(Treize heures trente-trois minutes)
Mme Lamarre : Bonjour. Je
suis en compagnie de Mme Nancy Bédard, qui est vice-présidente de la FIIQ,
et de Mme Patricia Lajoie, qui est présidente, syndicat FIIQ de la capitale
nationale. Et aujourd'hui nous voulons sensibiliser les gens sur les enjeux de
superprivatisation que le ministre est en train de réaliser au niveau des
supercliniques.
On le sait, on le sent depuis plusieurs
mois, le modèle des supercliniques du ministre Barrette, ça ne fonctionne pas.
Les médecins n'adhéraient pas à ce modèle-là. Et le ministre s'est incliné
devant les représentations des médecins. D'une part, une des valeurs ajoutées,
qui était de garantir 84 heures d'ouverture dans ces supercliniques-là,
qui sont supposées palier au manque de ressources en première ligne et
également qui sont supposées palier au fait que les GMF ne sont pas ouvertes
les soirs et les fins de semaine puis que nos urgences continuent de déborder
de situations qui ne sont pas des vraies situations de cas très lourds, alors,
ces supercliniques, on le sait, il y aura une dérogation du 84 heures qui
leur sera autorisée. Ça a été retrouvé dans certains éléments de l'entente auxquels
on a eu accès.
L'autre dimension qui est aussi vraiment
assez inusitée, eh bien, c'est le fait qu'il va y avoir de l'argent du système
public, donc du gouvernement, qui va être donné aux supercliniques privées pour
l'embauche d'infirmières qui ne sont pas des infirmières du système public.
Donc, une infirmière qui a son agence privée, qui est une travailleuse
autonome, va pouvoir être engagée par la superclinique. Et c'est là qu'arrivent
toutes sortes de situations qui sont préoccupantes au niveau d'enjeux de
sécurité et au niveau également du fait de déplacer des infirmières du système
public vers le système privé.
Je vous dirais que ce qui nous étonne
beaucoup aussi, c'est que le ministre nous a habitués à faire de spectaculaires
conférences de presse régulièrement et que, là, on a appris, dans le cadre de
l'étude des crédits, qu'il avait signé… En fait, il avait fait une entente en
novembre 2016, il a refait un autre cadre de gestion en avril 2017, et on ne
réussit pas encore à mettre la main sur l'entente complète. On a un cadre de
gestion tout récent, tout frais, avril 2017. Je ne sais pas si vous avez vu le
point de presse. Moi, je ne l'ai pas vu. Puis d'habitude le ministre, il
s'empressait de faire des points de presse.
Alors, ce qu'on découvre, plus on fouille
dans ça, plus on découvre qu'il y a vraiment des informations et des ententes
qui ne sont pas favorables à une accessibilité et qui encouragent, dans le fond,
le fait de continuer à diminuer le financement des établissements publics en
donnant de l'argent dans des cliniques privées pour lesquelles la reddition de
comptes au niveau de la sécurité des services n'est pas la même que celle qu'on
voit dans nos établissements de santé. Et on va pouvoir le voir par des
exemples qui vont nous être présentés, entre autres par Mme Lajoie. Alors,
je laisse la parole à Mme Bédard d'abord, et puis ensuite à
Mme Lajoie.
Mme Bédard (Nancy) :
Merci, Mme Lamarre. Donc, effectivement l'état de situation exposé par
Mme Lamarre nous préoccupe énormément, et ça, nous avons fait des demandes
au ministre le 7 mai dernier. Alors, nous lui avons demandé de rendre
publique l'entente secrète qu'il a avec la FMOQ en lien avec les règles et les
éléments qui font en sorte qu'on ouvre des supercliniques, et on sent qu'on a
des ouvertures, là, qui commencent à nous être annoncées, là, de façon assez
rapide.
On lui a demandé aussi qu'il explique ses
motivations dans l'assouplissement de ces règles-là. Et je vous explique parce
que, pour nous, il est clair qu'avec la situation et ce qu'il y a comme cadre de
règlement actuel par rapport aux supercliniques il y a deux poids deux mesures
pour le ministre. Notamment, quand on a travaillé à l'ouverture d'une
superclinique nursing, donc SABSA à Québec, pour le ministre, il était
impératif que les infirmières, les professionnelles en soins, viennent du réseau
public. Ça, c'était clair, et il n'y avait aucune négociation à faire avec ça.
Et c'est ce qui est le cas. Il n'y a pas de problème avec cet élément-là. Cependant,
pour ses supercliniques avec ses collègues médecins, cette logique-là ne tient
plus. On vient d'apprendre que les médecins, qui sont les employeurs, qui sont
les gestionnaires, qui sont les boss de ces cliniques-là, pourront embaucher
des professionnelles et des infirmières qui viennent du privé.
Dans l'ensemble des questionnements et des
impacts que ceci peut avoir, on a notamment un exemple actuel, là, qui est sur
une superclinique du nord de l'île de Montréal qui doit ouvrir le 1er juin
et qui va être opérée par une compagnie qui s'appelle Forcemédic. Et ils sont à
la recherche d'infirmières au niveau du privé. Et voici ce que Forcemédic
demande aux infirmières, aux futures infirmières. Ils demandent notamment la
supervision, et le soutien, et le développement de cette clinique. Ils
demandent qu'elles planifient les ressources financières et matérielles. Ils
demandent aussi qu'elles puissent assister la haute direction médicale dans le
développement de cette superclinique.
Alors, on voit clairement que l'infirmière
sera au service du développement de cette entreprise et, vraiment, on s'éloigne
clairement du rôle de l'infirmière, du rôle d'une infirmière, que, par ses
compétences, elle puisse mettre à profit pour la population du Québec... Où le
rôle de l'infirmière va être mis à profit dans ces supercliniques? C'est
extrêmement questionnant.
Aussi, on est extrêmement préoccupés, et
en plus il nous arrive des exemples, vraiment, là, qui sont contemporains de
vendredi dernier. On a posé des questions au ministre, à laquelle on n'a
toujours pas de réponse depuis deux semaines. On a demandé au ministre…
Actuellement dans le réseau public, les directrices de soins infirmiers, de par
la loi, elles doivent s'assurer de la qualité des soins qui est donnée à la
population du Québec, que les meilleures pratiques soient toujours mises de
l'avant, qu'on s'assure que la population ait les soins selon les meilleurs
standards. Alors, ça, c'est ce que la loi confère aux directrices de soins
infirmiers.
Dans des établissements comme les
supercliniques, qui sont régis par des employeurs du privé, notamment par des
médecins, comment les directrices de soins infirmiers vont pouvoir exercer les
règles qui émanent de la loi par rapport à s'assurer de la qualité qui est
donnée au niveau des soins à la population? Comment elles pourront avoir une
porte d'entrée dans ces cliniques-là? Et, de plus, toutes les conditions de
pratique que les professionnels en soins, notamment les infirmières, auront
dans ces supercliniques...
Et là on commence à entendre qu'il va y
avoir des infirmières qui peuvent venir du privé, dont les médecins vont
pouvoir faire l'embauche avec leurs règles à eux. Et là ça pose beaucoup de
questions parce que, dans le réseau public, une infirmière qui voit des
éléments qui sont inacceptables, où parfois il y a des situations au niveau des
soins qu'elle doit dénoncer parce qu'elle aussi, elle a des obligations envers
son code de déontologie, dans le réseau public, il y a des leviers qui
permettent à nos professionnels en soins de pouvoir aller faire des
représentations et dénoncer des situations pour que les éléments soient
corrigés dans le réseau. Comment une infirmière embauchée par le médecin dans
une superclinique va trouver la latitude qu'elle doit avoir pour dénoncer ces
situations inacceptables? Alors, ce sont tous des questionnements que nous
avons, et actuellement le ministre ne peut pas répondre à ces questions-là.
Dans l'ensemble des autres conditions de
travail pour les infirmières dans les supercliniques, on se questionne beaucoup
aussi sur comment elles puissent pratiquer dans des conditions qui soient
sécuritaires aussi et on veut s'assurer que nos infirmières qui vont travailler
dans des supercliniques qui sont régies par des médecins comme employeurs
puissent le faire dans des conditions d'exercice qui leur permettent de
prodiguer des soins et les soins auxquels la population du Québec a droit.
À titre d'exemple et malheureusement,
depuis vendredi passé, commencent déjà, dans la clinique qui a ouvert
dernièrement à Québec, à émaner des éléments de risque que nous trouvons
inacceptables actuellement. Alors, je laisse Patricia vous expliquer ces
éléments.
Mme Lajoie (Patricia) :
Alors, comme on disait, vendredi dernier est arrivée une situation, justement,
qui nous a inquiétées et répondait justement aux risques pour la clientèle et
pour nos professionnels en soins. Alors, à la clinique, le médecin a demandé à
une infirmière de donner une certaine médication intraveineuse à un patient,
médication que ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas donnée, donc ne se
sentait pas apte à le faire comme ça, sur-le-champ. Elle a refusé. Le médecin a
insisté. En plus, elle n'avait même pas sur place tout ce qu'il fallait pour
donner adéquatement la médication. Elle n'avait pas les protocoles en main,
elle n'avait pas les techniques. Elle n'avait même pas le Guide des
médicaments, qu'on doit avoir dans toute clinique, que ce soit CLSC,
urgence, n'importe où. Habituellement, on a ces manuels de référence là pour
être sûr de s'y référer, pour être sûr, effectivement, de faire la bonne
affaire quand on n'est pas sûr à 100 %.
Donc, devant l'insistance du médecin, bien,
elle s'affirme, elle dit non. Elle nous a appelés, nous, le syndicat. On a
appelé tout de suite la DSIE, et la DSIE est intervenue très rapidement dans
cette situation pour mettre en place un filet de sécurité, pour aussi dire à à
la fille, à l'infirmière : Parfait, tu ne te sens pas apte à faire l'acte,
ne le fais pas. Donc, elle a été, comme on peut dire en anglais, «backée» par
la DSIE. En plus, ils ont mis un filet de sécurité et ils ont même fait des
corridors de service avec l'urgence de Chauveau pour s'assurer que, durant la
fin de semaine, s'il y avait des situations semblables, les gens pourraient
être référés ou que les infirmières pourraient se référer, là-bas, à des
collègues.
Alors, qu'en aurait-il été si le médecin
aurait été son employeur? Je crois que la décision n'aurait pas été la même parce
que, si elle n'avait pas fait l'acte, probablement qu'elle aurait été mise à
pied. Donc, dans ce cas-là, sous la pression, je crois qu'elle aurait pu donner
la médication. Donc, elle aurait été à risque autant pour sa carrière, son
permis de pratique, qu'elle aurait pu mettre à risque aussi le patient. Donc,
ça, ça nous interpelle grandement. Puis c'est un exemple, là, je pense, très
concret.
Alors, je demande au ministre, en mon nom
et au nom des professionnels en soins que je représente, que vous vous engagiez
à donner les budgets nécessaires aux CISSS et aux CIUSSS afin que ceux-ci
puissent offrir les professionnels en soins qu'il faut dans les supercliniques
et, par le fait même, que vous obligiez les médecins des supercliniques à faire
affaire avec les CISSS et les CIUSSS pour engager leurs professionnels en
soins. Merci.
Mme Lamarre :
J'ajouterais un dernier élément. J'ai posé ce matin une question au ministre en
lien avec la possibilité… Puisque ce seront des infirmières qui viendront
d'agences ou qui seront des personnes autonomes, elles ne seront plus des
employées de l'État, est-ce qu'elles vont pouvoir facturer des services
qu'elles donneraient parce qu'elles ne sont plus membres du service médical
comme tel à ce moment-là? Et le ministre a bredouillé. En fait, sa réponse,
elle n'est pas claire du tout. Et il a essayé de dire : Ah! si ça se passe
en cabinet… Mais là on sait que, si ça se passe dans un local qui est à côté…
Donc, on est en train d'assister
indirectement à un retour des frais accessoires, mais qui vont être des frais,
dans le fond, que l'infirmière, de façon autonome, quand elle travaille de
façon autonome, pourra facturer parce qu'elle n'est plus une employée de l'État
où, là, ça lui était interdit.
Alors, écoutez, il y a des enjeux de
sécurité du public, il y a des enjeux de retour de frais pour la population
pour des services qui doivent être donnés par notre système de santé public. Et
étonnamment le ministre, qui a coupé, par exemple, dans le CISSS‑Montérégie-Centre 7,1 millions
de dollars l'année passée, a été capable, par enchantement, de trouver
3,4 millions pour la Clinique Dix30. Alors, on le voit, il y a un
transfert d'argent du système public dans le système privé, et, avec les
piètres résultats qu'il a de l'application de toutes ses lois qui ne donnent
pas l'accès promis, eh bien, on se rend compte qu'il est en train de diriger
les gens vers une espèce de fatalité qu'il faut aller vers le privé, alors que
nous, on voit des sommes astronomiques qui sont mal utilisées, mal réparties et
qui servent beaucoup plus à la rémunération des médecins qu'à accroître
efficacement l'accessibilité au niveau public avec des sommes qui correspondent
aux taxes et aux impôts des Québécois.
Alors, on demande au ministre de fournir
l'entente qu'il a, dans le fond, rédigée, conclue avec la FMOQ récemment. Et on
lui demande également beaucoup plus de transparence par rapport à la difficulté
qu'il a de faire en sorte que ces supercliniques respectent bien les règles de
notre système de santé public puisqu'il utilise l'argent du public pour les
financer.
(Fin à 13 h 47)