'on avait des discussions avec Terre-Neuve et
Brian Tobin, à l'époque, et je pense que la posture d'un premier ministre du Québec
doit toujours être une posture d'ouverture. Si vous avez des suggestions à nous
faire, on va s'asseoir, on va regarder dans l'intérêt mutuel.
Les conditions de marché, en ce moment,
sont très mauvaises, et donc... en tout cas, ça semble difficile à concevoir,
quel pourrait être un accord mutuellement bénéfique, mais, entre voisins, qu'on
soit indépendants ou non, il faut toujours être prêts à s'asseoir et à regarder
les scénarios.
M. Robillard (Alexandre) :
Hier, on a eu des informations concernant M. Bartlett, qui indiquent qu'il
aurait vendu des billets de cocktail. Au PLQ, on a répété, en fait, qu'il
n'avait pas détenu de certificat de solliciteur. Hier, en Chambre, M. Couillard
a énoncé ce fait-là, mais, en même temps, là, on apprend qu'il a quand même
vendu des billets de cocktail. Donc, comment vous réagissez à ça?
M. Lisée
: Bien, écoutez,
M. Couillard, hier, a essayé de nous dire que cette personne-là n'avait aucun
rôle particulier, était un bénévole comme les autres, il était venu le jour du
scrutin. Et là Radio-Canada a un document montrant qu'il est le coordonnateur
du jour J. Alors, nous, on est en politique, là. Le coordonnateur du jour J,
là, c'est une des personnes les plus importantes dans notre organisation. Ce
n'est pas quelqu'un qui arrive le matin puis on lui dit : Aïe! toi, tu vas
être le coordonnateur de la sortie de vote. Non, ça ne se passe pas comme ça. Alors,
je pense que M. Couillard a des explications à donner en Chambre aujourd'hui.
M. Robillard (Alexandre) :
Sur le financement, est-ce que c'est plus grave que le statut de M. Bartlett au
jour J?
M. Lisée
: Bien, ça va
d'abord au jugement de M. Couillard. La raison pour laquelle il essaie de dire
que Bartlett n'est pas important, c'est qu'il ne veut pas admettre qu'il a fait
preuve de mauvais jugement en mettant un homme au passé si douteux dans son organisation.
Alors, si ce n'est pas le cas, bien, c'est
la preuve que... la raison pour laquelle il voulait dire qu'il n'était pas
important, bien, c'est parce que, maintenant qu'il est important, il est obligé
d'admettre qu'il a fait preuve de mauvais jugement. Ou est-ce que quelqu'un lui
a imposé cette personne-là? Il y a un bout qu'on ne sait pas. Il y a un bout
qu'on ne sait pas.
Maintenant, la question de s'il n'était
pas un solliciteur agréé par le Directeur général des élections et qu'il a
quand même vendu des billets de cocktail, bien, c'est deux prises plutôt
qu'une.
La Modératrice
: M. Dion.
M. Dion (Mathieu) : Pour la
garantie de prêt, dans une lettre ouverte cette semaine, M. Fournier a comme
changé de ton. Après avoir adopté un ton assez féroce, on change de ton, on est
beaucoup plus doux, ouverts à discuter. Mais est-ce que c'est la bonne approche
dans le contexte ou est-ce qu'il devrait continuer à adopter un ton un peu plus
hargneux un peu pour confronter le gouvernement?
M. Lisée
: Peu importe
le ton, l'important, c'est le résultat, O.K.? Alors, il l'a dit, bon,
gagnant-gagnant, parlez avec Ottawa, très bien. Alors, nous, on lui dit :
De quoi s'agit-il? Que demandez-vous? Qu'est-ce que ce serait, l'équité et la justice?
Et nous, on a une suggestion à vous faire. Alors, qu'il utilise le ton qu'il
voudra, mais on voudrait qu'il nous dise si ce n'est pas ce que nous, on lui
suggère, qui est simplement l'équité, qu'est-ce que c'est et pourquoi il
demande moins que l'équité.
M. Dion (Mathieu) : Par
rapport à hier, par rapport à l'élection, rapidement, êtes-vous inquiet pour la
croissance économique du Québec avec ce résultat-là? Parce que, déjà que la
croissance était assez molle, là, on s'enligne vers quoi?
M. Lisée
: Bien, on
sait que la croissance était molle à cause des politiques économiques du
gouvernement Couillard qui a retiré entre 3 et 5 milliards de dollars de notre
PIB. C'est ça, la raison.
Maintenant, on va voir comment les
conditions de marché vont évoluer. Bon, aujourd'hui, les marchés réagissent
négativement, c'est normal. La vraie question, c'est : Est-ce que ça va
perdurer au cours des jours et des semaines qui viennent? Est-ce que ça va
avoir un impact sur la croissance économique américaine et qui, en ce cas-là,
si les Américains vont moins bien, nous, on va aller moins bien?
Cela dit, l'adéquation n'est pas parfaite
parce que, depuis deux ans, l'économie américaine est en bonne croissance, le
dollar canadien est faible. Ça nous donne une occasion en or d'augmenter nos
exportations, donc notre croissance, et les libéraux eux-mêmes disent :
Oui, malgré tout ça, on est tellement mauvais que les exportations vont juste
augmenter de 0,2 % cette année. Alors, je ne vois pas comment ce serait
pire.
La Modératrice
: Mme
Johnson.
Mme Johnson (Maya) : Bonjour.
Hello, Mr. Lisée. What are the potential ramifications or
consequences of a Trump presidency on Québec?
M. Lisée
:
I think the worst possible thing that will happen is that the U.S. is no longer
a strong participant in the global warming offensive. Mr. Trump does not
believe in global warming, does not believe in the fact that the human race is
responsible for it and will promote coal, and gas, and oil,
and I think it's a major setback for the decades of work we have done as a
species trying to get the U.S. on board, and China on board, and India on board
and… So this is very disheartening.
Mme Johnson (Maya) : And what about the economy? What about softwood lumber?
M. Lisée
: On the case of softwood lumber, the American Government has always been inflexible. So
how worst can it be? In the end, every cycle had an agreement where we had to
give something more. So that's the pattern. There could be a hardening of the
American position, but what I've been advocating for years is that the way to
circumvent the lobby of the lumber in the U.S. is to make allies with the
consumers of our wood who are in favor of lower cost's wood, so that means the
distributors, the renovators, the consumers, and have these interests in the U.S.,
tell the American Government to
leave us alone, not for our sake but for their sake.
And that's the work that
neither Canadian diplomacy nor Québec diplomacy has done, Canadian diplomacy because their main objective
was oil in all this time and they favor British Colombia, and the QuébecGovernment, under Mr. Couillard in particular, has weakened the presence of Québec in the U.S. and does not have a
robust strategy on that. So Mr. Trump adds to the difficulty but he doesn't
change the dynamic.
Mme Johnson (Maya) : Just one final question. You mentioned earlier that you've been getting messages, emails
from women who are saying : What do I tell my girls, what do I tell my
daughters? So what kind of a message do you think Trump's victory sends to
women?
M. Lisée
: To women and to men : Anything goes.
Mme Fletcher
(Raquel) : Are you afraid of what will happen
in the world in the next four years?
M. Lisée
: Well, I think we're in for turbulence, uncertainty. Declarations of
Mr. Trump about NATO, about proliferation of nuclear weapons are very, very
distressing. He switched positions a couple of times, so we need to know what
will be is position as President. Now we need to be hopeful that the reality
principle will set in in a number of his pronouncements during the campaign
will no longer be operational, but, you know, we have to see. The person is
unpredictable, and, when you're the leader of the free world, you should be
predictable in many ways. So we're going to have to hope for the best and
prepare for the worst.
Mme Fletcher (Raquel) : But what is your personal reaction, this morning, when you woke up?
M. Lisée
: Well, it was akin to the re-election of George W. Bush : How
could Americans re-elect this guy? And we survived, you know, and then they
elected Barack Obama. The ability of Americans to rebound and to surprise us is
boundless. And so this is a day where, you know, we have to accept the reality that American democracy has spoken.
Mme Fletcher (Raquel) : What do you say to Quebeckers who woke up this morning, afraid of
violence, of racism, of some of Donald Trump's beliefs about immigration, for
instance, and Muslims? They have this fear that that's going to cross the
border. What do you say to them?
M. Lisée
: Well, they should not. They should see that, you know, Québec is a
welcoming place, is an open place, freedom of religion, freedom of conscience.
We're a place where we try to balance that with secularism in an open way. And
we're not talking about building walls, or extreme screening, or, you know, you
can… By comparison, you know, you can see that this is a great place to be for
everyone. Merci.
Des voix
: Merci.
(Fin à 8 h 41)