(Neuf heures deux minutes)
Mme
Hivon
: Vous
avez vu l'accumulation, depuis hier, de sorties en règle des juges, des juges
en chef, autant de la Cour du Québec, chambre criminelle, que de la Cour
supérieure aujourd'hui. C'est absolument du jamais-vu de voir que, face à cette
crise sans précédant qu'on vit dans le milieu de la justice criminelle, que les
juges en chef en soient rendus à sortir de leur réserve judiciaire, à sortir
sur la place publique pour demander de toute urgence des ressources
supplémentaires. Vous avez vu que, ce matin, on apprend que ce sont même des
causes de meurtre et des dizaines de causes de meurtre qui sont en péril au Québec,
à cause des délais déraisonnables, à cause de l'incurie et de l'inaction du gouvernement
actuel, de la ministre de la Justice qui voyait cette crise arriver, pour qui
c'était une crise annoncée et qui n'a pas bougé, malgré qu'on l'ait interpellée
depuis des mois, depuis le début de l'année 2006, et depuis il y a eu l'arrêt
Jordan.
Alors, on vient de décider, et Pascal va
expliquer en détail la procédure, on vient de décider à notre caucus qu'on
demandait aujourd'hui un débat d'urgence sur la crise des délais judiciaires
dans notre système de justice criminelle, pour que cette hémorragie cesse, pour
qu'il y ait des mesures urgentes qui soient mises de l'avant, pour que la
ministre doive s'expliquer et nous dire aujourd'hui ce qu'elle va faire pour
stopper l'hémorragie et pour faire en sorte que des criminels, que des accusés
ne s'en sortent pas pour une question de procédure, pour une question de délais
indus.
M.
Bérubé
:
Merci, Véronique. En ma qualité de leader parlementaire de l'opposition
officielle et en vertu des dispositions des articles 88 à 93 du règlement de
l'Assemblée nationale du Québec, j'ai signé, ce matin, une demande pour la
tenue d'un débat d'urgence portant sur le manque de ressources du système de
justice. Alors, ce débat se tiendrait après la période de questions, c'est un
débat restreint de deux heures. Il n'y a pas de vote, mais c'est une procédure
exceptionnelle, compte tenu des circonstances exceptionnelles, compte tenu de
la nature de l'enjeu. Alors, notre responsabilité, comme opposition officielle,
c'est de se faire écho à toute la communauté juridique et de demander ce débat
qui s'impose.
Alors, c'est déjà signé. Évidemment, ça
devra passer le test de la recevabilité du président de l'Assemblée nationale,
mais c'est en cours présentement.
M. Caron (Régys) : Un débat
d'urgence, ça va donner quoi?
M.
Bérubé
:
Bien, d'abord, ça démontre toute l'importance que nous y accordons et ça donne
plus d'espace à la ministre pour s'expliquer là où ça compte à l'Assemblée,
auprès des parlementaires. Mais soyez assurés qu'il y a beaucoup de monde qui
vont écouter avec attention les propos de la ministre, et Véronique pourra
compléter sur les attentes qu'on a.
Mme
Hivon
: Oui.
Bien, écoutez, plusieurs d'entre vous étaient ici lundi, alors depuis lundi que
j'ai sonné l'alarme parce qu'on voyait, et on le voit depuis des mois, les
risques qui sont bien réels. Et là on l'a vu, depuis quelques semaines, avec
les arrêts de procédure qui sont ordonnés, avec les accusés qui sont libérés, à
quel point cette crise-là, elle est grave. On l'a dit lundi, c'est une crise
sans précédent. Certains trouvaient que c'était quelque chose de gros. Eh bien,
je dois vous dire que c'est sans précédent.
Dites-moi, quand vous avez vu un juge en
chef de la Cour supérieure à la une d'un quotidien? Quand avez-vous vu une juge
en chef, à la chambre criminelle de la Cour du Québec, donner des entrevues
télé et radio? C'est du jamais-vu.
Alors, ça, ce que ça veut dire, c'est que
ça fait des mois qu'ils demandent des ressources supplémentaires et ça fait des
mois qu'ils ne sont pas entendus, et là ils voient l'hécatombe arriver. Ils
voient que des dizaines, et des dizaines, et des dizaines... c'est des
centaines de causes qui sont à risque et que les arrêts de procédure vont aller
en se multipliant. Alors, c'est tout à fait justifié. On est vraiment dans
l'urgence, et ce débat-là va faire en sorte que la ministre de la Justice va
être obligée de nous donner des réponses. Elle va arrêter de dire que le plan
d'action va faire le travail. Vous le voyez, elle a déposé au début octobre son
plan d'action sans aucune ressource supplémentaire, et qu'est-ce qu'on voit
depuis le début d'octobre? Bien, on voit encore plus de requêtes en arrêt des
procédures, on voit encore plus d'accusés qui sont libérés.
Aujourd'hui, on voit un autre cas, quelqu'un
en maltraitance qui a été libéré, question de délai, et moi, de voir que le
juge en chef de la Cour supérieure nous dit qu'on parle maintenant de causes de
meurtres et par dizaines, je trouve que c'est absolument scandaleux qu'on en
soit rendus là dans notre système de justice.
M. Croteau (Martin) : Comment
vous vous expliquez la réticence de la ministre à investir davantage d'argent?
Mme
Hivon
:
C'est inexplicable. C'est inexplicable. Vous avez vu hier l'Ontario, l'Ontario
a décidé hier d'annoncer des moyens importants. Pour qu'ils aient fait cette
annonce-là hier, ça veut dire qu'ils ont dû réfléchir à ça depuis quelque
temps. Déjà, c'est tardif.
Au Québec, c'est excessivement tard parce
qu'on voit que les arrêts sont prononcés. On voit que le système est à bout de
souffle. Alors, comment expliquer ça? Ça ne s'explique pas. Moi, pour vous dire
franchement, quand j'ai fait ma sortie lundi, je m'attendais à ce que dès mardi
on nous annonce des ressources supplémentaires, tellement la crise est importante.
Et on a vu, cette semaine, la crise continuer. On a vu Tom Harding qui demande,
pour l'accident de Lac-Mégantic, un arrêt de procédures. On voit aujourd'hui
une autre cause en maltraitance. C'est des dizaines de causes, dont on n'entend
même pas parler, qui bénéficient de ça.
Quand c'est rendu... Et encore ce matin
j'entendais un avocat de la défense dire : Nous sommes tenus d'invoquer ça
dès lors l'arrêt Jordan, dès lors que ça s'applique, parce que sinon nos
clients pourraient nous le reprocher. Alors, vous vous imaginez, c'est
inexplicable, surtout qu'ils nous ont annoncé, il y a quelques semaines, des
surplus de milliards, donc un surplus budgétaire de milliards de dollars.
Comment ça se fait qu'on n'est pas capables d'investir en justice? Comment ça
se fait? En plus, nous, au printemps dernier, on a dénoncé les coupes en administration
de la justice, 24 millions sur deux ans, au DPCP, 5 millions juste
l'année dernière, on a aboli les équipes spécialisées. Comment ça se fait qu'il
n'y a rien qui a été fait jusqu'à maintenant?
M. Croteau (Martin) : Combien
ça prendrait, à vos yeux? Combien ça prendrait, à vos yeux?
Mme
Hivon
:
C'est très difficile à dire parce que ce qu'on demande, c'est un état de situation.
Donc, ce qu'on nous dit, c'est qu'il y a 222 requêtes en ce moment, mais, vous
comprenez, ça, c'est le phénomène... c'est comme quand quelque chose se met à
déborder, au début, c'est quelques gouttes, puis là, après, c'est les torrents.
Bien là, c'est ça qui va se passer, ça va être des centaines puis ça risque
d'être des milliers, parce qu'il y a un engorgement.
Donc, je ne peux pas vous dire. Je ne peux
pas vous dire parce qu'un autre problème du système de justice, puis là
vous en voyez une pléthore, là, au-delà du fait que ce n'est pas
informatisé, au-delà du fait que les greffiers prennent les procès-verbaux à la
main, c'est le fait que nous n'avons pas d'information fiable dans le système
et qu'on n'est pas capables de connaître l'ampleur de la situation. C'est pour
ça qu'on demande à la ministre de nous le dire, mais c'est certain que ça prend
des millions à être débloqués pour nommer des juges, nommer des greffiers,
louer des salles s'il le faut, augmenter le nombre de procureurs de la
couronne.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
S'agit-il véritablement d'une crise, dans la mesure où, vous l'avez mentionné,
il y a plus de 220 requêtes en arrêt de procédure au Québec, puis en Ontario, c'est
plus de 6 000?
Mme
Hivon
: Oui.
En Ontario, ce n'est pas 6 000 en ce moment. C'est qu'ils ont fait
l'évaluation, parce que visiblement, en Ontario, ils ont travaillé. C'est ce
qu'on aimerait voir le gouvernement du Québec faire, on aimerait le voir
travailler. À voir les chiffres, ce n'est pas normal, quand même, que mardi,
quand vous avez posé la question à la ministre de la Justice... parce que moi,
j'avais évoqué qu'en ce moment il y en avait autour de 150, elle vous dise :
Oui, ça peut ressembler à ça puis qu'elle vous revienne quelque temps plus tard
pour vous dire : Ah! finalement, c'est 222.
Comment ça se fait que la responsable de
la justice, au Québec, ne sait pas, en ce moment, combien il y en a et surtout
combien il va y en avoir dans un mois, dans trois mois, dans six mois. C'est
ça, l'exercice qui a été fait en Ontario et qu'ici n'est pas fait.
Vous savez, des causes pour facultés
affaiblies, il y en a des milliers chaque année. Et là ce qui se passe, on le
voit ce matin aussi, dans une juridiction, là, il y en a une dizaine qu'on
demande un arrêt de procédure. Pourquoi ces causes-là sont souvent remises et
remises? Parce qu'il y a des choses qui sont plus urgentes : une agression
sexuelle, des causes où il y a des voies de fait. Ça va, en quelque sorte, faire
sauter du rôle ces causes-là.
Alors, quand Jordan s'applique mathématiquement,
18 mois, préparez-vous, il pourrait y avoir des centaines et des centaines de
ces causes-là qui avortent.
Mme Crête (Mylène) : Est-ce
que Mme Vallée a manqué de jugement?
Mme
Hivon
: Mme
Vallée n'a pas travaillé comme elle devait travailler. Mme Vallée n'a pas vu la
crise venir, Mme Vallée n'a pas pris les moyens de faire face à cette crise
sans précédent et à éviter qu'on y soit plongés.
La crise, elle était déjà là en janvier
dernier. Il y avait eu une sortie, une première sortie, complètement rarissime,
encore une fois, de la juge en chef adjointe, cour criminelle, Mme
Danielle Côté, en janvier dernier, pour dire : Ça craque de partout, je
n'en dors plus la nuit. Et nous, tout de suite après, on avait fait un point de
presse, posé des questions, en disant à la ministre : Écoutez, là,
qu'est-ce qui se passe? Que faites-vous? Quelles ressources pouvez-vous
ajouter?
Il faut, à un moment donné, là, dire :
Aux grands maux, les grands moyens. La justice est sous-financée, moins de
1 % du budget global de l'État du Québec. Il me semble que, déjà, il y
aurait dû y avoir de grands gestes de posés. Or, on nous parlait d'un plan
d'action qui est venu, pas en février, pas en mars, pas en avril. On a eu des
coupes en avril, coupes au DPCP, coupes en administration de la justice de
dizaines de millions, et le plan est arrivé en octobre. Il est arrivé en
octobre sans aucune ressource.
Donc, oui, c'est une incurie très, très
grave. Le gouvernement est responsable de la crise dans laquelle on est. Oui, il
faut changer la culture judiciaire. Oui, il faut revoir les règles de pratique.
Oui, il faut mettre en place des nouvelles manières de faire, mais ça, ça ne
donnera pas les résultats demain matin. Or, il y a des accusés qui sont libérés
à chaque jour en ce moment.
M. Foisy (Philippe-Vincent) : Lui
faites-vous confiance à Mme Vallée?
Mme
Hivon
: Mme
Vallée, force est d'admettre qu'elle ne gère pas la situation à la hauteur de
ce que les gens du milieu s'attendent. Force est d'admettre que, pour qu'on
voie ces sorties-là de la bâtonnière des juges en chef, c'est qu'il y a un
grave problème en ce moment à l'égard de la ministre de la Justice.
M. Lecavalier (Charles) : Mme
Vallée dit qu'elle ne peut pas nommer de juge parce qu'il n'y a pas de
recommandation sur son bureau. Est-ce que vous trouvez que c'est une excuse
valable? Et comment expliquer que le comité de recommandation n'ait pas
recommandé de juge?
Mme
Hivon
: Il y
a un processus formel, hein? Vous vous rappelez de l'histoire Bastarache et des
post-it. Donc, les choses ont changé, heureusement.
Par ailleurs, vous le voyez venir quand il
y a un juge qui part à la retraite. C'est annoncé des mois à l'avance. Comment
ça se fait que ces postes-là ne sont pas comblés et que les concours ne
commencent pas des mois à l'avance? Hier, je suis allée faire un tour sur le
site de la Cour du Québec, il y en a neuf en chambre criminelle qui ne sont pas
comblés et qui sont aux premières étapes.
Est-ce que ça peut être accéléré? C'est ça
qu'on lui demande. Comment ça se fait que ça n'a pas été fait avant que le
poste se libère? Donc, il y a beaucoup de questions qui se posent, et on me dit
que je dois...
M. Croteau (Martin) : Est-ce
que Mme Vallée devrait démissionner?
Mme
Hivon
:
Bien, comme le chef l'a dit, écoutez, hier, il y a une démission de ministre
qui a été demandée. Donc, une démission par jour, je pense que c'est suffisant.
Ce qu'on lui demande, c'est de se ressaisir de toute urgence, de nous annoncer
des mesures de toute urgence, dès aujourd'hui.
M.
Bérubé
: Et
on espère la tenue du débat d'urgence tout à l'heure.
M. Hicks
(Ryan) : What does it say to you when we have
sitting judges coming out criticizing the situation? We never see that.
Mme
Hivon
: Exactly. You've never seen that. I put you to test if you have ever
seen a Chief Judge coming out of his or her reserve to say such things. It
means that we are facing, like we said back on Monday, an unprecedented crisis
in our justice system right now. It means also that there have been requests
for sure, for months going on, for adding resources in the system and that those calls for help haven't been heard.
Mme Fletcher (Raquel) : Just one other question. What is your reaction to how Vallée has commented about this situation so far?
Mme
Hivon
: Really, it's under everything. I don't know how you say that in
English, but it's really unbelievable. It's unexplainable. You know, back on Monday, when I said that
we needed, you know, in a very
urgent matter, to have such resources added, that we needed to have really the
state of the situation, we were
expecting that the following day new resources would be added, that there would
be, right away, you know,
explanations as to how big the crisis is, and also about new judges, new
clerks, new prosecutors, new rooms to hear cases.
And, you know, it's been
going on for a week now, and everybody is coming out saying : Yes, it's an
unprecedented crisis. Just the fact that they are in the newspaper, on your television
and on the radio means that the crisis is unprecedented. So Mrs. Vallée,
like we said back on Tuesday, has to come out of her immobilism and has to act
right now, the Prime Minister
also, the Treasury Board President also. What are they doing with this crisis?
Mme Fletcher (Raquel) : And you said you're not sleeping at night?
Mme
Hivon
: Not me. I'm sleeping. I'm saying that the Judge Côté, who is the Chief Judge for the
Criminal Court, back in January last year, had told a reporter of LaPresse that she was loosing sleep at night because of the undue delays in
the Criminal Court system. And that's back 10 months ago, and nothing has been
done since.
(Fin à 9 h 17)