(Quinze heures trente-huit minutes)
M. Marceau : Alors, écoutez,
bonjour. Je veux vous parler un peu pour faire suite à la question que j'ai
posée aujourd'hui puis à la motion que j'ai déposée. Vous savez que les
Paradise Papers, donc, ont été rendus publics cette fin de semaine par le
consortium international des journalistes d'enquête et qu'on a appris, donc,
que plusieurs anciens premiers ministres canadiens, des grands argentiers du Parti
libéral du Canada, même la reine d'Angleterre, des proches de M. Trump étaient
impliqués dans les paradis fiscaux. Parmi les personnes visées par
Radio-Canada, il y a MM. Stephen Bronfman et Leo Kolber, qui sont des gens
proches de la famille Trudeau et des collecteurs, organisateurs financiers du
Parti libéral du Canada, et les Paradise Papers font état d'une somme de
60 millions de dollars investie dans les paradis fiscaux via le cabinet
Appleby.
Bon, ces deux personnes, MM. Bronfman et
Kolber, sont aussi des personnes proches du Parti libéral du Québec. Je l'ai
dit, j'ai simplement présenté les faits. Dans le cas de M. Bronfman, entre 1995
et 2016, il a donné au Parti libéral du Québec 37 900 $. Et j'ai rappelé
aussi en Chambre le projet de loi n° 205, qui avait été déposé en 2005, et
qui concernait une loi… C'était un projet de loi privé qui concernait des
fiducies détenues par la famille Bronfman, et il y avait plein de mesures là-dedans
qui étaient d'une complexité assez importante, là, je dois le rappeler. Nous
avions posé des questions. Entre autres, on avait demandé quel était l'impact
sur le trésor public de ce projet de loi. Et, à la suite d'un certain nombre de
questions insistantes que nous avions posées, le projet de loi avait été
retiré. Ça, c'était en 2005… pardon, en 2011.
Quant à M. Kolber, il a donné, entre 1979
et 2017, 56 050 $ au Parti libéral du Québec. Il était membre du
conseil d'administration du Groupe de santé Medisys depuis... il est membre,
pardon, du conseil d'administration du Groupe de santé Medisys depuis 2002. Or,
ce Groupe de santé Medisys, c'est lié à Persistence Capital Partners, ce qu'on
appelle PCP, groupe auquel M. Couillard s'était joint à titre de
partenaire, là, en 2008 et groupe qui avait fait… Enfin, vous vous rappellerez
de l'histoire du règlement qui avait été promulgué par M. Couillard à l'époque,
quelque temps avec son départ, là. Bon, alors il faut voir qu'il y a des liens
entre PCP, Medisys, M. Kolber. Alors, il y a des liens étroits et intimes.
Alors, ce sont des gens très étroits, et
les questions que j'ai posées ce matin… La question que j'ai posée aujourd'hui,
en fait, était très simple, était de savoir pourquoi ça ne bouge pas dans le
dossier des paradis fiscaux. Faut-il comprendre que les conséquences pour
certaines personnes proches du Parti libéral seraient si importantes qu'on
hésite à bouger du côté du gouvernement?
Je rappelle qu'on a posé des questions
énormément depuis plusieurs années. Il y a eu des questions à la suite de
l'amnistie pour les clients, entre autres, là, de KPMG. Vous vous rappellerez
un peu l'histoire, là. L'Agence du revenu du Canada a donné une amnistie à
plusieurs multimillionnaires qui avaient investi des sommes importantes dans
les paradis fiscaux, et le gouvernement du Québec a, semble-t-il, décidé
d'aller dans la même direction, malgré les questions que nous avons posées et
malgré les réponses qu'on a obtenues en Chambre.
On a aussi demandé au gouvernement du
Québec de ne pas reconnaître les îles Cook… À la suite d'une convention fiscale
qui avait été signée par Ottawa avec les îles Cook, on avait demandé au
gouvernement du Québec : S'il vous plaît, ne donnez pas suite, comme ça se
fait usuellement, là, ne reconnaissez pas la convention fiscale qui vient
d'être signée par Ottawa avec les îles Cook. Là aussi, on n'a pas eu de
suivi, on n'a pas eu de réponse.
Puis je rappelle finalement le rapport de
la Commission des finances publiques sur le phénomène des paradis fiscaux, qui
a été rendu en mars. À ce jour, rien, aucune réponse. On avait demandé des
études, trois études, trois rapports, si vous voulez, trois documents au ministère
des Finances, on n'a toujours rien reçu. Ce sont des travaux qui sont
importants, qui avaient été, à l'époque, consensuels, mais je me rends compte
que la volonté du gouvernement n'y est pas. Et on se pose des questions, là. Qu'est-ce
qui explique cette lenteur, ce manque de volonté de la part du gouvernement? Alors,
c'est ce que je voulais vous dire.
Mme Lamontagne (Kathryne) :
Vous avez quand même, M. Marceau, pointé directement le premier ministre
avec des liens. Pourriez-vous préciser votre pensée par rapport à ça?
M. Marceau : Bien, regardez,
M. Kolber, de toute évidence, il est au groupe Medisys, et en même temps, là,
que M. Kolber était au groupe Medisys, M. Couillard, lui, se joignait, à titre
de partenaire, au groupe PCP, qui est propriétaire de Medisys. Alors, regardez,
c'est quelqu'un qui a énormément à perdre, M. Kolber, d'une action vigoureuse
d'un gouvernement contre les paradis fiscaux. Alors, évidemment, je ne suis pas
capable d'aller plus loin que cela. Je pose des questions.
Mme Lamontagne (Kathryne) :
Mais vous estimez que le gouvernement du Québec n'avancerait pas...
M. Marceau : Moi, je vais vous
dire deux choses. Il y a plein de gens qui sont proches du Parti libéral qui
perdraient beaucoup si le gouvernement du Québec agissait. Il y a plein de
monde et il y a beaucoup de ces gens-là qui sont très proches du Parti libéral
du Québec et du gouvernement du Québec actuel.
M. Dion (Mathieu) : Sur le
rapport que vous aviez déposé à la commission, il n'y a absolument rien qui a
été fait?
M. Marceau : Rien qui n'a été
fait. On n'a aucune réponse, pas de gestes qui ont été posés. On nous dit qu'il
va y avoir, un jour, une réponse, mais, regardez, on est rendus au mois de
novembre... La réponse devait être donnée en septembre, la première, une
première partie de la réponse. À ce jour, rien de cela... rien n'a été fait.
M. Lavoie (Gilbert) : Ça, c'est
les études demandées au ministère des Finances?
M. Marceau : Il y avait trois
études, oui, effectivement. Je peux vous dire lesquelles. En fait, je les ai
mentionnées en période de questions, mais je peux vous les redire, là. Il y avait
trois documents, dans le fond, qu'on demandait au ministère des Finances de
produire. Il y a une analyse d'impact sur une taxe sur les profits détournés.
On appelle ça une «Google tax». Dans le fond, quand le fisc est capable de
démontrer qu'une certaine quantité d'argent a été détournée vers un paradis
fiscal, le fisc taxe, de ce montant-là, l'entreprise qui a détourné avec une pénalité.
Ça a été mis en place dans plusieurs pays. Ça a été mis en place au
Royaume-Uni, en Australie, entre autres. Donc, ailleurs, ça existe déjà. Ils
appellent ça une «Google tax» aussi.
Donc, ça, ça existe. On a demandé au ministère
des Finances : Êtes-vous capable de mesurer si le Québec pourrait agir de
manière unilatérale, ne pas attendre après Ottawa, qui, bon, vous aurez
compris, ne fera pas grand-chose, et ne fera rien, en fait, là, donc ne pas
attendre Ottawa pour bouger, et Québec n'a pas encore donné suite à ça.
Deuxième chose, il y a un règlement
fédéral qui permet de transférer des profits qui sont dans des paradis fiscaux
puis de les rapatrier sans impôt au Canada, le règlement 5907. Certains
prétendent que c'est illégal, que ce règlement-là contrevient à la Loi sur
l'impôt, donc un règlement qui contreviendrait à la loi. Je ne suis pas un
avocat fiscaliste, je ne suis pas capable de porter un jugement là-dessus, pas
plus que les collègues qui étaient avec moi à la Commission des finances
publiques, mais on avait demandé à Finances de nous fournir un avis juridique
sur, effectivement, la légalité, la validité du règlement 5907. On attend toujours
ça.
Puis troisième chose, on avait demandé une
analyse d'impact sur l'opportunité pour le Québec de se retirer de conventions
fiscales qu'Ottawa, lui, a signées avec des paradis fiscaux. Vous savez que ce
n'est pas automatique que le Québec devient lié par convention fiscale à des
paradis fiscaux, c'est une décision qui est prise par le Québec. Or, il y a
encore eu... il y a, exemple, les îles Cook que je viens de vous dire, mais il
y en a des dizaines de conventions fiscales comme celle-là. Mais ce qu'on veut
savoir, c'est : Est-ce qu'il y aurait des dommages économiques ou autres
si le Québec décidait de se retirer de ces conventions fiscales?
Alors, ce sont des questions importantes
qui vont avoir un impact sur la capacité du Québec... enfin, qui vont établir
la capacité du Québec à agir unilatéralement, à ne pas attendre après Ottawa
qui, bon, vous avez compris, est empêtré dans ses problèmes puis ne semble pas
vouloir agir.
M. Dion (Mathieu) : Ce que
disait finalement Revenu Québec, c'est que 38 des recommandations de votre
rapport avaient déjà été étudiées et qu'elles étaient inapplicables sans l'aide
du fédéral, si on veut, ou sans un lien avec le fédéral.
M. Marceau
: Non. Je
vais me permettre de diverger d'opinion profondément avec ce que Revenu Québec disait
à ce moment-là, là. Il y a des choses qui sont difficiles à faire présentement
dans l'état actuel, mais maintenant, quand ils disent : C'est
inapplicable, c'est parce que... Par exemple, je reviens sur la question des
conventions fiscales. Revenu Québec n'a pas à porter un jugement sur la
capacité du Québec de le faire ou pas, là. Ils peuvent trouver que ce serait
difficile, ils peuvent trouver que ce serait compliqué, que ça remettrait en
cause certains des protocoles d'entente qu'il y a entre Revenu Québec et Revenu
Canada.
M. Dion (Mathieu) : Ce n'est
pas plus sur Ottawa qu'il faut mettre une pression?
M. Marceau
: Bien,
regardez, moi, je pense qu'il faut mettre une pression sur Québec, sur Ottawa. Maintenant,
je pense qu'il est tout à fait vrai de penser que l'action contre les paradis
fiscaux va être d'autant plus efficace qu'elle est menée par plusieurs
personnes en même temps, c'est vrai, mais il est complètement faux de dire que
le Québec ne peut pas agir du tout puis qu'on est forcés puis obligés
d'attendre que les grands de ce monde décident de bouger. Il y a quelque chose
de faux là-dedans. Et le Royaume-Uni — je reviens sur le texte sur le
profit détourné — le Royaume-Uni a eu le courage de bouger de manière
unilatérale, tout seul, avant tout le monde, et ça a porté fruit, puis
aujourd'hui c'est l'exemple que tout le monde suit. Et je pense que le Québec
pourrait faire la même chose à l'intérieur du Canada.
Il y a un problème d'injustice, d'inéquité
qui est ressenti profondément par les Québécois, d'autant que, vous le savez,
on est taxés peut-être plus lourdement qu'ailleurs parce qu'on a décidé de se
donner des services publics plus généreux. Et, dans ce contexte-là, de voir que
des gens échappent complètement à leurs obligations, qu'ils ne paient pas leur
juste part, c'est quelque chose qui est très irritant pour les Québécois, et ça
remet en question la confiance de base des gens dans le système dans lequel on
est.
Des voix
: Merci.
M. Marceau
: Merci à
vous.
(Fin à 15 h 48)