(Dix heures quarante-deux minutes)
M. Khadir
: Merci
beaucoup, tout le monde. Il y a quelques semaines, M. Couillard proclamait
que, maintenant, le monde entier sait que Bombardier fabrique les meilleurs
avions au monde. Bien, hier soir on a appris que, pour le meilleur ou pour le
pire, ce meilleur avion, là, c'est dorénavant Airbus qui le possédait sans
avoir à débourser un seul rond. Le meilleur avion au monde, là, maintenant,
malgré tout ce qu'on a investi pendant des années de toutes sortes de manières,
donc, les brevets, le savoir-faire, la technologie de pointe, Airbus vient de
l'avaler sans casquer un seul sou. Est-ce qu'on doit s'en réjouir? Bien,
regardez dans la situation désastreuse dans laquelle les décisions de
dirigeants incompétents de Bombardier et la décision mal avisée du gouvernement
Couillard d'investir dans la CSeries plutôt que dans la compagnie, dans l'entreprise
dans son ensemble que ces personnes-là nous ont mise... Bon, on était pris à la
gorge, puis là on nous offre une bouée de sauvetage. Certains me disent :
Il ne faut pas cracher dans la soupe. Je suis tout à fait d'accord. Nous sommes
très solidaires des travailleuses et des travailleurs, des employés, des
ingénieurs, qui sont soucieux de savoir que leurs emplois sont préservés. Mais
il faut quand même regarder la soupe, il ne faut pas l'avaler de travers, il ne
faut pas que ça soit empoisonné, il faut que ça soit nourrissant. Est-ce que
c'est au rendez-vous? Est-ce qu'il y a une garantie pour que tout ça ne soit
pas une opération comme on l'a vue si souvent avec ces gros joueurs pour mettre
CSeries sur la voie de contournement? Ça peut être ça aussi, un concurrent qui
avale un autre pour se débarrasser. Bon. Ça, c'est l'hypothèse la pire. Mais
une réalité quand même qu'on peut dire aujourd'hui, c'est que l'argent des
contribuables québécois, là, le 1 milliard de dollars US qu'on a
investi, là, ça a servi à subventionner des jobs... à subventionner Airbus pour
créer des jobs en Alabama. Et, dans cette opération, ce n'est pas le Québec qui
gagne des jobs, c'est Donald Trump.
Le Modérateur
: On va
passer à la période de questions. Micro à ma gauche.
M. Khadir
: À votre
gauche, c'est ici.
Le Modérateur
: Nicolas
Vigneault, Radio-Canada.
M. Vigneault (Nicolas) :
Et voilà. M. Khadir, est-ce que vous diriez que le gouvernement s'est fait
rouler, là-dedans?
M. Khadir
: J'ai
l'impression que c'est pire. Le gouvernement n'avait pas d'autre choix que de,
dans sa logique à lui, là, et après l'erreur commise... pour éviter le
désastre, le gouvernement a plié le genou, a accepté n'importe quoi. Puis où
est-ce que ça va finir, cette logique-là? On n'a aucune garantie. Si ça ne va
pas très bien, maintenant, avec plus que la majorité — 50 % plus
0,1 ou 50 % plus 0,01, on ne sait plus comment faire le calcul — bien,
Airbus pourrait décider de mettre fin aux opérations de CSeries. C'est eux qui
ont le bout du bâton.
Ensuite, comment se fait-il qu'alors qu'on
était à 50-50 avant, le gouvernement versus les détenteurs d'actions de
Bombardier, là, tout d'un coup, on est rendus à 19 % pour le gouvernement
et 31 % pour la famille Bombardier et les actionnaires de Bombardier? Je
ne comprends pas. Il y a toute une série de choses qui témoignent de
l'incompétence de son gouvernement d'avoir une vision à long terme pour faire
en sorte que les décisions qu'on prend sont structurantes en l'avenir pour
avoir des emplois ici pour développer nos capacités économiques. Et tout ça,
là, ça témoigne de tous les dangers contre lesquels on mettait les gens en
garde il y a bientôt 25 ans lorsque l'ALENA a été signé. Regardez le bois
d'oeuvre, on sait ce que ça a donné. Bombardier... Cette décision, dans le fond,
ça montre que l'ALENA ne nous protégeait contre rien, hein? Les mesures
protectionnistes américaines ont entraîné des conséquences qu'on sait, et
maintenant on nous parle même de la fin de la gestion de l'offre en
agriculture. Donc, il faudrait que, collectivement, on soit capables... que les
gouvernements, que les élites économiques qui nous ont enfoncé ça dans la gorge
il y a 25 ans admettent qu'ils ont commis des erreurs.
M. Vigneault (Nicolas) :
Sur le siège social, est-ce qu'il n'y a pas là un danger que, justement, ça
devienne une coquille vide?
M. Khadir
: Bien
oui. Écoutez, quand on sait de quoi ces grandes multinationales sont capables,
de toutes les entourloupettes. Vous savez qu'Airbus, qui a pris naissance en
France, son siège social était à Amsterdam. Pourquoi vous pensez? Comme Uber,
n'est-ce pas? C'est un endroit pour échapper à l'impôt. Donc, ces gens-là, là,
ne sont pas fiables d'un point de vue politiques publiques, donc les décisions
qu'ils vont prendre, ce n'est pas avec une conscience sociale minimum. S'ils
avaient une conscience sociale, ils ne seraient pas empêtrés dans autant de
scandales de corruption, hein? Vous savez, Airbus, comme Bombardier, ne serait
pas enregistré à Amsterdam, serait enregistré dans le pays qui a vu naître
Airbus, c'est-à-dire en France. Donc, demain, je ne pense pas qu'aucun souci
d'emplois, aucune conscience de ce que le Québec lui offre sur un plateau
d'argent, là, gratis, ne les motive à garder un siège social ici, là. On en a
vu d'autres qui ont fait des promesses, les Rio Tinto Alcan de ce monde, et les
promesses ne sont pas au rendez-vous.
Le Modérateur
: Alain Laforest,
TVA.
M. Laforest (Alain) :
Donald Trump a remporté son pari.
M. Khadir
: C'est
ça qui est le malheur, c'est que le gouvernement canadien et le gouvernement du
Québec, par leur erreur, par leur absence de vision, par leur absence de
combativité, ont donné raison à Donald Trump. Maintenant, le Québec et
l'argent du fédéral financent directement Airbus pour créer des emplois où?
Dans le pays de Donald Trump, dans les territoires où Donald Trump a gagné
son élection. C'est ça qui est arrivé.
M. Laforest (Alain) :
Concernant toujours cette transaction, il y a quand même des garanties, là,
jusqu'en 2041, que la ligne d'assemblage principale va rester à Mirabel. Ces
garanties-là, vous ne les croyez pas?
M. Khadir
:
Est-ce que vous avez vu des chiffres, M. Laforest? S'ils ne respectent pas
ces garanties, qu'est-ce qu'ils vont donner au Québec? Qu'est-ce qu'ils vont
donner aux travailleurs? Est-ce que vous avez vu des chiffres? Est-ce que vous
avez vu le contrat? Combien de fois des grandes compagnies comme Airbus ont
fait des promesses de cette sorte, d'investissements par
milliards — un an et demi plus tard, on apprend que rien n'a été
investi — de garanties de préserver les emplois? Il faut que ces
garanties-là, pour que ça vaille quelque chose, ça ne soit pas une conférence
de presse, que ça soit des documents qui engagent financièrement ces compagnies-là.
M. Laforest (Alain) :
Mais vous ne l'avez pas vu, le contrat, M. Khadir...
M. Khadir
: Moi
non plus. Non, non, mais, si on se fie…
M. Laforest (Alain) :
Mais sur foi de quoi vous vous dites : Non, ils ne respecteront pas leur
engagement?
M. Khadir
: Sur
la foi de quoi je devrais les croire? Sur la foi de quelles bonnes pratiques de
ces multinationales? Quelle responsabilité sociale? Quel engagement réel envers
la société? Comment puis-je faire confiance à une multinationale qui s'enregistre
à Amsterdam pour échapper à l'impôt alors que tant d'argent public sert à les
financer?
Le Modérateur
: Marco
Bélair-Cirino.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Comment expliquer que le syndicat des employés de Bombardier, notamment ceux
qui sont à pied d'oeuvre à Mirabel, était présent hier lors de la conférence de
presse et appuyait l'entente?
M. Khadir
: Bien,
le désespoir mène à beaucoup de choses. Je ne dis pas que, dans la situation
actuelle, c'est vraiment possible pour les employés, les travailleurs pour
faire autre chose que, disons, de se réjouir que, dans l'immédiat, dans
l'immédiat, il y a des garanties à court terme, à tout le moins, que leur
activité va continuer. Mais la question se pose : Elle est où, la
responsabilité des dirigeants de Bombardier, qui ont si mal réfléchi à tout ça?
Elle est où, la responsabilité de notre gouvernement, qui a si mal réfléchi
dans son…
Rien de tout ça ne serait arrivé si le gouvernement
Couillard avait investi ses 1,3 milliard de dollars canadiens dans
l'entreprise Bombardier plutôt que dans la CSeries directement, puisque les
lois qui permettent à Boeing de loger même cette plainte n'auraient pas été… ne
lui auraient pas permis de le faire si la subvention du gouvernement canadien
était dans l'entreprise dans son ensemble.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Très clairement, est-ce que…
M. Khadir
:
C'était même… Je parle de subventions, mais l'investissement, c'est-à-dire,
oui, sa prise de parts.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
C'est enregistré, ces points de presse là, oui.
M. Khadir
: Très
bien.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Est-ce qu'un gouvernement de Québec solidaire se serait opposé à l'entente
intervenue hier entre Bombardier et Airbus?
M. Khadir
: Ça,
c'est une question hypothétique. Un gouvernement de Québec solidaire n'aurait
pas agi de la sorte dans le soutien sans contrôle dans une entreprise comme
Bombardier, n'aurait pas commis les erreurs qui sont là.
Maintenant, si vous me dites que le
gouvernement veut nous rendre responsables de ses malheurs et nous donner l'opportunité
d'agir, je n'ai pas toutes les informations pour dire quelle autre mesure on
aurait pu prendre, mais il faut qu'à tout le moins le gouvernement québécois
actuel admette les erreurs et les insuffisances fondamentales des accords de
libre-échange et demande au gouvernement canadien de prévoir quelque chose pour
le futur. Combien d'autres malheurs comme ça on se prépare? Combien d'autres
bradages, combien d'autres, disons, renoncements à notre souveraineté
économique?
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Une dernière question. Il y a deux semaines environ, M. Couillard était
devant les employés de Bombardier à Mirabel, il leur a dit : Lorsqu'on va
faire sortir des avions de la CSeries de Mirabel, ça va être un message fort au
président des États-Unis, Donald Trump. Quel message a-t-il envoyé, hier soir,
en donnant son feu vert, ni plus ni moins, à l'aménagement d'une ligne
d'assemblage à Mobile, en Alabama?
M. Khadir
: C'est
malheureux, mais le message, c'est que moi, Philippe Couillard, j'ai fait
patate.
Le Modérateur
: Charles
Lecavalier.
M. Lecavalier (Charles) :
Bonjour, M. Khadir. Sur un autre sujet, je ne sais pas si vous avez vu ça ce
matin, mais qu'est-ce que ça vous dit que le président du RTM, qui est un
ancien de Bombardier à l'époque, faisait beaucoup de cadeaux au président de
l'AMT, Joël Gauthier?
M. Khadir
: Ça
illustre parfaitement ce à quoi je faisais illusion. Ces entreprises n'ont
aucune éthique, aucun sens de l'éthique, depuis des années se sont empêtrés, on
l'a vu dans plusieurs endroits dans le monde, dans des scandales similaires de
pots-de-vin.
Et ça, ça ressemble très bien, bien sûr, à
l'époque libérale. On rappellera que celui qui était bénéficiaire, là, M. Gauthier,
est un ancien président du Parti libéral du Québec. Et, s'il faut faire des
liens, j'entends bien poser la question cette semaine, quand M. Lafrenière
sera là, sur savoir comment ça se fait que ça traîne encore, tout ça, là. Ça
fait des années qu'on connaît ces dossiers-là, ça fait des années que les
actuels dirigeants de l'Agence métropolitaine des transports ont transmis ces
informations, et il n'y a rien qui bouge parce que tout ça, bien sûr, si ça
devait bouger, bien, ça rapprocherait différentes enquêtes, différentes
accusations du centre de cette corruption structurelle alentour du Parti libéral,
c'est-à-dire Jean Charest, l'ancien premier ministre du Québec.
M. Lecavalier (Charles) :
Puis, pour revenir sur le sujet de Bombardier, il semble qu'effectivement
Donald Trump a remporté son pari, c'est-à-dire qu'il va y avoir des emplois
créés aux États-Unis. Est-ce que vous croyez, donc, dans ce sens-là, que le Québec
devrait s'en inspirer puis lui aussi mettre en place des mesures
protectionnistes? Je pense aux autres transports, le train électrique à
Montréal, qui n'a pas de pourcentage de production au Québec. Est-ce que ça
devrait... justement, on devrait dire : Bien, on va faire comme eux, on va
créer des emplois ici?
M. Khadir
: Tout
à fait. Là, on est dans une période, on est dans une remise en question
fondamentale par le principal joueur. S'il fallait une ultime preuve... Parce
que cette preuve-là aurait pu être, disons, visible à tous, déjà dans
l'histoire du bois d'oeuvre, depuis des années. Mais, s'il fallait une preuve
ultime, voici que cette preuve est faite coup sur coup dans la même semaine :
Bombardier avec la subvention directe des emplois dans l'Alabama et la demande
des États-Unis de mettre fin à la gestion de l'offre. Donc, il faut que le
Québec pense à une stratégie industrielle autonome, indépendante tablant sur
ses propres capacités et soutienne sa propre industrie par diverses mesures, et
je ne pense pas que quiconque de l'autre côté puisse, dans les circonstances,
nous le reprocher. Est-ce que c'est un repli sur soi? Non, mais c'est un
renforcement des capacités pour pouvoir survivre à une économie dominée par des
requins, par des prédateurs politiques et économiques tels que Donald Trump.
Le Modérateur
: On va
prendre les questions en anglais.
Mme Montgomery
(Angelica) : Mr. Khadir, first off, what do
you think should have been done differently? Are you suggesting that they
should not have tried to do the CSeries?
M. Khadir
: Because of the important errors committed by the
Couillard Government, the most important of which being investing not in
Bombardier as a whole company but in CSeries project… has put us in that
difficult situation where the company had real difficulties because of the U.S.
decision to close up its market. But apart that, there is… of course, I have
the… knowing this Government, knowing its total inability… we have seen it with
Uber, we have seen it in so many cases, with Netflix, all these governments now
in power, in Ottawa and Québec, their inability to deal with corporate
business, I see there another indication that they have — comment on
dit, courber l'échine? — they have put their knees on the ground in
front of Airbus. Because, I remind you, Airbus now holds important technology,
innovation in the name of Airbus… in the name of Bombardier CSeries with zero
payment. For just nothing, we have offered them all that — years of
efforts, years of public money, public funding — for nothing. So, our
money, actually, will provide jobs in Alabama to Donald
Trump to come out and say he has won.
Mme Montgomery
(Angelica) : ...the Québec
Government maintains a 19% share in the CSeries. What do you think the chances
are that it will be able to get its money back as a result of that?
M. Khadir
: There will be a bigger chance
to have its money back but suddenly, why… nobody has explained why 19%. Before the Airbus operation, we were 50-50. Investissement Québec,
on behalf of the Government was 50% of the shares. So, from the remaining 50%
of shares left now with the Airbus deal, why suddenly Bombardier family will
have 31% and us just 19%? Nobody has explained that we should have had 25%.
That's really the kind of Government we have, totally in the hands of big
corporate elite and business.
Le Modérateur
:
On va prendre une dernière question en anglais.
Mme Fletcher (Raquel) : Bombardier says that it is keeping jobs in Québec, it's keeping its
plant in Mirabel open, but you said : There is no guaranty. Can you
elaborate on that?
M. Khadir
: There is no guaranty, no guaranty. These are just
promises. And we know how these big corporations, in the past, here in Québec,
have failed to their promises. So, until we have some document where they are
financially bound to do so, who can really guaranty reasonably that they will
do so if there are other difficulties? They can even scrap it if they wish. They're
now majority stakeholders. And we have seen it so many times. And in the mean
time, what happens is that our money will provide an opportunity to create jobs
in Alabama. Thank you for your attention.
(Fin à 10 h 59)