(Douze heures trente-deux minutes)
Mme
Hivon
: Je
pense que notre rôle premier comme élus, c'est d'être à l'écoute de la population,
surtout sur des sujets aussi sensibles que l'aide médicale à mourir. Je pense
que le cas de M. Cadotte et de Mme Lizotte — donc, si on se
souvient, bien sûr, cette situation où un homme dont la femme était atteinte de
la maladie d'Alzheimer, selon ce qui est allégué, aurait donc mis fin aux jours
de sa conjointe — a vraiment bouleversé tout le Québec. Et moi, je
dois vous dire que, pour me promener à travers le Québec en donnant des
conférences sur la question de la loi sur les soins de fin de vie, c'est une question
récurrente, celle de savoir est-ce qu'une personne qui, donc, a la maladie
d'Alzheimer ne pourrait pas demander, de manière anticipée, d'avoir accès à
l'aide médicale à mourir. C'est d'ailleurs un débat que nous avions fait, lors
des travaux de la commission Mourir dans la dignité, et nous avions demandé,
donc, un éclairage supplémentaire de la part d'experts. Et souvent on me
demande pourquoi on ne l'avait pas inclus à l'époque, et je réponds toujours
qu'on ne l'avait pas inclus parce que le consensus n'était pas présent entre
tous les partis et qu'en mettant cet élément supplémentaire là on risquait et
on aurait fait couler tout le consensus sur le reste. Donc, il m'apparaissait
très important de pouvoir franchir ce premier grand pas de l'aide médicale à
mourir plutôt que de perdre l'ensemble du projet parce que je pense qu'aujourd'hui
les 450 personnes qui ont pu en bénéficier sont très reconnaissantes qu'au
Québec on a été précureurs et qu'on se soit dotés de cette loi-là.
Ceci étant dit, je me réjouis donc que le
gouvernement embarque dans le débat, qu'il, donc, souhaite que ce débat se
fasse. Je dois toutefois vous dire que je suis déçue que, pour la première
fois, on s'éloigne, dans ce dossier-là, de l'esprit de collaboration, de
l'esprit non partisan qui a toujours vraiment été là pour faire les travaux en
lien avec les questions relatives aux soins de fin de vie et à l'aide médicale
à mourir. Je suis surprise, honnêtement, que les oppositions n'aient pas été
consultées. Je pense qu'on aurait pu donner notre point de vue sur la meilleure
manière d'aborder les choses. Visiblement, aujourd'hui, le ministre dit qu'il
faut prendre son temps, et j'en suis. Je pense qu'il faut faire ces débats
correctement, mais je pense qu'il ne faut pas, par ailleurs, gagner du temps. Et
j'espère que ce qui est annoncé aujourd'hui ne vise pas à gagner du temps parce
qu'on l'a entendu c'est une démarche qui va être très longue. Et je m'explique
mal pourquoi on ne procède pas tout de suite avec une commission parlementaire,
comme on l'a fait dans le cadre de la commission Mourir dans la dignité,
d'abord en entendant les experts mais en les entendant vraiment de manière
publique, et tous les partis ensemble, et aussi en entendant des citoyens. Pas
de la même ampleur, bien sûr, que ce qu'on a fait dans un premier temps parce
que tout était à défricher à ce moment-là, mais qu'on le fasse parce que je
pense que la sagesse populaire, l'opinion des citoyens, elle est très
importante dans des débats comme ceux-là. Et ce qui est fondamental, c'est
d'essayer, tout le monde ensemble, de bâtir ces consensus-là sur des questions
aussi sensibles.
J'entendais le ministre dire que c'était
très complexe. C'est vrai. Et on a d'ailleurs déjà un rapport d'experts qui,
comme je l'ai dit il y a quelques semaines, ferait un excellent point de
départ, qui est vraiment le groupe de travail conjoint sur la question
spécifique des directives anticipées pour les personnes qui sont inaptes, et
donc qui regroupait des gens de tous les ordres professionnels concernés. Donc,
je pense qu'on a un excellent point de départ et je pense que, si on a été
capables de faire le travail de très grande complexité, qui était celui de
vraiment analyser tous les enjeux reliés à l'aide à mourir, et en arriver à un consensus,
je pense qu'on pourrait le faire aujourd'hui aussi.
Donc, le temps est venu, oui, de faire le
débat, et je pense qu'il faut aller de l'avant. Nous allons bien sûr suivre les
travaux qui vont se dérouler. On aurait aimé qu'ils aient un caractère public,
mais on va les suivre avec beaucoup d'intérêt, bien sûr. On espère que le
travail qui est déjà fait par le groupe d'experts va être pris en compte.
Sur les questions plus précises de l'élargissement
du mandat de la Commission sur les soins de fin de vie pour considérer les
refus, je pense que c'est une bonne chose. Ceci dit, je ne demanderais pas à la
commission de revoir tous les refus. Je pense qu'on devrait lui fournir un
échantillon, là, à travers le Québec pour qu'elle puisse, là, se pencher sur
les questions des refus et aussi qu'on lui donne les ressources nécessaires parce
qu'en ce moment je pense qu'elle a besoin d'être soutenue correctement, cette
commission-là.
Et, pour ce qui est du terrain juridique,
encore une fois, j'ai une certaine surprise parce que le gouvernement nous
avait dit, quand la loi fédérale est arrivée, qu'ils étaient au travail, donc,
sur toute la question de la notion de la mort raisonnablement prévisible et
qu'ils allaient éventuellement faire des recommandations pour voir la meilleure
application, au Québec, de ces notions-là. Et là, aujourd'hui, on nous annonce
donc qu'on va entamer une procédure, un renvoi, j'imagine, devant les tribunaux
pour faire clarifier cette notion-là. Je pense que c'est une bonne chose de
faire clarifier la notion. J'aurais juste souhaité que cela puisse se faire
avant, encore une fois, pour qu'on ait les outils en main pour continuer le
débat.
M. Laforest (Alain) :
Donc, on comprend bien que vous reprochez au ministre de jouer au solo et non
pas en harmonie, là.
Mme
Hivon
:
Bien, j'aurais aimé, là, vous m'avez entendue, que, je pense, cette espèce de
consensus qu'on a toujours eu, cette approche de collaboration qu'on a toujours
eue dans le dossier perdure. Je ne doute pas qu'il souhaite que le débat se
fasse correctement, mais évidemment je pense qu'il est conscient, comme nous
tous, qu'il va devoir y avoir une commission, bien sûr, parlementaire avant
éventuellement de modifier la loi pour entendre la population. Et moi, j'aurais
donc souhaité qu'on s'évite l'étape qu'il ajoute aujourd'hui de créer un comité
d'experts parce qu'on a déjà un rapport d'experts. On aurait pu entendre
d'autres points de vue d'experts qui auraient pu, donc, venir nous donner ce
point de vue là, mais c'est là ma critique.
M. Laforest (Alain) :
C'est une mesure dilatoire?
Mme
Hivon
:
J'espère que non. J'espère que le but, c'est de faire les choses sérieusement.
La démarche qui est proposée, certainement qu'elle va permettre de faire les
choses sérieusement. Mais moi, je crains effectivement qu'on gagne du temps
plutôt que de tout de suite travailler, je dirais, en toute ouverture. L'expérience,
justement, de la commission Mourir dans la dignité nous a appris ça, à quel
point on est capables de le faire et à quel point ce consensus-là qu'on a vu
émerger au Québec, il est dû notamment au fait que la population a pu
participer. Et il y a beaucoup de gens qui disent qu'on devrait s'inspirer de
ces travaux-là pour beaucoup d'autres sujets. Et là on est dans le sujet même,
donc, de l'aide médicale à mourir et on semble, là, changer de direction dans
la manière de faire les choses. Ça fait que c'est sûr que ça, je trouve que
c'est regrettable. Je pense que la population a sa place dans des...
M. Laforest (Alain) : ...aucune
communication...
Mme
Hivon
:
Non, je n'ai pas été du tout consultée puis j'aurais bien aimé parce que
j'aurais aimé ça lui rappeler l'existence d'un rapport d'experts qui est déjà
sur la table.
M. Laforest (Alain) : Je
pense qu'il doit le savoir.
Mme
Hivon
:
Exactement. Je suis surprise qu'il n'en ait pas parlé ce matin. C'est quand
même le Collège des médecins, le Barreau, la Chambre des notaires, les
travailleurs sociaux, les infirmières, tout le monde était autour de la table.
Ils sont arrivés avec des recommandations spécifiquement pour la question des
personnes inaptes. Donc, je pense que c'était un excellent point de départ.
M. Gagnon (Marc-André) :
Est-ce qu'on doit consulter la population à partir de maintenant ou attendre à
la fin de la démarche que le ministre Barrette nous a annoncée ce matin?
Mme
Hivon
:
Bien là, je pense que, compte tenu qu'il y a cette démarche-là qui est en
cours, c'est certain que de consulter la population alors qu'il y a cette
démarche-là, ça pourrait faire un peu double-emploi. Moi, personnellement, je
souhaiterais que les Québécois le soient, consultés. C'est pour ça que j'aurais
aimé qu'on travaille tous ensemble. Il n'y a rien qui l'empêcherait. J'espère
qu'on va faire, d'ailleurs, le débat autour du mandat d'initiative qu'on a
demandé sur cette question-là. Là, je comprends que ce n'est pas ce qui est
favorisé. Le ministre n'a pas dit, d'ailleurs, que, dans un deuxième temps, on
ferait ça. Mais je pense qu'il en tient aux parlementaires de dire qu'on
aimerait ça, par exemple, qu'en marge on puisse entendre la population sur ces
enjeux-là. Mais, moi, le modèle que je privilégiais, c'était le modèle qu'on
avait fait l'autre fois : entendre des experts, tout le monde les entend
publiquement, tous les partis avancent en même temps, la population aussi, et,
dans un deuxième temps, entendre des citoyens, oui.
M. Lessard (Denis) :
Quand on parle des inaptes, est-ce qu'on parle des inaptes actuels ou ceux qui,
éventuellement, pourraient faire une demande anticipée?
Mme
Hivon
:
Bien, c'est une excellente question. En fait, ça concerne les deux volets.
Donc, c'est d'abord les personnes qui, en prévision de l'inaptitude, peuvent le
faire. Mais par ailleurs ça soulève la question : les personnes qui sont
inaptes... il y a des gens qui sont inaptes aussi de naissance. Ça ne veut pas
dire que ces personnes-là ne souffrent pas, ça ne veut pas dire, donc, que ces personnes-là
ne pourraient pas vouloir bénéficier de l'aide médicale à mourir. Donc, comment
on traite aussi de cet enjeu-là? C'est une des questions qui a été abordée
notamment dans ce rapport du groupe d'experts. Alors, pour le passé,
évidemment, si on parle des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer,
elles sont devenues inaptes. Donc, la question est très difficile parce que la
clé, c'est de dire que ça doit partir de la personne elle-même, qui le demande
pour elle-même. Et moi, j'y crois beaucoup, à ça. C'est pour ça que je suis beaucoup
plus dans l'approche de la demande anticipée qui vient de la personne que de
celle du consentement substitué, par exemple.
M. Gagnon (Marc-André) :
Donc, pour ces gens-là, qui, en attendant, vont continuer d'avoir à endurer des
situations épouvantables, vous craignez que la démarche annoncée par M. Barrette
soit trop longue.
Mme
Hivon
:
Oui, je crains que la démarche soit très longue. C'est certain qu'il a déjà dit
ce matin que dans son esprit, c'était minimalement un an. Moi, je pense qu'avec
tous les volets qu'on voit ça peut être beaucoup plus que ça. Et tout ce que je
dis, c'est qu'il faut prendre le temps. Moi, j'en suis. On l'a fait dans la
première démarche. Je pense que vous l'avez vu. Là, en ce moment, l'idée, ce
serait de se dire : Pourquoi on ne s'évite pas une étape? Pourquoi on ne
le fait pas tous ensemble à partir de la base du rapport d'experts qu'on a
déjà? Et, en plus, le bénéfice que ça a de le faire au vu et au su de tous,
c'est que la société au complet avance en même temps. Et c'est ce qu'on a vu
dans l'autre débat quand on l'a fait dans un premier temps, c'est que ce
consensus-là se bâtit, et c'est un exercice qui est extraordinaire, je pense,
autant d'un point de vue citoyen que d'un point de vue parlementaire.
M. Gagnon (Marc-André) :
Le ministre a lui-même reconnu qu'il était prudent dans sa démarche. Est-ce que,
selon vous, cette prudence-là s'explique de par la division qu'il peut y avoir
au sein du caucus libéral? On sait qu'il y a au moins une vingtaine de députés
qui avaient voté contre l'aide médicale à mourir. On entend, dans les corridors
de l'Assemblée nationale, qu'il y a toujours une certaine division sur l'enjeu.
Mme
Hivon
:
Bien, c'est certainement un élément qui explique la démarche qui est proposée aujourd'hui,
mais ça, c'est au gouvernement d'expliquer l'état des lieux. Je pense que ça...
on l'a vu dans les médias, donc c'est un secret de Polichinelle. À l'époque, on
l'a vu aussi physiquement par le vote. Donc, il y avait eu plus d'une vingtaine
de députés, dont à peu près la moitié du Conseil des ministres, qui avaient
voté contre la loi à l'époque. Donc, c'est sûr que je pense que c'est un
élément qui peut expliquer la démarche qui est proposée aujourd'hui.
Mais, moi, ce que je dis, c'est qu'on n'a
pas à partir avec une unanimité puis un consensus. L'idée, c'est justement de
permettre que le débat soit ouvert et qu'on le bâtisse, ce consensus-là. Et de
le faire ne présume pas de la finalité non plus. Quand on a commencé les
travaux, on ne présumait de rien. Donc, c'est un peu la même chose. Et, dans
tous les caucus, il peut y avoir différents points de vue, mais l'idée, c'est
de travailler ensemble sur des questions comme celle-là. Je pense que la population
a été tellement heureuse de la manière dont on avait procédé dans un premier
temps qu'elle souhaiterait qu'on travaille encore comme ça.
M. Gagnon (Marc-André) :
Et, en bout de ligne, ça prend un vote libre? Il n'y a pas de place pour la
ligne de parti sur l'enjeu?
Mme
Hivon
:
Non, vote libre. Ça, c'est clair : vote libre.
M. Gagnon (Marc-André) :
Merci.
Mme
Hivon
:
Merci.
Mme Johnson (Maya) : Mme Hivon,
quelques questions en anglais, please.
So, it seems that, on the
one hand, you're pleased that, at least, there is an openness and desire to
continue this discussion surrounding the law and possible modifications but
also some frustration because you sense some partisanship in the process.
Mme
Hivon
: I don't sense partisanship, I just... I'm very happy that, you know, the Government is sending a signal that the debate has to be done, but I'm, yes,
disappointed that, for the first time in this very important area of discussion,
for this subject matter, that the Government is taking a path that is not the one that has always been taken,
which is the one of the collaboration with the other parties.
Mme Johnson (Maya) : So, you have not communicated at all with the Health Minister
before he made his announcement this morning.
Mme
Hivon
: No, I didn't know what it was about. And, you
know, it's his prerogative, but I just feel that I've
been working, you know, on the
file for so long that maybe we could have had some very interesting, you know, exchanges about the way, the best
way to proceed. You know, there
is already an expert committee that we had recommended to be created in our
report at the time that has tabled a report specifically on the questions of
people who are incapable, who have, for example, Alzheimer's disease. So I
think it was a very good ground to start this new debate.
So, I think that would
have been very interesting and also I believe that, for such sensitive issues,
it is important to involve the population and to work above the partisan lines and all together with the population and with the members of all
different parties. And there is a real benefit of doing that throughout the
process of a parliamentary committee because it's public and it's a way of
building the consensus because
everybody has the same information at the same time.
Mme Johnson (Maya) : So, you would like to see a parliamentary committee studying the
issue as opposed to that Commission sur les soins de fin de vie, is that it?
They're two different things.
Mme
Hivon
: Well, the Commission sur les soins de fin de vie, la commission Mourir
dans la dignité, was a parliamentary committee but a special one that was created
specifically for one question, which was the question of how to take care of
people who are at the end of life. But it was with members of the Parliament
and it was hearing people. This time, do we need a special commission? I'm not sure about that. It
could be a statutory committee
that gives itself this mandate. But what I think is that the process is very important, and maybe it seem technical, but
it isn't at all because the fact that you work together, you know, all the
members of the Assembly, I mean, members from all different parties, the fact
that the public wisdom, you know, is there so that we can hear people and what they think, what they
feel and this ongoing dialog helps create the consensus. And I think that, for
such sensitive questions, we
have to favor everything that will favor the consensus.
Mme Johnson (Maya) : And you're also worried that this will take quite a long time.
Mme
Hivon
: Yes. Well, you know,
the Minister said himself it's going to take quite a bit of time. I agree with
him that we need to take our time, but we don't need to, I would say, waste
time. And I think it's very important. And I'm afraid that there is a part of
the process which is suggested today by the Government that will just take more
time. And I believe that, with a process like we did in the commission on dying with dignity, we had the
right balance. We heard experts for three weeks and then we heard people. We
don't need to go to such extent because, now, the question is a lot more narrow. But I think it's a good way to do things
whereas now he's putting in place an expert committee and he gives them at
least a year, that's what he said, to look at that, whereas we already have an
expert committee that tabled a report, and it didn't take that much time. And
all the professional bodies where involved in it. So, I don't understand why he
has to really take it from scratch. And also I believe that, for sure, we will
have to hear the population
about that, you know, if we
want to change the law. So, I just don't understand why we don't go into that
step right now. Merci.
(Fin à 12 h 50)