(Onze heures deux minutes)
M. Khadir
: J'ai
appris que M. Ouellette était déjà à l'Assemblée nationale. M. Ouellette
a réclamé une opportunité pour expliquer les faits qui le concernent. J'ai une inquiétude,
j'espère qu'on aura l'occasion de pleinement l'entendre, avec sincérité, avec,
je dirais, la plus grande transparence et avec le souci de s'en tenir aux
faits.
Il y a de graves allégations qui fusent de
part et d'autre. Mon ami Guy Ouellette doit savoir qu'il a toute notre oreille
s'il veut bien parler de ce qu'il sait et qu'il dit déranger des gens qui ne
voudraient pas que ça se sache. Il va avoir totale impunité. Nous sommes prêts
à nous battre pour qu'il ait plus d'espace. Mais, ça, il va falloir, à ce
moment-là, de sa part, toute, je dirais, la volonté et la détermination de ne
pas s'en tenir à des professions de foi, une profession de foi sur l'intégrité,
là. On a besoin des faits, et on va en avoir le coeur net.
Ensuite, il y a toutes sortes de questionnements
qui sont soulevés par l'attitude un peu désinvolte et, je dirais, qui frise
l'irresponsabilité de M. Coiteux d'offrir son blanc-seing et sa totale
confiance sans questionnement au travail de l'UPAC. Le problème, c'est que, si
c'est le cas, M. Coiteux saisit mal qu'il est vraiment, vraiment tout seul
dans son coin avec le gouvernement libéral. Toute la population se demande
pourquoi les choses traînent, pourquoi tant d'enquêtes n'aboutissent pas,
pourquoi tant d'enquêtes à l'UPAC n'aboutissent pas. On a investi dans cette institution,
on a des espoirs, on a des attentes et on a surtout une attente majeure, c'est
que M. Lafrenière s'explique enfin, non seulement sur les raisons de
l'arrestation de Guy Ouellette... et ça a besoin d'être convaincant, vu les circonstances
dans lesquelles ça s'est fait, vu que c'était la première fois qu'un député en
exercice de ses fonctions se faisait arrêter par l'UPAC, ça a besoin d'être
convaincant, autrement il y a de sérieuses questions à se poser. Parce que,
nous, ce qu'on veut c'est qu'on ne jette pas le bébé avec l'eau du bain. Il
faut sauver l'UPAC, il faut s'assurer que l'UPAC, une fois pour toutes, puisse
mener à bien sa mission, sa mission première. Et, là-dessus, s'il faut remettre
en question le travail de qui que ce soit, y compris M. Lafrenière, bien,
on le fera puis on remerciera M. Lafrenière de ses services s'il n'est pas
capable de démontrer qu'il est l'homme de la situation. Parce que, pour le
moment, ce qu'on sait... que ça fait six ans et ça piétine. Merci de votre
attention.
Le Modérateur
: Alain
Laforest, TVA.
M. Laforest (Alain) : M. Khadir,
qu'est-ce que vous pensez du processus de reddition de comptes que veut mettre
en place M. Coiteux? Il reporte le projet de loi, là, pour créer, de
l'UPAC, un corps de police spécialisé. Qu'est-ce que vous pensez, là, hier, là,
lorsqu'il a dit : On va mettre un processus de reddition de comptes?
M. Khadir
: J'en
pense tout ce que ça dit. Il exprime une volonté qu'il y ait un processus de reddition
de comptes, mais on ne sait pas c'est quoi. Et ça part très mal parce que, les
dernières semaines et les derniers mois, le gouvernement libéral, dans une
obstination qui ressemble à l'obstination de Jean Charest, qui ressemble malheureusement
aux obstinations et dénégations de Jean Charest, refuse d'accepter qu'il faut
au minimum que le commissaire de l'UPAC soit nommé aux deux tiers. Alors, ça
commence très mal si ça commence par ce genre d'obstination.
Mais je dis à M. Coiteux : Le problème
de l'UPAC, ce n'est pas la reddition de comptes, pour le moment, c'est bien au-delà.
Le problème de l'UPAC, c'est le piétinement. Ça fait six ans, puis on n'est pas
avancés.
M. Laforest (Alain) :
Vous avez dit tout à l'heure que vous vouliez que M. Ouellette se rende au-delà
d'une profession de foi, vous voulez des faits. Est-ce que, pour lui... Il a
dit que c'était le discours de sa vie, est-ce qu'il doit prouver que c'est le
discours de sa vie?
M. Khadir
: C'est
sûr qu'en une minute c'est très limité, mais on peut quand même dire des
choses, on peut mettre la table, on peut faire en sorte que ça soit
insupportable pour le Parti libéral. Parce que vous savez que le Parti libéral
a encore échoué ce matin en refusant de donner son consentement pour donner
plus de temps à M. Ouellette. Le Parti libéral du Québec sous Philippe
Couillard a encore échoué au test de la vérité et de la transparence, sans ça
ils auraient accepté que M. Ouellette parle. Mais M. Ouellette peut
parler de bien des choses sans compromettre le travail de l'UPAC. M. Ouellette
peut dire ce qu'il sait et qui dérange sur le Parti libéral.
Le Modérateur
: Mathieu
Boivin, Cogeco.
M. Boivin (Mathieu) : M.
Khadir, au-delà de l'indépendance existante ou non entre l'UPAC et le pouvoir politique,
il y a aussi une question un peu embêtante de proximité familiale entre le
patron de l'UPAC, qui se trouve à être le beau-père du directeur général de la Sûreté
du Québec. Est-ce que c'est le genre de chose qui vous met mal à l'aise comme
votre homologue Pascal Bérubé au PQ?
M. Khadir
: C'est
tout à fait secondaire. Ça peut faire partie du tableau. Ce qui est important,
c'est qu'il faut se questionner pourquoi le travail de l'UPAC piétine, pourquoi
ça traîne, tant d'enquêtes. Maintenant, est-ce que c'est parce que les méthodes
de travail de M. Lafrenière, ses obsessions, ses priorités sont mal
placées, font en sorte que tout ça traîne? Bien, il faut se questionner.
Maintenant, le reste s'ajoute à l'ensemble,
mais l'essentiel, c'est qu'on a besoin d'une UPAC fonctionnelle. Il faut
enlever les entraves, les entraves au fonctionnement de l'UPAC pour que l'UPAC
accomplisse sa mission.
Pour le moment, en six ans, l'UPAC n'a pas
accompli sa mission première, c'est-à-dire d'identifier les grands patrons, les
grands responsables du financement illégal du Parti libéral. C'est ça, le rôle
de l'UPAC. Et il faut que M. Lafrenière nous dise pourquoi ça piétine.
M. Boivin (Mathieu) :
Donc, la question des liens familiaux, pour vous?
M. Khadir
: Ça
peut faire partie de l'ensemble, mais ça, c'est tellement un détail par rapport
au reste. Là, là, il ne faut pas perdre le nord. On questionne les priorités de
l'UPAC. J'espère que, comme classe politique et journalistique, on ne perdra
pas les priorités. Moi, je ne veux pas qu'on jette le bébé avec l'eau du bain.
Maintenant, tous ces trucs familiaux, tous
ces détails s'imbriquent dans un ensemble, dont le principal motif
d'inquiétude, c'est que : Est-ce que l'UPAC, actuellement, est entravée
dans sa mission de poursuivre, d'identifier, d'épingler, de ramener menottes à
la main les grands responsables du financement illégal du Parti libéral?
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Est-ce que M. Lafrenière, M. Ouellette et Mme Trudel doivent
comparaître en commission parlementaire afin de répondre aux questions des parlementaires?
M. Khadir
: Il
faut trouver toutes les possibilités, et celle-là... On les appuie toutes, les possibilités,
de donner du temps pour qu'on... Parce que ça fait beaucoup d'énergie, depuis
neuf ans, que l'ensemble du Québec place dans ces enjeux-là. Là, il ne faut pas
être pingres et oublier que c'est une priorité majeure, hein? C'est lassant, à
la fin. Ça épuise la classe politique de devoir retourner sempiternellement
parce qu'on ne débloque pas. Alors, pour le débloquer, ça passe par des
situations d'exceptions. Et on est dans une situation d'une rare gravité, d'accord?
C'est tout à fait exceptionnel. Moi, je trouve qu'on doit donner le plein temps
à M. Ouellette d'abord, et, si ça peut être complémentaire — M. Ouellette
pourra nous le démontrer — Mme Trudel de s'expliquer. Puis
ensuite on voudrait entendre M. Lafrenière, et ça presse, il a des
explications à donner.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Est-ce que les critères de perquisition pour accorder une demande de
surveillance d'un député de l'Assemblée nationale ou encore... en vue de la
perquisition de son matériel, notamment son ordinateur ou son téléphone
cellulaire, doivent être rehaussés, selon vous, voire même est-ce qu'on
pourrait rendre insaisissable le matériel des députés de l'Assemblée nationale?
M. Khadir
: Dans
les démocraties, ce n'est pas pour rien qu'on confère l'immunité aux
parlementaires, c'est pour éviter qu'il y ait des règlements de comptes
politiques contre des adversaires en utilisant des procédures abusives et en
utilisant l'appareil judiciaire, comme ça peut arriver, et on l'a déjà vu, d'accord?
Et, dans le Québec d'aujourd'hui, qui à maints égards dans ce qu'on apprend
dépasse tout à fait toutes les fictions les plus invraisemblables d'Hollywood,
il faut faire attention, tout est possible, et donc il faut augmenter le niveau
d'immunité pour qu'on ne puisse pas, à la légère, porter atteinte à l'immunité
des parlementaires dans leur travail. Ceci ne les mettra pas à l'abri de
poursuites lorsqu'ils ont mal agi aux vues de la loi criminelle, la loi pénale.
M. Gagnon (Marc-André) :
Mais qu'est-ce qui vous dit que M. Ouellette n'a pas mal agi? On ne le
sait pas encore.
M. Khadir
: Bien,
il faut que — mais dans les procédures appropriées — le
pouvoir policier démontre aux yeux d'un juge, dans une procédure non pas
expéditive, mais appropriée, la gravité des éléments de preuve à l'appui pour
mener ce genre de chose là. Et j'espère qu'au moment où on se parle l'UPAC
pourra nous démontrer qu'il a obtenu, en vertu de faits accablants, une
autorisation d'un juge.
M. Gagnon (Marc-André) :
Vous parlez de six ans de piétinement. Après ces six ans, est-ce que vous
croyez donc qu'il est venu temps de songer, d'envisager à remplacer M. Lafrenière
à la tête de l'UPAC?
M. Khadir
: On n'est
pas loin de ça. Je ne me mettrai pas la tête dans le sable. Je le questionne
sérieusement. Puis ce n'est pas une question de malice. Je ne prête pas des
intentions à M. Lafrenière. Je ne pense pas... Je ne recours pas à la
théorie du complot ou de la collusion. Le seul fait qu'en six ans on n'a rien,
là... Puis je vais vous donner l'exemple d'aujourd'hui et d'hier. Mueller, en
moins de 10 mois, le procureur aux États-Unis est arrivé à encercler les
éléments les plus proches du pouvoir de M. Trump, en moins de 10 mois.
Là, ça fait six ans plus trois autres années d'une intense campagne de mise en
relief des éléments. Là, il y a une démesure incroyable dans les résultats
obtenus par M. Mueller puis dans le piétinement et les retards pris dans
toutes les enquêtes. Puis ce n'est pas juste Charest et Bibeau. Charest et
Bibeau, je peux comprendre, ils sont protégés par des familles puissantes puis
par toutes ces nominations de toutes ces années, de tous ces postes partout
dans le pouvoir public qui doivent leur poste et leur position aux nominations
de MM. Bibeau et Charest. Je peux comprendre que ces éléments-là oeuvrent
partout pour bloquer, mais il y en a d'autres, il y a la SIQ, il y en a
d'autres. Donc, là, on a besoin qu'on sorte de ce piétinement qui fait honte à
l'ensemble de la classe politique au Québec.
M. Gagnon (Marc-André) :
Hier, en toute fin d'après-midi, donc, trois ministres effectuent une sortie et
annoncent une vérification du côté de l'AMF. Est-ce que c'est de la diversion
que de braquer les projecteurs vers l'AMF alors qu'il y a énormément de questions
et de pressions qui se font sentir maintenant sur l'UPAC?
M. Khadir
:
D'abord, là, je dois vous dire, j'ai eu l'impression hier, en les écoutant et
en les regardant, d'assister à, disons, une réaction sous anesthésie générale au
niveau émotionnel, au niveau intellectuel. Il y avait comme une dissociation
cognitive entre ces trois ministres. L'espèce de révulsion dans la population,
la révolte mentale à laquelle on assiste chez les gens, puis ces trois
ministres-là, qui agissaient comme : Bon, tout va bien, Madame la Marquise.
Le cheval est mort, l'étable est brûlée, le château s'effondre, le marquis est
tombé... je ne me rappelle plus de quoi dans la chanson, mais ces trois
ministres-là s'employaient à dire : Tout va bien, on a confiance.
Mme Cloutier (Patricia) :
M. Khadir, vous dites qu'il faut sauver l'UPAC. Est-ce qu'il faudrait que
M. Lafrenière quitte ou... Qu'est-ce que vous pensez qu'il faudrait pour
sauver l'UPAC, là, sauver le bébé avec l'eau du bain?
M. Khadir
: Si,
pour sauver l'UPAC, il faut remercier M. Lafrenière de ses services, il
faut qu'on le fasse. Pour savoir s'il faut faire ça, il nous doit des explications.
S'il se refuse à ces explications, là il faut tirer des conclusions. En tout
cas, tout le monde se demande s'il est l'homme de la situation. Ça fait six ans
que ça piétine, puis là on se réveille puis on entend que le seul député en
exercice qui a été arrêté au cours des 10 dernières années, c'est un
député qui n'a jamais été ministre à 100 000 $.
Le Modérateur
:
Dernière question.
M. Lavallée (Hugo) :
Est-ce que ça ne constituerait pas une forme d'ingérence politique que de dire :
Bien là, si vous n'êtes pas capables de faire déboucher telle enquête à
l'intérieur de tel délai que nous, les députés, on choisit, on va vous
congédier? Est-ce que ça ne serait pas mieux de laisser l'UPAC complètement
indépendante réaliser le travail au rythme où elle est capable de le faire?
M. Khadir
: Non,
non. Comme députés, comme politiques, on a la responsabilité de s'assurer que
des institutions qu'on met en place sont fonctionnelles, font le travail pour
lequel ils sont prévus.
Évidemment, jusqu'à tout récemment, moi et
vous, on pouvait être naïfs et dire : Bien oui, c'est long, ça prend du
temps. C'est des preuves, des justifications qu'on nous a apportées, et on a eu
la gentillesse, la naïveté, je dirais la magnanimité de les accepter. Mais
est-ce qu'on peut continuer à être aussi indolents et insouciants? Je vous le
demande. Comme politicien, vous me reprocheriez d'être indolent, quand je vois
qu'aux États-Unis, en moins de 10 mois, un enquêteur mène une enquête
tambour battant, sans faire attention à aucune considération du genre qu'on
nous a servie ici, incrimine trois des hauts responsables proches de M. Trump
dans une stratégie bien ciblée pour forcer des gens à collaborer.
Aujourd'hui, on a Coretti, Luigi Coretti,
qui dit à l'UPAC, qui dit au DPCP : Emmenez-moi en cour devant un juge, je
vais vous raconter ce qui s'est passé, il y a Lino Zambito qui dit : J'ai
besoin d'une immunité, je vais collaborer, je vais vous dire comment ça s'est
orchestré, tout ça, puis on ne leur donne aucune possibilité de faire ça. Comment
ça se fait?
M. Lavallée (Hugo) :
Quel est le niveau de confiance que vous accordez à Mme Trudel?
M. Khadir
: Bien,
écoutez, elle jouit d'une bonne réputation. Et, bien sûr, dans ce contexte très
délicat et juridiquement, disons, glissant qui est devant nous, il faut faire
attention, mais je n'ai aucune raison de mettre en doute ce qu'elle a fait.
Après tout, c'était suffisamment sérieux, son travail, pour forcer le gouvernement
à bouger et même changer de ministre pour ne pas aggraver les choses pour sa
réputation, d'accord? Et, lorsqu'on l'a entendue ici, en commission
parlementaire, avec l'autre dame qui l'accompagnait, les deux ont fait un
témoignage d'une rare sincérité, d'une rare limpidité, d'accord, que je ne peux
pas me permettre... je n'ai rien pour mettre en doute. Donnez-moi un argument
qui puisse... Bon. Là, on parle de toutes sortes de rumeurs, mais, au-delà de
rumeurs, elle a des faits qu'elle a allégués en commission parlementaire. J'espère
qu'on pourra avoir le témoignage de M. Ouellette, qui aurait été mis au courant,
qui a motivé toutes ces propositions pour «ISO gouvernement», «ISO UPAC» et «ISO
intégrité». On verra. Merci.
(Fin à 11 h 17)