(Douze heures cinquante minutes)
Mme Massé : Alors, bonjour, tout
le monde. Merci d'être là. Écoutez, on assiste encore à une loi spéciale. On se
retrouve ici par... Ce gouvernement-là, encore une fois, utilise les grands
moyens, hein, une loi spéciale, après quelques heures de grève légitime du côté
des syndiqués de la construction, du côté des travailleurs et travailleuses de
la construction.
Et c'est sûr que, pour nous, à Québec
solidaire, c'est d'une évidence connue, d'une cohérence sans jamais défaillir
que notre appui est du côté des travailleurs. C'est sûr que, lorsque tu
commences à discuter et à négocier et que ça ne va bien dans ta négociation — tout
le monde expérimente ça dans la vie — à un moment donné, quand la
Cour suprême te reconnaît un droit qui s'appelle le droit d'association, le
droit de négociation, etc., c'est parce qu'ils veulent équilibrer un rapport de
force, hein — c'est ça, l'arrêt de la Saskatchewan — et,
dans ce rapport de force là, ce qui nous frappe aujourd'hui, c'est qu'encore
une fois le gouvernement a brandi très rapidement la loi spéciale.
Aujourd'hui, on en est rendu là, et c'est...
En fait, lorsque le gouvernement fait ça, c'est un incitatif aux patrons de ne
pas trouver de solution, c'est un incitatif aux patrons de ne rien signer. Pourquoi?
Bien, vous le savez comme moi, les travailleurs, travailleuses de la
construction n'ont pas le droit à la rétroactivité. Alors, ce que ça veut dire,
ça, c'est qu'à partir d'aujourd'hui les patrons sont... quelle est la pression
sur leur dos de devoir signer, puisqu'à chaque jour qui avance, ils ne sont pas
obligés, lorsque le contrat sera signé, de devoir payer les travailleurs,
travailleuses au salaire qu'ils auront négocié? Alors, ça veut dire, ce droit
de rétroactivité là donne une poigne aux patrons pour dire : Bien,
pourquoi on se presserait? Une loi spéciale, juste la faire planer au jour 1 de
la grève, tu viens d'enlever le pouvoir, tu viens de briser le rapport de force
entre les travailleurs, travailleuses et les gens du patronat.
Mais, je dirais, encore pire que ça,
pourquoi se forcerait un regroupement de patrons de négocier rapidement, de
bonne foi, lorsque même la loi antiscabs ne s'adresse pas aux travailleurs,
travailleuses de la construction? Donc, ça veut dire que tu peux, en toute
légitimité, donc pas en contrainte de la loi, faire rentrer du monde sur ton
chantier, comme entrepreneur, puis il n'y a pas de problème, parce que la loi
antiscabs ne s'applique pas.
Alors, voyez-vous, dans le fond, nous, à
Québec solidaire, bien sûr, notre parti pris est pour les travailleurs,
travailleuses, parce qu'on va se le dire, le Québec a cheminé dans ses
conditions de travail, dans ses lois du travail, dans la qualité de vie au
travail de plusieurs travailleurs, travailleuses parce que ce droit de grève là
a été respecté par le passé. Et on pense que du monde qui négocie de bonne foi
arrive à ses objectifs, surtout quand on ne brise pas les rapports de force
entre les deux parties. Et actuellement, c'est ça, ce qui est en train de se
passer aujourd'hui. Tu as des gens qui représentent des dizaines, des centaines
de milliers de travailleurs, travailleuses, qui sont là dans la rue pour dire :
Comment se fait-il que notre droit de négocier n'est pas respecté?
M. Bellerose (Patrick) : Donc,
un gouvernement solidaire aurait laissé la grève perdurer plusieurs semaines,
tout l'été, malgré les millions que ça coûte à l'économie chaque jour?
Mme Massé : Écoutez, les
millions que ça coûte à l'économie, bien sûr, ce n'est pas qu'on est insensibles
à ça, mais on aurait pris les problèmes en amont. Ce problème-là, là, il est
connu depuis des années. 2013, on s'entend-u que le projet de loi, il répète
les mêmes erreurs? On connaît le problème, mais on trouve des solutions à
l'avantage non pas des travailleurs, travailleuses, mais à l'avantage de cet
épouvantail que nous laisse planer les gens... le patronat. On le sait, là, ça
va toujours se passer comme ça tant et aussi longtemps que... On sait qu'on a à
revoir un certain nombre d'éléments de normes du travail, au niveau de la
construction, mais notamment...
Mme Sioui (Marie-Michèle) : Qu'est-ce
que vous auriez fait?
Mme Massé : Pardon?
Mme
Sioui (Marie-Michèle) : Qu'est-ce que vous auriez fait?
Mme Massé : Bien, quand je dis
qu'on l'aurait pris en amont, là, par exemple, O.K., les conventions
collectives arrivent à terme, c'est connu. On le sait, quand est-ce qu'elles
arrivent à terme. On le sait qu'il y a un rapport de forces qui est
déséquilibré, parce que je vous ai nommé deux éléments majeurs, le fait qu'il y
a... la rétroactivité n'est pas reconnue aux travailleurs, travailleuses de la
construction et le fait que la loi antiscabs ne s'applique pas aux travailleurs,
travailleuses de...
Alors donc, il y a un déséquilibre en
matière de négociation. Je pense que ça, on aurait pu s'attaquer à ça il y a
bien longtemps puisqu'on le connait depuis bien longtemps.
Mme
Sioui (Marie-Michèle) : Donc, réformer la loi antiscabs et puis...
Mme Massé : Au niveau de la
rétroactivité.
Mme
Sioui (Marie-Michèle) : ...assurer qu'il y ait une rétroactivité.
C'est ce que vous auriez fait.
Mme Massé : Exactement. Deux
éléments intéressants, deux éléments importants. Ceci étant dit, tout le monde
s'entend, y compris les gens au Parlement, pour... même Mme Vien, ce matin, a
reconnu ce qu'on dit depuis un certain temps, c'est que ça va être un cercle
vicieux. Ces négociations-là, c'est comme un cercle vicieux, ça revient tout le
temps parce que la loi n'est pas adaptée. Nous, on a identifié deux éléments
qui déstabilisent le rapport de force. Il y en a peut-être d'autres. Il faudrait
s'attaquer... C'est connu, on le sait.
M. Chouinard (Tommy) : Le
contenu de la loi spéciale, donc cinq mois de négociation sous l'égide d'un
médiateur puis, s'il n'y a pas d'entente, recours à l'arbitrage sur les sujets
litigieux choisis par la ministre, est-ce que ça, vous considérez que c'est une
bonne façon de procéder?
Mme Massé : Bien, ce qui est
fascinant, descendez un petit peu plus bas, 1,8 % d'augmentation, c'est
même moins que ce qui était sur la table de négociation de la part des patrons.
Ce que les lois... Ce que les négociations... Quand un gouvernement gère à coup
de lois spéciales, il l'a fait avec le Bella-Desgagnés, il l'a fait avec les
juristes, quand un gouvernement gère de cette façon-là, qu'est-ce qu'il est en
train de nous dire? Il est en train de nous dire que cette négociation de bonne
foi là, elle ne peut pas exister, donc il faut arriver par-dessus ça et mettre
une loi spéciale.
Pourquoi en serait-il ainsi, puisque le
droit de négocier de bonne foi fait partie de la Constitution? D'ailleurs, les
travailleurs, juste avant que je rentre, parce que j'étais avec eux tantôt,
juste avant que je rentre, disaient qu'ils vont nous contester, puis je les
comprends. On les encourage à le faire. Pourquoi? Bien, parce que ça brise...
C'est ça, une négociation entre un employeur qui a beaucoup de pouvoir et des
employés qui ont ce pouvoir de négociation.
M. Chouinard (Tommy) : ...brise
le rapport de force en ce sens qu'il... qu'elle, pardon, la loi spéciale, elle
fait quoi qui fait en sorte qu'on brise le rapport de force, précisément?
Mme Massé : Bien, vous êtes
patron, vous savez que le gouvernement, au jour 1 dont vos employés tombent en
grève, vous savez que le gouvernement dit : D'ici trois, quatre jours, on
va mettre une loi spéciale...
M. Chouinard (Tommy) : Mais, Mme
Massé, je ne veux pas vous interrompre, mais c'est juste que j'y vais avec le
contenu de la loi spéciale. Je vous interromps pareil, là, mais bon. On est sur
le contenu de la loi spéciale.
Mme Massé : Oui, médiation.
M. Chouinard (Tommy) : Vous
dites : Le contenu de cette loi spéciale vient briser le rapport de force.
Je veux simplement... ce qui vous amène à dire que ça brise le rapport de
force, quel élément de contenu de la loi dit ça, revient à ça, selon vous?
Mme Massé : Bien, écoutez,
premièrement, à chaque fois qu'on arrive à un arbitrage, on perd des morceaux.
Ça, c'est mot pour mot ce que m'ont dit des gars dans la rue tantôt. Chaque
fois qu'on arrive à l'arbitrage. Vous allez me dire : Bien oui, il y a
quelques mois de médiation avant ça, mais pourquoi le gouvernement met sur pied
une loi spéciale... Il ne fait jamais ça d'ailleurs pour les lockouts, hein?
C'est intéressant. Regardez ça, concessionnaires au Saguenay—Lac-Saint-Jean,
là, des années de lockouts, pas de loi spéciale. O.K.?
Alors donc, on utilise cette loi-là pour
créer un contexte de médiation pour six mois, alors qu'en partant ça brise la
possibilité de négocier parce qu'on dit : On ne laisse pas aller la
négociation de bonne foi, on va y donner un cadre.
Mme Prince (Véronique) :
Pensez-vous que l'arbitrage va avoir le même effet, c'est-à-dire que vous avez
dit : Lorsqu'on mentionne les mots «loi spéciale», déjà, ça limite la
négociation. Est-ce que vous pensez que le fait que, là, il y a un arbitre qui
va pouvoir intervenir après cinq mois, il y a la même possibilité, parce que
l'arrivée... c'est-à-dire qu'on va attendre l'arbitrage?
Mme Massé : Honnêtement, c'est
ce qui devient très inquiétant de voir que... Je veux dire, les règles de
négociation, les règles de discussion, les faire en sorte que des conditions de
travail soient négociées, ça, c'est globalement encadré. Et globalement on peut
se dire : Au Québec, ça fonctionne pas pire.
Mais à chaque fois... Et l'arbitrage, que
les gars me disaient tantôt, à chaque fois qu'il y a un arbitrage, ils perdent
des bouts. Par exemple, là, c'est la question des samedis; par exemple, là,
c'est la question des horaires coupés; par exemple... Mais ça, là, il y a des
raisons pour lesquelles les travailleurs, travailleuses ont gagné ces
éléments-là d'organisation du travail par le passé : un, pour protéger
leurs droits du travail, certes, mais aussi pour éliminer un paquet d'éléments,
notamment de travail au noir, etc.
M. Chouinard (Tommy) : Deux
points. Est-ce que je dois comprendre que, pour vous, contrairement à ce qu'a
dit le gouvernement, le patronat n'aura pas d'intérêt à s'entendre avec les
syndicats pendant la période de médiation, puisque l'arbitrage va faire, comme
vous dites, perdre des morceaux aux travailleurs? Est-ce que c'est ça que je
comprends?
Mme Massé : Si l'histoire se
répète encore une fois, effectivement, ils ont zéro intérêt. Pourquoi? Bien,
parce que le paiement du salaire de leurs «jobbers» ne sera pas rétroactif
lorsque le moment sera venu.
M. Chouinard (Tommy) : Oui,
bien là, sauf que là, la loi spéciale, elle vient en fixer... fixer 1,8 %,
en tout cas, à tout le moins... Mais, quoi qu'il en soit, je veux comprendre, à
Québec solidaire, votre seuil de tolérance quant au recours à la grève. Pendant
combien de temps... Vous, vous dites que le seuil de tolérance, là, ça va
jusqu'à... on peut patienter pendant combien de semaines pour que ça devienne
un enjeu qui n'est plus acceptable?
Mme Massé : Écoutez, Québec
solidaire, là, c'est aussi les conditions de travail du monde qui nous
intéressent. Et il n'y a pas de seuil, comme vous le dites, parce qu'on a une
loi, par exemple, sur les services essentiels. O.K.? On a déjà collectivement
déterminé qu'il y a des règles qui ne s'appliquent pas exactement pareil à tous
les corps de métier. On s'entend?
Alors, nous, ce qu'on souhaite, à Québec
solidaire, c'est qu'on arrête de discréditer les négociations, qu'on arrête de
discréditer l'utilisation à la grève comme étant des moyens illégitimes des
travailleurs, travailleuses, alors que c'est des droits reconnus dans la
Constitution canadienne.
Mme
Sioui (Marie-Michèle) : Mme Massé, dans les négociations en cours,
est-ce que vous considérez que les parties syndicales ont un parcours sans
faute?
Mme Massé : Parcours sans
faute, je ne sais pas exactement à quoi vous référez, mais ce que je sais par
contre, quand un syndicat dit... des syndiqués disent : Moi, là, ma
conciliation travail-famille, là, c'est quelque chose qui est important, bien,
moi, en 2017, là, dans cet État qui se revendique de l'égalité entre les femmes
et les hommes, j'ai envie de dire : Ah oui? C'est intéressant qu'on puisse
mettre ça au coeur.
Quand on dit, par exemple, que de
fragmenter le fameux samedi... si on fragmente les strates de travail, des
heures travaillées, tel que le souhaiterait le patronat, pour plus de
flexibilité, c'est ouvrir une porte grande au travail au noir sur les
chantiers. Je suis sensible à ça, moi.
Parcours parfait, je ne doute pas, là,
quand tu es 200 000 personnes dans la vie, c'est une paire de manches,
mais il y a une chose qui est sûre, c'est que ce qui est sur la table
actuellement, c'est vraiment intéressant. Et laissons les parties faire... bien
là, on ne peut plus dire ça, parce que, dès le jour 1 de la grève, il y avait
une menace de loi spéciale et là maintenant une menace d'arbitrage si on ne
s'entend pas.
M. Bellerose (Patrick) : Donc,
pour vous, l'impact de la grève sur l'économie du Québec, ce n'est pas un
impact... ce n'est pas un argument qui est légitime pour dire : Il faut
mettre fin à la grève?
Mme Massé : Écoutez, c'est
parce que... D'ailleurs, les gars me disaient ça tantôt... je trouve, c'est
intéressant, allez jaser avec eux autres. C'est vraiment intéressant de
comprendre, un, comment ça fonctionne, parce que ça ne fonctionne pas comme
aucun métier ou quoi que ce soit. Ce que les gars me disaient tantôt, les gars
et les filles, mais j'ai vu, bien sûr, plus de gars que de filles, ce qu'ils me
disaient par rapport aux impacts financiers, ils disaient : Ce n'est pas
de renier qu'il y aura des impacts financiers, mais soyez assurés que tous les
contrats qui devaient être faits, ils vont être faits.
Alors donc, cette idée de dire qu'on perd
x millions, ce que les gars disent : Oui, peut-être que, là, là, aujourd'hui,
mais demain, là, cet argent-là, il va être remis dans l'économie. Alors, peut-être
qu'il y a des choses à nuancer, peut-être que les chiffres, à grosseur de millions,
qui ont été lancés pourraient être nuancés, mais je vous avoue que je n'ai pas
fait ce calcul-là à matin.
M. Dion (Mathieu) :
Comment interprétez-vous les résultats d'un sondage de Radio-Canada au sujet de
la marijuana? Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de voir les résultats
qui montrent que les Québécois sont beaucoup plus inquiets... bien, plus
inquiets que les Canadiens par rapport à la légalisation de la marijuana.
Quelle est votre interprétation de ça?
Mme Massé : Bien, je vous
dirais que, et c'est vraiment une interprétation, c'est-à-dire que les
Québécois et Québécoises sont très préoccupés pour la santé publique de nos
jeunes, la santé publique de nos personnes plus vulnérables, et, dans ce
sens-là, la légalisation, je pense, doit absolument se faire dans une
perspective de prendre soin de notre monde, là. Ça ne peut pas être fait dans
la perspective d'enrichir des compagnies, des entreprises privées notamment, en
matière de profits.
Alors, moi, je pense que les gens sont
inquiets et ils souhaitent qu'on fasse la démonstration, comme on l'a fait dans
le temps où l'alcool est sorti de la prohibition, qu'on fasse la démonstration
qu'on est capables d'assumer ça collectivement de façon responsable.
M. Dion (Mathieu) : Mais
pourquoi plus que les autres Canadiens?
Mme Massé : Bien,
peut-être que nous n'avons pas fait notre travail en matière de
sensibilisation, en matière d'éducation, etc. Et pour le reste, honnêtement, je
n'ai pas d'hypothèse plus grande que ça.
Mais, pour nous, en tout cas, à Québec
solidaire, il est d'une évidence que toute légalisation doit être faite dans
une perspective de prévention. Tu sais, je veux dire, il y a un travail de
prévention à faire, doit être fait dans une perspective de santé publique et
surtout pas dans une perspective de développement de profits dans des
compagnies qui n'auraient pas peut-être cette sensibilité de prendre soin du
monde puisqu'ils n'en ont pas la responsabilité.
M. Dion (Mathieu) : Plus
de la moitié des Québécois pensent que ça devrait être vendu soit à la
pharmacie ou encore à la SAQ. Êtes-vous de cet avis-là aussi?
Mme Massé : Bien,
écoutez, je pense que ça doit se réfléchir, hein? Ça doit être tout à fait...
est-ce que, par exemple, de passer à travers un réseau public comme la SAQ, où
là tu t'assures et de la qualité et de distribution ou passer à travers un
réseau comme les pharmacies qui ont des règles déontologiques, etc. Ça reste à
réfléchir, mais, pour sûr, ça ne peut pas servir au profit d'entreprises
privées, même si c'est des pharmacies.
(Fin à 13 h 6)