(Seize heures vingt-deux minutes)
Mme
Hivon
:
Bonjour. Alors, on vient d'apprendre qu'un troisième accusé de meurtre voyait
son procès avorter, encore une fois pour cause de délai déraisonnable, des
suites de l'arrêt Jordan. Alors, à la lumière de ce qui vient de se produire aujourd'hui,
encore une fois, on a une question pour le gouvernement, pour la ministre de la
Justice. On demande au gouvernement et on demande à la ministre de la Justice :
Ça va prendre encore combien d'accusés de meurtre avant que le gouvernement
décide d'agir et d'utiliser la clause dérogatoire pour mettre fin aux effets de
l'arrêt Jordan?
En ce moment, c'est toute la population du
Québec qui est indignée, qui est en train de se dire que le cauchemar se répète
fois après fois. Hier encore, on a vu quatre autres accusés des suites du
travail de l'UPAC dans l'opération Gravier à leur tour échapper à leur procès,
quatre coaccusés de l'ex-maire de Mascouche qui ont échappé à leur procès.
Aujourd'hui, on voit un troisième accusé de meurtre. Il y a quelques semaines,
on a vu quelqu'un accusé d'agressions sexuelles répétées sur une jeune femme
échapper à son procès.
Donc, on pose la question au gouvernement,
à la ministre de la Justice : Ça va prendre encore combien d'accusés de
meurtre, combien d'accusés d'agression sexuelle, combien d'accusés de fraude
avant que le gouvernement fasse la chose responsable dans les circonstances,
utiliser la clause dérogatoire, comme on le lui demande maintenant depuis des
mois? Et on n'est pas les seuls à le demander, il y a Québec solidaire qui, il
y a déjà plusieurs semaines, a emboîté le pas à notre demande, et hier la
Coalition avenir Québec a également emboîté le pas et demandé que le
gouvernement du Québec utilise la clause dérogatoire. Donc, toute l'opposition
à l'Assemblée nationale est unie pour demander au gouvernement d'utiliser la
clause dérogatoire.
Est-ce que la ministre de la Justice, le
premier ministre pensent que les Québécois vont s'habituer à voir des criminels
libérés? Est-ce qu'ils pensent que les Québécois vont s'habituer à ce que des
gens accusés de meurtre et d'agression sexuelle échappent à leur procès? Est-ce
qu'ils pensent que les gens vont baisser les bras? Non, au contraire, ce qu'on
ressent, c'est un très fort sentiment d'indignation dans la population. On est
carrément en train de perdre confiance dans notre système de justice, et ça, c'est
très grave. On ne peut pas laisser cette confiance-là s'effriter.
Alors, on le demande pour une ixième fois à
la ministre de la Justice, au premier ministre, de faire la chose qui s'impose,
c'est-à-dire que, pendant le temps où on va redresser les choses, pendant le
temps où on va faire le ménage, où on va redresser la barre dans notre système
de justice pour que des choses aussi absurdes, choquantes, bouleversantes que
ce qui se passe en ce moment soient choses du passé, que pendant cette période
de temps là où on remette de l'ordre, qu'on utilise la clause dérogatoire pour
qu'on montre qu'on se soucie de la confiance dans notre système de justice,
mais surtout aussi qu'on se soucie des victimes, qu'on se soucie des victimes,
des familles des victimes et qu'on se soucie qu'il n'y ait pas une perte de
confiance généralisée dans notre système de justice.
M. Vigneault (Nicolas) :
Est-ce qu'il est trop tard, actuellement, selon vous, pour cette perte de
confiance?
Mme
Hivon
:
Bien, il est très tard. Moi, j'ai très peur que le mal, évidemment, est déjà
fait. Et on espère que cette perte de confiance là ne soit pas irrémédiable.
Mais c'est très grave de constater que, quand il y en a, des solutions... Ce n'est
pas les solutions qu'on utilise à tous les jours, mais elles existent, les
solutions, et là ça fait des mois qu'on en discute. Ça fait des mois que les
citoyens se disent que, oui, il faut que quelque chose soit fait pour que cette
confiance-là ne tombe pas complètement à zéro, cette confiance dans le système
de justice qui est à la base d'une société démocratique qui se respecte. Alors,
il est très tard. Est-ce qu'on va attendre qu'il y en ait encore un, deux,
trois, cinq, dix? Ça va être quoi, le seuil? C'est quoi, le seuil de tolérance
du gouvernement pour se dire que ça n'a pas de sens ce qui se passe en ce
moment dans notre système de justice?
Mme Lamontagne (Kathryne) :
Dans le projet de loi déposé hier par la CAQ, on propose la clause dérogatoire
pour une année. Est-ce que c'est suffisant?
Mme
Hivon
:
C'est quelque chose à évaluer. Nous, on disait entre un et deux ans. On veut
avoir le tableau complet. C'est ce qu'on n'a toujours pas réussi à avoir. Lors
de l'étude des crédits, on a posé beaucoup de questions à la Directrice des
poursuites criminelles et pénales et à la ministre pour savoir quel est l'état
de gravité. Il est très, très, très important, cet état de gravité là puisqu'on
a appris que 95 % des causes en Cour supérieure à Montréal font l'objet
d'une requête en arrêt de procédures. Ça, c'est énorme. On a appris aussi que
près de 140 causes avaient été arrêtées par la couronne elle-même, par le
DPCP lui-même, du fait qu'il se disait qu'il n'avait soit pas de chance de
gagner les requêtes ou que ça allait engorger les tribunaux. Donc, de son
propre chef, sans même requête, il a arrêté des dizaines, donc, de causes. On
est vraiment dans un état de crise.
Alors, moi, aujourd'hui, je ne suis pas
capable de vous le dire; la période la plus courte possible, évidemment. C'est
un droit important, bien sûr, le droit d'être jugé dans un délai raisonnable,
mais on ne peut pas faire fi de l'importance aussi de respecter les droits des
victimes, et aussi d'envoyer un signal à la population qu'on n'est pas en train
d'abandonner carrément le système et d'abandonner carrément les victimes et
leur famille, et d'abandonner les citoyens face à leur perte de confiance dans
le système de justice.
M. Chouinard (Tommy) :
On entend souvent que les délais sont dus aux accusés, il y a toutes sortes de
manoeuvres juridiques dilatoires pour reporter les causes, etc. Or, dans cette
décision-là, le juge est assez clair qu'il fait porter le blâme vraiment à la
poursuite, qui a vraiment trop tardé. Je comprends que... Au-delà de ce que
vous demandez, est-ce que ça ne témoigne pas une fois de plus d'un problème qui
est extrêmement profond dans le système judiciaire lui-même pour un crime aussi
grave qu'un meurtre présumé?
Mme
Hivon
:
Oui. Oui, parce qu'il faut savoir que les délais imputables à la défense, ils
sont retirés du calcul, donc en vertu de l'arrêt Jordan, ce ne peut pas être la
faute de la défense. Tu ne peux pas, comme on dit souvent en droit, invoquer ta
propre turpitude. Alors, ce sont les délais encourus soit par le système en
lui-même parce qu'on manque de juges, parce qu'on manque de salles, parce qu'on
manque de greffiers, ou par la couronne, qui n'a pas pris les bonnes
stratégies. Hier aussi la couronne a été durement blâmée dans la cause des
quatre coaccusés dans l'opération Gravier, en disant qu'ils n'avaient pas procédé
nécessairement de la bonne manière. Les mégaprocès font l'objet de leur propre
procès en ce moment, et, dans ce cas-ci, ils disaient qu'ils auraient dû
séparer les procès.
Donc, nous, oui, on pense qu'il y a un
profond examen de conscience qui doit se faire aussi au sein de la couronne. Il
y a aussi énormément de travail... de manières de revoir nos façons de faire la
justice, de rendre la justice qui doivent être examinées. Ça, c'est certain, on
le dit depuis le début. On a demandé l'injection de sommes, la nomination de
juges supplémentaires, de greffiers, de nouveaux procureurs de la couronne.
Finalement, après des mois de pression, la ministre de la Justice a finalement
annoncé en toute fin d'année qu'il y aurait injection de sommes et de
ressources supplémentaires, ce qui était le minimum et qui aurait dû être fait
depuis déjà un bon moment.
Je vous rappelle notamment qu'il y a un an
et demi les deux juges en chef des chambres criminelles — Cour du
Québec, Cour supérieure — tiraient la sonnette d'alarme en disant
même qu'ils en perdaient le sommeil la nuit tellement la situation était rendue
grave. On a eu le jugement Jordan en juillet dernier. Ça a pris des mois avant qu'il
y ait des premières actions de posées. Pouvez-vous croire que la première rencontre
des ministres fédérale-provinciale a eu lieu à la fin du mois d'avril, c'est-à-dire
neuf mois après que le jugement Jordan soit rendu? Donc, c'est cafouillage
après cafouillage. C'est comme si personne n'a ressenti l'urgence et
l'hécatombe qui allaient se produire des suites de ce jugement-là. Alors, oui, il
y a énormément de choses à changer dans le système, et ces choses-là doivent
être changées.
L'idée d'invoquer la clause dérogatoire,
ce n'est pas pour baisser la pression. Au contraire, cette pression-là, elle
est là et elle est énorme. Et toutes les solutions doivent être envisagées en
termes de procédures, en termes de ressources, en termes de manières de faire,
de flexibilité de la justice aussi de toutes les parties. Mais, dans
l'intervalle, là, ce changement-là, changer une culture de système, ça ne se
fait pas du jour au lendemain. Donc, est-ce qu'on tolère ça, on baisse les
bras, on est fatalistes puis on dit : Bon, bien, tant pis, pauvre
population, que voulez-vous on n'a pas d'autres choix que d'accepter x accusés
de meurtre qui vont échapper? Là, il y a des centaines de personnes au Québec
qui ont échappé... d'accusés qui ont échappé à leurs procès des suites de
Jordan. Donc, c'est ça, on dit aux gens : Qu'est-ce que vous voulez, on ne
peut rien faire puis on est fatalistes? Nous, on n'est pas prêts à accepter ça.
M. Chouinard (Tommy) :
Mais au point où on est rendus, est-ce qu'on pourrait dire : Bien, l'été
s'en vient, ça ne roule plus... bien, en tout cas, ça roule moins dans les
palais de justice, ça fait qu'on pourrait voir plus tard l'effet des mesures,
en tout cas, déjà annoncées, voir si ça se place un peu?
Mme
Hivon
:
Bien, moi, je pense qu'on ne peut pas attendre. On a déjà beaucoup trop
attendu. Chaque accusé de meurtre qui est libéré, bien sûr que c'est un accusé
de trop. Je veux dire, chaque accusation qui est abandonnée par le DPCP de son
propre chef, c'est des accusations de trop. Imaginez le signal que ça envoie
aussi aux corps policiers, à l'UPAC, à ceux qui mettent des énergies pour
arrêter les gens, pour essayer de déjouer des complots, là. On le voit, là, des
accusés de l'UPAC qui ont été libérés, là, ça se compte par dizaines. Alors, on
est en train de dire : O.K., on s'est donné comme priorité de mettre sur
pied l'UPAC, d'investir des sommes pour avoir des policiers qui vont être capables
de faire le travail. Puis là, à l'autre bout, notre système de justice n'est
pas capable d'absorber. Puis non seulement il n'est pas capable d'absorber,
mais le sentiment d'urgence, on n'a aucune espèce d'impression qu'on le ressent
de la part du gouvernement, et en plus on refuse la solution qui s'impose. Puis
là nous, on a commencé à en parler en décembre en disant : Il faudrait
examiner la possibilité. Puis après on l'a demandé formellement le mois
dernier, puis là Québec solidaire a emboîté le pas, puis là hier la CAQ a
emboîté le pas. Donc, à un moment donné, il va falloir qu'il y ait des actions
réelles quand il y a une solution pour rétablir la confiance puis respecter les
droits des victimes. On ne comprend pas cette fermeture complète du gouvernement
d'avoir recours à la clause dérogatoire pour une période donnée. Aux grands
maux les grands moyens, on en est là.
M. Chouinard (Tommy) :
J'ai une question sur un autre sujet, si c'est possible. Oui? O.K. Il y a Amir
Khadir qui nous a dit qu'il a envoyé un signal aux membres de son parti en
prévision du congrès de Québec solidaire en disant : Écoutez, là, l'alliance
qu'on imagine, là, ne pensez pas que ça va être une alliance politique, de programme
ou quoi que ce soit, c'est essentiellement, au fond, des comtés. Puis lui dit à
ses membres : Bien, nous, ce qu'on pourrait avoir du Parti québécois, c'est
une dizaine de comtés où ils nous donneraient le champ libre puis précisément
il parle de Laurier-Dorion, Verdun, Saint-Henri—Sainte-Anne. Est-ce qu'en
disant ça il dit quelque chose qui est réaliste à ses membres? Est-ce que c'est
quelque chose auquel Québec solidaire peut s'attendre dans le cadre de
discussions avec le Parti québécois?
Mme
Hivon
:
Moi, je respecte beaucoup le processus qui est en cours à Québec solidaire. Ça
fait des mois qu'ils sont en train de débattre, de délibérer. Leur décision va
venir dimanche. Je ne souhaite pas mettre la charrue devant les boeufs. On va
attendre la décision et ensuite on va explorer toutes les possibilités dans le
cadre de négociations en bonne et due forme qui, évidemment, ne se feront pas
sur la place publique.
M. Chouinard (Tommy) :
Mais donc lui, est-ce qu'il met la charrue devant les boeufs en évoquant ces
scénarios-là à la veille d'un vote?
Mme
Hivon
:
Non, mais M. Khadir a tout à fait le loisir, évidemment, de faire part de
son point de vue aux membres de son parti et de leur exposer pourquoi il y
croit autant. Je pense qu'on voit, avec les énergies qu'il déploie, là, depuis
quelques jours, à quel point il croit dans l'importance, donc, de dire oui à
l'option b, qui est l'option, donc, d'ouvrir les négociations sur les
pactes électoraux. Alors, dans leur processus à eux, ils ont leurs débats
internes. Nous sommes dans un parti où nous connaissons bien la réalité de la
délibération et des débats internes. Donc, moi, je respecte tout à fait leur
processus et je leur souhaite de très bons débats et un très bon congrès en fin
de semaine.
M. Chouinard (Tommy) :
Vous n'écartez pas ça, cette option-là, l'idée que, oui, oui, Laurier-Dorion,
Saint-Henri—Sainte-Anne, Verdun…
Mme
Hivon
:
On n'en est pas là du tout. Vous comprenez très bien que, s'il y a une réponse
positive en fin de semaine, nous allons par la suite nous asseoir avec nos
positions respectives. Il y a toutes sortes de possibilités, et on va en parler
à ce moment-là. Je pense que, de notre côté, il ne faut pas présumer de rien.
Et donc on va voir la réponse dimanche et, par la suite, on espère avoir tout
le temps, la sagesse de faire le travail qui s'impose comme, je crois, la
population s'attend qu'on puisse le faire. C'est bon? Merci.
(Fin à 16 h 36)