(Quatorze heures cinq minutes)
Mme
Hivon
: Bonjour,
tout le monde. Écoutez, le système de justice criminelle vit une crise sans
précédent avec les délais déraisonnables qui s'accumulent, avec la
multiplication des requêtes pour arrêt de procédures, mais surtout la
multiplication de cas, comme on l'a vu au cours des dernières semaines, où il y
a des conséquences dramatiques ou carrément des accusés, dans des causes pas
banales du tout de motards criminalisés, de complot, de fraude, de collusion,
de corruption, sont tout simplement libérés parce que le système judiciaire
actuel n'est pas capable de traiter de ces causes-là pour lesquelles, pourtant,
nous avons mis des moyens importants, très importants en amont avec des
enquêtes de plus en plus sophistiquées, avec la mise sur pied de l'UPAC, avec
des corps policiers qui ont vu leurs ressources augmenter. Or, le fait est
qu'on voit, à l'autre bout du spectre, une hécatombe qui s'annonce carrément,
de plus en plus de criminels, d'accusés qui ne pourront pas être traduits en
justice, faute de ressources suffisantes, faute d'un système de justice qui est
capable de fonctionner correctement.
Vous nous avez vu questionner, pas seulement
dans les dernières semaines, ça fait presque un an que nous questionnons, de
manière systématique, la ministre de la Justice sur quel est son plan de match,
quelles ressources elle va ajouter, comment elle entend faire face à ces délais
indus qui, je vous le rappelle, en janvier dernier, faisaient déclarer à la
juge en chef adjointe à la cour criminelle, Mme Côté, de la Cour du Québec, qu'elle
n'en dormait plus la nuit tellement la situation était hors de contrôle, même
chose à la Cour supérieure.
Alors, c'est d'autant plus dramatique maintenant
que non seulement rien n'a été fait pendant tout ce temps-là, mais on a vu, en
plus, des compressions dans le milieu de la justice, au Directeur des
poursuites criminelles et pénales, au ministère en matière d'administration de
la justice, mais, en plus, comme on l'a fait ressortir la semaine dernière, la
Cour suprême, cet été, avec l'arrêt Jordan, est venue mettre des plafonds fixes
qui doivent être respectés pour les délais qui sont jugés corrects et
acceptables dans notre système de justice. Et, comme moi, vous n'avez vu la
ministre ne poser aucun geste, alors que cet arrêt-là est venu mettre une
pression encore plus importante sur le système. Absolument aucun geste n'a été
posé ni par la ministre ni par son gouvernement pour un ajout de ressources
pour montrer qu'au Québec on répond à ces nouvelles exigences là qui s'ajoutent
à une situation qui était déjà excessivement difficile.
Alors, évidemment, ce qu'on a vu dans les
dernières semaines, c'est des motards criminalisés libérés de l'opération
SharQc, et on a vu aussi un premier accusé, dans tout le dossier de Mascouche,
l'opération Gravier, être libéré, il y a une dizaine de jours, Christian
Blanchet. Et, vous savez comment, depuis des mois, on dit : Qu'est-ce qui
va arriver avec le procès Vaillancourt? Eh bien, comme on s'y attendait, un
premier accusé du mégaprocès Vaillancourt, à Laval, a déposé, à la toute fin de
la semaine, on a appris ça samedi, une requête en arrêt des procédures. Donc,
Serge Duplessis a déposé, à la fin de la semaine, une requête en arrêt des
procédures. Alors, est-ce que c'est le début de la fin du procès de l'ex-maire
Vaillancourt et de toute la cause à Laval? Vous comprendrez qu'on peut être
excessivement inquiets par rapport à ça quand on voit ces multiplications de
dossiers.
Une recherche très, très rapide nous a
permis de voir que, déjà, il y a une trentaine de jugements qui citent l'arrêt
Jordan. Donc, depuis le mois de juillet, il y a plus d'une centaine de requêtes
en arrêt des procédures, au moins 150, donc, qui ont été déposées. Donc, c'est
une vraie hécatombe face à laquelle nous sommes en ce moment. Et évidemment on
ne peut pas laisser ça aller, les choses doivent être prises en main, et ce
qu'on constate, c'est que non seulement il n'y a aucune action concrète de
posée par la ministre de la Justice, la ministre Vallée, et son gouvernement,
mais on semble minimiser ces problèmes-là.
Or, quand on écoute les gens du DPCP, on
entendait, à la fin de la semaine, le porte-parole du DPCP, on voit à quel
point on en est rendus à littéralement essayer de sauver les meubles.
M. Boucher, le porte-parole, disait dans une entrevue qu'il en est à faire
le tri entre les causes où il y a des victimes humaines, pour s'assurer de ne
pas échapper ces causes-là, par rapport à des causes comme celle de
Luigi Coretti, qu'on a vu avorter la semaine dernière, parce que les
crimes économiques peuvent être jugés comme moins urgents ou moins graves de
conséquences si ces accusés-là font face à un arrêt de procédure. Alors, vous
vous imaginez, on est rendus dans une situation telle que le DPCP est en train
de faire le tri entre ce qui serait grave, très grave, excessivement grave de
laisser tomber.
Et il faut aussi se projeter dans le fait
que tout ce qui est déposé comme accusations depuis l'arrêt Jordan, au mois de
juillet dernier, est soumis à des critères stricts, donc de 18 mois quand
il n'y a pas d'enquête préliminaire et de 30 mois quand il y a une enquête
préliminaire ou on est en Cour supérieure. Alors, ça, ça veut dire qu'en ce
moment le ministère public est en train d'essayer d'élaguer des choses du rôle
pour se dire, quand en plus tout ça embarquer, il va falloir être capable de
faire face à la musique. Je vous laisse juste imaginer les centaines, voire les
milliers de causes de facultés affaiblies qui sont devant les tribunaux. Est-ce
que ça veut dire que, puisqu'en ce moment ces causes-là sont prévues pour dans
un an, dans 18 mois, des fois dans deux ans, est-ce que ça veut dire que
tout ça va tomber? Donc, ce n'est pas de ma nature première d'être alarmiste,
mais là on est vraiment dans une situation excessivement grave, d'autant plus
grave qu'il n'y a absolument aucun geste qui est posé.
Alors, aujourd'hui, nous lançons un appel
formel à la ministre Vallée et à son gouvernement. Tout d'abord, il est urgent
qu'il y ait une opération transparente qui soit faite et qui nous dise combien
de procès sont à risque, combien de libérations de personnes qui sont accusées
sont à risque d'échouer du fait de la situation absolument catastrophique dans
laquelle notre système se trouve. Donc, on veut l'heure juste, on ne veut pas
devoir se fier uniquement aux entrevues qui peuvent être données par le
porte-parole du Directeur des poursuites criminelles et pénales et qui nous
expliquent qu'ils sont en train de faire le tri et de voir ce qui doit être
laissé tomber. Je pense que le public a le droit de savoir dans quel état notre
système de justice criminelle se trouve en ce moment avec le laisser-aller
qu'on a vu de la part du gouvernement.
Deuxième demande, excessivement urgente,
on veut une réponse cette semaine, dans les prochains jours, quant à l'ajout de
ressources immédiatement dans le système de justice. L'ajout de ressources,
vous savez, ça veut dire d'abord d'arrêter de couper. L'année dernière, dans le
rapport annuel du Directeur des poursuites criminelles et pénales, on a appris
qu'il y a eu 27 postes de procureurs de coupés alors qu'on fait face aux délais
dont je vous parle depuis quelques minutes. Alors, il faudrait ajouter, bien
sûr, des postes de procureurs pour être capable de faire face à ce lot important
de dossiers.
Il faut aussi être créatif et se dire :
O.K., on va ajouter, au nombre de juges actuels, les juges suppléants. Quand
des juges au Québec prennent leur retraite, ces juges-là peuvent continuer à
siéger à temps partiel, donc à continuer à entendre des causes. Alors, il y a
quand même beaucoup de ces juges-là, au moins une cinquantaine, qui sont sur
une liste de juges suppléants. Donc, il faut avoir recours à ces juges-là pour
leur demander, dans la situation de crise que l'on vit à l'heure actuelle,
qu'ils donnent plus de temps pour entendre plus de causes.
Évidemment aussi, ça va de soi, il faut
que les postes qui sont vacants, à l'heure actuelle — selon le site
de la Cour du Québec, il y en aurait huit juste à la chambre criminelle de la Cour
du Québec — il faut que ces postes-là soient comblés au plus vite,
mais aussi il faut se demander : Est-ce qu'on a un nombre suffisant de
greffiers parce que, des fois, les juges pourraient siéger, mais il manque de
greffiers parce que, là aussi, il y a eu des compressions. Donc, nommer un
nombre adéquat de greffiers.
Aussi se dire : Il y a des palais de
justice, c'est vrai qu'ils fonctionnent, qui n'ont plus de salle où ils
pourraient entendre davantage. Bien, est-ce qu'on peut se creuser les méninges
et se dire : Est-ce que, comme quand on fait face à commission d'enquête,
est-ce qu'on peut louer des locaux dans d'autres salles? C'est quelque chose
qui est possible. La cour itinérante en matière autochtone dans le
Nord-du-Québec, elle ne siège pas souvent dans des palais de justice formels.
Donc, on est capable d'aménager des salles comme on le fait de manière
exceptionnelle aussi pendant qu'il y a des travaux dans les palais de justice.
Ce sont autant de pistes qui doivent être
explorées, et maintenant ces réponses-là doivent être données, ne serait-ce que
de manière temporaire, pour stopper l'hémorragie parce qu'il est urgent de
stopper l'hémorragie. Il faut que ces mesures-là soient mises de l'avant. Il
faut que des moyens soient mis de l'avant. Je vous rappelle que le budget de la
justice, ça représente moins de 1 % du budget global de l'État québécois.
On a appris qu'il y avait des surplus de plus de 1,5 milliard. Comment ça
se fait qu'après tout ce temps, après cette crise annoncée des délais et des
arrêts de procédures, on ne soit pas encore capables d'avoir, de la part de ce gouvernement-là,
des ressources qui soient injectées dans le système de justice? Ça dépasse l'entendement.
Alors, on demande une action vigoureuse, concrète, rapide, et cette semaine on
veut entendre la ministre de la Justice nous dire que, oui, de telles actions
vont être mises de l'avant.
En terminant, vous me permettrez de dire
que, dans un éditorial, en fin de semaine, sous la plume d'Antoire Robitaille,
une idée était mise de l'avant, qui est celle de pouvoir examiner le recours à
la clause dérogatoire de manière limitée pour éviter l'hécatombe qui se
dessine, une idée du Pr Guillaume Rousseau et qui fait jaser dans le milieu
juridique, là, depuis la fin de semaine. Donc, je veux simplement vous dire qu'on
a examiné rapidement cette idée-là qui est quand même d'une bonne complexité
juridique, et, dans la situation dans laquelle nous nous trouvons, nous
demandons à la ministre de l'examiner à son tour avec toutes les ressources
juridiques dont elle peut disposer, parce qu'on estime qu'absolument aucune
voie ne peut être mise de côté, aucun chemin ne peut être exclus tellement la
situation, en ce moment, à l'heure où on se parle, est grave.
Et on voit un premier accusé du procès
Vaillancourt qui va, là, sûrement, dans les prochains jours, faire entendre sa
cause. On sait que M. Vaillancourt lui-même, Tony Accurso, eux-mêmes sont en
réflexion par rapport à ces possibilités-là. Donc, avant que toute la confiance
du système de justice soit mise à mal, avant que les Québécois perdent
complètement confiance, nous demandons à la ministre de répondre à nos demandes
de manière très urgente. Transparence, état de situation, nouvelles ressources
dans le système, ça presse. La ministre nous a dit jeudi que, contrairement à l'impression
générale, elle n'était pas assise sur ses mains. Eh bien, c'est le temps qu'elle
le prouve. On veut de l'action. Merci.
Mme Richer (Jocelyne) : Mais
si vous étiez, vous, ministre de la Justice, est-ce que ça serait l'avenue à
privilégier d'invoquer la clause dérogatoire dans les circonstances actuelles?
Mme
Hivon
: L'avenue
à privilégier, bien franchement, c'est l'ajout de ressources. C'est vraiment l'avenue
première et urgente. Et pourquoi ça devient de plus en plus urgent? C'est parce
que ça fait des mois et des mois que le gouvernement s'en lave les mains et ne
fait absolument rien.
Alors, c'est important d'être créatifs. On
nous dit : Ah oui! mais là on ne peut pas augmenter le nombre de juges, puis,
si on faisait ça, ça prend une loi, donc ça pourrait être long. Non, il y a des
juges suppléants. Pourquoi on n'a pas recours à eux? Pourquoi on n'est pas
capables d'engager, ne serait-ce que sur une base temporaire, des procureurs de
la couronne? Pourquoi on n'est pas capables de se doter de plus de greffiers?
Encore une fois, il y a des gens qui peuvent être engagés de manière
temporaire, des salles...
Donc, tous ces obstacles-là qu'on nous
ressort, je m'excuse, mais quand il y a de la bonne volonté, puis quand on en
fait une priorité, puis quand, en plus, il y a des surplus, bien, ce n'est pas
vrai qu'on n'est capable d'injecter un peu d'argent dans le système de justice.
M. Chouinard (Tommy) : Est-ce
qu'on peut comprendre que, si d'aventure, le gouvernement allait de l'avant
avec l'ajout de ressources, donc on n'aurait pas besoin de voter, un jour ou
l'autre, la clause dérogatoire? Ça suffirait, selon vous?
Mme
Hivon
: En
fait, je pense qu'il ne faut rien exclure dans l'analyse actuellement et il
faut sentir que ce gouvernement-là n'exclue rien. C'est l'inverse de ce qu'on
ressent en ce moment. On a le sentiment qu'il ne s'inquiète pas du tout, que
c'est «business as usual». C'est exactement le contraire qu'il faut sentir.
Là, en ce moment, c'est difficile pour
quelqu'un de l'extérieur de dire à quel point il y a des causes qui risquent de
tomber. Évidemment, nous, comme vous, on s'inquiète quand on voit un Luigi
Coretti qui est libéré, quand on voit un accusé dans le cadre du procès
Vaillancourt déposer une requête en procédure. On sait qu'à tous les jours il y
a de ces requêtes-là, là. Donc, 150 depuis le mois de juillet, c'est quand même
beaucoup, là. Alors, ça veut dire qu'il y a beaucoup de causes dont on n'entend
pas parler parce que c'est moins grave. Donc, c'est pour ça que notre première
demande, c'est : Quel est l'état des lieux?
Deuxièmement, ajout de ressources. Et la
question de la clause dérogatoire, que nous, on dit : Il faut qu'il y ait
une analyse plus poussée qui soit faite de ça, c'est qu'à partir du moment où
on montre justement qu'on prend les choses au sérieux, et qu'il y a un ajout de
ressources, et qu'on fait tout ce qu'il faut, est-ce qu'on est encore dans une situation
où les multiplications d'arrêt de procédure risquent d'avoir cours? Et, si
c'est le cas, bien, il faut envisager toutes ces options-là.
Moi, je ne peux pas vous dire aujourd'hui
c'est quoi la bonne réponse. J'ai regardé ça en fin de semaine, mais ce qui est
certain, c'est qu'on ne peut pas continuer à laisser aller les choses comme ça
et à faire en sorte que les Québécois perdent absolument confiance dans leur système
avec tous ces procès-là qui s'en viennent, avec toutes ces causes-là qui
pourraient échapper à l'oeil de la justice.
M. Vigneault (Nicolas) : La ministre
dit que son comité actuellement va faire le travail éventuellement. Vous
trouvez que ça ne va pas assez vite. C'est un peu ça, là.
Mme
Hivon
:
Bien, écoutez, la ministre, la seule réponse qu'elle nous a donnée, c'est la
réponse de dire qu'elle a travaillé avec une table concertée, avec les acteurs,
et elle nous a déposé un plan d'action au début du mois d'octobre. Fort bien.
Je veux dire, c'est plein de bonnes intentions, ce plan-là, mais on ne peut pas
être juste au stade des bonnes intentions.
Vous savez, ça dit soutenir le leadership
de la magistrature et l'engagement des partis à l'égard d'une gestion
d'instances proactive et efficiente. Moi, je veux bien, mais concrètement,
qu'est-ce que ça change, ça? Améliorer la gestion des poursuites, élaborer des
pratiques destinées à diminuer les délais occasionnés par la divulgation de la
preuve, réviser l'ensemble des directives, ça, je peux juste vous dire qu'on en
a pour des mois et des mois, là, alors que là il faut stopper l'hémorragie maintenant.
Alors, c'est ça qu'on lui demande. Moi, je
dis fort bien et travaillons sur un changement de culture, travaillons sur tous
ces enjeux-là. Assurément, c'est quelque chose qu'elle aurait dû mettre en
place quand elle s'est aperçue déjà, l'année passée, que la situation était
excessivement périlleuse dans le système. Donc, oui, il faut faire tout ça,
c'est certain, mais il faut aussi agir de manière tout à fait immédiate pour
changer les choses et faire en sorte que ce n'est pas vrai que tous ces gens-là
pour lesquels on a mis tellement d'efforts, notamment avec l'UPAC, voient leurs
procès avortés et puissent s'en sortir.
M. Foisy (Philippe-Vincent) : Est-ce
que c'est une crise maintenant ou c'est le prélude d'une crise qui pourrait
être énorme?
Mme
Hivon
: On
est déjà dans la crise et on est dans une crise qui est grave, parce que, moi,
quand j'entends le porte-parole du Directeur des poursuites criminelles et
pénales dire qu'en ce moment on est en train d'analyser et de faire le tri
entre les causes qui peuvent procéder ou non, vous vous imaginez ce que ça veut
dire. Est-ce que ça veut dire qu'on va même en venir, à un moment donné, à ne
carrément pas poursuivre, faute de moyens, à se dire : Bien là, ces
causes-là ne sont pas assez graves, on n'a pas assez de chances, peut-être,
d'obtenir de condamnation, donc on va libérer le rôle ou on va faire attention?
Là, je spécule, là, ce n'est pas ça qui a
été dit, mais c'est tellement grave ce qu'on entend. Donc, oui, on est déjà
dans la crise, et je pense que l'objectif, c'est de faire en sorte que cette
crise-là ne devienne pas encore plus ingérable qu'elle est déjà en ce moment.
Moi, je veux dire, s'il y a des centaines de causes qui avortent, bien, on va
espérer que ce ne sera pas des milliers de causes qui vont avorter. Mais, pour
avoir parlé à beaucoup de gens dans les derniers jours, je dois vous dire que,
quand on commence à regarder ça, ça pourrait être des centaines, et des
centaines, et des centaines de causes.
M. Foisy (Philippe-Vincent) :
C'est la faute à qui? Parce que, là, on dit : Bon, le gouvernement
pourrait réinvestir davantage, O.K., mais la crise, elle est là. Donc, il y a
plusieurs décisions qui ont mené à cette crise-là. La faute, c'est la faute à
qui? Est-ce que c'est la faute à M. Bouchard, comme disait Mme Vallée, ou c'est
la faute au gouvernement Charest, la faute au gouvernement Marois?
Mme
Hivon
: Je
pense que c'est difficile d'imputer la faute à quelque chose qui remonterait à
il y a 20 ans. Donc, je pense qu'il faut être plus concret dans nos choses,
dans nos questionnements aujourd'hui.
Très certainement, le gouvernement et la
ministre Vallée ont une responsabilité énorme. Ce n'est pas d'hier qu'on pose
des questions. J'ai fait un point de presse en début d'année 2016, à la suite
des déclarations publiques de la juge Côté et du juge Rolland, des juges en
chef, Cour du Québec... juge en chef adjointe, Cour du Québec, juge en chef,
Cour supérieure, disant : Écoutez, là, quand c'est rendu qu'ils sortent de
leur devoir de réserve sur la place publique pour dire qu'ils en perdent le
sommeil la nuit, il faudrait faire quelque chose.
Donc, déjà, j'avais évoqué les idées
d'augmenter le nombre de procureurs, d'augmenter le nombre de greffiers. Ce
qu'on a vu avec les crédits, au contraire, c'est des compressions dans le
système. Donc, je pense que la faute, elle est clairement liée à la ministre, à
son manque, je ne sais pas, de leadership. Elle n'est pas capable de convaincre
son collègue du Conseil du trésor que c'est urgent de mettre des ressources
dans le système. Alors, oui, je pense qu'il y a eu beaucoup d'avertissements,
puis ça, c'est avant le jugement de Jordan qui vient mettre une pression, là,
complètement folle sur le système.
M. Dutrisac (Robert) : Mais,
justement, il y a eu une mise à jour économique. Il n'y avait pas d'argent
spécifique pour le système de justice, il y en a eu pour la santé, l'éducation.
Est-ce qu'on peut attendre, justement, le prochain budget, parce que...
Mme
Hivon
: On
ne peut pas attendre le prochain budget.
M. Dutrisac (Robert) : Bien,
ils vont prendre l'argent où?
Mme
Hivon
: On
ne peut pas attendre le prochain budget. Bien, je veux dire, on est capable de
faire des aménagements. On est capable de dire qu'avec les surplus qu'on a, on
va débloquer une somme de manière urgente pour éviter une crise complète. Je
veux dire, on est face à une crise complète de notre système de justice
criminelle, là. C'est loin d'être banal. Mais là, parce que tout ce monde-là ne
sont pas dans les rues, puis on sait des fois comment le gouvernement
fonctionne, hein, il faut la pression publique, puis tout ça, est-ce que c'est
ça qui fait en sorte qu'on ne bouge pas? Alors, ça n'a aucun sens.
M. Dutrisac (Robert) : Est-ce
que ça risque d'avoir des répercussions dans la confiance que le public peut
avoir dans les institutions de la justice? J'imagine, si des...
Mme
Hivon
:
Bien, ça risque…
M. Dutrisac (Robert) : Si un
cas comme Vaillancourt pouvait…
Mme
Hivon
: Vous
vous imaginez?
M. Dutrisac (Robert) : Quel
impact ça pourrait avoir dans l'opinion publique ou sur la confiance des gens,
de la population…
Mme
Hivon
:
Bien, la confiance, elle est déjà très faible, des gens à l'égard de leur
système de justice. Vous le voyez périodiquement dans les sondages qui sont
faits à ce sujet-là. Et là, avec ce qui se passe, avec les arrêts de procédure
concernant des Hell's Angels, avec Luigi Coretti la semaine dernière, qui a
quand même marqué l'imaginaire, avec, là, un des premiers des accusés du procès
Vaillancourt qui va déposer une requête... et que va-t-il arriver pour les 30
autres? Ils ont tous été arrêtés en même temps, là. Je vous rappelle, ils ont
été arrêtés en mai 2013. Ils se sont fait dire que le procès n'aurait pas lieu
avant l'automne 2017.
Donc, tout de suite, on est en dehors du
cadre qui est mis de l'avant par la Cour suprême dans l'arrêt Jordan.
Exceptionnellement, pour les causes qui ont été instruites avant, il y a
possibilité d'une petite flexibilité, mais là, ça, c'est dans le meilleur des
cas. Au début, ça devait être 2019. Et puis là ils ont essayé de le ramener,
mais il y a beaucoup de gens qui disent que ça ne pourra pas se tenir avant
2018.
Alors, où on en est, là? Qu'est-ce qui va
arriver? Et évidemment que ça va être une crise de confiance énorme. Puis,
au-delà de la crise de confiance, est-ce que ça a du sens que ces gens-là qui
sont accusés, pour lesquels on a mis des ressources énormes en jeu, pour
lesquels on a créé l'UPAC, puissent s'en sortir au bout du compte parce que
notre système, l'administration de la justice, n'est pas capable d'absorber ces
procès-là?
M. Robitaille (Antoine) : La
Cour suprême n'a-t-elle pas aussi une responsabilité? Dans le sens où il y a
des juges, dans des motifs dissidents, qui disent : le système judiciaire
n'est vraiment pas prêt pour ça et critiquaient les juges de la majorité. Est-ce
que la Cour suprême n'aurait pas dû faire, comme dans Carter, laisser un moment
au système de digérer, finalement, ces nouveaux délais là?
Mme
Hivon
: C'est
sûr que c'est… en fait, c'est 5-4. Ils arrivent tous à la même conclusion, là,
dans Jordan, et d'ailleurs c'est assez instructif de lire ne serait-ce que le
résumé, parce que c'était une cause de 44 mois et qui a été instruite
évidemment avant les nouveaux plafonds, et tout le monde s'est entendu sur le
fait... et c'était à la fin du procès.
Là, quand on parle de Vaillancourt, c'est
pour que le procès débute, là, 33 accusés, mégaprocès. Combien de temps le
procès va durer dans cette cause-là? C'était le délai entre le dépôt et la fin
du procès. Et la personne avait été condamnée et elle avait... malgré qu'elle a
été condamnée, les neuf juges ont dit : On brise la condamnation parce que
les délais ont été indus.
Mais tout le monde s'est entendu là-dessus,
il y a une majorité puis il y a une minorité, puis la majorité, c'est vrai,
elle aurait pu dire : On donne un délai pour que les systèmes de justice
puissent, je dirais, s'adapter — voilà le bon mot — sauf
que ce qu'ils ont fait, c'est qu'ils ont comme jumelé ça. Ils l'ont fait,
l'examen, la majorité, sauf que ce qu'ils disent, c'est que, pour ce qui est
instruit après, ce qui est déposé après juillet, c'est les plafonds qui
s'appliquent, bing, bang, et pour ce qui est instruit avant, donc les causes
pendantes, bien, il y a une certaine discrétion judiciaire, mais en tenant
compte de ces nouveaux principes là. Donc, ils l'ont fait, l'analyse. Eux, ils
ont jugé que c'est comme ça qu'il fallait aller de l'avant.
M. Chouinard (Tommy) : Juste
l'exception que vous dites pour les causes qui ont déjà été... c'est lorsque le
procès a déjà commencé, lorsque... Quelle étape?
Mme
Hivon
: C'est
quand les accusations ont déjà été déposées, mais, comme on l'a vu dans le cas
de Luigi Coretti, l'arrêt des procédures a été déclaré quand même, les Hell's
Angels, la même chose. Il ne faut pas oublier que déjà, avant Jordan, ça, c'est
très important de le dire, les arrêts de procédure se multipliaient. On a vu,
là, que, dans les deux dernières années, ça a doublé. Alors, c'était déjà un problème
majeur.
Alors, déjà, en vertu des critères
actuels, ces causes-là, il y en a beaucoup qui avortent puis pas dans les
procès les plus banals nécessairement. Alors là, vous venez ajouter ça, et
c'est sûr que les juges doivent tenir compte quand même de l'arrêt Jordan, même
si la mécanique mathématique peut exceptionnellement ne pas s'appliquer.
M. Chouinard (Tommy) : Il me
semble qu'il y a eu un plan d'action en octobre, annoncé par la ministre. Là,
c'est...
Mme
Hivon
:
Exact. Vous avez vu des grands changements, vous, depuis l'annonce du plan
d'action? Moi, c'est drôle, c'est comme si...
M. Chouinard (Tommy) : ...concrètement,
mais est-ce que ça a été laissé de côté finalement?
Mme
Hivon
:
Bien, je ne vous ai pas laissé de côté, c'est juste que c'est un très beau plan
d'action, mais la ministre elle-même nous a dit qu'il n'y avait aucune nouvelle
ressource, aucune ressource additionnelle avec son plan d'action. Ça fait que
je ne dis pas que le changement de culture du système n'est pas important, je
ne dis pas qu'il y a des pratiques qui ne doivent pas être changées. Très
certainement, il y a beaucoup de choses qui doivent être changées aussi dans la
pratique, dans la gestion de l'instance, dans la manière dont on aborde ces
causes-là, mais ce n'est pas ça qui va changer du jour au lendemain. Quand je
vous faisais état tantôt, là, améliorer, soutenir, rechercher, réviser, donc
c'est tout ça. Ça, pour vous dire, là, réviser les règles, par exemple de
pratique, c'est quelque chose qui peut prendre deux ans à trois ans, là, avant
que tout le monde soit d'accord.
Donc, c'est très bien sur le long terme,
mais, sur le court terme, qu'est-ce qui a été fait? Puis elle nous a déposé ça
début octobre, puis je ne sais pas si c'est une ironie du sort, mais depuis,
les arrêts de procédure se multiplient et pas dans les moindres causes, là.
Puis je veux juste vous dire, au-delà de
ça, là, qui sont des cas très médiatisés, l'impact est aussi très direct sur
des victimes, par exemple des victimes d'agression sexuelle, là, des enfants.
Bien, l'année passée, on l'a vu. Avant même tout ça, là, on l'a vu. Il y a des cas
qui sont arrêtés parce que les délais sont tellement grands que l'enfant, sur
qui repose toute la preuve, sur ses petites épaules frêles, n'a plus les souvenirs
aussi intacts, parce que deux ans qui passent quand vous avez cinq ans, c'est
beaucoup de temps. Alors, ça fait en sorte qu'il y a de ces accusés-là aussi
qui peuvent s'en sortir.
Alors, c'est excessivement grave quand on
sait comment c'est difficile de dénoncer, quand on sait combien les victimes
prennent toutes leurs forces pour aller de l'avant avec une dénonciation, quand
on sait les ressources qu'on met là-dedans, comment on dit aux gens qu'il faut travailler
fort pour pouvoir arrêter ces gens-là, puis là, à l'autre bout, le système
laisse carrément tomber. Alors, c'est sûr que la confiance du public est
gravement mise à mal, puis moi, je suis très inquiète des répercussions que
l'on va vivre dans l'opinion publique et dans notre vie, je dirais, sociale par
rapport à ça.
M. Dutrisac (Robert) :
Sur un autre sujet, qu'est-ce que vous pensez de la burqa dans l'espace public,
vous, personnellement?
Mme
Hivon
:
Bien, vous avez vu que notre chef, M. Lisée, a déposé la proposition du
caucus, et c'est cette proposition-là qui va être débattue dans nos instances
lors de notre congrès.
M. Dutrisac (Robert) :
Comme candidate, vous auriez présenté quoi comme position?
Mme
Hivon
:
Ah! la course est terminée, voyez-vous, puis j'aurais bien aimé pouvoir la
poursuivre jusqu'au bout et tout vous dire ça, mais là je pense que ça ne
serait pas utile.
M. Chouinard (Tommy) :
Si c'était d'emblée compatible avec ce qui a été présenté, vous ne seriez pas
gênée de nous dire que c'est tout à fait compatible avec ce que vous auriez
vous-même présenté.
Mme
Hivon
:
Non, mais vous spéculeriez, vous poseriez plein de questions. Je pense qu'on n'est
pas dans ce débat-là aujourd'hui.
M. Foisy (Philippe-Vincent) :
Êtes-vous contente avec l'idée qu'on en débatte simplement? Est-ce que, ça, c'est
une bonne affaire de réfléchir au fait que...
Mme
Hivon
:
Bien, moi, je pense que, de manière générale, en démocratie, il faut embrasser
les débats. C'est que j'ai fait avec la question de mourir dans la dignité. Je
pense que, quand on est des élus, on doit prendre nos responsabilités, puis les
débats doivent se faire.
Mme Fletcher
(Raquel) : Why do you say that the Government
is doing absolutely nothing in this case?
Mme
Hivon
:
The Government is absolutely doing nothing because we've been asking the
Government to really act because of the delays problems that we see increasing
and increasing, and that we see stay of proceedings being awarded by the
courts. We've been seeing that for a long time, and still there are no
resources that have been added to the system. There are no more judges that
have been… you know, the retired judges who have been
appointed, to ask them to do more, no new Crown prosecutors, no new rooms to
hear cases, no new money.
So, of course, nothing
has been done, and it's getting worse and worse. We are really facing an
unprecedented crisis of our criminal justice system.
Mme Fletcher (Raquel) : Do you think it has anything to do with the fact that the Government lawyers and notaries are
striking that the Government
can't table a new legislation
to fix this problem?
Mme
Hivon
: No, I don't think it has to do with that because this strike has
been going on, I think, for five weeks, and we've been asking about that for
months now. So, if there had been a will… And, you know, it doesn't need a legislation necessarily. It needs resources,
it needs injection of money, and you can do that without a new legislation.
M. Hicks (Ryan) : When they announced the kind of plan to correct things at the
beginning of October, the Justice Minister was joined by the top judges in the
province, and they said that it was more about changing the way they work than
new resources. But they did say that they would bring in retired judges to help
out. Why do you think it has taken so long to see any results from that day? I
think it was at the beginning of October.
Mme
Hivon
: October 6. I'm just telling you : Don't hold your breath. You
won't see any results in the coming weeks because, you know, when you're facing
a crisis, you have to act, be it on a temporary basis, to fix the crisis, and
then you have also to work on the long term to review your process, how were
you put into that crisis, what created that, so to make sure that this will
change.
So, of course, all this
plan is very good, good will, good intentions, but, when you look at it, you
don't see anything that is going to change things over night, whereas, you
know, we see accused people being freed over night. That's what we're seeing
right now and we're seeing a multiplication of that. And I think people are
really worried about what is going to be the next step. Is it going to be the
Vaillancourt trial, you know? What is going to happen to the Mascouche trial,
you know? There has already been one who's been freed. So this is not going to
change over night, and we have to really stop the hemorrhage that's going on
right now.
M. Hicks (Ryan) : And why do you think using the notwithstanding clause is a
potential avenue?
Mme
Hivon
: Well, it's because right now, of course, this is not the main one.
What we have to be seeing is really seriousness into the actions that are being
put forward with new money, new resources, but what we are seeing today is simply that everything has to be
looked at, every avenue, because I don't think that for the upper good of the
system and of the confidence of the people in their judicial system, we can
bear with many, many more accused being freed overnight.
So this an option, this
is an avenue that's been put forward by a professor of law, Guillaume Rousseau,
and it would be a way, in a very limited manner, let's say, to say, for
example, for two years, in some cases, we will do as if we are not acting upon
the stricter delays. It's difficult to see right now but what we are seeing is
the Minister has to look at everything. Of course, she
cannot do that if she doesn't do everything that is urgent to be done, that is,
you know, injecting new resources because there would be outrages. But, you
know, if there is a strong political will to fix the problem with new resources
and we don't see that this can be fixed so quickly, maybe it's something that
can be looked at but it's very juridical complex question, and normally, when
her lawyers are with her, she has very good opinions that she can get, so we
are asking her to look at that also.
We want to feel that the
Minister of Justice and her Government are taking this seriously, that they're
really searching, you know, for what can be done, and, first of all, they have
to be transparent and tell us, you know, the scope of the crisis we're facing
and, second of all, in the days coming, they have to tell us that new resources
will be added. O.K.? Merci.
(Fin à 14 h 38)