(Huit heures trois minutes)
M. Lisée
: C'est un
moment important qu'on vit aujourd'hui, c'est le retour de la lucidité. Pendant
des décennies, le Parti libéral du Québec savait que le Canada était brisé,
voulait le réparer, en fait, depuis 1867, depuis la création du Parti libéral,
il y a eu cette volonté de faire reconnaître, dans la loi fondamentale du pays,
l'existence du Québec, de la nation, de la société distincte, de son identité
et la nécessité pour le Québec d'avoir davantage de pouvoirs à l'intérieur de
la fédération.
Ces quatre dernières années, cette
lucidité avait disparu. Le gouvernement Couillard avait arrêté de dire que c'était
un problème. Ce matin, surprise, le problème est revenu. En fait, il n'était
jamais parti, mais la réalisation, par le gouvernement du Québec, que l'absence
de la signature du Québec à la Constitution canadienne, l'absence de
reconnaissance du Québec dans la Constitution canadienne, est un réel problème
et ils utilisent des mots assez durs, et je vais citer : Le Québec cherche
à obtenir du Canada la reconnaissance formelle de la nation, de son identité,
un geste politique qui, peut-on lire dans le document, ferait en sorte,
citation, «que les Québécois ne se sentiraient plus exilés au sein de leur
propre pays».
Et donc Philippe Couillard reconnaît
aujourd'hui que les Québécois se sentent exilés au sein de leur propre pays. On
ne l'avait jamais entendu dire ça. On ne l'avait jamais entendu reconnaître que
ça avait un impact massif dans la vie québécoise de ne pas être reconnu. Je
suppose que l'accumulation des échecs dans sa tentative de dialogue avec le
gouvernement fédéral et les autres provinces a dû le conduire à cette
réalisation.
Il a échoué à rétablir les transferts
fédéraux en santé alors qu'il y avait une coalition avec les autres provinces
qui s'est détruite. Il a échoué à avoir la Banque d'infrastructure à Montréal,
et, pire, la banque fédérale aura un pouvoir d'expropriation et de rejet des
lois québécoises. Il a échoué à convaincre Ottawa d'investir, de prendre un
risque dans Bombardier. Il a échoué à convaincre Ottawa qu'on a besoin de 14
juges de la Cour supérieure pour régler le problème de la justice. Alors, ces
échecs répétés de M. Couillard, au sein de la fédération, l'ont peut-être
conduit à réaliser qu'il y avait un problème de fond, un problème structurel.
La non-reconnaissance de la nation dans la Constitution canadienne lui enlève
du pouvoir.
Alors, ce matin, en attendant de voir le document
et d'entendre les réponses de M. Couillard à vos questions, ce qui pourrait
arriver dans la d'un problème de fond qui nuit au Québec, qui suit à son
économie, qui nuit à sa gestion des affaires publiques, qui le retarde et qui
l'affaiblit. Maintenant, comment il va procéder pour résoudre ce problème? On a
hâte de l'entendre sur son calendrier, ses propositions, comment il juge son rapport
de force, comment il entrevoit la résolution de ce problème-là, la consultation
des Québécois.
Il y a des tas de questions sans réponse.
Nous n'essaierons pas d'y répondre ce matin, nous n'avons pas ces réponses,
mais simplement l'existence de ce document est un constat, le constat de
l'échec canadien à reconnaître la nation québécoise, et, pour une fois, M.
Couillard et nous sommes sur le même constat.
Le Modérateur
: Merci
beaucoup, M. Lisée. On va y aller aux questions. Micro de droite, M. Laforest,
TVA.
M. Laforest (Alain) : Bonjour
à vous deux. Avez-vous un regret aujourd'hui d'avoir reporté le référendum à
2022?
M. Lisée
: Pas du tout.
M. Laforest (Alain) : Ça
change la donne, là, qu'on relance les négociations peut-être
constitutionnelles ou qu'on veuille se rapprocher du Canada et faire
reconnaître la nation québécoise qui a été reconnue par le gouvernement
conservateur de Stephen Harper.
M. Lisée
: Bon, alors, il
faut bien être précis, là. À la demande du Bloc québécois de Gilles Duceppe, le
gouvernement Harper a déposé une motion à la Chambre des communes reconnaissant
l'existence de la nation québécoise. Nous avons demandé que cette reconnaissance
soit dans la Constitution canadienne parce qu'une motion de la Chambre des
communes n'a aucun impact, et on l'a bien vu. Et le refus du reste du Canada de
reconnaître la nation québécoise dans la Constitution canadienne est
stratosphérique. 70 %, 80 % des Canadiens le refusent.
Alors, pour moi, la seule chose qui change
aujourd'hui, c'est que les libéraux reviennent à leur lucidité de base que le
Canada est brisé.
Le Modérateur
: Merci.
M. Vigneault, Radio-Canada.
M. Vigneault (Nicolas) : Ce
qui fait que vous vous réjouissez aujourd'hui, est-ce que ce n'est pas un peu
aussi, sur le plan politique, une stratégie, à savoir que, s'il y a échec et
s'il y a tiraillement, vous savez très bien que ça pourrait vous profiter dans
un contexte électoral?
M. Lisée
: On ne
connaît rien du calendrier de M. Couillard. La dernière fois que ça s'est fait,
il y a avait un calendrier serré, c'est-à-dire que l'échec de Meech en juin
1990 avait conduit l'Assemblée nationale à décider que ça devait se régler en dedans
de deux ans, c'est-à-dire, même, moins de deux ans, octobre 1992. C'était dans
la loi 150, soit il y avait un accord constitutionnel, soit il y avait un référendum
sur la souveraineté. Ça, c'était au dernier épisode et ça n'a pas fonctionné.
Alors, j'ai hâte de voir comme M.
Couillard, cette fois-ci, peut donner de l'espoir. Une fois qu'il fait le
constat lucide, et ça, on applaudit son constat lucide, comment peut-il donner
un espoir réaliste aux Québécois que ce Canada brisé peut être réparé? On a
hâte d'entendre ses réponses.
M. Vigneault (Nicolas) : Maintenant,
justement, pourquoi vous pensez que le gouvernement relance ce débat-là à ce
moment-ci? Est-ce que vous pensez que ça peut être en raison des difficultés
que vit actuellement le gouvernement? Notamment, bon, sur le plan éthique, on
sait ce qui se passe depuis quelques mois.
M. Lisée
: Je ne veux
pas prêter des intentions au gouvernement. Moi, en tant que citoyen québécois,
qui n'est pas reconnu comme nation à l'intérieur du Canada, cette lucidité
nouvelle, moi, elle me va. Je suis toujours contre nier les problèmes. Là, ils
ont arrêté de nier le problème. Ils ont sûrement toutes sortes de calculs
derrière ça. Ils ont volé le programme de la CAQ en matière de compressions,
ils ont volé des membres de la CAQ pour des ministres.
Maintenant, est-ce qu'ils volent le
programme de la CAQ sur la réforme de la fédération? Si c'est leur calcul, ça
leur appartient, mais la conséquence, c'est de dire à tous les Québécois et à
tous les fédéralistes : Le Canada est brisé, et vous êtes des exilés dans
votre propre pays tant que ce n'est pas réparé. Ça, c'est important.
Le Modérateur
: Merci. M.
Boivin, Cogeco.
M. Boivin (Mathieu) : M.
Lisée, êtes-vous content de parler de constitution aujourd'hui?
M. Lisée
: Franchement,
j'aurais préféré vous parler des compressions permanentes du gouvernement
libéral sur la jeunesse et sur l'enfance. Mais puisque c'est le gouvernement
qui décide de l'agenda dans des questions très importantes comme cela, il nous
donne un rendez-vous constitutionnel, on répond présent.
M. Boivin (Mathieu) : Vous,
ça vous intéresse de discuter de la Constitution canadienne?
M. Lisée
: Moi, ça
m'intéresse que les Québécois soient conscients, et il y a une nouvelle
génération de Québécois qui n'ont pas connu les grands débats depuis Meech, et
Charlottetown, et le référendum de 1995. Et que cette proposition du gouvernement
québécois leur rappelle qu'il y a quelque chose d'inacceptable dans la façon
dont le Canada traite le Québec, pour moi, c'est important qu'ils le sachent parce
que c'est vrai.
Alors, il y a deux solutions possibles à
cet état de fait inacceptable : l'indépendance, c'est notre solution, et
une autre tentative de réforme. Bien, il appartient au gouvernement de dire
pourquoi cette nouvelle tentative de réforme peut marcher, alors que toutes les
précédentes ont échoué.
Le Modérateur
: Merci.
Mme Porter.
M. Boivin (Mathieu) : Juste
une petite affaire. Vous venez tout juste de dire que votre solution à vous,
c'était l'indépendance de préférence à une souveraineté-association.
M. Lisée
: Bien,
l'indépendance ouverte, bien sûr. On aura de bons rapports avec nos voisins
canadiens, d'une façon ou d'une autre.
M. Boivin (Mathieu) :
L'indépendance ouverte.
M. Lisée
: Il n'y a
aucun pays indépendant qui n'a pas de rapports avec ses voisins, de
l'importation, de l'exportation, des traités, etc.
Le Modérateur
: Merci.
Mme Porter.
Mme Porter (Isabelle) : Quelle
est l'importance historique de ce geste-là, selon vous? À votre connaissance,
il faut remonter à combien de temps pour retrouver une espèce de reconnaissance
de cette nature-là de la part des libéraux?
M. Lisée
: Bien, à
Meech, avant... donc, en 1987, le ministre de l'époque, Gil Rémillard, avait
préparé le terrain en allant — avec l'appui de Brian Mulroney — dans
toutes les provinces pour essayer de faire atterrir ce qui deviendrait Meech.
Ensuite, de 1987 à 1992, ça a été les suites d'abord de l'échec de Meech vers Charlottetown
et l'échec de Charlottetown.
Et donc, depuis, il y a eu des documents.
Benoît Pelletier, sous Jean Charest, avait publié un document mais il n'y avait
jamais eu de volonté affirmée, puis encore là, on verra tout le document, mais
de volonté affirmée de dire : On veut s'engager dans un processus dont la
résultante serait la modification de la constitution.
Mme Porter (Isabelle) : Mais
sinon, à quelle réaction vous attendez-vous de la part du gouvernement fédéral
et des autres provinces?
M. Lisée
: On va les
laisser parler.
Le Modérateur
: Merci.
Dernière, merci. Merci, Isabelle.
Mme Lamontagne (Kathryne) :
J'aimerais vous entendre...
Le Modérateur
: Mme
Lamontagne.
Mme Lamontagne (Kathryne) :
Oui, pardon. J'aimerais vous entendre sur un autre sujet. 718 millions de
dollars en amendes impayées qui manquent dans les coffres du Québec, le tiers
de cette somme qui pourrait ne jamais être retrouvées, on fait quoi avec ça?
M. Lisée
: Bien,
écoutez, l'austérité permanente, c'est ce que ça donne aussi. C'est
contre-productif même dans la collection de revenus. Alors, il peut y avoir des
problèmes de gestion, des problèmes de personnel, mais c'est sûr qu'après 12
ans de gouvernement libéral, s'ils ne sont pas capables de collecter les
amendes, c'est qu'il y a quelque chose qu'ils font de pas correct.
Mme Lamontagne (Kathryne) : Et
ce serait quoi?
M. Lisée
: Bien, ce
serait d'avoir les bonnes ressources, une bonne organisation du travail pour
faire en sorte que, dans ce cas-là, chaque dollar dépensé en ressources
rapporte plus qu'un dollar à l'État québécois. Et c'est de la mauvaise gestion,
tout simplement.
Le Modérateur
: Merci. En anglais, Mme Johnson.
Mme Johnson (Maya) : Good morning. What does the Premier Couillard's desire to reopen
constitutional talks indicate to you?
M. Lisée
:
Well, first, I want to salute a surprising lucidity… does that exist?
Mme
Johnson (Maya) : Lucidity? Yes.
M. Lisée
:
I don't think so. I'm not sure. I want to salute the fact that he recognizes
the problem. He's been in denial for the last three years, saying that there
was no problem with Québec within Canada. And now, he says the problem is so
great that we have to change, and I'm quoting here, «so that
Quebeckers do not feel like exiles in their own country». That their words. And
so, the recognition that something is really broken in Canada and that lessens
the power of Québec, the health of Québec, the ability of Québec to take its
own decisions, is welcome.
Now, how he will fix
that, I have no idea, and I'm looking forward to
hearing his plan to fix that, but, if you want to fix the problem, the first
thing to do is to recognize its existence, and today, at last, he recognizes
the problem.
Mme Johnson (Maya) : What would like to see in the document?
M. Lisée
: We'll hear his answers. We'll hear his answers. I mean, in what we
have now, the document, he says
that the Meech conditions are a matrix. I think that's the lowest possible bar,
but let's hear him first.
Le Modérateur
: Merci
beaucoup.
(Fin à 8 h 16)