(Onze heures trente-neuf minutes)
M. Khadir
:
Alors, bonjour, tout le monde. Accepter les augmentations des dirigeants de
Bombardier, c'est accepter la dilapidation de l'aide qu'on leur a donnée. C'est
une forme de détournement des fonds publics, et Bombardier essaie de justifier
ça. Heureusement, la population n'accepte pas.
Vous devez être au courant, une pétition
qu'on a mise en ligne il y a à peine deux ou trois jours est déjà rendue à plus
de 27 000 signatures, demandant ça, mais allant plus loin, en
demandant... Et c'est là que je voudrais vous inviter à être attentifs. Les
gens ne sont pas juste indignés par les dirigeants de Bombardier, leur
indignation vis-à-vis de Bombardier traduit un mécontentement général par
rapport aux écarts de rémunération entre les P.D.G. des grandes entreprises...
On entend chaque semaine, chaque mois. Et ce qu'on veut, nous, c'est une motion
à l'Assemblée nationale. On va appuyer la motion du PQ, mais je voudrais
demander à Jean-François, je voudrais demander à François Legault, à leurs
partis d'appuyer la motion de Québec solidaire, parce qu'il faut rouvrir l'entente
et il faut conditionner pour donner l'exemple, pour que ça soit une fois pour
toutes la règle : Toute aide gouvernementale doit être assortie d'un
certain nombre de conditions relatives aux emplois et au plafonnement des
salaires des dirigeants.
Mais il y a un autre problème très grave,
c'est l'influence au sommet qu'exercent certains dirigeants de Bombardier sur
le gouvernement, sur les décisions de Philippe Couillard, parce qu'on
s'explique vraiment très mal la complaisance que démontre Philippe Couillard.
Pourquoi est-ce qu'il s'entête à protéger ces millionnaires insensés, ces
millionnaires déconnectés? Est-ce de l'incompétence ou un simple problème de
jugement politique, comme malheureusement M. Couillard en a tellement connu — on
se rappellera Hamad, on se rappellera Premier Tech, Arthur Porter, je peux en
nommer, A-13 — ou est-ce qu'il s'agit d'une dette politique qu'a M. Couillard
envers les dirigeants de Bombardier et plus précisément envers Daniel Johnson,
responsable de sa victoire à la course au leadership et organisateur de sa
campagne électorale?
Examinons la thèse de l'incompétence
d'abord, l'incompétence économique du gouvernement Couillard, bien que moi,
j'aie de la misère à croire qu'il n'y a pas des conseillers économiques, politiques
alentour de lui qui peuvent lui expliquer les conditions ailleurs qu'on impose quand
le gouvernement accorde de l'aide gouvernementale, comme le gouvernement de Jim
Flaherty pour Air Canada. Ce n'est pas compliqué, c'est un gouvernement
conservateur. On sait que l'État, donc, peut assortir son aide de conditions
très sévères liées aux emplois, à leur maintien, à la délocalisation des
emplois comme des sièges sociaux ainsi qu'à la rémunération des dirigeants. Le
gouvernement a le gros bout du bâton, et M. Couillard aurait pu l'exercer,
mais il ne l'a pas exercé.
Est-ce qu'il y a une autre explication?
Ça, ça serait l'explication d'une incompétence économique, c'est possible, ou le
manque de jugement politique, c'est encore très possible, on l'a vu souvent
dans le cas de M. Couillard. Mais je crois que, dans ce cas-ci, ça relève d'autres
choses. L'autre explication, c'est de cette complaisance du gouvernement dans
l'aide aveugle qu'il a accordée à Bombardier, à ses dirigeants, c'est le rôle
que joue Daniel Johnson auprès de Philippe Couillard. Est-ce que ce rôle ne
vous paraît pas peu à peu commencer à ressembler au rôle que jouait Marc Bibeau
auprès de Jean Charest? Marc Bibeau, dont les agissements à divers titres
aujourd'hui sont sous enquête criminelle. Marc Bibeau, dont le rôle auprès du
gouvernement Charest a corrompu littéralement l'exercice du pouvoir par Jean
Charest.
Quand on regarde le schéma des relations
entre Daniel Johnson et Philippe Couillard, ça ressemble, ça commence à
dangereusement ressembler au genre de relation qu'entretenait, au pouvoir
qu'entretenait Marc Bibeau sur Jean Charest. On observe, autrement dit, d'un
point de vue clinique les mêmes symptômes qu'on voyait sous le gouvernement
Charest, c'est-à-dire la corruption des décisions économiques et
gouvernementales. Parce que ces décisions insensées qui donnent des
conséquences qui outragent, qui choquent tant de monde, c'est une corruption de
la décision économique qui aurait pu être faite. Et ce n'est pas parce que M. Couillard
ne le savait pas, on l'a dit. Toute l'opposition lui a répété au moment où
l'aide a été accordée. Tout le monde a demandé au gouvernement Couillard
d'assortir son aide à des conditions. Il ne l'a pas fait. Pourquoi? Parce que
la décision politique est vraisemblablement corrompue par le lien d'influence
au sommet qu'exerce Daniel Johnson sur les décisions de ce gouvernement. Sous
Charest, on procédait à des contrats; sous M. Couillard, on procède à des
orientations, à l'aide publique directe. On l'a vue maintes et maintes fois :
cimenterie, etc., je ne reviendrai pas là-dessus.
Alors, il est clair pour nous qu'il faut
aller beaucoup plus loin. Il faut prendre l'exemple de Bombardier pour en faire
un cas d'espèce, pour que dorénavant toute aide gouvernementale soit, de
manière responsable... pour mettre fin à l'irresponsabilité du gouvernement
Couillard, pour être associée de manière responsable à un certain nombre de
critères et de conditions.
La Modératrice
:
Patrick Bellerose.
M. Bellerose (Patrick) : Bonjour,
M. Khadir. Vous n'avez pas peur d'être poursuivi par M. Johnson pour
des propos... Vous l'associez à de la corruption.
M. Khadir
:
La corruption des décisions prises au sommet du pouvoir vient de la proximité
entre le pouvoir de l'argent et le pouvoir politique — j'ai écrit un article
qui est paru aujourd'hui dans Le Devoir — c'est démontré,
pas seulement au Québec, ailleurs dans le monde. Alors, lorsque M. Daniel
Johnson, qui siège au conseil d'administration de Power financière, exactement
comme Marc Bibeau, M. Daniel Johnson, qui est à la tête d'un cabinet
d'avocats qui a les deux mains plongées par dizaines de millions dans des
contrats de pétrole liés au pipeline de TransCanada, Énergie Est... Quand on
parle de Daniel Johnson, on parle de quelqu'un qui a des intérêts également
directs dans Bombardier, on vient de l'apprendre aujourd'hui, il pourrait
bénéficier d'une rémunération supplémentaire de 2 millions de dollars...
la moitié, 1 million de dollars. Mais ça, on parle de ce qui est visible, parce
qu'il y a des achats, des options d'achat, il y a d'autres choses qui peuvent
accompagner tout ça, donc on parle de sans doute plus de 1 million de
dollars. Tout ceci relève de la proximité des barons de la finance et de
l'industrie. Et M. Johnson représente les deux : Power Corporation,
Bombardier et tant d'autres, les intérêts pétroliers directement sur le
pouvoir. Il a orchestré et organisé les campagnes à la chefferie et les
campagnes électorales de M. Couillard. Il n'y a pas de relation plus
dangereuse au sommet, il n'y a pas de possibilité d'influence plus grande que
ce qu'on est en train d'observer. Et c'est sûr qu'il y a là tous les éléments
pour une corruption des décisions gouvernementales.
Si M. Daniel
Johnson ou ses amis ici, à l'Assemblée nationale, comme Pierre Moreau, pensent
autrement, je les invite à se réunir avec les grands cabinets d'avocats qui le
savent et de me poursuivre en justice. Je les invite. Il n'y a aucun problème.
D'ailleurs, la semaine dernière, M. Moreau m'a lancé cette espèce de
challenge ou de défi en guise, en quelque sorte, de tentative d'intimidation, et
je suis venu m'expliquer ici. Je n'ai aucune gêne à le dire : La proximité
du pouvoir de l'argent et du pouvoir politique est, par définition, source de
corruption, et ce n'est pas moi qui invente ce constat.
M. Bellerose
(Patrick) : Mais qu'est-ce qui fait que vous êtes prêt à être
poursuivi en justice pour des propos ici? Vous n'avez pas du tout limité...
M. Khadir
: Mais je
pense qu'il n'y a aucune matière de poursuivre en justice quand on fait
simplement observer que de donner de l'argent à des dirigeants d'entreprise
pour sauver des emplois et ensuite que ces dirigeants d'entreprise se le
mettent dans leurs propres poches, dans l'irrespect total de l'esprit dans
lequel cette aide a été accordée, c'est une corruption et un abus des biens
publics. Et cette corruption-là, le principal responsable, c'est le gouvernement
Couillard, qui autorise, par sa complaisance envers des gens comme Daniel Johnson,
à qui il a une dette politique, ce genre de comportement. Puis aujourd'hui il
essaie même encore de le justifier, encore aujourd'hui, il a essayé de le
justifier.
La Modératrice
: Martin
Croteau.
M. Croteau (Martin) :
Bonjour, M. Khadir. J'aimerais vous entendre sur le chèque de 25 000 $
encaissé par M. Coderre. Qu'est-ce que vous pensez du comportement de M. Coderre?
M. Khadir
: Bien,
je crois que, malgré la bouille sympathique de M. Coderre, que tant de gens
apprécient en d'autres matières, hein, quand il envoie des tweets sympathiques,
quand il parle de hockey, quand il montre sa sympathie pour la diversité, en
dépit de tout ça, malheureusement, un peu comme Philippe Couillard, malheureusement,
ces personnes qui viennent de partis ou de traditions politiques, qui ont une
faible compréhension des règles éthiques... fait en sorte qu'on apprend des
choses comme ça qui nous déçoivent.
Alors, c'est décevant, c'est dangereux de
tenter de le justifier, c'est dangereux de tenter de laisser croire qu'il n'y a
rien, il n'y a aucun fil attaché. J'apprends que, quand même, l'entreprise de
M. Rizzuto bénéficie d'un contrat relativement particulier avec la STM,
dont la direction a été nommée par nul autre que Denis Coderre. Si Denis
Coderre avait gardé l'ancienne direction de la STM, on aurait pu croire qu'on
peut passer par-dessus ça sans y regarder, mais malheureusement il y a d'importants
éléments dans tout ça qui me font encore penser que le meilleur choix pour les
Montréalais, c'est un parti intègre comme Projet Montréal, que j'appuie
d'ailleurs, dont je suis membre.
M. Croteau (Martin) :
Mais les villes sont une créature du gouvernement du Québec. Quelle réponse
est-ce que la situation de M. Coderre appelle de la part du gouvernement
Couillard, selon vous?
M. Khadir
: Écoutez,
il y a des mécanismes à l'intérieur même de la ville de Montréal, dont
l'inspecteur... j'ai oublié le nom... pas le...
Une voix
: L'inspecteur
général.
M. Khadir
:
L'inspecteur général, n'est-ce pas, la fonction d'enquêteur qu'on a créée pour
enquêter tout ça. Donc, l'inspecteur général doit se pencher sur ce dossier-là.
Bon, ça, c'est une dimension.
Il y a bien sûr des dimensions qui
relèvent de la déclaration, par exemple, en regard de l'impôt fédéral et
provincial. Est-ce que M. Coderre l'a fait? S'il ne l'a pas fait, bien,
qu'il se dépêche de le faire. Il y a des graves manquements à l'éthique, mais
je crois que, quand on entend M. Couillard, quand on entend M. Coderre,
quand on entendait, dans le passé, rappelez-vous, tous les ministres libéraux,
y compris M. Charest, ils n'ont pas une bonne compréhension des questions
qui relèvent de la moralité dans l'exercice de la fonction publique. Ils n'ont
pas une compréhension de l'importance d'ériger une cloison entre le pouvoir de
l'argent et les fonctions qu'ils occupent. Et cette faiblesse-là se traduit par
toutes sortes d'erreurs, dont la terrible erreur qu'a commise M. Coderre
en acceptant ce chèque d'abord, en acceptant, ensuite en ne le déclarant pas,
ensuite en tentant de le nier, donc une série de choses. Puis je pense que M. Coderre,
probablement, au moment où il a accepté ça, il ne pensait pas que ça
l'engageait à quoi que ce soit. Mais c'est là le problème des libéraux, c'est
là le problème des politiciens traditionnels, ils n'ont pas une compréhension
des règles de déontologie et d'éthique politique. Merci.
(Fin à 11 h 51)