(Neuf heures dix-huit minutes)
Mme
Hivon
:
Bonjour! Alors, on apprend ce matin que ce n'est pas la ministre de la Justice
et son ministère qui sont responsables, donc, de la mise en branle de tout le
plan et des investissements qui ont été annoncés, en décembre dernier, pour
faire face à la crise sans précédent des délais judiciaires en matière
criminelle. Donc, ce qu'on constate, c'est que la ministre, elle est carrément
sous tutelle. La ministre de la Justice, qui occupe aussi le poste de Procureur
général du Québec et de jurisconsulte, fait en ce moment l'objet carrément
d'une tutelle parce que c'est un fonctionnaire extérieur au ministère de la
Justice, un haut fonctionnaire, qui a été dépêché au ministère mais qui relève
du Conseil exécutif, et donc du bureau du premier ministre, qui est celui qui
est responsable non seulement de voir au déploiement de ces investissements de
175 millions dans le réseau de la justice, mais qui, en plus, s'est vu
confier la tâche de carrément élaborer et proposer une deuxième phase à la
stratégie de gestion des délais dans l'optique d'apporter une solution pérenne
aux questions de délais dans le système judiciaire.
Alors, vous imaginez la situation devant
laquelle on est. Non seulement, à l'automne dernier, on a laissé la crise, la
ministre a laissé la crise s'envenimer et prendre une ampleur absolument sans
précédent en n'apportant pas de réponse au jugement de la Cour suprême dans
l'arrêt Jordan, mais, ultimement, ce qu'on voit maintenant, c'est qu'on ne lui
laisse même pas la responsabilité de déployer ce plan d'action. Alors, quand le
ministre Bégin parle de tutelle, il a complètement raison. C'est une situation
sans précédent de tutelle. Ça apparaît comme un désaveu total de la ministre de
la Justice. Et le premier ministre doit nous dire aujourd'hui pourquoi avoir
mis en place une telle tutelle et s'il a toujours confiance dans sa ministre de
la Justice parce que vous allez convenir avec moi que toutes les apparences
pointent dans le sens contraire.
Mme Lajoie (Geneviève) :
Selon vous, donc, la ministre de la Justice n'est plus indépendante comme elle
le devrait?
Mme
Hivon
: Il
y a un grand enjeu sur l'indépendance aussi parce que vous savez comme moi que
la ministre de la Justice, compte tenu de ses fonctions de Procureur général et
de jurisconsulte, on dit souvent qu'elle est la seule qui peut dire non au premier
ministre. Son indépendance doit être complète. Et là ce qu'on voit, c'est effectivement
une brèche dans cette indépendance-là et qui concerne la ministre qui doit
avoir le plus grand degré d'indépendance par rapport au premier ministre. Donc,
ça ajoute une autre couche de très grande inquiétude par rapport à la situation
qu'on voit advenir au ministère de la Justice.
Mme Lajoie (Geneviève) :
Est-ce que vous pensez que c'est... Mme Vallée a été critiquée à de
nombreuses reprises pour plusieurs dossiers dans le passé. Est-ce que vous
pensez que c'est un peu ça qui est à l'origine de cette décision du premier
ministre de surveiller, si vous voulez, le déploiement de cette stratégie-là?
Mme
Hivon
:
En fait, ce qui est très inquiétant quand on constate ça, c'est qu'on se dit :
C'est qui, en ce moment, qui s'occupe de la Justice au Québec? Donc, on a vu
effectivement de nombreux problèmes survenir dans les dossiers dont s'occupe
Mme Vallée, mais, quand on voit un désaveu aussi formel ou une mise sous
tutelle aussi claire pour le plus gros enjeu dont la ministre doit s'occuper
présentement, c'est évident que ça enlève de la confiance du public encore
plus, comme si elle n'était déjà pas assez effritée, à l'égard de la ministre
de la Justice et de la Procureur général. Et le premier ministre doit nous dire
qu'est-ce qu'on doit lire dans ce geste-là. Est-ce qu'il y a encore une
ministre de la Justice et une Procureur général digne de ce nom au Québec
aujourd'hui si on lui enlève les responsabilités qui doivent naturellement,
tout naturellement, lui incomber? Alors, ça pose énormément de questions par
rapport à sa légitimité et par rapport, donc, à la confiance qu'on peut avoir
en elle dans son rôle.
Mme Lajoie (Geneviève) :
Dans la stratégie du gouvernement, on parle aussi d'un processus de nomination
des juges. Donc, M. Marsolais, c'est lui qui est appelé, donc, à appliquer
aussi cette formule accélérée de nomination des juges. Est-ce que le fait que
quelqu'un au bureau du premier ministre soit dans ce processus-là, ça pose
problème, selon vous, là, suite à Bastarache?
Mme
Hivon
:
Bien, ça, ça doit clairement... C'est pour ça que moi, je dis que le premier
ministre doit nous donner des réponses aujourd'hui même sur toute cette
question-là parce que c'est une question supplémentaire qui se pose. Moi, je ne
peux m'imaginer que M. Marsolais est responsable de la question de la
nomination, je veux dire de superviser la question de l'embauche des juges
supplémentaires. C'est un processus qui doit demeurer totalement indépendant.
Évidemment, à partir du moment où on le
présente comme quelqu'un qui s'occupe de l'ensemble de la stratégie, j'ose
espérer que ça exclut toute la question de la nomination des juges et que les
grands pas qu'on a faits pour ce qui concerne l'indépendance de ça ne sont pas
remis en question, mais aujourd'hui tout ça doit nous être expliqué et éclairé.
Le premier ministre doit expliquer et son geste et l'ampleur du rôle qui est
donné à M. Marsolais, qui ne relève pas du ministère de la Justice mais
bien du Conseil exécutif et du bureau du premier ministre. Il doit le dire pour
ce qui est de son mandat en lien avec les investissements, en lien avec les
embauches. Comment se fait-il... La ministre de la Justice et son équipe ne
sont pas en mesure de procéder aux embauches? Ils ne sont pas en mesure de
s'assurer que cet argent-là est dépensé convenablement? Si on est en train,
donc, de remettre en question cette capacité-là en lien avec ce dossier-là,
qu'est-ce que ça veut dire pour l'ensemble des autres enjeux et des autres
dossiers? Qu'est-ce qui a motivé cette décision-là? Qu'est-ce qu'on doit y
lire? Je pense qu'il y a des questions urgentes auxquelles M. Couillard doit
apporter des réponses urgentes.
M. Vigneault (Nicolas) :
Est-ce que le comité permanent, là, sur l'administration de la justice siège toujours,
à votre connaissance, puisque ses travaux sont suspendus dans le contexte
actuel?
Mme
Hivon
: À ma
connaissance, ce comité siège toujours, et je pense qu'une autre question qui
se pose, c'est de savoir : Est-ce que, maintenant, c'est M. Marsolais
qui, donc, siège à ce comité-là et non plus la sous-ministre de la Justice ou
est-il là pour être à côté de la sous-ministre de la Justice? Quelle sorte de
compte… De ce que je comprends, les comptes, il les rend au bureau du premier
ministre et au Conseil exécutif. Vous vous imaginez la situation en ce moment?
Donc, on a voulu nous rassurer en nous disant qu'il y avait un comité, que tout
ça était pris en charge, mais fait est d'admettre que ce n'est pas le cas
puisqu'on a décidé d'avoir recours à un fonctionnaire extérieur. Donc, c'est
excessivement inquiétant.
Et vous vous rappelez peut-être que, quand
les investissements ont été annoncés, nous, on avait demandé qu'il y ait
périodiquement, mensuellement, minimalement une mise à jour de comment ce
plan-là se déployait. Les investissements qui étaient faits, les embauches
auxquelles on avait procédé. Et là, aujourd'hui, on se demande à qui on peut
demander ces comptes-là. Est-ce que la ministre est en mesure de pouvoir
répondre à ces questions-là ou est-ce que c'est le bureau du premier ministre
qui doit donner ces réponses? Donc, vous vous imaginez dans quelle situation ça
place la justice au Québec.
M. Vigneault (Nicolas) :
Sur l'aide médicale à mourir, peut-être, ce cas-là dans… en fait, les accusations
de meurtre, qu'est-ce que ça soulève? Est-ce que, selon vous, il y a des
ajustements à y avoir concernant peut-être l'aide médicale à mourir? De toute
évidence, il y a des gens qui se retrouvent dans des situations… complètement
désemparés.
Mme
Hivon
:
Bien, je pense qu'il faut être très prudents parce qu'évidemment, là, on sait
quelques informations parcellaires par rapport à ce qui s'est passé. Moi, je
vous dirais qu'au Québec avec la loi sur les soins de fin de vie on a vraiment
franchi un grand pas pour ce qui est de faire reculer la souffrance des gens,
la souffrance des gens en fin de vie. Et l'important, c'est d'être toujours en
mode questionnement et recherche de solutions pour faire diminuer cette
souffrance-là. Dans le cas qui nous occupe, il y a toute la question de savoir
le soutien qui peut être apporté, bien sûr, au proche aidant. Il y a toute la
question aussi de savoir… Moi, je n'ai pas le détail. On dit que cette personne
aurait demandé, donc, l'aide médicale à mourir. À quel moment elle l'a demandé?
Est-ce qu'elle était toujours apte? Est-ce qu'elle était devenue inapte? Est-ce
que c'est ses proches qui l'ont demandé pour elle?
Puis je vous dirais qu'il y a quelque
chose de très important quand on aborde toutes ces questions-là de fin de vie, c'est
de travailler avec le consensus social. Et, au Québec à l'époque, on a été les
premiers, on a été vraiment avant-gardistes pour apporter des solutions
humaines à des cas de détresse inhumaine. Et c'est très important qu'il y ait
des critères très, très stricts pour éviter toute forme de dérive, pour
s'assurer que les gens ont confiance dans le système mais qu'en même temps
notre système est fait de compassion et d'entraide.
Et moi, je vous dirais que cette question-là,
de savoir si les personnes pourraient le demander à l'avance, si des personnes
qui savent, par exemple parce qu'elles sont atteintes de la maladie d'Alzheimer,
pourraient faire une demande à l'avance, c'est une question qui demeure importante.
À l'époque, on en avait débattu. Il n'y a malheureusement pas eu de consensus
sur cette question-là. Et je vous rappelle qu'il y avait quand même eu le tiers
des députés libéraux qui avaient voté contre le projet de loi dans sa forme
comme on la connaît aujourd'hui. Alors, c'était impossible, il n'y avait aucune
volonté ou ouverture de pouvoir considérer cette possibilité-là. Personnellement,
je pense que c'est un débat qui doit se faire, à savoir si une personne peut
demander à l'avance, en prévision d'inaptitude à venir, la possibilité, donc,
d'obtenir l'aide à mourir.
Mme Plante (Caroline) : ...on the same topic, in English, Mrs. Hivon, what do you
think of this man who is charged of killing his partner after she was refused
medical aid to die?
Mme
Hivon
: I think it's a very sensitive case and it brings forward many, many
concerns. Of course, I don't want to get into the details of the case, I don't
know all the specifics of the case. I think that, with the end of life care
bill, we really put forward a bill that is made out of compassion and a will to
be able to lower the suffering of people who are at the end of their life. And
I think that, as a society, we
have to keep questioning the best means that can be put forward to make sure
that we do the most we can to alleviate the pain and the suffering of the
people at the end of their life. And, for sure, it brings forward the question as to : Should we allow a
person who knows that she or he will become invalid or unable to consent to ask
in advance the possibility of asking for medical aid in dying? That was an
issue, a concern when we had this whole debate.
There was, unfortunately,
a lack of consensus to go forward with such a question. As a reminder, you know that a third of the Liberal caucus voted
against the bill as it is, so this question would have had for effect that we wouldn't have had a bill if that
would have been put in it. But I think that it is a question for the society for sure to discuss. And I think, that we have to be, of
course, very vigilant and have very strict criteria that have to be followed. And
all the evidence shows that it is the case right now. I think the law is very
well put in place, but, of course, it is a question that we have to ask
ourselves.
Mme Plante (Caroline) : Why do you question Mr. Marsolais' role within the Justice
Department?
Mme
Hivon
: I think it's really troubling, what we are learning today. It is
that all the plan to reduce the delays, all the investments that were
consented, that were allowed in December to face this unprecedented crisis, we
are learning that it is not the Minister of Justice and it's not the Deputy
minister of Justice that are in charge of putting this plan into work. They
called to the rescue, if I can say, an outsider, somebody who is a former
deputy minister, who is now responsible under the Executive Council and the
office of the Prime Minister instead of being under the charge of the Minister
of Justice herself. So, it's clearly a form of tutorship, it's clearly an act
in which the Prime Minister is disavowing his Minister of Justice and it's of
really, really great concern.
Mme Plante (Caroline) : Mr. Bégin, a former Justice Minister, said, under those
circumstances, he would step down. Do you think that it's time for Mrs. Vallée
to step down?
Mme
Hivon
: Well, I think that it is for sure a very worrying signal that she
is given by the Prime Minister. And I think that, today, the Prime Minister has
to answer very pressing questions as to why he decided to put this form of
tutorship on the head of his Minister of Justice. It's really worrisome for Quebeckers to know that their Minister of
Justice, who has a very, very fundamental role in our society, who is the
Minister who has to have the most independence from the Prime Minister because
of her role as attorney general and jurisconsult of the State… it is very
worrisome to see that and it is another reason why the confidence toward the
Minister of Justice, that has been shaken already so much in December, is still
put into question today.
Mme Plante (Caroline) : She also has a lot on her plate, she has 98, she has 62, she as
113. Do you think that could be one of the reasons why she's not in that justice
delay file anymore?
Mme
Hivon
: Well, you know, it
cannot be an excuse. I mean, it's at the core of the responsibilities of the attorney
general to make sure that the system of justice works properly. And finally,
after weeks and months of crisis, there were investments
and new resources that were announced, and what we are
learning is that she's not responsible to put them into place. This is at the
core of her role as Minister of Justice, you know. If
she has too much on her plate, well, I don't think…
it's the core of what justice is all about, that should be withdrawn from her,
you know. If the Prime Minister thinks that his Minister of Justice is not able to do the job properly, well, may be
he can, you know, give files to somebody else. If she is Minister of Justice,
she has to take care of justice. And this is at the core of it, and I'm really, really worried as to what is going on right now in
the Ministry of Justice, really worried as to the confidence that the people
can have in their Minister of
Justice.
Mme Plante (Caroline) : Do you think that this could affect progress on the ground when we
talk about the delays and we talk about how it became crisis? Do you think that
it could have a real impact on how things are going on the ground in law courts
around the Province?
Mme
Hivon
: For sure, it brings a lot questions because this new high civil servant is, from what we understand,
asking, you know, people at the Ministry of Justice to give him accounts as to what is going on. So, it
brings another level, you know,
of accountability, and it's not the Minister of Justice and it's not her ministry who
are taking that into charge. So, of course, there are questions that can be
raised. And furthermore, not only is Mr. Marsolais in charge of
implementing that plan, but he is in charge of thinking about other ways, in a
second phase, to make sure that, you know, we are able to deal properly with reducing the delays in the system. So, the
disavowal is total.
Mme Plante (Caroline) : …delays worsened?
Mme
Hivon
: Well, I don't think that delays can worsen because we are bringing,
you know, new resources, but we
asked to have the information. We even asked a week ago
to hear the DPCP, to bring that person in commission, in parliamentary
commission to know what's going on, you know, how many of those requests, of
those petitions for the stopping of procedures are put
forward, what is the expectation from six months, six months from now, a year
from now, and this was denied by the Liberal members of the Commission. They
don't want us to be able to ask questions to the DPCP as to what's going on.
And now can we ask questions to the Minister of Justice, who is not even in
charge anymore of that file? So, who are we turning to? We have to turn to the Prime Minister himself? Is he the one now
who's going to be answering all our questions regarding the delays in the
criminal justice? It doesn't make any sense. So, this is why we're asking very
urgently the Prime Minister to
answer all those questions that are raised today.
(Fin à 9 h 37)